Feu, flamme, erreurs, coquilles, « oublis »…Le ministère et les langues anciennes : je t’aime, moi non plus ! (Agnès Joste)
Le collectif Sauver les lettres reste perplexe devant les rédactions contradictoires des textes officiels concernant les langues anciennes dans la réforme 2021 du lycée, entre le 14 février, le 2 avril, le 14 mai derniers, et le document final sur le « baccalauréat 2021 » paru fin mai sur le site du ministère. Le froid succède au chaud et inversement : qui décide au ministère de l’amour ou de la haine du latin et du grec ??
Le ministre Jean-Michel Blanquer portait en juillet dernier un nouveau regard sur la question : « Lors de la réforme du collège menée par mes prédécesseurs, on a véhiculé un message contre-productif, selon lequel le latin serait désuet et élitiste. C’est totalement faux. Le latin est au cœur de notre langue, donc structure notre mentalité. […] Sur les cinq années à venir, je veux un retour du latin et du grec, adapté au XXIe siècle, qui crée du désir (1) ». S’agissant du lycée, Sauver les lettres avait salué la précision de la circulaire (2) de janvier 2018 affirmant qu’au second cycle l’étude du latin en option pouvait se doubler de l’étude d’une seconde option de grec, de langue vivante 3 ou de section européenne. Les deux options conjointes permettent en effet une formation ouverte et humaniste, faisant dialoguer les disciplines sans créer de spécialisation excessive, et garantissent surtout que le latin et le grec puissent continuer d’être étudiés partout, indépendamment de la voie d’orientation choisie.
RÉTROPÉDALAGE
Las ! L’hiver passant, la réforme du lycée 2021 annoncée par le ministre en février (3) contredisait ces belles déclarations et signait un formidable retour du « message contre-productif » antérieur : à partir de la Première, en 2019, le lycéen n’aurait plus droit qu’à une seule option facultative, ce qui condamne l’enseignement du latin et du grec, mis en concurrence entre eux, ainsi qu’avec les arts, les LV3, l’EPS (pourtant déjà présente dans le tronc commun !).
Cette restriction du nombre d’options a déclenché un tollé des associations littéraires (4), qui réclamaient explicitement le droit de faire deux options facultatives pour maintenir dans les établissements l’enseignement du latin et du grec.
Les projets d’arrêtés d’avril leur ont donné raison, en instituant en Seconde et en Première deux options facultatives, si l’une d’entre elles était le latin ou le grec.
« LAPSUS CLAVIERI »
Mais dans les arrêtés définitifs une malencontreuse coquille (une regrettable confusion entre un « f) » et un « g) » dans les notes de bas de page) retirait aux langues anciennes leur statut particulier d’option supplémentaire en Première (5). Le diable se niche vraiment partout, jusque dans l’alphabet. Une note de bas de page g) indique bien que « Les enseignements optionnels de LCA latin et grec peuvent être choisis en plus de l’enseignement optionnel suivi par ailleurs. » : hélas, personne ne lira cette note, car rien n’y renvoie dans le texte ! Dans le tableau horaire, le latin et le grec figurent bien en toutes lettres, mais avec un renvoi à la note f), celle qui concerne l’accompagnement… Rien qu’une relecture attentive aurait pu éviter.
Confirmation des hostilités fin mai : la version officielle du dossier récapitulatif « baccalauréat 2021 » ne stipule plus le cumul des deux options facultatives de Première. Un second « lapsus clavieri » ? Ce dernier dossier reprend en effet mot pour mot, en copié-collé, la rédaction ministérielle contestée de février, avec une seule option possible. Il signe donc la mise en concurrence déloyale des langues anciennes entre elles, et avec d’autres matières – ce qui correspond à une impossibilité, dans les faits, d’étudier les langues anciennes au lycée.
Alerté, le ministère invoque « un oubli »… Mais la version fautive n’est pas retirée de son site (6).
Informatique mal maîtrisée, ou luttes internes au ministère ? Quoi qu’il en soit, la ligne fixée par le ministre doit être en ce domaine respectée, les erreurs ou les oublis doivent être corrigés, les chefs d’établissement doivent pouvoir préparer la rentrée en connaissance de cause, les élèves et leurs familles doivent être bien informés sur la possibilité de l’étude du latin et du grec en second cycle. Car l’on sait que toute incertitude provoque le repli vers d’autres choix, et induit en amont une méfiance sur les options du collège.
Le collectif Sauver les lettres réclame donc de toute urgence une publication fidèle aux textes officiels promulgués par arrêté, et la suppression de toute version fautive du site ministériel.
Agnès JOSTE.
NOTES
(1). Vousnousils, le 27/07/2017 http://www.vousnousils.fr/2017/07/28/jean-michel-blanquer-un-retour-du-latin-et-du-grec-adapte-au-xxie-siecle-605975?utm
(2). B.O. n°4 du 25 janvier 2018, http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=125517
(3). Baccalauréat 2021 : un tremplin pour la réussite, 14/02/2018
(4).Communiqué de presse des associations APL, CNARELA et SLL du 9 avril 2018, https://www.sauv.net/Communique_presse_9_avril_2018.pdf
(5). https://www.sauv.net/02_Arrete_organisation_et_horaires_cycle_terminal_voie_generale.pdf
(6). Cf http://www.education.gouv.fr/cid126438/baccalaureat-2021-tremplin-pour-reussite.html