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Le collectif " Sauver les lettres " réagit à la quatrième mouture de l’ÉAF. Que le Ministère ait du mal à en définir les termes est le signe des évidentes imperfections du projet, qui cherche à articuler de force les trois sujets d’écrit à partir d’un corpus de textes et documents, au lieu d’améliorer l’ÉAF à partir de sa forme actuelle. Les réécritures successives auxquelles les enseignants ont poussé le Ministère, en réclamant le maintien du commentaire composé et de la dissertation dans un projet initial qui n’était pas censé les accueillir contrairement aux démentis officieux, éclairent l’incohérence de la maquette qu’on nous propose aujourd’hui et l’impasse dans laquelle s’est enfermé le Ministère. Faudra-t-il attendre de nouveaux " experts ", et quelques générations de lycéens pris en otage par une forme de sectarisme, pour admettre officiellement l’erreur de leurs prédécesseurs ?
Pour l’épreuve écrite :
Il est précisé au Bulletin Officiel que l’ÉAF évalue, entre autres choses, la maîtrise de la langue. Si l’on ne veut pas qu’il s’agisse là d’un simple discours d’intention, à l’heure où pourtant on constate une très nette baisse du niveau des élèves en matière d’expression écrite, n’appartient-il pas à l’institution scolaire de donner le signal du ressaisissement, en inscrivant au Bulletin Officiel que 3 points seront consacrés à l’évaluation de la syntaxe, de l’orthographe et de la ponctuation ? Le " corpus de textes ", nouveauté de cette ÉAF et support des exercices écrits, est présenté sans aucune garantie de qualité, comme l’avait déjà souligné le Collectif lors de la précédente version de mars 2001. Jamais, sauf à propos du " commentaire ", ne figure dans cette mouture l'adjectif "littéraire" à côté des termes "corpus" ou "texte". Sans précision du nombre des extraits, dénué de définition précise, de référence à la littérature ou à une quelconque exigence d'expression, déconnecté donc de la matière qu'il prétend certifier, ce corpus permet toutes les dérives et ne cautionne aucun niveau. Rappelons que le corpus de l’évaluation de la rentrée 2000 en classe de Seconde a soulevé une colère légitime, et que le corpus des nouvelles épreuves anticipées peut lui ressembler. Les exemples de corpus fournis par les inspecteurs dans les réunions régionales de professeurs brillent ainsi par leur émiettement et leur réduction des textes à des extraits peu significatifs qui ruinent toute étude de qualité. Revenons à un texte par sujet d’argumentation et de commentaire, dont la construction ne soit pas détruite, dont la qualité soit littéraire, et qui puisse offrir aux élèves matière à analyse et réflexion, et non à éparpillement superficiel. Un examen premier grade de l’université, quelles que soient les filières suivies postérieurement par les élèves, ne peut faire bon marché du sens et de la construction d’un texte. À propos des exercices écrits proposés par cette nouvelle version, commençons par rappeler que le " sujet d’invention " est rejeté par les deux tiers des enseignants, et que " Sauver les Lettres " le refuse et le condamne. Cette appellation reste sujette à caution, dans la mesure où le Ministère joue depuis un an sur la polysémie du mot. Il fut un temps où l’on envisageait pour l’ÉAF un pôle inventif et un pôle argumentatif, ce qui signifiait qu’invention et argumentation s’excluaient. Aujourd’hui, on nous dit que l’invention, ce n’est surtout pas de la " pure imagination ", c’est l’inventio latine, c’est-à-dire l’art de trouver des arguments. Alors, pour faire disparaître toute ambiguïté, pourquoi ne pas avoir le courage des mots ? Supprimons cette " invention " pédante, et parlons simplement d’" argumentation ", ou de " composition argumentée ". Cela nous donnerait l’assurance que, dans ce sujet, la réflexion (inventio) serait au moins aussi évaluée que sa mise en forme (dispositio et elocutio) : c’est la moindre des choses pour le baccalauréat qui est, rappelons-le, le premier grade universitaire. En outre, décider d’évaluer d’abord dans ce sujet l’art de la mise en forme ne peut que favoriser les héritiers de la culture et du beau parler, le discours creux et spécieux aux dépens d’une réflexion authentique. Au moment où l’Inspection Générale condamne la lecture méthodique à l’oral pour cause de " psittacisme ", que dire des exercices écrits qu’elle nous propose, où le devoir d’examen doit " se fonde (r) sur les contraintes littéraires des genres inscrits au programme de la classe de première ", où l’élève doit être " capable de les reproduire, de