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La violence d'une réponse imposée, avec tout son arbitraire idéologique. Malgré les apparences, il y a donc bien une vérité à connaître, mais une " vérité " d'autant plus sournoise qu'elle ne se donne pas comme telle, qu'elle se niche dans les recoins du sujet. On la reconnaît cependant, pour l'avoir entendue chez les médias, chez les hommes politiques ou les chefs d'entreprise, " vérité révélée " qu'on attend donc du candidat sans le dire. C'est ce qui choque le plus dans les nouveaux sujets : cette violence d'une réponse toute trouvée...(56) Les sujets le plus nombreux, de ce point de vue, sont encore ceux sur le progrès. Après l'étude d'un article de Guy de Maupassant, platement positiviste, enthousiasmé par sa visite du Palais de l'industrie, on donne aux élèves le sujet suivant : " Le progrès scientifique et technique crée aussi des " merveilles " capables de faire rêver un poète d'aujourd'hui. Que pourrait répondre à Maupassant quelqu'un qui serait sensible aux éléments de " merveilleux " du monde moderne ? "(57) On impose donc sans détour au candidat la mode moderniste, en passant d'ailleurs une fois de plus par dessus le sens du texte, qui présentait pourtant poésie et modernité comme inconciliables : la poésie, le merveilleux étant pour Maupassant sinon l'irrationnel, du moins l'inconnu, ce que la science n'a pas encore défriché. Et les poètes sont apostrophés violemment comme autant d'illusionnistes : " Les hommes ne vous suivront plus, ô poètes. Nous n'avons plus la puissance de vous croire. Vos fables héroïques ne nous donnent plus d'illusions. (…) C'est fini, fini. Les choses ne parlent plus, ne chantent plus, elles ont des lois ! La source murmure simplement la quantité d'eau qu'elle débite ! " Mais l'auteur du Horla se reprend in extremis : " Eh bien, malgré moi, malgré mon vouloir et la joie de cette émancipation, tous ces voiles levés [sur la création] m'attristent. Il me semble qu'on a dépeuplé le monde. On a supprimé l'Invisible. Et tout me paraît muet, vide, abandonné ! " Quel sens peut présenter dans ces conditions un exercice qui affirme que le progrès est " encore capable de faire rêver un poète d'aujourd'hui " ? Voilà que l'on redécouvre soudain les joies de la dialectique, mais justement la mauvaise, la dialectique grise, pure rhétorique bien huilée. Comment peut-on demander de " renchanter " le monde ainsi, artificiellement, plutôt que de tirer les conséquences du malaise ? par quel coup de baguette magique ? Autre exemple : " A votre choix, vous justifierez, vous réfuterez ou vous discuterez le point de vue de Giono sur le progrès. " (58) Et voici le début du texte de Giono, extrait de La chasse au bonheur, qu'il est donc possible, selon l'inspection générale, de réfuter : " Il est évident que nous changeons d'époque. Nous avons un héritage, laissé par la nature et par nos ancêtres. (…) Le passé ne peut pas être entièrement aboli sans assécher de façon inhumaine tout avenir. Les choses se transforment sous nos yeux avec une extraordinaire vitesse. Et on ne peut pas toujours prétendre que cette transformation soit un progrès. (…) On a tellement foi dans la science (qui elle-même n'a foi en rien, même pas en elle-même), qu'on rejette avec un dégoût qu'on ne va pas tarder à payer très cher tout ce qui, jusqu'ici, faisait le bonheur des hommes. " Décidément, il n'est pas de bon goût de critiquer un tant soit peu le progrès de nos jours. Jamais les textes des sujets de bac, souvent riches et instructifs, ne sont utilisés pour être simplement étayés ou discutés : au mieux le choix est laissé de condamner ou de souscrire, au pire la dénonciation est imposée… Pourquoi ? C'est que l'opinion des nouveaux idéologues est faite. Ce ne sont pas quelques textes, " littéraires ", anciens de surcroît, qui vont les faire changer d'avis. La preuve, ce serait plutôt un cours d'économie, ou cet extrait du Livre blanc sur l'éducation et la formation piloté par Edith Cresson à Bruxelles, autrement plus " rationnel " : " Au lieu de célébrer le progrès comme au siècle dernier, l'opinion publique perçoit souvent l'entreprise scientifique et le progrès technologique comme une menace. La montée du sentiment d'insécurité est une donnée majeure de cette fin de siècle. Et paradoxalement, alors que les progrès de la science sont considérables (…), se développe vis à vis du progrès une peur qui n'est pas sans rappeler le décalage entre progrès et conscience collective qui a déjà existé lors du passage du Moyen Age à la Renaissance. Le contexte de la médiatisation, donnant du monde une vision mouvante et violente, contribue à renforcer ces inquiétudes. Face à cette crise, une meilleure information, indispensable, ne suffit plus. C'est par la diffusion