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La réforme du français et l'enseignement de la philosophie

En quoi la réforme du français menace-t-elle l'enseignement de la philosophie ?

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1) La littérature est instrumentalisée, son sens réduit :
Loin de servir le sens et les œuvres, l'étude des textes littéraires est subordonnée à des catégories : les " genres et les registres " (une des rubriques de l'enseignement de Seconde et de Première), qui étiquettent les œuvres, et font croire qu'elles ne correspondent qu'à des recettes. La typologie des textes et leur aspect énonciatif priment constamment sur le sens. La spécificité, le sens, les écarts des œuvres ne sont ainsi plus perçus ni soumis à étude, l'étude des textes fondateurs devenant prétexte à des exercices d'écriture. La notion même d'oeuvre et de construction d'une signification est écartée. Le terme d'écrivain n'est plus employé, l'étude du français est présentée comme celle de " discours ", notion à laquelle toutes les œuvres sont soumises.

2) L'étude précise des textes est abandonnée :
La réforme préconise une lecture " cursive " des œuvres, hors de la classe, éminemment superficielle. L'autre forme de lecture préconisée, la lecture " analytique ", ne bénéficie d'aucune définition, sauf celle de " travail d'interprétation ", qui ouvre la porte à tous les flottements, dont les nouveaux manuels témoignent : questionnaires squelettiques, peu d'intérêt pour le lexique, signification profonde peu dégagée, symbolisme rarement proposé. Le respect de la lettre, la soumission de la lecture à un travail exigeant disparaissent ainsi, ouvrant la porte à toutes les erreurs d'interprétation et à tous les à-peu-près. La réforme semble les tolérer puisqu'elle pose peu d'exigences, et les accepter comme faux-frais.

3) L'histoire littéraire est abandonnée :
La réforme prévoit, en classe de Seconde, " un mouvement littéraire du 19ème siècle ", en Première " un mouvement littéraire du 16ème au 18ème siècle ". La chronologie de l'histoire littéraire est ainsi perturbée, les idées seront très difficilement replacées dans un tissu d'actions et d'interactions, la notion de tradition et de réinterprétation est absente des programmes, aucune histoire de la pensée ne peut s'y déployer.

4) Le principe du sujet d'invention autorise un travail issu du contresens :
La réforme, par le biais de l' "écriture d'invention ", non cadrée ni codifiée, propose aux élèves de travailler sur le contresens, en méprisant le sens même de l'œuvre étudiée. C'est ainsi qu'on aura, concernant Le Père Goriot, le sujet suivent : " Les filles du Père Goriot arrivent (au moment de la mort de leur père). Racontez la scène ", concernant La Princesse de Clèves : " Récrivez le récit de la rencontre comme pourrait le faire aujourd'hui un journaliste 'people' ". Toute spécificité historique, tout code, toute écriture, tout effet de structure sont ainsi gommés. L'élève sera de ce fait habitué à les négliger.

5) Le travail sur la langue et le style, les effets de sens particuliers, sont proposés comme obstacle à la compréhension, et constamment banalisés :
On propose aux élèves la platitude d'expression comme idéal : sur Montesquieu, L'Esprit des Lois, "L'esclavage des Nègres" : " Transformez ce texte en faisant dire explicitement à l'auteur ce qu'il pense ". " Récrivez Le Pont Mirabeau en mettant les mots dans un ordre normal ". Toute complexité est bannie, on propose de réécrire des passages de Proust en supprimant les subordonnées.

6) La construction d'une pensée critique autonome est menacée :
En Seconde, la construction d'un jugement organisé est réduite : les exercices sont des applications d'une seule rubrique (sur sept !) : " Démontrer, convaincre et persuader ". L'exercice de la pensée dialectique est écarté des programmes, les textes littéraires sont présentés comme des vecteurs d'" opinions ". En classe de Première est promue la " délibération " aux dépens de la construction d'un jugement raisonné. C'est ici supprimer toute justification, et faire croire qu'avoir un avis est cela seul qui importe, comme dans les sondages ou les débats télévisés dits contradictoires où les opinions s'empilent sans jamais se justifier. C'est faire croire aux élèves que toutes les idées s'équivalent, sans qu'on ait besoin de les soutenir, et que seules comptent leur affirmation, et la reproduction des méthodes de la société du spectacle.

7) La promotion constante du sujet d'invention ouvre la voie à toutes les dérives :
Par le biais du sujet d'invention, qui ne bénéficie d'aucune définition, dérives des consignes et abandon d'une formation construite conduisent à tous les errements et tous les à peu près. L'invention ne s'enseigne pas et ne s'évalue pas. Elle n'entraîne donc aucun travail de préparation, ne peut enregistrer aucun progrès, ne sanctionne aucun niveau. Elle tourne à vide dans la reproduction par l'élève de son moi, à l'infini, sans appui, ni tradition. Elle nivelle la notion de qualité, fait s'équivaloir tous les écrits, juge la personne et non un travail. Si elle est liée à une forme ou un registre précis, elle tourne au formalisme étroit. Elle mine, de l'intérieur, l'idée même d'enseignement et de transmission des savoirs, dans la mesure où elle leur échappe.
Elle permet toutes les manipulations de l'élève (cf. textes joints sur ses dérives).

8) L'introduction de l'invention au baccalauréat (EAF) prépare l'élimination des épreuves difficiles de commentaire composé et de dissertation.
Cf. les deux textes joints : L'invention au bac : objectif plaisir ? et Pourquoi il faut refuser le sujet d'invention.

9) Le projet de la suppression de la liste de textes pour l'oral de l'EAF ruinera un effort précis d'étude des textes et de rendu du sens. Cf. texte joint : La suppression de la liste d'oral.

10) La réforme enlève au français son statut de matière, discrédite l'usage précis de la langue, abandonne l'idée d'une formation de la pensée :
Le français, privé de l'enseignement et de la transmission de la littérature, démuni de l'apprentissage des savoirs de construction de la pensée, nié comme facteur de transmission d'une langue précise et exigeante, privé d'une épreuve de certification rigoureuse, disparaîtra de fait des préoccupations des élèves. L'élaboration d'une pensée dans une langue exacte ne sera plus un objectif ou un préalable. La déconnexion prévue par le GTD entre les programmes et l'épreuve de certification (le GTD refuse que "le programme soit soumis aux épreuves") va faire passer le français pour une matière qui ne se travaille pas, puisqu'elle ne prépare pas à l'examen. On ne peut que redouter l'effet de cette situation sur l'usage de la langue et l'exercice de la pensée.

La destruction programmée et systématique d'un véritable enseignement du français et de la littérature, le projet de suppression des épreuves exigeantes d'exposé raisonné d'une pensée, préparent, non moins programmée, la disparition de la philosophie. Pour ces deux matières, au premier chef le français, on reconnaît l'idéologie présente : l'effacement des disciplines au profit des comportements, l'abandon de la transmission des savoirs au nom d'un égalitarisme stupide.

Ajoutons que déjà la spécificité d'une filière littéraire est remise en cause : Alain Boissinot, IG de Lettres, vient d'évoquer l'éventualité d'une fusion de la série L dans la série ES, lors du séminaire ministériel qui s'est tenu des 23 au 25 octobre derniers…

Collectif "Sauver les lettres" (www.sauv.net)

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Sauver les lettres
www.sauv.net
 

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