les prolonger " ? Qu’est-ce, sinon une reproduction servile, et bien peu formatrice ? Des facteurs de déséquilibre apparaissent entre les sujets proposés. La préparation au " sujet d’invention " sera dévoreuse de temps, au détriment en particulier de la dissertation : il faudra passer en revue avec les élèves les différents types de sujet prévus par les instructions officielles, article, lettre, monologue, dialogue (romanesque ou théâtral), discours devant une assemblée, essai, récit à visée argumentative sous forme de fable ou d’apologue. Sans parler, à destination des élèves de la série littéraire, de la parodie, du pastiche, et de l’amplification, dont on se demande bien ce que cette dernière vient faire au lycée, puisque l’amplification est pratiquée depuis les petites classes du collège. Le récit à visée argumentative est enfin un exercice beaucoup trop difficile. Est-ce de la sorte que l’on souhaite revaloriser la filière littéraire ? Enfin, comment ne pas souligner l’anachronisme de ces sujets, tout droit calqués sur les sujets de baccalauréat du siècle dernier ? Comment intéresser nos élèves à ces exercices artificiels et surannés, au moment où l’on nous parle d’un " nouveau public " que nous avons au contraire besoin d’armer pour une réflexion véritable, et non pousser à l’artifice d’un autre âge ? Quel que soit l’angle sous lequel on examine " l’invention ", elle est donc à rejeter. En outre, l’argumentation sous forme créative n’autorise-t-elle pas toutes les dérives possibles (car on ne s’improvise pas Voltaire ou Diderot lorsqu’il s’agit de manier l’apologue ou le dialogue, contrairement à ce que laisserait croire un spontanéisme mal dégrossi) : clichés de la bien-pensance compassionnelle, conversations de café du commerce ? L’exercice de la discussion argumentative avait au moins le mérite de stimuler les élèves à sortir du domaine des opinions. Dans une diatribe intitulée "La révolution cuculturelle à l’école", Alain Finkielkraut épinglait un travail d’écriture créative, prescrit à des élèves de première L à la suite d’un cours sur La Fontaine et la loi du plus fort, ainsi libellé : "Imaginer en prose le discours d’un SDF ou d’un sans-papiers à l’Assemblée nationale." Et l’essayiste d’alléguer : "On le voit : l’abandon progressif de la glose ([forcément] poussiéreuse) et du commentaire ([forcément] académique) pour les exercices d’imagination débouche sur le triomphe sans partage de la doxa, c’est-à-dire, en guise de liberté, sur la mise en conformité de chacun, dès ses premiers pas dans l’existence pensante, avec les éditoriaux de France Inter." À ce titre le sujet I de la session de juin 2001 nous donne un aperçu éclairant de ce que sera le " sujet d’invention ", qu’on pourrait aussi bien appeler " sujet d’opinion ", ou " sujet de propagande d’Etat " : émission d’opinion, sans jamais la discuter, et nécessité d’adopter une posture conforme à l’air du temps. En matière d’initiation à la citoyenneté, on fait mieux, sauf si on considère que, pour l’élitisme libéral, la citoyenneté c’est l’anesthésie critique et la mise au pas du peuple. Au brevet des collèges, l’élève avait ainsi dû convaincre sa mère de lui acheter un téléphone portable ; au lycée désormais il doit traiter le sujet suivant : " À l’occasion du Premier de l’An 2001, un responsable de l’Etat expose les raisons que l’on peut avoir d’espérer en un monde meilleur. Rédigez son discours. " L’adolescent lucide et réfléchi, éventuellement sceptique, est ainsi poussé à l’optimisme béat, sous peine de mauvaise note ou de hors-sujet, dans le temps où les programmes parlent d’une " pensée critique autonome " ! Nos " experts ", chargés de définir l’EAF, ont en effet décrété la dialectique démodée. Elles est certes un artifice, mais par lequel on rejoint la nature de la pensée en conjurant tout ce qui fait obstacle à la recherche du vrai, à tout ce qui induit en erreur : passions, intérêts sensibles, opinions. La dialectique assure cet éloignement. Continuons donc à y former nos élèves, en leur proposant des sujets où ils construiront une pensée passée au crible de l’examen raisonné de ses fondements, et non un texte forcé et conforme à la morale " citoyenne " et au formatage de l’esprit à quoi l’on veut réduire, dans les nouveaux programmes, toute étude littéraire et tout exercice d’expression. Autrement nous aurons trahi, comme on nous y pousse constamment, la littérature et ses valeurs de nouveauté et de subversion. Autrement " l’invention " ne sera que le masque commode de l'injonction, et la promotion inacceptable du sophisme : la