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Equipe éducative

 

 

 

Jeudi 17 décembre 2015

 

 

Aujourd’hui, à 10 h 15, j’avais une équipe éducative.

 

Une « équipe éducative », c’est une réunion, demandée par l’enseignant, pour un élève en grande difficulté, ou dont le comportement est problématique.

C’est vraiment conçu pour les cas les plus préoccupants.

Dans ma classe, cinq élèves en relèvent.

Lors d’une équipe éducative, sont invités les parents de l’enfant concerné, le directeur, des membres du RASED[1] ; le cas échéant, les professionnels qui prennent en charge l’enfant au CMPP[2] – psychologue, orthophoniste, psychomotricien – ou l’assistante sociale ; le médecin scolaire, et l’enseignant de l’enfant. Chacun expose ce qu’il a constaté, fait un bilan. Il s’agit la plupart du temps de permettre aux parents de prendre conscience de la gravité de la situation, puis d’envisager, avec eux, les décisions les meilleures pour l’avenir de l’enfant – adaptation du travail au sein de la classe, prise en charge en orthophonie, demande d’AVS[3], orientation spécialisée… C’est important, pour que la difficulté propre de l’élève soit reconnue, pour que tous les aspects de la situation soient exposés, pour que se mettent en place les échanges et les prises de contact entre les différents partenaires.

Souvent, quelques mois plus tard, a lieu, pour le même enfant, une « équipe de suivi », qui fait un nouveau point, qui mesure les progrès et réévalue les besoins. Pour chaque enfant concerné, il peut y avoir trois rencontres dans l’année.

 

C’est toujours sur le temps scolaire qu’ont lieu ces réunions, pendant lesquelles nous n’avons pas de remplaçants pour prendre nos classes.

 

Alors nous répartissons nos élèves chez les collègues. Nous leur donnons un travail, et nous les emmenons, leur petit barda dans les bras, pour les laisser deux par deux ou trois par trois dans d’autres classes.

Les réunions durent environ trois quarts d’heure, mais il faut compter une petite demi-heure pour distribuer le travail et répartir les élèves. Les grands, souvent, on peut les envoyer tout seuls, on leur dit : « Vous allez chez Monsieur Untel », mais les petits, du moins certains, on hésite à les laisser se promener sans surveillance dans l’école, alors on emmène toute la classe avec nous, et on dépose les élèves, deux par deux ou trois par trois, jusqu’aux derniers.

Au retour de la réunion, on refait tout ça en sens inverse. On toque, on appelle ses élèves, ils rangent leurs affaires, ils remettent leur manteau et on fait ainsi la tournée des classes. Ce qui prend encore une petite demi-heure.

 

Ce matin, c’était particulièrement le bazar.

Nous avions sur l’école deux enseignants – sur treize – absents pour maladie, non remplacés.

Certains de leurs élèves étaient déjà répartis dans les classes.

Un de nos collègues était en sortie pour la journée.

Un quatrième était déjà en équipe éducative – il y en avait trois, ce matin, dans l’établissement –, et avait réparti ses élèves à 8 h 30.

Par chance dans un cas pareil, dans chaque classe, plusieurs élèves étaient absents, épidémie de gastro oblige. Heureusement aussi que le directeur avait pris le temps, la veille, d’appeler toutes les familles des élèves dont les enseignants seraient absents, pour leur demander de garder autant que possible leurs enfants à la maison, parce que sinon, nous aurions commencé la journée avec douze élèves de plus dans chaque classe.

Ce matin, certains collègues en avaient trente-deux, au lieu des vingt-quatre habituels.

Pour trente places assises seulement dans nos classes.

 

Deux fois dans la matinée, déjà, des élèves avaient toqué à la porte, les premiers pour dire : « Notre maîtresse est en réunion », et s’installer dans la classe, les seconds pour annoncer : « On vient chercher les élèves de Mme Unetelle… », et repartir avec eux.

 

Et, dans tout ça, il fallait que je résolve mon casse-tête.

En comptant les élèves des autres classes, j’avais vingt-sept élèves à répartir chez neuf collègues, donc trois par classe.

Comme j’avais rendez-vous à 10 h 15, il aurait fallu que je commence à déménager tout le monde à 9 h 45, pour que les élèves que je répartissais dans les classes des petits – CP et CE1 – soient installés avant 10 heures, heure de leur récré, puis que je continue de manière à terminer avant 10 h 15, heure de la récré des grands – CE2, CM1, CM2.

Mais j’ai eu un contretemps, comme souvent, l’activité en cours a débordé. J’ai donc commencé ma répartition à 10 h, au moment où les petits sortaient ; les enseignants avaient quitté leur classe, les élèves devraient donc laisser leurs affaires devant les portes fermées. Comme j’étais pressée, cette fois, j’ai choisi les plus paisibles, et je les ai envoyés seuls dans les couloirs, en priant pour qu’il n’y ait pas de problèmes, qu’ils ne se trompent pas de classe, qu’ils descendent bien en récréation…

Et j’ai gardé mes loustics avec moi pour les conduire dans les classes des grands, où il n’y avait parfois plus de place, alors certains sont restés dans le couloir, en attendant la récréation, après laquelle ils pourraient récupérer les places des élèves de la collègue qui, sortie de sa réunion, serait venue les chercher pour les ramener dans sa classe.

