Les élèves à l’école de la défiance…(Virginie Blanchet) ?>

Les élèves à l’école de la défiance…(Virginie Blanchet)

Je suis parent d’un élève actuellement en seconde, qui, il y a deux ans, comme tous ses camarades, a déjà essuyé les plâtres de la réforme du collège puisque c’est la même classe d’âge qui se trouve deux fois de suite confrontée à la difficulté d’être la première cohorte à vivre une réforme, et à voir cette réforme s’appliquer en cours de cycle, en dépit du bon sens. Ainsi, ces enfants sont les seuls de toute une génération à n’avoir bénéficié que de 2h hebdomadaires de LV2 en 4ème et 3ème alors que leurs prédécesseurs avaient encore 3h hebdomadaires et leurs successeurs 2h mais dès la 5ème. Cette fois-ci, la réforme se fait en dépit de la cohérence du parcours scolaire pour les élèves actuellement en seconde, qui étudient cette année les anciens programmes mais étudieront les nouveaux l’an prochain, sans que la continuité soit assurée. Quid de l’équité entre les élèves ? Quid de la pertinence des parcours ?

DES CHOIX à L’AVEUGLE


Et surtout, ces enfants, qui sont actuellement en seconde, vont devoir faire des choix sans que le système scolaire soit encore en mesure de leur assurer si ces choix leur permettront bien la poursuite d’études qu’ils désirent. On ne peut faire des choix qu’en connaissance de cause. Or, comment choisir trois enseignements de spécialité alors que personne, ni les conseillers d’orientation, ni les professeurs, ni les proviseurs, ne semble en mesure de dire quels seront les prérequis exigés pour suivre telle ou telle formation post- bac ? J’ai la sensation qu’on leur demande de signer un contrat sans en connaître le contenu et j’en arrive même à me demander quelle est la légitimité juridique d’une telle démarche.
Au-delà, et bien que je sois moi-même enseignante, je me sens totalement désemparée face à des changements dont je ne comprends pas toujours les conséquences. En discutant autour de moi, j’ai parfaitement conscience qu’une majorité de parents se trouve démunie face à de trop nombreuses questions qui restent sans réponse.
Je suis effarée par le manque de pragmatisme dont cette réforme semble s’entourer. Elle est censée mettre fin aux filières afin de laisser une plus grande liberté aux enfants. Je n’ai pas de position de principe sur le sujet mais j’ai la sensation d’un manque de sens des réalités pour le moins dangereux pour nos enfants. S’il est important qu’’un jeune se sente bien dans ses études, y éprouve du plaisir, il est aussi important qu’il puisse construire son avenir de manière cohérente.

DES SCIENCES SANS MATHS

Comment l’Education Nationale peut-elle assumer la responsabilité de mettre en place un système qui offre la possibilité de faire par exemple SES sans faire de maths, qui suggère que l’on peut faire de faire Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques sans une formation économique en parallèle, ou bien qu’étudier la physique-chimie en abandonnant les maths n’est pas mettre en danger la suite de sa scolarité? Toutes ces options sont possibles dans la réforme, il n’est jamais dit que cela présente un danger. La réunion à laquelle j’ai assisté au lycée en décembre a souligné que les anciennes filières étaient supprimées mais n’a jamais appelé à être malgré tout prudent dans les choix des options, n’a jamais souligné l’importance de créer un trinôme ou un binôme qui ait une cohérence !

En outre, que penser d’un tronc commun qui n’intègre pas les mathématiques ? Faut-il comprendre que cette matière ne fait pas partie d’une culture commune au même titre que le français ou la philosophie ? N’est-elle pas une matière essentielle dans bien des poursuites d’études ? Et quel sens peut-il y avoir à suivre un « un enseignement scientifique » si l’on peut ne plus faire de mathématiques ?
La suppression des filières conduit à proposer le même cours de mathématiques pour tous en première. Comment s’en sortiront ceux qui ont besoin de mathématiques pour la suite de leurs études, sans se sentir experts dans cette matière ? Comment les professeurs gèreront-ils cette hétérogénéité dans des classes atteignant le plus souvent au moins 35 élèves?
Et que penser d’un tronc commun qui ne propose que 4h30 en première puis 4h en terminale pour les deux langues vivantes ? Quelles études un peu exigeantes pourront poursuivre nos enfants en ayant suivi l’anglais à raison de 2 heures par semaine pendant 2 ans ? Cet horaire permettra peut-être de maintenir un niveau, certainement pas de l’améliorer. Comment justifier ce choix quand l’on sait qu’un maximum de formations et de métiers exigent un bon niveau d’anglais ? En réalité, ne tireront plus leur épingle du jeu que ceux qui pourront s’offrir des cours privés de langue ou des séjours à l’étranger pour parfaire leur niveau d’anglais.

UNE ECOLE SANS éQUITé


De plus, au quotidien, au lycée, quelle cohérence pourra être construite dans des cours qui appartiennent à la fois au tronc commun et aux enseignements de spécialité ? Notera-t-on de la même manière, en enseignement commun, les élèves qui feront 2h d’anglais par semaine et ceux qui en feront 6h en première et 8h en terminale (2h du tronc commun et 4h ou 6 h de spécialité), ou bien ceux qui feront 3h d’histoire géo et ceux qui en feront 7h ou 9h, alors que, de toute évidence, les uns seront très avantagés dans ces matières par rapport aux autres? Où est l’équité dans ce fonctionnement ?
Enfin, quelles garanties auront nos enfants que le baccalauréat reste vraiment un diplôme national et que l’équité au sein du territoire existe alors qu’une majorité d’épreuves ne seront plus les mêmes d’un lieu à un autre et seront choisies et corrigées au sein même de l’établissement ? C’était déjà le cas, hélas, à la marge dans certaines matières comme les langues vivantes. Comment justifier cet élargissement d’un principe bien contestable si vous n’êtes pas lycéen en centre-ville ou au cœur d’un arrondissement aisé de Paris ? Il semble évident que votre diplôme ne « vaudra » pas la même chose si vous sortez, au Havre, de François 1er ou de Schumann ! Les épreuves nationales étaient la garantie que tous les enfants étaient jugés de la même manière, quel que soit leur milieu d’origine et les établissements côtoyés et que si vous étiez bon élève en ayant suivi un cursus en REP, votre valeur était reconnue indépendamment de votre histoire personnelle. L’on peut réellement craindre que ce ne soit plus le cas.
La confusion actuelle nuit à la crédibilité de l’Institution. Je crois que les élèves sont en droit d’attendre des réponses à ces questions avant de faire des choix qui impliqueront leur avenir. Ils sont aussi en droit d’attendre d’être rassurés sur des craintes légitimes. Il en va du respect des élèves et de leurs familles, et de la confiance que nous avons besoin, parents et enfants, de voir rétablie avec l’Education Nationale.

Virginie Blanchet.