L'invention au bac : objectif plaisir ?
La place accordée à l'écrit d'invention représente une innovation majeure des nouveaux programmes de français au lycée. Puisqu'il n'a jamais été question de supprimer la dissertation (pour preuve, le mot apparaît au BO du 31 août 2000), puisque le commentaire est le sujet qui, de l'avis même des inspecteurs, fonctionne le mieux, la question centrale est donc la suivante : faut-il introduire un exercice d'invention au baccalauréat ?
L'exercice d'invention au baccalauréat ne répondrait pas aux objectifs du français au lycée.
Puisque ce sont les programmes qui doivent " piloter " les modalités de l'examen, lisons-les. " Dans les écrits d'invention, en seconde, on procède en particulier à des imitations, des transformations et des transpositions de textes lus " (B.O. H.S. n°6 du 31/08/00, programmes de seconde). Le fait que " ces écrits contribuent aussi à une meilleure compréhension des lectures et permettent aux élèves de construire leur réflexion sur les genres et les registres " n'est guère discutable. C'est bien le rôle qu'ils remplissent dans l'enseignement en collège, et ils faisaient déjà l'objet d'une pratique limitée en lycée, en classe de seconde surtout, où ils permettaient à l'occasion et depuis fort longtemps de dépasser certains blocages dans l'apprentissage de telle ou telle notion.
Le programme définit donc ces exercices comme une propédeutique, un moyen de mieux comprendre le texte et de mieux réfléchir sur le texte. Si l'" imagination " apparaît de façon marginale dans la partie " finalités ", le but essentiel est bien la formation d'une " pensée critique autonome " (Programme de première, I, Objectifs). " Le but est que les élèves soient aptes en fin d'année à rédiger un texte composé ", " le français doit à la fois leur apporter des connaissances et s'attacher à former leur réflexion et leur esprit critique " (Le français au lycée : préambule ; I, Finalités). Sauf à vouloir " piloter " une régression, il serait donc pour le moins paradoxal d'introduire dans l'évaluation terminale un exercice qui ne répondrait pas aux objectifs du lycée, dont " les démarches sont plus réflexives " qu'au collège. A lire les documents d'accompagnement, l'impensable n'est pourtant pas totalement exclu : " A la fin de la séquence, une évaluation sommative se fait par un écrit de commentaire, de préparation à la dissertation, et/ou d'invention. " (fiche 19).
Il introduirait un grave déséquilibre dans la formation, et dans l'examen lui-même.
Si on l'introduisait dans l'épreuve de certification, l'écrit d'invention ne serait plus un outil pédagogique parmi d'autres, mais ferait nécessairement l'objet d'une pratique systématique. Or son apprentissage est dévoreur de temps. Les documents d'accompagnement en esquissent une typologie : les exercices de transposition en faisant varier le cadre temporel, le mode de narration, le genre, le registre, etc. ; de transformation en amplifiant, réduisant, etc. ; de reprise d'un élément d'un texte étudié (quiproquo, morale d'une fable, etc.) ; de reprise d'un genre et/ou registre (saynète comique, récit épique, etc.) ; de pastiche. Il va de soi que serait ainsi laminée la préparation aux écrits que l'élève n'a pas pratiqués dans le premier cycle, et qui demandent à être abordés sérieusement dès la seconde pour être un tant soit peu maîtrisables en fin de première. Et si l'on considère l'ensemble du second degré, quel déséquilibre entre la formation de l'esprit critique et le développement de l'imagination ! Imaginons… les conséquences sur l'enseignement des autres matières, sur la suite des études et sur la " formation du citoyen ", autre objectif au programme !
Cela serait encore aggravé par le déséquilibre créé entre les sujets du baccalauréat. Entre un sujet comprenant un exercice réputé sympathique (par son caractère ludique, parce qu'on le pratique depuis des années) et un autre (insuffisamment préparé) qui exige distance critique et construction d'une démonstration organisée, le choix de l'élève moyen qui, lui, travaille pour le bac, ne ferait guère de doute. On observe actuellement une distorsion similaire, qu'il faut corriger, entre le sujet de type I, dont les questions ne posent souvent pas de difficulté majeure à un bon élève de collège, et les autres sujets, commentaire et dissertation. Entre l'effort et le réconfort, le choix est vite fait, et au nom de ce confort que l'on appelle un peu vite plaisir, on repousserait à plus tard, c'est-à-dire jamais pour la plupart, la capacité " à rédiger un texte composé " et la formation d'une pensée autonome, organisée et critique.
Le plaisir au programme ?
Pour comprendre l'introduction de l'invention dans le programme, il faut se référer non pas à ses objectifs explicites, mais à une finalité qui transparaissait plus dans le BO du 12/08/99, et qu'Alain Viala formule dans un entretien accordé à L'École des Lettres en août 1999 : " à cette condition les élèves prendront sans doute plaisir à faire du français ". Curieuse conception de l'école et du rôle de l'adulte : si votre enfant n'aime pas se brosser les dents... Curieuse perception aussi de l'adolescent qui ne prend pas de plaisir dans l'acquisition d'une " pensée critique autonome " ! Il en prendrait sans doute à ressasser le même type d'exercice de la sixième à la première, sous prétexte de développer ses facultés d'imagination (dont il fera, bien sûr, le meilleur usage dans son cursus universitaire). Dans la pratique, nous observons au contraire que la part plus critique des exercices de réflexion motive de façon parfois surprenante des élèves lassés des sujets d'imagination, et ce dès la classe de troisième, lors des travaux d'initiation à l'argumentation. L'adolescence est peut-être aussi l'âge où l'on prend plaisir à ne pas se cantonner dans une attitude d'imitation et de respect.
L'évaluation d'un tel exercice soulève enfin des problèmes que ne manquent pas de pointer les documents d'accompagnement : " les écrits d'invention n'ont pas à faire systématiquement l'objet d'une évaluation notée ; il est bon de conserver, en seconde, une part de liberté dans ces exercices de découverte ". C'est que la part de liberté, de subjectivité, doit être limitée pour rendre l'évaluation possible. Celle-ci portera donc sur le respect " des consignes et des contraintes qu'imposait le protocole de départ ". A force de multiplier les consignes pour pouvoir noter (et faire un corrigé), on perd une bonne part de l'intérêt d'un travail d'imagination, et à moins de ne pas exiger plus qu'au brevet des collèges, on se prépare à le juger au nom d'un académisme aussi absurde qu'ennuyeux : le plaisir au programme tue le plaisir.
Michel Buttet, TZR Lettres modernes, 77.
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