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Crise CARDIE-aque sur le site de l’académie de Paris !

Vous avez oublié de vous inscrire en septembre au PAF, le Plan académique de formation ? Il n’ y avait plus de place de toutes façons, car les stages les plus intéressants sont pris d’assaut ? Votre proviseur vous a interdit de vous absenter plus de trois fois pour vous former (c’est la norme) ? … Qu’à cela ne tienne, on n’arrête pas le progrès, avec la formation continue en ligne … connectez-vous, au chaud chez vous, sur votre ordinateur, et assistez à un stage comme si vous y étiez…enfin, presque… Voici ce qu’on peut trouver  sur le site de l’académie de Paris – une vidéo recommandée par l’inspection

Edifiant ! La chose émane de l' »atelier de la CARDIE » (Cellule académique pour la recherche et le développement des innovations et des expérimentations« )… avec une telle redondance lexicale,  on est sûr d’être à la pointe de la pédagogie…

Mise en abyme vertigineuse, on visionne une vidéo qui montre des stagiaires (adultes) en train de visionner une vidéo, montrant des collégiens, en cours, en train de visionner des écrans… pas sûr que l’enseignement y gagne en humanité et en clarté. D’ailleurs on ne comprend goutte à cette séance de formation, mal filmée, mal montée, mal sonorisée, animée par un professeur de lettres classiques dont l’élocution truffée de « euh », « donc voilà », et « on va voir qu’est-ce qu’il se passe », ne nous laisserait pas deviner le titre. On finit par comprendre qu’il s’adresse à des professeurs du second degré, des professeurs des écoles, un inspecteur, des professeurs de lycée professionnel, au sein d’un atelier de réflexion sur « le travail en groupe » – panacée pédagogique qui transcende apparemment les niveaux et les disciplines ! Comme le fait d’emblée remarquer un stagiaire, « on ne fait plus que ça partout »… Puis une discussion s’engage, les stagiaires posant des questions sur ce qu’ils viennent de voir.

Venons-en à la séance filmée en classe. À aucun moment, on ne comprendra à quel travail se livrent les élèves (si tant est qu’ils travaillent) et quels sont les objectifs recherchés, en termes de savoirs… enfin, si ! On exagère un peu… Un objectif clairement énoncé est de travailler l’oral et la persuasion. Pendant qu’une partie de la classe est « en autonomie » (c’est-à-dire rivée à des écrans), l’autre partie est répartie en petits groupes. Les élèves doivent trouver une solution (à quoi ? mystère…) mais comme cette solution doit être émaner du groupe, il faut donc convaincre les autres. Nous voici revenus à l’enseignement des sophistes honni par Platon – certes à nouveau en vogue aujourd’hui, à l’ère des communicants : rien ne garantit que celui qui l’emportera aura tenu le raisonnement juste, rationnel.

Les élèves mettent de longues minutes à modifier la disposition des tables dans un grand brouhaha. Le professeur passe de groupe en groupe et observe, sans rien expliquer. Il n’intervient pas du tout, au grand étonnement d’un stagiaire, qui demandera alors la raison de la non- intervention, en particulier pour constituer les groupes. La réponse vaut son pesant de cacahuètes : C’est à 25 min 17 : « d’abord, c’est beaucoup de travail », dit-il. « Plus vous vous mettez en retrait, plus vous vous protégez, la voix, la fatigue, l’implication, la dépense d’énergie… » No comment… D’ailleurs, dès le début, le formateur annonce qu’il montre une « séance qui ne fonctionne pas encore », et qu’il faudra au moins cinq ou six séances de ce type avant que les élèves soient efficaces ! On est en pleine recherche et expérimentation, ne l’oublions pas !

Plus tard, une inspectrice redécouvre l’eau chaude… Elle se réjouit que le professeur demande à chaque élève d’écrire même s’il ne ramassera qu’une seule copie par groupe (pour moins travailler ?), comme si ce ne devait pas être une évidence !

À la fin, on apprend que ce genre de « travail » et d’autres (car, ouf ! on apprend qu’il ne fait pas toujours « travailler » les  élèves en groupe)  permet au professeur de cocher des items du genre « je prends la  parole en classe », « je respecte les règles » – et même osons tout,  il validerait la culture scientifique car, « s’appuyer sur une phrase d’un texte pour étayer son affirmation, c’est démontrer » (sic!)… Le formateur annonce fièrement que ses élèves peuvent à tout moment se connecter sur leur compte personnel pour vérifier comment évolue leur grille de compétences… (à défaut de relire leur copie qu’ils n’auront pas rendue, donc…) Orwell pointe son nez!

Bref, si on a bien compris cette leçon de pédagogie officielle : 1) moins le professeur (pardon, le prof!) se foule, mieux ça vaut. 2) peu importe si les élèves racontent ou écrivent n’importe quoi, du moment qu’ils sont occupés 3) l’objectif d’un cours, c’est d’évaluer les élèves et de remplir une grille de compétences.

Moralité : quand on n’a rien à enseigner, on peut toujours mettre les élèves en groupe, les filmer, puis animer un stage pour expliquer comment mettre les élèves en groupe ; refilmer, mettre en ligne, puis faire une conférence où l’on montre la vidéo du stage pour expliquer comment animer un stage sur le travail en groupe … en espérant que le vertige viendra interrompre cette plongée dans le vide des espaces infinis … On se demande en quoi cet « enseignement » du vide, de l’agitation stérile, peut aider les enfants de milieux défavorisés, dont les parents n’auront pas les moyens de leur faire rattraper tout ce temps perdu ! Une parfaite illustration de ce que nos amis belges appellent « des cours de rien« …

Bon, finalement, on ne regrette pas tant que ça d’avoir raté le « PAF » cette année…

L’Intempestif.