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L'école des réformateurs, machine à fabriquer de la tristesse.

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Constats

      L'Education Nationale est une machine qui a ses rouages, ses fonctionnaires, ses objectifs de rendement. On la croit dispensatrice de savoir ; elle n'est peut-être plus qu'une machine à fabriquer de la tristesse.
      Ce constat pourra sembler paradoxal : il n'est actuellement de réforme qui ne soit menée au nom du sacro-saint plaisir de l'élève ; les établissements deviennent des " lieux de vie ", avec forum, cafétéria, distributeurs ... ; les options et les ateliers artistiques se développent ; le monde et ses technologies entrent dans l'enceinte jadis protégée de l'école, renouvelant le rapport au savoir des élèves. On ne parle jamais des élèves qui se sentent bien à l'école. Ils existent. Ils sont même plus nombreux qu'on ne croit. Pour certains d'entre eux, redoubler une classe n'est pas un drame ; c'est même parfois une stratégie, la possibilité d'arriver au baccalauréat à son rythme en profitant le plus longtemps possible du cocon qu'est l'école.

      Ceci n'enlève rien à l'impression générale de tristesse. L'attitude décrite ci-dessus en est empreinte. De la masse d'écrits et de témoignages produits sur l'école, venant aussi bien de parents d'élèves, d'enseignants, que de sociologues ou de politiques, ressort un constat plutôt sombre. Dans un article récent du Monde de l'Education plutôt porté à défendre l'école des réformateurs qu'à la critiquer, le sociologue François Dubet décrit pourtant trois types de comportements préoccupants chez ceux qu'il appelle les "nouveaux publics scolaires" : "D'autres nouveaux publics mettent plus nettement en cause le fonctionnement de l'école à travers trois grands types d'expériences et de stratégies. La première est celle du retrait (...) ces élèves ne jouent plus, ne travaillent plus, et ils attendent que le flux de l'école les conduise doucement vers la sortie (...). Ils ont le sentiment que l'école les protège mais ne leur permet pas de grandir, qu'elle est plus un espace d'accueil de leur vie juvénile qu'un lieu d'apprentissage intellectuel et de formation de soi. La deuxième stratégie est celle du ritualisme scolaire. Les nouveaux lycéens et les nouveaux étudiants attendent de l'école une reconnaissance quasi-automatique du travail accompli. Ils pensent que le fait de répondre aux consignes, de faire les exercices et d'assister aux cours doit suffire à garantir une reconnaissance minimale (...). D'une certaine manière, ils se conduisent comme des employés conformistes et demandent des garanties "syndicales" en concevant la note comme un salaire. Sans doute ces élèves ne dérangent guère la vie scolaire mais ils la vident d'une grande part de son contenu. (...) Le dernier grand type d'expérience conduit au refus et à la violence. Dans la mesure où l'échec scolaire peut mettre en cause l'estime que le sujet a de lui-même et où la culture sociale des jeunes du quartier offre des ressources de résistance à l'empire scolaire, bien des jeunes refusent une école qui les détruit, les invalide, leur impose des sacrifices narcissiques sans rien leur offrir en échange."(1)

      Un sondage paru récemment élargit la portée de ce constat en comptant que deux tiers des élèves s'ennuient à l'école(2). Que l'élève aime l'école ou qu'il la rejette, les attitudes décrites ci-dessus sont toutes empreintes de tristesse, sur fond d'une diminution de la puissance d'être et d'agir de l'élève. Ces termes, empruntés au vocabulaire de l'Ethique de Spinoza, permettent de mieux cerner la réalité de ce sentiment de tristesse(3). Car on ne saurait se limiter ici à parler du stress ou de l'angoisse de l'adolescent, problèmes qui font les beaux jours des hebdomadaires, et qu'on abandonne un trop facilement à l'infirmière, à la psychologue ou à l'assistante sociale de l'établissement. Par " tristesse " est désigné un état plus général, qui nous concerne tous, parents, professeurs, politiques... La tristesse est définie par Spinoza comme le passage de l'homme d'une plus grande à une moindre perfection (et la joie, inversement, comme le passage d'une moindre à une plus grande perfection). Dire que l'école produit de la tristesse, c'est avant tout affirmer que l'école diminue les élèves, ou en tout cas ne leur permet pas de persévérer dans leur être autant qu'ils le pourraient. Le constat de tristesse qui est dressé aujourd'hui est donc en même temps un constat d'impuissance. Alors qu'elle peut communément être analysée comme un sentiment engendré par les conditions extérieures à l'école, ou à l'école, par l'ennui des cours et des connaissances, elle est en fait plus profondément révélatrice d'un état de passivité et d'impuissance de l'élève qui, qu'elles qu'en soient les raisons (mauvaise orientation, inadaptation, manque d'objectif, etc.) ne trouve pas dans la voie qu'il a choisie les moyens de se réaliser pleinement. Sous la plume de ceux qui observent et analysent l'école, on trouve des mots très durs pour dire cette diminution, ce constat d'affaiblissement général. Dans l'article cité plus haut déjà : " retrait ", " ne leur permet pas de grandir ", " les détruit, les invalide " ; ailleurs il est question de " mutilation " ou de " handicap ". Comment et pourquoi l'école s'est-elle ainsi transformée en machine à fabriquer de la tristesse ?

