Les désarrois du professeur Torts-Much ou les tribulations d’un enseignant au pays des chinoiseries… ?>

Les désarrois du professeur Torts-Much ou les tribulations d’un enseignant au pays des chinoiseries…

Il était une fois une institution « bienveillante » – pour les « apprenants » exclusivement, cela va sans dire ! – qui avait à cœur de ménager les fleurs délicates qu’elle cultivait péniblement. Toutes étaient supposées, selon un dogme ministériel, disposer spontanément de germes de connaissances innées qui ne demanderaient qu’à éclore, si toutefois leurs jardiniers voulaient bien en prendre le soin requis – en suivant à la lettre les recommandations de la hiérarchie. Les professeurs étaient donc sommés de distribuer généreusement l’engrais des bonnes notes afin de ne pas traumatiser les jeunes pousses fragiles que la moindre déconvenue était censée conduire au découragement, à la dépression, au burn out…bref, à l’Echec Scolaire !
C’est ainsi que je fus récemment convoquée par la principale de l’établissement dans lequel je tente, contre vents et marées, d’inculquer à mes élèves les arcanes de la syntaxe et de leur faire produire quelques phrases intelligibles par tous. Un parent d’élève, dont le champ de « compétences » n’a rien à voir avec l’enseignement des lettres, mais autoproclamé expert en pédagogie, avait en effet écrit un courrier à charge dans lequel il avait eu l’habileté de brandir, telle une banderille, le mot magique – non, pas un « Merci pour l’attention que vous portez aux copies de mon fils », ne rêvons pas, on n’est au pays des Bisounours que pour nos chères têtes blondes ! -, celui qui terrifie tout responsable, celui qui voue aux gémonies et vous envoie au tribunal : « HARCELEMENT » ! Or donc, parce que je m’insurgeais contre les absences répétées – mais judicieusement sélectives – de son cher petit lors des contrôles – pardon, je m’égare, des « évaluations » -, parce que, lorsqu’il les honorait de sa boudeuse présence, j’avais l’audace de corriger scrupuleusement la moindre faute d’orthographe, de signaler toutes les erreurs de conjugaison, de construction, de ponctuation, d’écrire des appréciations trop longues et, surtout, peu élogieuses, de maculer d’un rouge aussi agressif que traumatisant pour l’« apprenant » l’œuvre de l’adolescent, bref, de faire ce que je croyais naïvement être mon métier et mon devoir, je le HARCELAIS !
Comment avais-je pu être assez sotte pour imaginer que c’est en signalant les erreurs qu’on permet à ceux qui les commettent de les identifier et de ne pas les reproduire ? Pourquoi diable perdais-je un temps précieux, des week-ends entiers à déchiffrer péniblement, annoter méticuleusement une prose parfois à la limite du compréhensible ?
On m’expliqua, quand j’arguai que certains élèves étaient incapables d’écrire une phrase correcte, qu’ils étaient « en cours d’apprentissage » : soit ! Mais qu’un élève de 4ème puisse aligner une succession de mots telle que : « La terre se mit a trembler jusqua que les muraille tomber puis un lourd son egeux penetre dans mais oreille soudain des miliers de miroir aparur… » (sic !) – je vous épargne la suite, il n’y a pas de raison pour que j’inflige un tel supplice à quiconque !- et que l’on veuille me faire croire que cela n’a rien d’anormal, que ce salmigondis constitue une phrase et, surtout, que je devrais user de mon stylo rouge avec parcimonie, cela dépasse l’entendement et j’en reste pantoise !
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises : j’appris ensuite que, mécontent de mon inaptitude flagrante à déceler le Rimbaud qui sommeillait chez son fils, le parent en question lui avait procuré les bons offices d’un coach particulier (et bienveillant !), dont les compétences, très supérieures à celles de la misérable professeur que je suis, permettaient d’établir avec certitude que ma notation était trop sévère, puisqu’il recorrigeait obligeamment les travaux de son protégé après moi – merci, Acadomia et son crédit d’impôts !
J’envisage donc sérieusement de saisir la merveilleuse opportunité qui m’est gracieusement offerte : pourquoi, désormais, ne pas expédier à ce professeur d’exception tous les paquets de copies qui pourrissent mes week-ends et mes nuits ?