 

Ma réunion a duré longtemps, heureusement que je passais en dernier, je suis sortie vers 11 h 30. Le temps de récupérer tout le monde, il était l’heure de la cantine, les élèves ont à peine pu reposer leurs affaires en classe. Mais d’autres non, parce qu’ils étaient descendus dans la cour pour faire sport avec l’enseignant qui les recevait, alors ils iraient chercher les affaires tout à l’heure, au retour de la cantine, on n’était plus à un déplacement et à un dérangement de collègue près.

 

Quand on revient en classe, cela fait un bon moment que les élèves font un peu leur vie, ils sont à moitié déconcentrés, ils s’amusent. Vous avez eu trois quarts d’heure de réunion – au moins –, mais la classe, elle, a été comme dans les champs pendant environ deux heures. Et il faut encore un peu de temps pour reprendre ses esprits, pour faire un petit point sur qui a fait quoi du travail donné, pour écouter quelques petits récits (« Tu sais, ben en fait, chez Mme Unetelle, eh ben Léo, il a fait ça… ») et résoudre un éventuel problème.

 

Parfois, un jour comme ça, c’est aussi le jour d’autre chose, de la photo par exemple, où les classes doivent sortir à tour de rôle, et c’est un bazar de plus. Parfois, quand vous revenez de réunion, une des classes dans laquelle vous avez laissé deux élèves se trouve au conservatoire, ou au gymnase, alors les deux élèves concernés reviennent une heure après. A moins qu’ils n’aient été laissés chez un autre collègue, mais lequel ? Alors on envoie deux élèves faire le tour des classes pour les chercher. Parfois, pour pimenter l’affaire, un élève se révèle malade. On en envoie deux autres dans le bureau du directeur pour lui demander d’appeler les parents. Parfois aussi, ce même élève vomit en classe, alors gros remue-ménage. Et parfois, pour des raisons administratives urgentes, l’EVS[4] du directeur toque à la porte plusieurs fois dans la journée. Parfois encore, c’est ce jour-là que vous avez un décloisonnement[5]. Ou bien c’est ce jour-là aussi que le collègue PDMQDC[6] qui prend les élèves en petits groupes vient les chercher en changeant de groupe au bout de trois quarts d’heure, et pareil pour le collègue du RASED. Et puis il y a les élèves qui vont au CMPP ; les parents frappent à la porte pour venir chercher leur enfant, et une heure et demie plus tard, l’enfant toque à la porte pour revenir. Et puis pourquoi pas, il y a un anniversaire, en CP, alors des petits toquent, tout mignons, et proposent une part de gâteau.

Ce sont des jours où on ne peut pas terminer une phrase. On commence, puis on s’arrête et on dit : « Ouiiiii ? », parce qu’on entend frapper. Trois fois d’affilée. Ou plus.

Manque plus qu’il y ait une alerte incendie, ou un grave problème entre deux élèves, et on peut compter cette journée comme passée à la trappe.

 

A part ça, comme me disait la collègue qui a dû se résoudre à laisser trois élèves patienter dans le couloir – moi qui ai des plus petits et parfois des fluets, il m’est arrivé de les asseoir trois par table au lieu de deux, où ils sont déjà bien serrés -, à part ça, tout va bien, pas de raison de faire remonter des informations alarmantes sur nos conditions de travail à notre hiérarchie ou aux syndicats.

 

 

 

[1] RASED : Réseau d’Aide et de Soutien pour les Elèves en Difficulté. Le RASED est composé d’un psychologue scolaire, d’un enseignant appelée« poste G », qui s’occupe des enfants qui ont des problèmes d’attitude face à l’école, et d’un enseignant appelé « poste E », qui aide des élèves en grande difficulté scolaire, en travaillant sur des domaines disciplinaires précis.

[2] CMPP : Centre Médico-Psycho-Pédagogique

[3] AVS : Auxiliaire de Vie Scolaire ; c’est une personne qui aide, au sein de la classe, un enfant reconnu comme souffrant d’un handicap avéré, plus ou moins lourd ; elle se tient aux côtés de l’enfant, pour le soutenir dans son travail scolaire, sur des créneaux variant de deux heures à neuf heures par semaine.

[4] EVS : Emploi de Vie Scolaire : concrètement, personne parfois non qualifiée, payée une misère, qui aide le directeur dans les tâches administrative, sur un temps partiel.

[5] Décloisonnement : pratique d’échange de services entre enseignants, qui consiste à prendre la classe d’un collègue pour une matière particulière – histoire, dessin, sport – , pendant qu’il prend la vôtre pour une autre matière. Les décloisonnements ont l’avantage d’alléger le lourd travail de préparation et aussi de se faire connaître des élèves des autres classes, mais ils peuvent avoir l’inconvénient de compliquer le déroulement des journées.

[6] PDMQDC : Plus De Maître Que De Classe : enseignant surnuméraire, qui aide les autres enseignants en travaillant avec des petits groupes d’élèves, pour soulager le problème de l’hétérogénéité des classes.