La suppression de la liste d’oral à
l’EAF.
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Le GTD et l’Inspection Générale
des Lettres envisagent la suppression de la liste des textes étudiés
en vue de l’épreuve orale anticipée de français,
au motif qu’elle induirait un psittacisme regrettable, et ne vérifierait
pas de façon indubitable chez l’élève les capacités
que l’examen cherche à évaluer. Cette liste présente
cependant des avantages et offre des garanties auxquels il serait regrettable
pour les élèves, leurs professeurs, et leurs examinateurs,
de renoncer.
Elle donne à l’élève
des bases définies, et lui garantit l’évaluation d’un travail
et d’un effort. Ainsi, elle le sécurise, en lui indiquant et
en ciblant à l’avance les textes et les domaines de connaissances
sur lesquels il sera interrogé. Elle favorise son travail, et lui
indique les approfondissements nécessaires (en vue notamment de
la seconde partie de l’épreuve, l’entretien, où des connaissances
et des prolongements lui seront demandés). Elle permet ainsi de
récompenser le travail et le sérieux, deux qualités
dont on peut penser qu’elles sont indispensables à l’acquisition
de connaissances et de méthodes. Le français est de la
sorte, au même titre que les autres disciplines, une matière
où le travail personnel et les connaissances entrent, comme on doit
s’y attendre, dans l’évaluation finale.
Dans la série littéraire
L, le français est ainsi valorisé, ou du moins présenté
avec les mêmes exigences de travail et de savoir que les disciplines
majeures des séries concurrentes, l’économie en ES ou les
mathématiques en S, où l’évaluation finale porte sur
un programme de connaissances et une qualité d’investissement que
personne ne songerait à leur dénier. A l’heure où
le rejet et la marginalisation de la série littéraire sont
craints par l’Inspection Générale et ses inspirateurs, cette
mise à égalité du français, par le maintien
de la liste, n’est pas négligeable.
Elle garantit par ailleurs
à l’élève un enseignement exigeant. L’existence
de la liste a pour vertu de contraindre le professeur à un certain
volume d’études de textes, à un enseignement cohérent
d’histoire littéraire, à la transmission de savoirs, qui
sans elle seraient peut-être davantage négligés. Sans
qu’on lui donne, loin de là, une fonction de contrôle, la
liste est cependant un puissant levier dans l’effort de l’enseignant et
l’équilibre des activités qu’il offre à l’élève.
Elle fournit ainsi à ce dernier une certaine garantie d’égalité
avec ses camarades d’autres classes.
Elle offre également
des garanties de la qualité de l’étude des textes que présente
l’élève. Puisqu’il est entendu que les textes de la liste
ont été préparés et expliqués en classe,
il est exclu, dans l’année et à l’examen, que soient présentées
une simple paraphrase, une redite mesquine du texte. La liste garantit
ainsi que l’élève a été initié à
une véritable lecture méthodique, et muni d’instruments d’analyse
qui font de lui un lecteur averti, relativement objectif et autonome,
assez en tous cas pour “ qu’il sache exprimer ce qui lui paraît essentiel
”, comme le disent les instructions officielles (BO n°4 du 25 janvier
1996).
La condamnation de
la liste correspond par ailleurs à une vision étriquée
de l’épreuve orale. On regrette en haut lieu que cette épreuve
ne mesure que le psittacisme, alors qu’elle est pourvue par les textes
officiels, depuis 1996, de son antidote : l’existence, à part égale
en durée et en notation, de l’entretien. Ce dernier a pour vertu,
outre qu’il permet de vérifier la compréhension effective
du texte commenté, de l’œuvre ou du groupement où il figure,
de casser tout soupçon de psittacisme, dans la mesure où
l’élève, laissé à ses propres réactions
dans cette partie de l’épreuve, est seul pour rassembler et utiliser
à bon escient ses connaissances – toutes qualités qui correspondent
à la définition même d’une épreuve de certification.
