(Ré)apprendre à lire, quand deux sociologues passent à l’action. Par Florence Costa-Chopineau. ?>

(Ré)apprendre à lire, quand deux sociologues passent à l’action. Par Florence Costa-Chopineau.

Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique (Seuil, 2015)

Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller sont sociologues de l’éducation et elles se sont  penchées sur le problème de l’apprentissage de la lecture grâce à une expérimentation audacieuse. Elles  ont comparé les résultats obtenus en lecture an cours préparatoire, dans des plusieurs écoles différant par le  niveau socio-professionnel des parents, après avoir utilisé une « pédagogie rationnelle de lecture » qu’elles ont mise au point (voir ici les détails de la démarche). Les comparaisons suivantes ont pu être établies :
1) Entre une cohorte non exposée au dispositif et les 2 cohortes suivantes ayant bénéficié de ce dispositif
2) Entre ces deux mêmes cohortes
3) Entre 2 écoles différentes, avec publics différents ayant bénéficié de ce dispositif
4) Entre écoles avec ce dispositif et des écoles sans (2 groupes d’écoles comparables par ailleurs quant au public d’élèves accueilli, soit 4 écoles en tout).

L’aspect le plus original de la démarche tient sans doute à ce que les deux chercheuses ont, selon leurs propres termes, mis « les mains à la pâte », c’est-à-dire qu’elles ont elles-mêmes pris en charge des élèves en difficulté dans des ateliers hebdomadaires de « renforcement » – et non de « remédiation » : elles faisaient faire aux enfants la même chose que ce que la maîtresse faisait avec le reste de la classe mais avec un adulte pour trois élèves. Ceci  permet donc à des enfants de lire à voix haute un temps certain (un quart d’heure) ce qui n’est pas possible à faire pour la maîtresse avec chacun de ses 20 élèves. Ainsi l’adulte peut-il rectifier ce qui est mal lu, et ce qui est donc souvent deviné au lieu d’être lu.

Leurs conclusions sont que la méthode explicite de déchiffrage du code (qu’on appelle syllabique, alphabétique, synthétique…)  liée à l’encodage (faire écrire le mot déchiffré) est la plus efficace à condition que ceci soit adossé à du renforcement pour les élèves venant de milieux les plus défavorisés. Elles ont aussi montré que l’apprentissage devait se poursuivre pendant les vacances, grâce au soutien des parents, qui devaient faire lire leurs enfants quelques minutes par jour. On leur avait donné un protocole individualisé, indiquant les difficultés et ce que ces parents pouvaient faire pour les contrer et pour asseoir les apprentissages.

Elles insistent donc sur la nécessaire fluence de lecture, en montrant que le travail du sens, indispensable, ne peut être fait si le déchiffrage n’est pas acquis et si la lecture tient plutôt de la devinette, ce qui est le défaut de méthodes non explicites, et de toutes les méthodes (majoritairement pratiquées) qui utilisent, au démarrage, la mémorisation de « mots-outils » qu’on ne déchiffre pas. Même si tous les livres actuels contiennent effectivement l’apprentissage du décodage, la part de celui-ci est trop restreinte par rapport à la lecture globale de mot.

Elles montrent aussi que la remédiation actuellement pratiquée (en R.A.S.E.D) n’est pas efficace : on ne prend les élèves que lorsque la difficulté est instaurée et, suivant la vulgate actuelle qui suppose que les difficultés sont d’ordre psychologique, la remédiation n’est pas toujours d’ordre pédagogique. Elle conduit surtout à une médicalisation des difficultés  scolaires : séances chez les psychologues, psychomotriciens…, et orthophonistes, qui, comble de l’ironie, consistent en un apprentissage du code syllabique qui devrait être effectué par l’école !

Elles ont aussi compris les difficultés rencontrées pratiquement par les maîtres sous les injonctions de leur hiérarchie : la  pédagogie différenciée, belle idée en théorie mais qui dans le cadre contraint du nombre d’heures de classe aboutit à diminuer les attentes pour les élèves en difficulté ;  la pression  exercée par les prescripteurs (programmes, conseillers pédagogiques, théoriciens de l’apprentissage de la lecture) pour négliger l’apprentissage du code au profit du sens.

En conclusion, il faut se hâter de lire ce livre, d’en tirer les conclusions nécessaires au niveau de nos gouvernants : nous venons d’obtenir les résultats des enquêtes internationales, P.I.S.A , T.I.M.M.S., qui indiquent une chute des résultats en France, depuis que ces enquêtes existent. On ne peut continuer à prôner des méthodes qui objectivement défavorisent les enfants de milieux défavorisés et surtout, on ne comprend pas comment nos hautes instances peuvent en fait ne pas tenir compte des recherches en sciences de l’éducation puisque, très souvent,  les préconisations de nos inspecteurs et autres, sont en désaccord avec les résultats des recherches !

Florence Costa-Chopineau

Pour aller plus loin…

Conférence des deux auteures 

Bibliographie

 1. Les neurones de la lecture,  Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2007.
2  « La méthode syllabique est-elle  réactionnaire ? », J.P. Terrail, article paru dans la Revue du M.A.U.S.S numéro 28, « Penser la crise de l’école », 2006.
Apprendre à lire, la querelle des méthodes, G. Krick, J. Reichstadt, J.P Terrail, Gallimard, 2007.