de la connaissance que ce climat irrationnel disparaîtra. C'est en montrant le lien entre science et progrès humain, en ayant conscience de ses limites que la civilisation scientifique et technique sera acceptée et que pourra mieux se diffuser une culture de l'innovation. "(59) Tel est le préjugé éternel de ceux qui gouvernent : le peuple est comme un enfant, fatalement irrationnel, il ne sait pas ce qui est bon pour lui. Et comme il ne peut pas comprendre, il faut le persuader, ou, comme le dit le jargon de Bruxelles, " diffuser la connaissance ". Dans un tel contexte, la figure du " bon sauvage " donne lieu à quelques jolis sujets, on s'en doute... Après un extrait de Dialogue avec un sauvage, où l'auteur, le baron de La Hontan, se met en scène discutant avec un Huron, Adario, on demande : " Rédigez en deux paragraphes une réponse de La Hontan, dans laquelle il développera deux arguments prouvant que lui aussi peut se dire libre. "(60) Certes, on conviendra que la liberté qu'offrent les sociétés modernes est défendable, et qu'en unissant leurs efforts les hommes parviennent à bâtir des formes de liberté plus complexes, plus larges, qui peuvent être désirables. Mais c'est d'une maladresse insigne, politiquement, moralement, d'en empêcher la critique. C'est d'une singulière violence pour un élève qui aurait des griefs à son égard, à quelque titre que ce soit, sans rien dire de la zone géographique où ce sujet a été donné, l'Amérique du Nord, où il y aurait peut-être mieux à faire que de " civiliser " une deuxième fois de force les indigènes... C'est enfin un effarant contresens de forcer l'élève à faire l'éloge de la civilisation européenne suite à un texte qui cherche à rappeler la violence des rapports hiérarchiques (" tu dépends de mille gens que les emplois ont mis au dessus de toi "), la permanence de l'injustice dans les sociétés occidentales (" il est faux que le mot de lois signifie parmi vous les choses justes et raisonnables, puisque les riches s'en moquent et qu'il n'y a que les malheureux qui les suivent ") et qui remet en cause leur fondement, l'argent (" pourquoi n'avons-nous pas de procès ? C'est parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l'argent ")... Il faut probablement supposer que ceux qui ont imaginé un tel travail d'écriture ne souffrent ni de leur hiérarchie, ni des lois, ni du pouvoir de l'argent... Il est pourtant malheureux qu'ils ne se soient pas davantage inspirés de la liberté telle qu'Adario la conçoit, la ressaisit : " Il y a cinquante ans que les gouverneurs du Canada prétendent que nous soyons sous les lois de leur grand capitaine. Nous nous contentons de nier notre dépendance de tout autre que du grand Esprit. Nous sommes nés libres et frère unis, aussi grands maîtres les uns que les autres ". Autre " sauvage ", autre refus d'en écouter l'expérience : après un extrait de Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier, Robinson choisit de ne pas rejoindre la civilisation, qu'il redécouvre après 28 ans à travers l'équipage du bateau qui vient lui porter secours. " Imaginez-vous dans la situation de Robinson, demande le sujet : vous prenez la décision inverse de la sienne, et vous la justifiez en présentant vos arguments. "(61) Qu'ajouter ? Le candidat est obligé de monter sur le navire… Devant une telle impudence, on hésite à en dire le mépris. Ce choix, c'est la négation même de l'œuvre de Tournier, de son sens, la négation de la liberté de l'élève aussi, à qui on interdit de faire le choix mûri par Robinson : l'élève doit jouer le jeune sauvage étourdi par la civilisation plutôt que l'occidental lassé par celle-ci ! Sans parler, là encore, de l'idée de proposer ce sujet à des élèves des Antilles… Que savent donc de la jeunesse les concepteurs des sujets pour leur imposer de telles " décisions " ? La jeunesse n'est pas forcément folle, irresponsable, en proie aux premières bêtises venues, et lui renvoyer ce miroir, ce n'est pas lui rendre service. Aussi la publicité ne pouvait-elle pas épargner le baccalauréat : " Promoteur à Cannes d'un ensemble immobilier au bord de l'eau, vous rédigez un texte publicitaire en vous efforçant de répondre aux questions posées dans le 5e paragraphe " (c'est à dire sur les ravages du tourisme de masse)…(62) Et quand il ne s'agit pas de chanter les louanges du modèle consensuel, l'alternative est pour le moins étrange : " En 1965, Perec écrivait : " Ceux qui ne veulent que vivre et qui appellent vie la liberté la plus grande […], ceux-là seront toujours malheureux. " Etes-vous de ceux qui préfèrent profiter de la vie tout de suite, ou de ceux qui veulent d'abord gagner de l'argent ? "(63) Et… si ce n'est ni l'un ni l'autre ? Inutile de dire que Perec ne présentait pas ainsi l'alternative. Bien plus que " profiter de la vie tout de suite ", il évoquait le refus d'une fuite en avant dans les engagements sociaux (et pas seulement économiques)… Voilà donc comment il est possible de relire Georges Perec à l'aune du Cercle des poètes disparus… Les sujets relevant d'un même arbitraire sont nombreux, qui présentent ainsi, plus ou moins explicitement, la réponse attendue : " Face à la progression de la langue anglaise dans divers domaines : politique, technique, scientifique, culturel…, pensez-vous que la langue française ait encore un rôle à jouer dans le monde d'aujourd'hui ou qu'elle soit condamnée à subir le sort du grec au début de notre ère ? "(64) N'y a-t-il pas, là aussi, une grande violence dans la comparaison imposée, même si le sujet ne s'adresse pas à des français de métropole ? Quel intérêt ce sujet peut-il présenter, sinon de préparer les élèves à accepter l'idée, à l'intérioriser, que le français est devenu une langue secondaire ? On ne peut s'empêcher de comparer ce sujet aux propos de M. Jospin, grand stratège de la résistance tranquille, et de M. Lang, rompu aux exhortations de pure façade : " Si le français n'est plus une langue de pouvoir, il peut être une langue de contre-pouvoir " a lancé récemment le Premier ministre ; il doit constituer " une résistance à l'uniformité du monde ". Et Jack Lang, mandaté pour faire oublier Claude Allègre, d'ajouter, avec des termes plus offensifs : le gouvernement est " plus que jamais décidé à mener la bataille pour la culture et la langue française " ; et il a exhorté une fois de plus les enseignants à être " les militants, les soldats et les missionnaires du français. "(65) Mais mieux encore, trois ans plus tôt, Claude Allègre déclarait avec cette sincérité désarmante qui est sa marque : " Les Français doivent cesser de considérer l'anglais comme une langue étrangère. "(66) Bref, entre un français conquérant et une langue bientôt morte, le gouvernement hésite… mais pour combien de temps ? Il se révèle incapable, là encore, de cerner l'origine du mal, qui n'est pas l'hégémonie de l'anglais ou la mondialisation, mais l'impérialisme américain, son idéologie néolibérale, véritables rouleaux compresseurs lancés contre les cultures et les identités nationales. La contre-offensive n'est donc pas prête d'arriver ! Vers une nouvelle utopie, le retour de l'idéologie officielle. La nature explicitement utopique, idéologique des sujets du bac est donc patente. Mais le plus bel exemple est peut-être celui-ci, qui fait suite à un article de Camus où il est question de la victoire des idéologies, de ces abstractions qui aveuglent : " " Notre XXe siècle est le siècle de la peur ", écrit Camus. Et pour vous, le XXIe siècle sera le siècle de… ? "(67) Est-il possible de faire plus explicitement idéologique ? On demande ici, très exactement, d'imaginer une utopie, de donner dans le fantasme, c'est à dire de faire ce que Camus dénonce ! Certes, Camus regrettait aussi la privation d'avenir, l'absence d'une " promesse de mûrissement et de progrès ", certes " vivre contre un mur, c'est la vie des chiens ", mais si la situation a changé, ce n'est qu'en apparence : la logique de la guerre économique a succédé à la guerre froide, et beaucoup d'hommes continuent de vivre " contre un mur ", peut-être même davantage en cette époque d'euphorie communicante et économique, de prétendue " mondialisation " où les profits du progrès technique sont si mal répartis et où la protection sociale recule. Dans ces conditions, plutôt qu'inviter à renverser l'argumentation de Camus, ne serait-il pas davantage profitable, là encore, d'écouter ses propos : " Nous vivons dans la terreur parce que [convaincre] n'est plus possible, parce que l'homme a été livré tout entier à l'histoire(68) et qu'il ne peut plus se tourner vers cette part de lui-même, aussi vraie que la part historique, et qu'il retrouve devant la beauté du monde et des visages ; parce que nous vivons dans le monde de l'abstraction, celui des bureaux et des machines, des idées absolues et du messianisme sans nuances. Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leur machine ou dans leurs idées. (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n'est pas un climat favorable à la réflexion. Je suis d'avis, cependant, au lieu de blâmer cette peur, de la considérer comme un des premiers éléments de la situation et d'essayer d'y remédier. Il n'y a rien de plus important. " Nous n'en sommes pas près, pourtant. Toutes ces accusations d'archaïsme, de lâcheté, de conservatisme qui fusent aujourd'hui, que font-elles sinon imposer une nouvelle terreur, empêcher de penser ? Je crains que le XXIe siècle ne soit celui de la peur, lui aussi. Mais ce n'est pas la bonne réponse. " Que sera le XXIe siècle ? " nous demande-t-on ? Eh