Mickey Ministre de l’Education
Dans une vidéo de 60 secondes, lancée par l’Education Nationale dans le cadre de la lutte contre le harcèlement, on voit une maîtresse d’école faire un cours de maths à des élèves d’environ 8 ans. Pendant qu’elle écrit (de façon illisible) un problème au tableau, les élèves chahutent et s’en prennent à l’un d’entre eux en le bombardant d’insultes et de boulettes de papier. A la sortie une petite fille s’approche du petit garçon victime et lui dit : « Il faut qu’on en parle, ça doit s’arrêter, je peux t’aider. »
Cette vidéo est d’abord d’une incroyable niaiserie : tout y est caricatural, psychologiquement invraisemblable; croit-on vraiment convaincre ainsi les enfants de ne pas harceler leurs petits camarades? Est-ce cela les cours de morale …. selon l’idée que nos décideurs s’en font ?
De plus ce film véhicule une image du professeur absolument calamiteuse : c’est une créature un peu caractérielle, légèrement hallucinée, décoiffée, tournée vers le tableau, qui NE VOIT donc PAS sa classe et qui débite son cours comme une machine! Elle est filmée de très près, comme vue du tableau sur lequel elle semble collée, ce qui déforme son visage, tandis que le chaos s’installe derrière dans la profondeur de champ. Il est vrai que le message n’est pas centré sur ce point, c’est un peu comme un décor, un présupposé, ce qui est encore pire car cela s’impose comme une évidence selon laquelle il en irait ainsi des enseignants dans les classes. Il semble aussi que la maîtresse participe au harcèlement puisqu’elle fait ce reproche à la victime : “tu n’es pas avec nous”! Le tout sous le regard apitoyé d’une gentille petite fille qui a tout compris, ELLE !
S’ajoute à cela l’effet sonore qui, à un moment, donne l’impression d’être sous l’eau : point de vue de la victime qui n’entend plus que les insultes, et plus du tout le cours de maths, mais point de vue aussi du spectateur qui en conclut que les profs parlent dans le vide et que personne ne les entend!
Donc, si on comprend bien le message, les professeurs sont disqualifiés et il va de soi qu’on ne leur confiera pas la tâche d’inculquer les mœurs civilisées, puisqu’ils n’arrivent déjà pas à enseigner leur matière. Il faut donc que ce soit les enfants qui s’emparent du problème du harcèlement, comme si les enfants ne pouvaient accepter que l’autorité de leurs pairs et non celle des adultes chargés de les élever.
Pourtant, dans un article sur la crise de l’éducation[1] aux USA, Hannah Arendt soulignait que « affranchi de l’autorité des adultes, l’enfant n’a pas été libéré, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie du groupe [d’enfants] contre laquelle, du fait de la supériorité numérique, il ne peut se révolter. »
En croyant aider les enfants harcelés, cette campagne ridiculise les adultes et renforce par là ce qui permet au harcèlement de progresser : comment veut-on que l’enfant déçu par les adultes et persécuté par ses semblables trouve un secours auprès de ces derniers ?
Mais pour expliquer aux méchants qu’ils doivent être gentils, faut-il se fier aux studios Disney qui soutiennent la campagne ? Certes ils s’y connaissent en sucreries, mais ils se vantent aussi d’être « leader média sur la cible jeunesse » (sic). Pauvres enfants, toujours bombardés !
Mireille Kentzinger
[1] Hannah Arendt, « La crise de l’éducation », in La crise de la culture, 1954