Personne, à l’époque de sa suppression, n’a regretté
ni déploré publiquement la disparition de la “ question d’ensemble
”, qui conduisait pour sa part à la stricte reproduction de
l’exposé ou du cours du professeur. Ce défaut ayant disparu,
pourquoi en charger maintenant l’autre partie de l’épreuve, qu’à
l’époque – récente – on n’avait pas jugé bon, ou si
peu, de modifier ?
Enfin, quel est ce psittacisme
que l’on déplore, sinon le témoignage que l’élève
a travaillé, appris, voulu réussir ? Sont-ce maintenant
des défauts chez nos élèves ? – ce que l’on croirait
vrai, lorsque l’on constate que des Inspecteurs Pédagogiques
Régionaux de Lettres eux-mêmes, en réunion publique
de professeurs de leur discipline, déclarent suspects tout travail
ou effort de nos élèves, puisqu’ils les rebaptisent maintenant,
par dénigrement, “ bachotage ”. Le savoir, en français,
est-il si mauvais, qu’on en vienne à chercher à l’exclure
de la certification ? Reproche-t-on aux élèves de S de connaître
par cœur leurs formules de chimie, d’avoir appris leurs théorèmes
et de savoir les réutiliser ? Les démonstrations mathématiques
ne s’apprennent-elles pas, elles aussi ?
L’examen méthodique
des textes au cours de l’année, la recherche d’axes de lecture,
l’étude systématique et bien comprise de textes fondateurs
en vue de l’épreuve orale, la préparation même de cet
oral, sont formateurs pour l’élève. Au contact des
indications et des méthodes fournies par le professeur, et d’autant
plus écoutées que liées à l’examen final, l’élève
apprend peu à peu à mener une étude littéraire.
Est-ce si grave de présenter, à l’épreuve orale sur
liste, ce qu’on a compris et retenu de ces explications, de ces formules
d’étude de textes qui sont autant d’outils pratiques et exacts ?
On ne va évidemment
pas, à l’heure où l’on programme sa disparition, parer, comme
dans une rubrique nécrologique, cette liste de toutes les vertus.
On peut cependant mesurer à quoi conduirait sa suppression.
Elle mène tout d’abord,
aux yeux des élèves, à une dégradation de l’image
du français. Sans liste de textes, l’élève ne
peut diriger précisément ses efforts. Certes, il aura étudié
des notions, des genres, des registres, mais sera à l’examen, sur
un support inconnu, dans le flou de leur réutilisation. Il
sera en insécurité, pour sa première épreuve
d’importance, dans une matière difficile où on lui demandera
de se repérer sans qu’il soit toujours en mesure de le faire, et
sans qu’il soit examiné de façon forcément équitable
– les textes inconnus seront-ils tous d’accès égal ? A quoi
bon dans ce cas, aux yeux de l’élève, travailler en français,
sans savoir si ses efforts auront un fruit, et dans une matière
qui lui paraîtra une loterie ? A quoi bon, pour les littéraires,
choisir une série où les aléas sont plus grands qu’ailleurs
?
Par ailleurs, la suppression
de la liste témoigne d’une méconnaissance de l’élève
et de ses capacités réelles. Que peut faire un élève
en trente minutes, voire une heure, seul devant un texte – même s’il
en connaît le genre et le registre -, là où son professeur,
dans le même temps, aurait à peine la possibilité de
bâtir une explication correcte ? Ou bien c’est dire, par avance,
qu’on attend seulement une paraphrase superficielle, qui n’aura aucun intérêt,
ni aucune valeur formatrice. Et par un cercle vicieux que l’on commence
à bien connaître, cette faiblesse des exigences conduira
mécaniquement à une faiblesse des apprentissages.
L’épreuve de français deviendra une mascarade, et l’année
du baccalauréat une épreuve… pour le professeur, qui saura
sa discipline trahie.
Sans liste, l’évaluation
de l’élève risque également d’être faussée.
Placé dans une situation impossible ou délicate, il lui sera
difficile de donner le meilleur de lui-même. Il risque de ne pas
savoir réutiliser les connaissances qu’il aura acquises, car leur
transposition sur un texte inconnu lui posera certainement des problèmes.