bien, il existe des corrigés ! Il suffit d'aller chercher du côté de l'OCDE, de l'ERT, ou de la Commission européenne, avec leurs rapports, ou bien encore d'Allègre, avec sa charte du XXIe siècle. Entre autres projets, l'ancien Ministre de l'Education nationale a en effet déclaré : " Nous allons vendre notre savoir-faire à l'étranger, et nous nous sommes fixés un objectif de deux milliards de chiffres d'affaires en trois ans. Je suis convaincu qu'il s'agit là du grand marché du XXIe siècle. "(69) Le XXIe sera donc… le siècle du profit ! Mieux encore, les propos échangés par 500 hommes politiques, économistes et scientifiques de première importance, en septembre 1995 à l'Hôtel Fairmont de San Francisco, sous l'égide de la fondation Gorbatchev : " Dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité mondiale. " Pour occuper les autres, il faudrait leur proposer un " cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète " expose Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Carter et fondateur de la Trilatérale…(70) Ou cette autre " utopie ", complémentaire, destinée à rationaliser la formation du XXIe siècle : " Dans certains pays, poursuit un rapport de l'OCDE, il semble que les enseignants encourent réellement le risque d'être les laissés-pour-compte dans le développement du marché des technologies de l'information " - puisque l'enseignement se fera à distance, avec des économies d'échelle, rappelez-vous les propos d'Allègre… Mais l'Etat ne sera pas en reste : il s'occupera d'assurer " l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont progresser. "(71) Belle utopie : ne conserver qu'un service public minimum, un filet de sauvetage, non pour aider les pauvres mais pour empêcher qu'ils tombent dans la délinquance à grande échelle… Ce " devenir ZEP " de toute l'Education nationale ne peut qu'inquiéter quand on voit les orientations qui sont d'ores et déjà données aux programmes, la réduction des horaires consacrées aux disciplines, l'avenir du baccalauréat lui-même et le développement de l'" éducation à la citoyenneté "… Le projet est habile. Tout est prévu pour faire des économies, sans aucune autre considération : " On peut réduire les crédits de fonctionnement aux écoles et aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves et d'étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement. L'école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans un établissement voisin, de telle façon qu'on évite un mécontentement général de la population. "(72) Dans ces conditions, le sujet suivant est cohérent : " Réfutez la thèse de François de Closets selon laquelle " on attend du progrès ce qu'il peut nous donner : des commodités et rien de plus ". "(73) A un texte qui cherche à convaincre du bonheur d'apprendre (c'est le titre du livre), où l'on affirme qu'apprendre " c'est un effort ", " un enrichissement ", " une aventure ", " une initiation ", " un art de vivre ", où l'on nous présente l'apprentissage comme une résistance à la mode, à un " monde hypnotique " et à ses " plaisirs mercantiles ", on demande de répondre par… un éloge immodéré du progrès. Voilà qui est clair : nous devons désormais former les élèves à n'être que les chiens de garde de la propagande officielle. Après un extrait de Un port à l'aube de chaque lundi, de Jean-François Duval, on donne le sujet suivant : " L'auteur considère que le temps de la semaine est un temps sacrifié à la société. Qu'en pensez-vous ? "(74) On invite donc ici à approuver éventuellement, mais aussi à nuancer ou critiquer un texte déjà bien peu polémique, qui n'attaque nullement la valeur du travail, mais qui rappelle simplement, avec finesse, ce que le jeu social a d'aliénant, et qui présente le dimanche comme le lieu d'une " régression positive ". Comment dépasser une telle position, sauf à jouer au jeune cadre dynamique avant l'heure, épanoui dans son travail et refusant les 35 heures ? La question est troublante. De là à penser que l'on pourrait accepter du candidat un plaidoyer pour le travail le dimanche, il n'y a qu'un pas… Il faut dire, le dimanche dans ce texte présente tout de même des caractéristiques inquiétantes pour un libéral : " Dimanche nous rassemble et nous ressource ", il permet de vérifier et de resserrer " son appartenance à une famille, à une Eglise (…), bref, sa place dans la société et dans l'univers ", c'est de toutes les journées " la plus enracinée dans le passé " ; enfin " c'est un jour spirituel, où il y a soudain plus de place, plus d'espace pour la multitude des dimensions qui nous habitent - que la semaine souvent atrophie ". Dieu que dimanche est archaïque ! Autre sujet encore : " En essayant d'adopter le ton de l'auteur, vous répondrez à Philippe Val en rédigeant un article argumenté sur la