      A la question de savoir quelle est la cause de tant de tristesse, les réformateurs ont une réponse toute prête, idéologique, dogmatique : la tristesse de l'élève provient de ce qu'à l'école... il y a encore trop d'école! Tous les chiffres, tous les sondages, tous les témoignages alarmants sont les occasions d'attaques virulentes contre le corps enseignant (on lui reproche d'aimer un peu trop ses disciplines, le savoir donc), contre les horaires et les programmes, jugés trop lourds, excédant la capacité des élèves (à une heure de grande audience sur une chaîne de télévision populaire, quelques mois après s'en être pris au "mammouth" qu'est l'Education Nationale, le ministre brocarde le cartable trop lourd de l'élève, confondant avec démagogie problèmes du mal de dos et débats pédagogiques) ; attaque contre les exigences devenues impossibles d'exercices aussi désuets que, en français, la dictée, le résumé, le sujet de réflexion ou la dissertation(4). Supprimez ces poids, toutes ces charges inutiles, rajeunissez aussi les professeurs afin de les rendre plus proches de leurs élèves, dans des cours innovants, décrispés et festifs, vous chasserez la tristesse des établissements et rendrez la jeunesse de ce pays au désir d'apprendre.
      Mais ce qui discrédite d'emblée ce discours, c'est qu'il n'est lui-même guère " innovant ". Voilà trente ans que l'antienne pédagogo-libertaire est reprise sur tous les tons, pour justifier toutes les réformes. Arrive pourtant le moment où les réformateurs doivent rendre compte de ce qu'ils ont fait de l'école puisque les constats d'échec qu'ils dressent complaisamment aujourd'hui (violence, inégalités des chances, découragement...) ne peuvent que se retourner contre eux.
      Je vais montrer ici comment le sentiment de tristesse dont on a parlé n'a pas pour cause l'école en tant qu'elle continue à faire travailler les élèves et à transmettre du savoir, mais bien cette école des réformateurs qui, en n'accordant plus la priorité au savoir, a rendu de plus en plus passifs les élèves, sans cesse entretenus dans une culture de la tristesse.


La pédagogie du chatouillement

      Dans son Ethique, Spinoza distingue l'allégresse, forme la plus aboutie de la joie, qui résulte pour un individu d'une entière maîtrise de sa raison et de ses facultés, tant corporelles qu'intellectuelles, du chatouillement, qui est un plaisir associé à seulement une partie du corps ou de l'esprit. On pourrait dire de la pédagogie d'aujourd'hui (" moderne ", " innovante "), telle qu'elle est promue dans les IUFM, INRP, etc, qu'elle ne vise pas au développement harmonieux d'un élève, qu'elle aiderait à se développer et à se structurer, mais qu'elle s'apparente plutôt à une pédagogie du chatouillement, sans cesse occupée à divertir l'élève, à l'éveiller, à le titiller, sans trop de souci des contenus d'enseignement. La pédagogie du chatouillement, c'est aujourd'hui une visite, demain un débat, après-demain une séance de relaxation, puis une intervention extérieure, et un autre débat, etc. Elle consiste ainsi à jalonner l'année scolaire de petits plaisirs pédagogiques qui amusent l'esprit et retiennent les sens- mais en fin de compte pour quel résultat ? Sans parler que les idées mises en place sont faussement innovantes et originales, et il n'est pas sûr que leur enchaînement ne finisse par lasser l'élève, obligeant l'enseignant à une surenchère permanente. Qu'importe : le salaire des pédagogistes se justifie à ces " trouvailles " qui ne laissent finalement à l'élève aucun bagage, aucune compétence sérieuse.
      Lorsque, dans des réunions professionnelles, nous avons affaire à quelques-uns de ces pédagogistes qui nous exposent avec une gourmandise se voulant communicative leurs " idées de cours ", le critère final sans cesse répété n'est jamais " les élèves ont appris… " ou " les élèves ont progressé ", mais " ils ont aimé ", " ils ont adoré ", " ils ont vu que le cours de français pouvait être autre chose qu'un cours de français ", " ils n'ont pas vu l'heure passer " (une enseignante s'émerveille de voir les élèves soupirer de dépit à la fin du cours, qu'ils auraient tant voulu voir se prolonger...).

      Cette pédagogie se fait au détriment des équilibres globaux de l'élève et des acquis fondamentaux. Pour se faire pardonner d'être professeur, l'adulte prend modèle sur les animateurs de la télévision (quand il n'y pense pas lui-même l'inspection est là pour venir le lui conseiller). Le cours, s'il devient plus attrayant, ne rend bien sûr pas l'élève plus actif pour autant. En se généralisant, la pédagogie du chatouillement ne peut que rendre terne le " cours traditionnel ", et, d'une manière plus générale, tout ce qui relève encore de la contrainte et du savoir. Comment expliquer en effet aux élèves que les " gentils moniteurs " doivent parfois faire autre chose que les amuser, par exemple les préparer à des examens sérieux ou corriger au crayon rouge des exercices ardus ?