Comment, de son côté, l’examinateur pourra-t-il fixer des
critères, sans savoir – même s’il en a une description - ce
qui aura été exactement étudié et approfondi
? La référence à un texte, une œuvre ou un groupement,
telle qu’elle existe actuellement, renseigne davantage l’examinateur, et
forge davantage ses attentes, que la référence à une
notion ou un registre.
Comment ne pas deviner que seraient
au fond nécessairement valorisées, et au moins deux fois
plus qu’aujourd’hui, ces qualités que l’on n’apprend pas à
l’école, l’aisance culturelle, le brio , tandis que la capacité
à s’approprier ce que l’on ne possède pas d’avance, qualité
proprement scolaire, passerait au second plan ? Faut-il donc toujours
moins d’école à l’école ? L’épreuve actuelle,
l’examen méthodique d’un texte, tel qu’il est défini, tel
qu’il a été reprécisé en 1996, a le mérite
de correspondre à un cadre, à des connaissances et à
une rigueur sur lesquels tout le monde s’est peu à peu mis d’accord.
Continuons à l’améliorer, sans cesse, mais ne bouleversons
pas les principes d’une épreuve qui, bon an mal an, mesure sans
trop d’erreurs le niveau et les aptitudes des candidats !
Selon les propos du président
du GTD (dans L’Ecole des Lettres n°1 99-2000), la liste des
textes serait remplacée par la liste des notions étudiées.
Ne risque-t-on pas de tomber dans un nouvel académisme, de fuir
la reproduction pour trouver l’étiquetage, de passer sans coup
férir de Charybde à Scylla ? Pour préparer leurs
élèves à une épreuve imprévisible, les
professeurs n’auront-ils pas tendance à schématiser
les notions et les genres, à les dessécher pour les faire
retenir à grands traits, à fournir un ensemble de “ recettes
” qui pourraient “ fonctionner ” pour n’importe quel texte, dont le contexte
historique et littéraire, le sens profond et l’originalité
passeront ainsi à tout coup au second plan ? On aura ainsi un
formalisme desséchant, des catégories, des étiquettes,
des bréviaires et des viatiques, et le risque permanent du contresens
à l’examen. Est-ce l’image que l’on veut donner du français,
et de sa certification ?
Ne risque-t-on pas aussi de
voir se constituer des “ banques de textes ” pour l’examen, fournies par
le parascolaire, en spécimen au professeur, à dix francs
à ses élèves ? Quelles “ batteries ” de textes aura
l’examinateur, sinon des découpages programmés et prévisibles
d’œuvres autobiographiques, de dialogues de théâtre, d’écrits
épistolaires, de sonnets baroques, d’apologues philosophiques ?
Ne les connaît-on pas déjà ?
Le président du GTD,
et d’autres, ont qualifié le programme national d’œuvres obligatoires
de 1994 de “ fausse bonne idée ”. Ne le critique-t-on que pour le
ressusciter sous d’autres formes, moins officielles mais tout aussi contraignantes
? C’est en tous cas couper court à toute étude d’œuvre un
peu différente, un peu marginale, moins codée, qu’aucun enseignant,
dans la crainte de l’épreuve, n’osera plus proposer à ses
élèves.
La question de la liste de
textes pour l’oral de l’épreuve anticipée est sérieuse
et délicate. On ne peut nier qu’elle conduise effectivement, parfois,
à une reproduction des cours entendus – ce qui n’est pas pendable
au fond , on l’a vu, mais regretté par certains. Mais on ne peut
nier non plus qu’elle mène à des apprentissages souvent conséquents.
On peut craindre que sa
suppression brutale, sans débat de fond préalable et sans
inclusion dans la consultation menée par l'inspection générale
et le GTD, ne conduise à ce que le président
de ce même GTD craint pour une liste de questions traitées
: “ Je n’ai pas envie qu’on recommence avec une autre fausse bonne idée
”. Les professeurs n’en ont pas envie non plus. On sait qu’à vider
l’eau du bain, on risque le bébé. Souhaitons que le français,
et la série littéraire avec lui, ne soit pas cet enfant.
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