place et le rôle de l'informatique à l'école. "(75) Est-il utile de préciser que l'éditorialiste de Charlie Hebdo ne sert ici que de faire-valoir à ne surtout pas considérer sérieusement ? Il s'agit donc de contester les propos de Philippe Val alors que les prémisses de son discours sont occultées, et qu'il défend au sein de l'institution scolaire le primat du savoir, de l'échange personnel, humain, sur… la communication. Le sujet proposé aux candidats est donc bel et bien odieux : c'est non seulement un contresens total sur le texte de Val (qui ne faisait que relativiser l'importance des nouvelles technologies, et non les condamner), mais aussi une véritable insulte au corps enseignant, que l'on demande aux élèves d'étayer, de développer en plein devoir de baccalauréat ! Pauvres candidats, sommés de choisir entre l'ordure et la flatterie… Mais là encore, ce n'est que la conséquence de la politique en cours, de l'idéologie exprimée par la Commission européenne et sa tête pensante, l'ERT : " La clé de la compétitivité de l'Europe réside dans la capacité de sa force de travail à relever sans cesse ses niveaux de connaissance et de compétence. Dès lors, la responsabilité de la formation doit en définitive être assumée par l'industrie. Le monde de l'éducation semble ne pas bien percevoir le profil des collaborateurs nécessaire à l'industrie. L'éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique. Les gouvernements nationaux devraient envisager l'éducation comme un processus s'étendant du berceau au tombeau. L'éducation vise à apprendre, non à recevoir un enseignement. Nous n'avons pas de temps à perdre. La pression concurrentielle intense requerra de nouveaux talents. Nous lançons un cri d'alarme. Les systèmes d'éducation ne s'adaptent pas assez vite à la révolution technologique. La réforme des systèmes d'éducation devrait bénéficier d'une priorité politique. L'enseignement à distance élimine les inconvénients de l'absence au travail et des déplacements. Les méthodes et outils d'éducation devraient être modernisés, particulièrement pour encourager l'auto-apprentissage. Chaque élève devrait à terme disposer de son propre ordinateur. "(76) Finis donc la convivialité de l'échange prof-élève, la gratuité de l'enseignement, le droit à des congés de formation… La Table ronde européenne, et à sa suite la Commission européenne qui traduit très vite ses désirs en ordres, en ont décidé ainsi. Ils s'inspirent en cela des projets de la Banque mondiale, de l'OMC, de l'OCDE, qui sont exactement sur la même ligne. Il faut donc comprendre que l'insolence d'un éditorialiste satirique ait de quoi agacer… Car l'école, c'est le lieu d'une oppression, tout le monde le sait : tout le monde a déjà rencontré un prof qui ne lui a pas plu. L'école, c'est le lieu d'une persécution dont il convient de se débarrasser. Seuls d'incroyables réactionnaires peuvent prétendre autre chose. N'est-ce pas d'ailleurs ce que suggère Zola lui-même ? Après un extrait de Germinal où Etienne dénonce " cette tyrannie du capital " qui affame le travailleur, l'énoncé du travail d'écriture interroge : " En quoi l'argumentation d'Etienne porte-t-elle la marque de son époque et en quoi peut-elle parler au lecteur que vous êtes ? "(77) Que s'agit-il de faire écrire au candidat ? Que l'on ne meurt plus de faim aujourd'hui ? Mais surtout, quel sens peut avoir une telle réflexion pour un élève interpellé avec son expérience ? " Le salariat est la nouvelle forme de l'esclavage, conclut Etienne dans l'extrait. La mine doit être au mineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre est au paysan… Entendez-vous ! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l'avez payée de tant de sang et de misère ! " Et si c'était la scolarité, la nouvelle forme de l'esclavage ? L'école n'appartient-elle pas à l'élève, lui qui y souffre depuis plus d'un siècle ? N'est-ce pas ce que l'on veut faire dire au candidat ? N'y a-t-il pas là, en creux, l'idée que les élèves vont à l'école comme à la mine, qu'on les envoie littéralement au charbon ? Insoutenable audace d'une telle proposition. N'y a-t-il pas là le projet presque littéral de déscolariser l'école ? Devant ce type d'idée, les esprits prudents ferment les yeux, ne veulent pas voir, ne veulent pas croire que cela est possible. Cela est, pourtant.