      Le bon sens n'étant pas, loin s'en faut, la chose la plus répandue dans les pseudo-sciences de l'éducation, les pédagogistes ont totalement inversé les notions d'activité et de passivité. Ils ne déterminent pas l'activité en fonction de la progression de l'élève vers plus de puissance, et par conséquent plus de joie (il n'est de véritable joie que de se sentir persévérer dans son être et entrer dans la plus grande maîtrise possible de ses capacités), mais en fonction de l'intérêt qu'il prend au cours, ce terme d' "intérêt " pouvant renvoyer aussi bien à ce qui divertit l'élève qu'à l'acquisition d'un certain nombre de savoir-faire utilitaires ou d'activités le plus rapidement rentables. C'est ainsi que l'on cherche à sortir du cours magistral ou de ce qui lui ressemble pour promouvoir l'interactivité, la manipulation des machines, le maniement des données, les exercices à trous, etc. On confond agitation et activité. Plus gravement, on prépare les élèves à n'être que de futurs exécutants.


La spirale du toujours moins

      La pédagogie du chatouillement, qui se fait sur fond d'une liquidation d'un certain nombre d'exigences, enclenche l'inévitable spirale du toujours moins(5). Un des signes qui le marque le mieux est de voir le français devenir peu à peu une matière sans savoir. Les élèves du collège le savent déjà, qui n'ont plus de révisions à faire en français en vue du Brevet des Collèges (face aux mathématiques et à l'histoire-géographie, où on continue d'apprendre, le français devient une matière de seconde catégorie). Au lycée, les deux derniers refuges du savoir dans notre discipline ont été pris d'assaut cette année par les pédagogistes. Ceux-ci ont d'abord décidé de supprimer la liste de textes avec laquelle les élèves se présentaient à l'oral du baccalauréat de français. Cette liste n'allait pas sans poser de problèmes, mais elle favorisait un travail sérieux de l'élève, l'acquisition de connaissances, de repères. Désormais, à l'oral, l'élève improvisera à partir d'un texte qu'il ne connaît pas (on revalorise la paraphrase, on demande déjà l'indulgence des examinateurs...). L'autre exemple est celui de l'histoire littéraire. Elle est menacée au lycée, désormais absente du programme de seconde, alors que jusqu'à présent on demandait à l'enseignant, dans la continuité de ce qui se fait au collège, d'offrir aux élèves un panorama de la littérature, du XVIe siècle jusqu'à aujourd'hui, afin de poser un certain nombre de jalons indispensables. Motif invoqué : "La quantité des savoirs en histoire littéraire et culturelle excède les possibilités des élèves de seconde." (Instructions officielles, document évolutif de mai 2000). Cette phrase honteuse a fort heureusement disparu du BO Hors-Série nº6 du 31-08-2000. On voit comment la logique de l'allègement a joué ici : le français devient peu à peu une matière où il n'y a rien à apprendre, juste quelques livres à survoler, et un talent d'improvisateur à acquérir.
      La spontanéité et la créativité à l'instinct sont aujourd'hui valorisées. Orthographe, grammaire, notions d'histoire littéraire : rien de tout cela ne vaut désormais qu'on s'y attarde. La part des apprentissages fondamentaux que sont la lecture et l'écriture dans la scolarité n'a cessé de diminuer. Certains s'en inquiètent, mais cela ne change rien à l'affaire. Pierre Legendre critique cette évolution, " cette sorte d'asservissement d'un nouveau genre, l'idiotie du non-apprentissage du lire et écrire dans les pédagogies régressives qui se donnent les gants d'être modernes, lesquelles fabriquent en série des handicapés artificiels, c'est-à-dire des mutilés de la représentation, incapables d'entrer dans la symbolisation par l'écriture. " (6) A chacun de s'exprimer comme il le pourra, avec ses codes, son vocabulaire, son expérience personnelle. Devant l'examinateur en fin d'année l'élève pourra dire, comme Sganarelle à Don Juan : " Pour moi, Monsieur, je n'ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres... " (Dom Juan, acte III, sc.1). Or un peu plus loin, Sganarelle s'empêtre si bien dans son discours qu'il trébuche sur scène : " Bon! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé " lui dit Don Juan. On trouve encore ici cette même idée de mutilation. La stratégie du toujours moins limite les élèves et les mutile. Là est la source du véritable sentiment de tristesse. Et ce ne sont pas les facéties pédagogiques, les chatouillements, qui y changeront grand chose.