rhétorique complice de la malhonnêteté intellectuelle. Les professeurs ne peuvent que refuser de voir le français ainsi travesti et perverti, en étant mis au service d'une pensée obligatoire et doucereuse, et d'une morale d'Etat réductrice. Et proposer un ou des textes littéraires comme support de ce type d'épreuve ne suffit pas : le sujet 1 de l'EAF 2001 montre bien que c'est la nature de l'invention qui est en cause, et qu'elle est capable, outre de conduire à la bien-pensance sucrée, de gauchir ou pervertir le sens de tous les textes, littéraires ou non. Autre facteur de déséquilibre : la surcharge méthodologique impliquée par la possibilité du commentaire littéraire comparé, en plus du simple commentaire de texte. Les élèves n’ont pas trop de quatre heures pour tenter d’épuiser le sens d’un beau texte, même court : leur donner plusieurs textes à comparer, c’est les obliger à sacrifier l’exigence de rigueur à un survol superficiel. Sachons être raisonnables et ne pas paralyser l’enseignement du français au lycée par l’acquisition de compétences méthodologiques lourdes. N’oublions pas qu’il s’agit d’abord de donner à comprendre et de faire aimer des textes littéraires. Au lieu de préparer les élèves au commentaire comparé de 2 textes, pourquoi ne pas les former au commentaire COMPOSÉ d’un seul texte, exercice combiné de finesse et de rigueur qui garantit une véritable formation littéraire et assure, pour tous les élèves, une qualité de lecture et d’analyse indispensable à tout esprit réfléchi et à toute formation post-baccalauréat ? Enfin, la dissertation, centrée sur les objets d’étude du programme dont certains sont aussi spécialisés que le biographique, l’argumentation, ou l’épistolaire, relève de la dissertation de CAPES qui, elle, s’adresse à des spécialistes, à des étudiants de lettres. Elle témoigne d’une dérive de l’enseignement littéraire au lycée — sommé de s’aligner sur les marottes de nos " experts " universitaires — où il ne s’agit plus de réfléchir sur les mondes représentés par les œuvres littéraires, mais sur leur mode de représentation. Privé d’enjeux de sens, cet exercice risque vite de se réduire à un pur contenant rhétorique dans lequel l’élève devra recaser des considérations techniques sur les pratiques génériques de l’écriture. L’exercice, sec et ennuyeux, finira par détourner les élèves de la dissertation. Mais peut-être est-ce le but recherché par nos " experts " ? Pour prévenir cette dérive de la dissertation, il faut revenir à un programme national d’œuvres, où l’élève est directement confronté à une vision du monde, et non aux seuls protocoles de représentation de cette vision.
Pour l’épreuve orale : Le collectif " Sauver les lettres " constate avec satisfaction que l’interrogation continue, grâce à une liste rebaptisée " descriptif ", de porter directement sur le travail de l’année de Première et que, plus souple que l’actuelle formule, elle permettra au cours de l’année d’étudier des textes plus nombreux et d’une manière variée. Si les modalités de la seconde partie de l’épreuve sont satisfaisantes, celles de la première partie montreront vite leurs limites dans la pratique. Il s’agit de donner au candidat une question qui lui permette " d’organiser et d’orienter son étude ". À moins d’imaginer que l’examinateur recevra à l’avance les diverses listes de textes des divers candidats, et qu’il passera une semaine entière à concevoir pour chaque texte de chaque liste une question singulière, cette dernière deviendra très vite une simple formalité, vidée de toute portée : vous étudierez ce texte en faisant porter l’accent sur ses caractéristiques poétiques, sur sa théâtralité, sur ses procédés et enjeux argumentatifs, sur ses procédés et thèmes baroques, classiques, etc., en fonction de l’objet d’étude auquel appartient le texte. Ne serait-il pas plus simple de supprimer cette question et de laisser à l’élève la possibilité de présenter le texte, de manière linéaire ou composée, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect du texte ?
Le plus raisonnable est donc, au moins, de décréter un moratoire d’un an pour la nouvelle ÉAF, ne serait-ce que pour ne pas pénaliser les actuels élèves de Seconde, qui ne pouvaient être initiés à des sujets pas encore définis. Le mépris où le Ministère tient les élèves et leurs professeurs, sommés de subir tous les atermoiements successifs d’un Groupe d’Experts, n’a jamais eu d’équivalent, à un an d’un examen qui se prépare sur deux.
Collectif " Sauver les lettres ", www.sauv.net 17/06/2001
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