(78) Qu'on se donne la peine de relire les propos d'Etienne et l'énoncé du sujet donné. Tout est cohérent. En revanche, voici de " bons " sujets, ceux d'une école qui serait redevenue " normale ". Ils sont tirés du brevet des collège, mais leur arrivée au bac, via le sujet d'invention, ne saurait tarder. Par exemple, ce sujet de brevet désormais fameux : " Chaque époque a ses objets à la mode. A l'heure actuelle, il y a, en France, plus de dix millions d'utilisateurs de téléphones portables. En vous appuyant sur des exemples précis, expliquez quels sont, d'après vous, les avantages et les inconvénients d'un tel objet. "(79) Comment n'y avoir pas pensé plus tôt : utiliser les examens pour faire rentrer dans la norme certains usages, certains objets, pour déverser les arguments d'autorité de la publicité. Dix millions de français ont déjà choisi le portable, pourquoi pas vous ? A la sortie de l'épreuve, l'argumentaire est prêt : il ne reste plus qu'à le présenter à maman. Il faut croire que les grands opérateurs de téléphonie n'avaient pas encore suffisamment pénétré le marché des 14-15 ans… " Tu vois maman, on en parle même au brevet ! Pourquoi je n'en ai pas, moi ? " Sans parler de tous ces élèves, notamment de milieu modeste, qui ont cru bon d'établir un comparatif des différents forfaits, et transformer la question en éloge de cet instrument de survie… Grâce à Bouygues, SFR ou Itinéris, j'ai eu une bonne note. Le consumérisme, omniprésent, est érigé au rang de nouvelle valeur. Après un texte de Pascal Bruckner, on donne le sujet de rédaction suivant : " La boîte à bisous est une invention de l'auteur… Rédigez le mode d'emploi d'une " boîte à rêves ", ou d'une " boîte à voyages ", ou d'une " boîte à couleurs ", que vous inventerez. Dans la première partie, vous la présenterez de manière à donner envie de l'acheter. Dans la deuxième partie, vous écrirez le mode d'emploi de la machine choisie (…) ".(80) Sous couvert de poésie, c'est atroce : on achète les baisers, les rêves, l'imagination… C'est d'ailleurs le motif d'une publicité pour une chaîne d'alimentation et de vêtements à la rentrée 2000, qui essayait de faire croire qu'en achetant des produits chez eux, on achetait des baisers… Au moins, les sujets des examens auront servi à quelqu'un. Et pour l'élève dépourvu d'idées, l'extrait donne le ton. Le marchand déclare au père : " J'ai là tout ce qu'il vous faut. Finies les corvées de câlins, de tendresse, l'obligation pénible de poser ses lèvres sur des joues ou sur d'autres lèvres. Dès que bébé réclame de l'attention, hop ! un bisou sur le nez. Vous calculez l'angle, et le baiser tombe exactement où vous le souhaitez, à quelques millimètres près. Pareillement avec votre femme. Si elle vous demande : Tu m'aimes ? plus besoin de vous déranger ni même de répondre : vous appuyez sur le bouton, le baiser est aussitôt livré. " Inutile de dire que l'extrait ne s'achève pas sur une déconvenue du père : celui-ci paye, cher évidemment, et sa fille finit par se porter mieux… Les autres sujets ne sont pas très différents : " Les adultes ne prennent pas Gavroche au sérieux, à cause de son jeune âge. Imaginez une situation comparable, dans laquelle un enfant essaie de convaincre un adulte qu'il peut lui faire confiance. "(81) Un extrait du Blé en herbe de Colette, où une jeune fille de 15 ans sage et timide discute avec un lycéen impatient d'être grand, s'achève par l'agacement de celle-ci : " [Tu parles] comme un enfant ! Qu'est-ce que tu espères donc, mon pauvre petit, avec ton impatience ? " ; et le sujet de demander : " Imaginez la réponse de Philippe à la dernière question de Vinca. "(82) Dans les deux cas, on demande à l'élève de s'identifier à un adolescent avide d'être " pris au sérieux ", malgré l'immaturité parfois, motif commercial s'il en est. L'enfant est roi, comme le client. Et en effet, si les jeunes sont à ce point courtisés aujourd'hui, c'est qu'on a découvert en eux un énorme marché : il faut donc leur donner confiance en eux, leur faire croire qu'ils sont majeurs plus tôt, qu'ils peuvent " s'assumer ", décider à la place de leurs parents, pour qu'ils puissent ensuite se sentir autorisés à faire pression sur eux, exiger toujours plus. Les sujets du brevet l'ont bien compris et se conforment aux désirs des fabricants de chaussures de sport, de vêtements, de jeux vidéos… Une question se pose alors : qui contrôle l'école ? Qui l'a autorisée à délivrer de tels messages, et au nom de quoi ? Plus explicite encore : " Réfutez le point de vue de Montherlant lorsqu'il condamne le mot d'ordre " Il faut être de son époque ". "(83) Voilà le nouvel impératif catégorique qui tient lieu de ligne de conduite à nos nouveaux censeurs. Et ce, malgré un texte où l'auteur précise : " Je réponds seulement : Au nom de quoi cet impératif ? Soyez " de votre époque " si c'est là votre goût. Mais n'en faîtes pas un impératif, car, au jugement de la raison, comme au jugement de la morale, cela n'est pas soutenable. " Et de le démontrer… Ce texte tout entier devrait être lu à toutes les classes de France et de Navarre comme antidote, même s'il date de 1941, car justement, aujourd'hui, s'il est une mode bien répandue et bien dangereuse, c'est de galvauder la notion