" Et d'abord ils n'aiment plus lire "

      Si les élèves entendaient le discours qui est tenu sur eux lors des réunions pédagogiques par ceux qui prétendent les " aimer " et les amener tous au baccalauréat, peut-être trouveraient-ils là un bon motif pour descendre dans la rue. Certains se doutent pourtant du mépris dans lequel ils sont tenus par les pédagogistes. Ce discours, ils ne l'ont même parfois que trop bien intégré. Ainsi on a entendu un élève, qui aurait sans doute eu les capacités de faire de longues études, dire à l'étonnement du conseil de classe, qu'il se repliait sur une voie plus facile afin de ne pas gâcher deux années à travailler et de pouvoir continuer à regarder chaque soir la télévision. Les orientations se font souvent ainsi par défaut : manque de motivation, manque de volonté, manque de capacités, manque de goût pour telle ou telle matière... Un discours déprimant et défaitiste est tenu par les réformateurs, au plus grand mépris des élèves : tel savoir excède leurs capacités (voir l'extrait des instructions officielles cité plus haut) ; ils n'aiment pas lire (ou alors pas des livres trop longs, pas des livres trop éloignés de leurs préoccupations) ; on ne peut plus attendre aujourd'hui d'un élève qu'il maîtrise dès la fin de l'école primaire l'orthographe et la grammaire... C'est ainsi qu'on peut entendre une enseignante en IUFM dire : "si je fais une dictée à un élève et qu'il a zéro, ce n'est plus la peine de lui faire faire de dictée." (7)
      La machine à fabriquer de la tristesse trouve là son principal moteur : on s'efforce de construire sur du vide, sur du négatif ; à partir de ce que les élèves ne savent pas faire ou ne peuvent prétendûment pas faire. Professeurs et élèves sont découragés avant même d'avoir commencé à se mettre au travail. Des réformes constructives devraient s'élaborer à partir des possibilités des élèves, du savoir et du talent à enseigner du professeur, et non l'inverse, à partir des lacunes des élèves et de l'échec à enseigner du professeur. Aujourd'hui, l'enseignant affronte une double inertie : celle d'élèves que l'on a conditionnés à n'être que des consommateurs de cours, et celle d'une hiérarchie qui n'est plus là pour le soutenir dans son effort d'élever l'élève vers l'excellence (ce que chacun, dans la limite de ses capacités, devrait s'efforcer d'atteindre).
      La force de ce discours décourageant est de se fonder sur les paroles des élèves. Mais les pédagogistes ne comprennent rien à la psychologie adolescente ( chose merveilleuse quand on sait le nombre d'heures de conférences et d'ateliers de travail qu'ils y consacrent). S'ils y comprenaient quelque chose, ils commenceraient par se méfier des jugements à l'emporte-pièce des élèves. Par exemple une affirmation telle que : "Je n'ai pas aimé ce livre". Que signifie "Je n'ai pas aimé ce livre" ? Pour celui-ci, qui ne l'a pas lu, juste le désir de faire le fanfaron devant la classe ; pour celui-là, cela signifie que sa lecture n'a pas toujours été aisée ; pour cet autre, qu'il n'a pas aimé le dénouement, par trop tragique à ses yeux ; pour un autre encore, qu'il a été dérangé par le discours tenu dans ce livre ; sans parler de celui qui dit aujourd'hui qu'il n'a pas aimé, et dira demain, après un cours, ou sous l'influence du voisin de classe, que le livre est bon. Il faut dire à nos pédagogistes, que leur amour des enfants rend parfois aveugles, qu'il ne faut pas toujours tout prendre à la lettre et de chaque parole d'adolescent ("Je n'ai pas aimé ce livre", "Je préfèrerais m'amuser", "Je n'aime pas le français"...) faire comme ils le font une règle d'or.(8)
      Le comportement des adolescents pourrait se résumer par cette formule d'Horace : "Je vois ce qu'il y a de meilleur et je l'approuve, mais je fais le contraire". Les élèves comprennent et approuvent l'intérêt pour leur formation d'une bonne maîtrise de l'orthographe et de la grammaire, de la confrontation aux grandes œuvres et de l'acquisition d'une culture. Mais laissez-les suivre leurs goûts et leurs penchants (9), ils n'en feront évidemment plus grand cas. La plupart des hommes en agissent ainsi, et cette attitude est pour le philosophe caractéristique de leur servitude. Les hommes préfèreront toujours, surtout s'ils y sont encouragés, le plaisir immédiat aux bénéfices plus ou moins lointains de ce qui est raisonnable (mais par trop sérieux et contraignant) pour eux. Que des adolescents réagissent ainsi n'a donc en soi rien d'étonnant ni de blâmable. Mais que des pédagogues, dont l'éducation est le métier et peut-être la vocation, se montrent d'une indulgence coupable pour les faiblesses des élèves, se faisant des mots d'ordre de tous leurs désirs, il y a là quelque chose de préoccupant. Le professeur, puisqu'il faut redire une évidence qui se perd de vue, est là pour guider l'élève, pour lui donner l'impulsion nécessaire et lui faire aimer ce qui est raisonnablement utile pour lui, vers quoi il n'ira pas s'il n'est pas accompagné, puisqu'être convaincu de ce qui est bon pour nous n'est pas suffisant pour nous inciter à l'atteindre.
      Ainsi instruit-on de futurs adultes citoyens, maîtres d'eux-mêmes. Mais peut-être n'est-ce pas le but de nos pédagogistes. Nous avons cité plus haut Sganarelle. Nous avons aussi posé la question de savoir si les réformes en cours, délaissant les nobles idéaux de l'instruction, n'ont pas à charge désormais de ne former que de futurs exécutants. Est-ce qu'à de futurs dirigeants, maîtres, ou simplement hommes libres, on refuserait le savoir, les exercices formateurs, le sens de l'effort et de la contrainte ? On s'adresse à ces "nouveaux publics lycéens" comme à des assistés du savoir, à qui on fournit dans un geste humanitaire (10) des heures d'aide individualisée, des ordinateurs, des aide-éducateurs. Les pédagogistes devraient faire taire leur pitié, affect qui a peu à faire avec l'éducation, et décider dès aujourd'hui que tous les enfants, dès le plus jeune âge, ont le droit qu'on ait pour eux des exigences et qu'on croie en leurs possiblités.


