Thierry Grillet : Homère, Virgile, indignez-vous ! (Mireille Grandval)
Voilà un livre bref (94 pages) mais percutant.
Son auteur, Thierry Grillet, ancien élève de l’École normale supérieure, s’indigne devant l’actuelle réforme du collège et plaide vigoureusement pour la sauvegarde de l’enseignement des langues anciennes.
Il n’est pas un « héritier ». Milieu modeste ; des études secondaires dans un quartier neuf de Besançon à la fin des années soixante, dans un collège où la mixité sociale existe. S’il a choisi le latin, c’est pour « se distinguer », pour se créer son « propre héritage ». Il parle du désir d’apprendre, de la « saveur des savoirs », de la chance d’avoir de bons professeurs qui éveillent les élèves, excitent leur curiosité.
Il parle aussi de la « casse culturelle » réalisée au nom de plus d’égalité. Et se demande pourquoi les élites politiques semblent s’acharner à détruire la culture classique.
En trois chapitres, « la seconde mort des langues mortes », « le monde ancien en nous », « la barbarie » il dit, en concentré, ce que beaucoup ont répété tout au long de l’année, quand ont été connues les grandes lignes de la réforme de NVB et quand les projets ont pris forme. Il dénonce la passion dévorante de l’égalité qui provoquera le contraire de ce qu’elle croit poursuivre ; les absurdités, dissimulations, mensonges de la ministre sur ce qui sera effectivement mis en place et notamment la disparition des langues anciennes remplacées par un saupoudrage aussi inefficace que trompeur..
Dans le premier chapitre, il explique pourquoi les langues anciennes ont eu mauvaise presse en démocratie, « traînant dans leur sillage une odeur de bénitier, de poudre et de perruque ».
Et comment le latin, jadis réservé aux classes privilégiées, est devenu aujourd’hui un enseignement privilégié, ce qui est intolérable pour la ministre…
Serait-ce une crise d’une société qui ne croit plus en elle-même ? Qui n’a plus le désir de transmettre ? Or, « en supprimant les langues anciennes, nous nous coupons d’un passé. Et avec les langues vivantes des classes bi-langues, nous nous coupons de nos voisins ».
Il parle du dépaysement que provoque la plongée dans l’Antiquité, du bonheur de « faire un voyage dans un monde différent, exotique ». Or l’étude des langues anciennes donne un accès direct à ce monde ancien. Car les langues anciennes, qui précisément ne se parlent pas, sont des langues de culture – et pas des langues de communication.
Il convoque les migrants, « vaincus et jetés sur les routes come les Troyens» dans l’Énéide, Nietzsche et même Zidane, dont il dit que « l’affaire du coup de boule » en fait un héros tragique.
Il s’inquiète car les humanités sont « en passe d’être sacrifiées au triple culte de l’actualité, de l’utilité et de la rentabilité ».
Or elles sont « utiles à rien, sinon à nous rendre plus humains ».
Les casser, les déraciner, c’est faire acte de barbarie. Un peu comme Daech qui détruit les trésors de l’Antiquité, parce qu’ils ne leur ressemblent pas. Sauf que nous, « nous nous attaquons à ce qui nous ressemble », qui nous enrichit et qui constitue un vrai « réservoir de vie ».
Beaucoup de passion donc dans ce petit livre qui dit aussi l’enchantement de l’auteur face aux trésors de la culture classique. D’où son cri, placé en titre : « Homère, Virgile, indignez-vous ! ».
Mireille Grandval.
Thierry Grillet, Homère, Virgile, indignez-vous !, First Editions, septembre 2015 (10 €.)