De l’accord inclusif (Tristan Félix)
Toute langue porte les stigmates d’une histoire ininterrompue de soumissions, de massacres et d’ostracismes. Néanmoins, il ne nous semble guère judicieux d’introduire de force ces nouveaux accords à la mode, dits inclusifs. Tout d’abord, et c’est extraordinaire, la langue semble avoir fourché puisque l’accord inclusif met en évidence comme jamais la préséance du masculin. Voyez : les ami.e.s. Le féminin se retrouve comme par hasard à la remorque du masculin, comme si la défense du féminin passait par …la promotion masculine. Par quel paradoxe suicidaire, par quelle inadvertance auto-flagellante la restauration du féminin – oui, il exista par exemple bel et bien des trobairitz, ces grandes poétesses du Moyen-Âge plongées tête la première dans l’oubli – peut-elle visuellement à ce point réclamer à son insu la préséance du masculin ? Serait-ce une soumission inconsciente pour payer d’avoir voulu exister davantage ? Comme si la masculinité revenait toujours comme un boomerang. Au risque de recevoir une avalanche de détritus, nous nous risquons à nous demander si ce n’est pas l’homme en la femme qui tend sa protubérance dans cet accord inclusif, que nous aurions tendance à qualifier d’exclusif (aï ! aïe aïe ! ne jetez plus rien !). Tant de crispation grammaticale ne paraît pas très sain, encore moins efficace.
En outre, la complication roncière sur le clavier et l’empêtrement de la lecture friseraient le ridicule s’ils n’étaient insupportables. Nous redoutons les arguments de l’Académie française massivement masculine et passéiste. En revanche, il faut absolument supprimer de la grammaire l’injonction du masculin qui l’emporte et réinvestir la notion de masculin de sa composante féminine organique. Rappeler que le garçon a des tétons et la fille un zizitoris est autrement plus langu qu’un pseudo accord inclusif autoritaire susceptible de provoquer des occlusions intestines.
Pourquoi ne pas dire femmage au lieu d’hommage ? Pitié ! Parce qu’en hommage ne s’entend, de fait, plus le mot « homme » et qu’en femmage ne s’entend que le mot « femme » – à moins d’attendre quelques siècles. Pourquoi ne pas dire « le lune » puisque masculine en allemand ? Artémis était-elle gay ou lesbienne ? Ouh la la, je vais me faire démolir la bille par quelque association protectrice des femmes – et pourquoi pas des « femelles » ? ah, ça! Pourquoi, par ce rejet du mot « femelles », mépriser les animaux et se soumettre à la hiérarchie monothéiste des cinq règnes, hein ? Etant nous-mêmes animales puisqu’issues d’une souche humaine, nous nous ébrouons, scandalisées. En revanche, féminiser tout ce qui peut l’être sans risque de confusion régressive est salutaire : chef/chève, par exemple. Le poète Ivar Ch’Vavar propose de tout féminiser, façon insolente et facétieuse de rétablir l’équilibre. Nous proposerions, nous, de laisser faire la langue, apte aux baisers les plus inventifs.
Il faudrait, pour rendre justice aux minorités opprimées, exterminer une pelletée d’insultes ou de jurons genrées : con connard connasse bite enculé résidu de fausse couche – branleur-branleuse ? – putain fils de pute poufiasse thon… (ah, Gilles de la Tourette, quand tu nous tiens !) et autres noms d’oiselles. Le terme d’opprimés, exclut-il les femmes ? Il ne nous semble pas. Puisqu’il faudrait que l’histoire répare ou paie ses injustices, détruisons cathédrales et mosquées, temples incas et pyramides, trottoirs français, ports, routes, ponts, barrages… parce qu’ils furent édifiés par des esclaves, des bagnards ou un prolétariat exsangue et que leurs descendants ont peu de chance d’en profiter. Et puis – si si, il y a un rapport – l’on pourrait réinjecter leur étymologie dans tous les mots du lexique de façon à réparer l’oubli par dégénérescence de leur origine. Proposons de reparler une langue pure d’origine, le Babil, par exemple, débarrassé de son histoire. J’ai ouï clamer par certains indigènes de la république que le port du voile est un gage libérateur de loyauté envers les hommes. Autrement dit, je m’efface pour m’affirmer… et je pose un point à la forme masculine pour m’affirmer comme son suffixe qui suffit ou sa désinence qui lésine.
Nous qui vous écrivons, baignons tellement dans le liquide amniotique de l’ambiguïté et du point de vue fertilisant que nous ne comprenons pas bien cette pratique hoquetante et trébuchante de l’accord inclusif ponctué de désinences qui battent de l’aile. Il y a eu maladresse grammaticale, pour le moins. Nous nous réjouissons en tout cas des tâtonnements et hésitations des décisions grammaticales qui nous ramènent – pour une sans doute courte récréation – à l’époque où la langue, non fixée par l’imposition du francilien et la grammaire de Port-Royal, jubilait de sa variété. Au choix, mesdames et messieurs ! : auteure, auteuse, autrice, auteuresse, écrivaine, écriveuse, écriveresse. Nous en reviendrions aux vrais synonymes avec leurs seules variantes musicales. Vivent la métamorphose, l’hybridation et le mouvement plus que la catégorisation !