La classe est triste, hélas...

      Sans une prise de conscience urgente, on va continuer pour des années encore à entretenir les élèves dans une culture de la tristesse. Car outre les exigences, qui, comme nous l'avons montré de manière qui est loin d'être exhaustive, sont revues à la baisse, les contenus d'enseignement, la nouvelle manière d'enseigner la littérature telle qu'elle apparaît dans les programmes de seconde de l'année scolaire 2000/2001, ne vont pas aller davantage dans le sens d'une augmentation de la puissance d'agir de l'élève et de sa joie. Car la classe est triste, hélas... Ce que l'étude des textes littéraires pourrait avoir de jubilatoire est réduit dans les nouveaux programmes à des exercices de classification et d'acquisition de compétences techniques. Les élèves sont appelés à devenir de petits fonctionnaires de la littérature, chargés de ranger les textes dans les gros classeurs gris des genres, sous-genres, registres, courants, rubriques, types de discours,... Les émotions du texte, son sens, ses ambiguïtés, tout ce qui peut affecter l'élève et le rendre plus fort, passe au second plan. Dans les nouveaux manuels de littérature, tous les textes sont gris (certains le paraissent d'autant plus qu'ils sont placés en confrontation avec des photographies vivantes et colorées, qui sauront capter l'attention- par exemple, sur une pleine page du nouveau manuel de littérature Bertrand Lacoste celle d'Aimé Jacquet porté en triomphe par ses joueurs).
      Car l'autre aspect de cette culture de la tristesse est bien là : on ne demande plus au cours de français d'enrichir l'élève en lui permettant de belles rencontres avec des grands écrivains des siècles passés ou contemporains, rencontres qui pourraient le stimuler, dans tous les cas le sortir de son quotidien. On l'entretient dans ses modes de vie et de pensée. Au collège, la place de la littérature recule derrière celle des "livres de jeunesse". Au collège comme au lycée, on propose des sujets de société, des extraits de bandes-dessinées, des publicités, des paroles de chansons. Certes on a progressé depuis le choix pédagogique des modes d'emploi d'appareils d'électro-ménager, et ce matériau est toujours prétexte à de fort savantes études, mais on peut se demander si tout cela est bien à même de stimuler nos élèves. Car au lieu de parier sur la curiosité, la capacité de l'élève à être déterritorialisé, affecté de façons multiples, on renforce la passivité. L'élève est maintenu le plus longtemps possible dans l'enfance (une enfance parfois paradoxale tant sont développés tôt les réflexes conformistes de l'adulte consommateur). On prive l'élève de cette liberté qui pourrait un jour le faire accèder à d'autres centres d'intérêt, d'autres valeurs que celles promues par la télévision et les publicités. Le risque est grand, si l'on ne protège pas l'élève des sollicitations extérieures, du jeu des opinions, de l'emprise des désirs et de sa seule imagination, de le maintenir dans un état de faiblesse et de dépendance. (11) L'homme libre s'oppose à l'homme asservi en ce qu'il développe sa raison (les exercices formateurs, la confrontation avec les grandes oeuvres l'aident en cela) afin de mettre à distance les sollicitations extérieures, évaluant, soupesant et éventuellement corrigeant leur influence selon ce qu'il sait être son intérêt réel.
      Enfin, on entretient plus fondamentalement encore l'élève dans la tristesse en lui retirant la possibilité de croire en l'école, et par conséquent de croire en ses propres forces. On allèguera ici le rôle de la société et on trouvera injuste de tout mettre sur le dos des pédagogistes. Pourtant : qui a incité à la méfiance à l'égard du livre ? Qui a mis en garde contre une culture classique par trop bourgeoise ? Qui a mis sur le même plan oeuvres mineures et oeuvres majeures ? Qui a diminué la part consacrée aux apprentissages fondamentaux à l'école en faveur des activités d'éveil ? Qui a discrédité l'autorité professorale ? Etc. Qui sinon des pédagogues très dogmatiques, qui constatent aujourd'hui, presque étonnés, que les enfants ne voient pas l'intérêt qu'il y a à étudier les grands auteurs.
      L'école ne peut être qu'une machine à fabriquer de la tristesse dès lors que les adultes n'y croient plus. On aura beau rivaliser d'efforts pour les divertir, les élèves trouveront toujours trop pesants des cours dont ils ne voient pas à terme en quoi ils pourraient les renforcer dans leur puissance d'être et d'agir (d'autant que, divertissement pour divertissement, les écrans de télévision ou de jeux vidéos resteront toujours plus séduisants- les professeurs doivent sur ce point rendre hommage aux professionnels). On peut donc poser avec Pierre Legendre la question : "Où est l'éthique de l'éducation ? Au terme de cette démagogie, du reste apeurée au moindre signe de rébellion, qui paie la note, la vraie, la note subjective? La jeunesse, évidemment, qui tire son épingle du jeu comme elle peut dans une recherche éperdue d'un discours pour se fonder à vivre. Inattendus sont les prolongements de ces pratiques de désinstitution : par exemple, la peur d'affronter l'enfant pour le limiter, symptôme d'une haine dirigée contre l'enfant (...)" (12)