même de résistance. " Notre temps est peu propice aux prédictions, conclut Montherlant. Mais il est une prédiction que je fais sans hésiter. Aux écrivains qui ont trop donné, depuis quelques mois, à l'actualité, je prédis, pour cette partie de leur œuvre, l'oubli le plus total. Les journaux, les revues d'aujourd'hui, quand je les ouvre, j'entends rouler sur eux l'indifférence de l'avenir, comme on entend le bruit de la mer quand on porte à l'oreille certains coquillages. " Enfin, plus inattendu encore, le patriotisme semble revenir, jusque dans les sujets du bac : " Expliquez et justifiez dans un développement argumenté et illustré d'exemples les propos d'Andromaque quand elle dit : " On meurt toujours dans son pays ! Quand on a vécu en lui digne, actif, sage, c'est pour lui aussi qu'on meurt. " "(84) Le candidat est sommé de justifier le sentiment patriotique en temps de paix, de lui donner forme et contenu ! La méthode est habile : sous couvert de dénoncer la guerre, le patriotisme n'est pas mis en question. Et pourtant, le texte de Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu, date de 1935… Une telle problématique à cette époque là ne peut être neutre, mais rien dans le sujet ne se réfère au contexte : pour bien répondre, l'élève doit simplement montrer comment, aujourd'hui encore, on peut être patriote hors des champs d'honneur, il doit l'expliquer et le justifier… A tout hasard, fallait-il répondre qu'on peut être digne de son pays en défendant les entreprises nationales ? en achetant français, ou en se tuant au travail ? en faisant taire les conservateurs archaïques qui entravent les forces vives de la France ? On n'ose imaginer les autres réponses… Quelle école pour nos enfants ? Un sujet de bac ne saurait être un sujet comme les autres. Le devoir qu'on y rend est beaucoup plus important, il occupe l'esprit beaucoup plus longtemps, une vie parfois, à cause de la tension que provoque l'épreuve, mais aussi parce que, dans la plupart des cas, on ne revoit pas la copie, on ne sait pas pourquoi on a réussi ou échoué, ni même si cela est parfaitement justifié. Ce n'est pas forcément néfaste, cela peut même être instructif et formateur, mais cela doit inciter à une vigilance accrue : une sélection sévère des sujets, une réflexion approfondie sur leur impact, et une notation encore plus scrupuleuse sont de rigueur. Voilà qui a toutes sortes de conséquences, dont celle-ci : plus les sujets sont étudiés attentivement, plus ils sont riches, plus le correcteur peut faire jouer des critères de notations et affiner la note ; plus les sujets sont pauvres et bâclés, plus les critères de notation se réduisent, plus le risque d'injustice est grand, et plus l'institution peut manipuler élèves et professeurs : monter les uns contre les autres, trafiquer les résultats... A quel correcteur d'examen n'a-t-on pas imposé des consignes de clémence ces dernières années, pour un énoncé mal formulé par exemple, au motif - évident - que l'élève n'y est pour rien ? La baisse généralisée des exigences qui apparaît dans les nouveaux sujets ne semble pas avoir d'autre raison : permettre par tous les moyens une notation plus lâche, plus vague, pour augmenter les résultats sans efforts et encore doper les statistiques, au détriment de tous sauf peut-être de quelques industriels et politiques qui pourront prétendre à une nouvelle " hausse " du niveau, une meilleure " démocratisation " de l'école... Mais personne ne s'inquiète, par exemple, du risque de déplacer les critères d'évaluation. Il est déjà admis qu'on n'évalue pas seulement l'acquisition des savoirs, mais aussi des savoir-faire. Avec ces nouveaux sujets de bac, et la promotion du sujet d'invention, on va plus loin : on se met de plus en plus à évaluer le " savoir-être " des candidats, par élimination de tout autre savoir. Inutile de dire que cette mode inspirée du management anglo-saxon pose de gros problèmes de respect de la vie privée et de liberté de conscience de l'individu. (85) Les sujets du bac semblent ainsi se rapprocher de plus en plus de ces questionnaires des directions de " ressources humaines " où l'on n'impose certes pas un comportement mais où l'on engage l'employé ou le postulant à répondre ce qu'on attend de lui, ce qui est beaucoup plus manipulateur et permet de contraindre beaucoup plus efficacement, beaucoup plus insidieusement, tout en conservant les apparences de la liberté. C'est cette servitude préparée, imposée sans heurts, qui révolte le plus. Comme l'écrivent Sandrine Garcia et Franck Poupeau, " ceux qui enseignent en premier cycle à l'université dans les filières les moins sélectives savent qu'un nombre croissant d'élèves devenus étudiants peut se retrouver à la fois titulaire d'un baccalauréat et en situation d'échec