      Si la jeunesse paie la note, à qui profite tant de tristesse ? Il est bien étonnant qu'on ne soit jamais revenu de certaines erreurs, particulièrement celles concernant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, dont beaucoup aujourd'hui constatent l'indigence. En attendant de prendre des mesures à la hauteur du problème, on entend vanter les mérites de l'ordinateur, des langues régionales et étrangères à l'école primaire… Pour ne pas résoudre les problèmes, on décide de les minimiser : on met en place pour l'épreuve de français du brevet des collèges une dictée raccourcie (quatre lignes) et un nouveau système de notation qui permet à la plupart des élèves d'avoir la moyenne en orthographe malgré leurs déficiences…
      Les pouvoirs prospèrent sur l'impuissance des sujets et sur leurs passions tristes : les philosophes n'ont de cesse de le répéter, mais une société consacrée avant tout à ses divertissements ne les écoute pas (13). Des sujets mutilés, diminués dans leur être et dans leur puissance, sont évidemment plus malléables et plus dépendants. C'est un discours que les élèves entendent en cours de français : quand leur professeur étudie avec eux L'Ecole des femmes de Molière, il ne peut qu'attirer leur attention sur ce point (quitte à en oublier le devoir de classification et le technicisme obligés des études de textes qui diluent le sens).


Conclusion

      Tant de recherches sur l'éducation, tant d'enquêtes d'opinion, de lycées expérimentaux, de professeurs occupés à tester et à innover pour si peu de résultats, cela a de quoi laisser songeur. Toute une machine est aujourd'hui en marche, lourde et coûteuse, qui ne sait produire que de la tristesse.
      Claude Allègre et Philippe Meirieu sont partis, mais ils ont laissé derrière eux des pédagogistes qui ne semblent pas prêts à démordre de leurs dogmes. Tout le monde s'accomode des nouvelles réformes, les pédagogues en place pour conserver leur pouvoir, les dirigeants, qui à l'heure de la mondialisation, ne sont pas fâchés de voir disparaître une dernière exception nationale et de voir l'école française " s'américaniser " toujours plus, sans parler de tous les autres, journaux, experts en sciences sociales, scientifiques, chefs d'entreprise, qui applaudissent aussi, par intérêt ou conformisme, tant d'audace et de modernité.
      Certains professeurs pourtant décident de résister. Des universitaires, des intellectuels, des artistes les soutiennent. Est-ce que tout cela sera suffisant pour retourner le discours en vogue et faire entendre un son nouveau ?
      Les parents d'élèves peuvent peut-être nous entendre. Certains d'entre eux ne sont que trop conscients des lacunes et des déficiences de l'éducation de leurs enfants, de priorités décrétées parfois en dépit du tout bon sens. A nous de les convaincre qu'un discours sur l'éducation débarrassé des dogmes des uns et des intérêts trop bien compris des autres pourra enfin remettre au centre de ses préoccupations le point important, le seul qui compte, celui de la progression de l'élève, de l'augmentation de sa puissance d'être et d'agir. Bien sûr il faut tenir compte des capacités de chacun. Il faut donc revenir sur un ensemble de mauvaises habitudes qui ont été prises et espérer que l'école résiste désormais plus fermement à l'égard des sollicitations de la société.
      Il faut que les parents sachent que la peur de tenir un discours vrai à l'enfant, de lui donner des méthodes, des repères, de l'aider à se structurer, ne révèle en effet qu'une haine de l'enfant. " Au lieu de cultiver une indulgence coupable à l'égard des faiblesses de l'enfance, il faut chercher des moyens efficaces pour les corriger : pourquoi hésiter (...) si cela doit à terme leur faire du bien, c'est-à-dire les empêcher de demeurer des enfants ? " (Pierre Macherey, op.cit., vol.4, p. 265.) Il est important pour l'élève de savoir ce dont il est capable, quelles sont ses limites : "en parvenant ainsi à une connaissance distincte de soi-même, c'est-à-dire en sachant exactement jusqu'où va sa propre puissance (...) il est conforté dans sa puissance d'agir : cette connaissance, loin de le déprimer et de brider son effort en vue de persévérer dans son être, l'amène à rechercher ce qui est véritablement utile (...) ; c'est ainsi que le fait de ne pouvoir voler comme les oiseaux... ne sera pas pour lui une cause de tristesse mais le laissera tout simplement indifférent dans la mesure où il lui apparaîtra que ces qualités qui lui font défaut ne sont d'aucune manière constitutives de sa nature, qui, par ses caractères propres, se définit indépendamment d'elles. Alors l'individu parvient à la vraie considération de ce qu'il est..." (Ibid, p. 298.) Pour cela un discours vrai s'impose, contre la langue de bois et les évaluations truquées.

      Il ne s'agit donc pas d'ignorer les capacités des élèves, de faire comme si tous avaient en entrant dans la salle de classe, une bonne volonté d'apprendre. De même nous ne nions pas la dimension de désir, de plaisir, qui fait nécessairement partie de l'éducation. " Faire aimer la littérature " : nous serons tous d'accord sur ce point. Mais de quelle façon la faire aimer ? Le plaisir qui naît de la lecture d'un livre n'est pas le même que celui qui naît d'un spectacle télévisé ou de la mise en place d'un débat. Il ne s'agit pas de divertissement, ce qui ne veut pas dire non plus que c'est une épreuve. Pour revenir à l'exemple de la lecture : l'élève n'aime pas toujours un livre de façon immédiate. Il doit d'abord surmonter un certain nombre de difficultés lexicales et syntaxiques, il doit affronter certaines longueurs, un évident dépaysement dans le temps et dans l'espace, un certain ennui (mot tabou entre tous chez les pédagogistes), il doit confronter son imaginaire à celui d'un grand artiste, il doit, lui habitué à certains codes narratifs, clichés, affronter la nouveauté, la création de nouveaux codes, parfois de nouvelles valeurs... Sans conscience de ces difficultés, ce n'est pas la peine de prétendre faire aimer la littérature. Les pédagogistes le savent, qui enseignent une "littérature sans douleur", comme d'autres voudraient maigrir en se goinfrant, ou se muscler sans courbatures. Ils épargnent aux élèves placés sous leur tutelle bien des peines. Mais ils leur épargnent aussi tout ce qui peut résulter d'une vraie lecture : plaisir des difficultés surmontées, sentiment de fierté d'avoir eu accès et d'avoir aimé une grande oeuvre du patrimoine, enrichissement personnel, élargissement de son horizon, plaisir de comprendre, de désormais mieux " lire " le monde, de grandir. Victimes d'un discours que l'on aura même du mal à dire "de gauche " et "soixante-huitard" tant il est caricatural, les pédagogistes estiment qu'il y a du fascisme, de la coercition dangereuse dans nos exigences, dans les efforts que nous demandons aux élèves. Ils nous font passer pour des amateurs de la contrainte et se réservent le beau rôle de défendre les élèves devant tant de cruauté. Puisqu'il faut l'écrire noir sur blanc, disons donc ici que nous ne sommes pas ces affreux maîtres qui refusons la pédagogie pour asséner de force la littérature aux élèves (des autoritaires ? Qu'on y regarde à deux fois : le nouvel autoritarisme s'impose avec douceur- sourire et bons sentiments). Nous ne défendons pas une conception de l'éducation qui reposerait sur un culte suspect de la douleur (nous ne sommes ni des prêtres, ni des ascètes), mais sur une philosophie joyeuse de la puissance, sachant que la seule vraie joie (contre la morale des plaisirs) vient de ce sentiment de puissance bien maîtrisé.
      Il faut par conséquent croire dans les forces des élèves. A force de rabattre leurs ambitions et leurs capacités, on a oublié toutes leurs possibilités. Aujourd'hui, les élèves sont excusés de leurs fautes avant même de les avoir commises. On les soupçonne de ne pas aimer la lecture avant qu'ils aient ouvert leurs premiers livres.
      Qu'on s'arrête un instant sur le fait que dans cette société du désir en permanence suscité et stimulé, le désir d'apprendre et de progresser soit si peu pris en compte. A nous de rappeler la force de ce désir.

Christophe Le Gall, Lycée Jean-Calvin, Noyon, 60.

Notes

(1) "La massification ou l'introuvable école de tous et de chacun", Le Monde de l'Education, n° 283, Juillet-Août 2000.
(2) Le Monde, 15/07/2000. L'information ne fait l'objet que d'un court encadré, sans aucun commentaire. Qui a commandé le sondage et dans quel but ? Aucune précision n'est apportée par le journal.
(3) Pour une approche claire et passionnante, au plus près du texte de Spinoza, on peut consulter L'introduction à l'Ethique de Pierre Macherey, publiée aux Puf en cinq volumes (1994-1999). Dans certaines notes de cet ouvrage, on trouvera d'utiles réflexions pour penser les problèmes de l'éducation.
A l'aune de la philosophie spinozienne, un certain nombre de sophismes des pédagogistes auront de bonnes chances d'être débusqués. Voilà trente ans en effet que l'éducation est la proie ou bien des utopistes, qui la soumettent à leurs idéologies, ou bien des opportunistes, qui la soumettent, aujourd'hui plus que jamais, à l'économie de marché. Il est temps de revenir à une approche sensée et concrète des problèmes d'éducation, qui met au coeur du système non pas l'élève mais ce que peut l'élève, ses capacités à apprendre et à persévérer.
(4) Parmi ces exercices, deux sont déjà " périmés " : le résumé et le sujet de réflexion (ce dernier vient de disparaître cette année du Brevet des Collèges). La dictée, la dissertation, voués eux aussi à disparaître, ne sont conservés que sous les pressions répétées des enseignants.
(5) Pour montrer comment les pédagogistes marchent sur la tête : la petite équipe venue cette année dans notre lycée pour nous présenter les nouveaux programmes de seconde a pris soin de bien nous expliquer que ceux-ci n'étaient pas élaborés en vue des nouvelles épreuves du baccalauréat de français (toujours pas définies!) mais plutôt dans la continuité de ce qui se fait au collège. Le but recherché est bien sûr d'obtenir des enseignants la poursuite au lycée, le plus longtemps possible, des exercices du collège (en français, par exemple, la pratique des sujets d'invention). Mais si l'éducation ne s'assigne aujourd'hui nul objectif, nul niveau de référence, comment va-t-on réussir à motiver les élèves et leurs professeurs ?
(6) Sur la question dogmatique en Occident, Fayard, 1999, p. 332.
(7) Ces paroles de découragement, de démission, on en trouvera quelques-unes dans les instructions officielles, qui ont échappé à la vigilance de leurs auteurs, mais surtout dans les réunions pédagogiques, les visites d'inspection, les cours en IUFM, etc. Dans un entretien au Figaro Magazine, Philippe Meirieu reconnaît ses erreurs : "Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électro-ménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j'estimais que c'était plus proche d'eux. Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle." (23/10/99)
Ce discours critique se double bien évidemment d'une liste de reproches adressés à l'enseignant : il n'a pas su donner le goût de la lecture à ses élèves, il n'est pas assez proche d'eux, il n'innove pas assez, étant encore attaché à des pratiques désuètes, il n'est pas assez présent dans son établissement, dans la cour de récréation, etc. Contrairement au premier, ce discours-là est rendu public.
(8) C'est pourtant à partir de déclarations d'élèves que travaillaient- ou prétendaient travailler- Philippe Meirieu et Claude Allègre (on se souvient du fameux questionnaire distribué dans les lycées)- ces déclarations venant en fait justifier après coup les réformes décidées au ministère.
(9) Non seulement on les laisse, mais on flatte et on encourage tout ce qui est de l'ordre du goût et de l'expérience personnelle, dans une société de consommation qui n'a que trop d'intérêt à stimuler les besoins et les désirs.
(10) "L'avantage de l'humanitaire, vous le connaissez : on se donne les gants de la Vertu à majuscule, on pleure sur la misère des jeunes ! Entendez : on se lave les mains du fond des choses. L'humanitaire, à l'égard des jeunes, n'est pas seulement un expédient, il est, au regard de l'éthique tant proclamée des droits de l'homme, une honte." (Pierre Legendre, op. cit., p.187).
(11) Là est la véritable tristesse, et il faut le marteler, face à des pédagogistes qui ne désignent par tristesse que le manque de plaisir...
(12) Op.cit., p.185.
(13) Une anecdote significative à ce sujet est rapportée par La Boétie : "Mais cette ruse de tyrans d'abêtir leurs sujets ne se peut pas connaître plus clairement que Cyrus fit envers les Lydiens, après qu'il se fut emparé de Sardis, la maîtresse ville de Lydie (...) : on lui apporta des nouvelles que les Sardains s'étaient révoltés ; il les eut bientôt réduit sous sa main ; mais, ne voulant pas ni mettre à sac une tant belle ville, ni être toujours en peine d'y tenir une armée pour la garder, il s'avisa d'un grand expédient pour s'en assurer : il y établit des bordeaux, des tavernes et jeux publics, et il fit publier une ordonnance que les habitants eussent à en faire état. Il se trouva si bien de cette garnison que jamais depuis contre les Lydiens il ne fallut tirer un coup d'épée. Ces pauvres et misérables gens s'amusèrent à inventer toutes sortes de jeux, si bien que les Latins en ont tiré leur mot, et que ce que nous appelons "passe-temps", ils l'appellent LUDI, comme s'ils voulaient dire LYDI." (Discours de la servitude volontaire, GF, p.155).

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