scolaire. C'est là une des violences exercées sur les milieux populaires par ceux qui définissent les finalités de l'école (…) : on leur donne accès à quelque chose dont on transforme la valeur, et on masque cette transformation en agissant sur les seuls indicateurs officiels disponibles : notes, accès à un " niveau ", taux de redoublement, etc. Au bout du compte, les élèves dont le comportement rend difficile l'appropriation collective des savoirs comprennent souvent qu'il s'agit moins pour eux d'acquérir des connaissances scolaires que de rester à l'école. (…) La force de cette politique est de rendre improbable la révolte de ceux qui apparaissent comme " bénéficiaires " de cette déscolarisation larvée de l'école. "(86) Face à cette politique du lycée " lieu de vie ", le baccalauréat ne pèse plus lourd. Et quand à force d'en doper encore les résultats, il n'aura plus de sens du tout, quand les élèves l'auront compris, quand les sujets seront devenus parfaitement inévaluables, il sera facile de le supprimer, de le transformer en contrôle continu - lui qui fait obstacle au développement de l'enseignement privé (c'est encore un diplôme d'Etat, il prive les établissements privés de leurs propres diplômes), lui qui coûte si cher aussi, et tout cela pour maintenir quelques " fictions " archaïques : l'anonymat, la gratuité et le caractère national du diplôme, qui seuls pourtant peuvent garantir l'égalité des chances des candidats, comme des établissements... Même s'il n'est pas encore explicite dans la bouche des dirigeants de l'Education nationale, ce projet de la Commission européenne se devine sous toutes les réformes du lycée et du collège. Jack Lang a certes annoncé que les nouveaux programmes avaient " pour conséquence immédiate le maintien de l'organisation actuelle du baccalauréat pour la session 2002. " Mais… " au printemps 2001, je ferai connaître l'organisation du baccalauréat pour la session 2003. " Le bac ne sera donc pas " modifié " avant les élections… Et le ministre d'ajouter : " Je prendrai le temps de la réflexion et de la concertation pour adapter à la nouvelle organisation des études au lycée ce que j'ai autrefois comparé à " un monument historique " qu'il convenait de " considérer avec respect ". " Il y a des baisers qui tuent… Comparer le bac à un " monument ", aussi " respectable " soit-il, c'est l'enterrer, lui faire une oraison funèbre… Et en effet, Jack Lang conclut : " rien ne devrait faire obstacle au nécessaire rajeunissement du baccalauréat, premier grade universitaire. "(87) On sait comment le septennat a été " rajeuni "… Jolie mode que celle du " rajeunissement ", du " raccourcissement ", pour toujours aller " plus vite " : si ça ne ressemble pas à du discours libéral… Sur cette question du baccalauréat, Marc Baconnet, doyen de l'inspection générale de Lettres, avait déjà précisé : " Il faut attendre, en ce qui concerne les problèmes d'évaluation. Ils ont été souvent posés (…), et posent une vraie question. Je disais tout à l'heure : pourquoi vouloir toujours évaluer ? Je le maintiens. Cela dit, il faut revoir les structures et les types de l'évaluation. (…) Il est évident qu'on ne pourra pas éternellement différer l'introduction d'un type d'évaluation en cours de formation. N'insistons pas, on ne peut guère aller plus loin pour l'instant. "(88) Mais pourquoi est-ce " évident " ? Cela n'est jamais dit, mais tout le monde comprend : parce que le bac est un " monument ", justement...(89) En effet, on constate que le projet est bien avancé : des exercices et des travaux toujours plus inévaluables sont introduits dans le secondaire. Supprimer le bac, n'est-ce pas la meilleure façon de résoudre le " problème " de l'évaluation ? Jules Ferry lui-même agissait de la sorte : pour changer les structures, il changeait d'abord les programmes… Tout cela pose le problème de l'école que l'on souhaite. Quand on lit la prose de nos réformateurs fous, on constate que la référence constante est l'école de la IIIe République, que ce soit pour la copier ou la dénoncer - souvent les deux à la fois. Alain Boissinot rappelle par exemple que " dans les années 1880, autour de Lanson, un enseignement organisé autour de l'histoire littéraire s'est construit contre la tradition rhétorique, avec - il vaut la peine d'y insister - des raisons qui sont exactement les mêmes que celles au nom desquelles nous faisons aujourd'hui le déplacement inverse. Le raisonnement de Lanson, c'est que, les lycées de son temps étant envahis par un public qui autrefois n'y avait pas accès, qui n'avait pas les compétences culturelles permettant de pratiquer la rhétorique, etc., il fallait imaginer un enseignement plus explicite dans ses méthodes, plus scientifique dans ses démarches. C'est ainsi qu'il se tourne, le contexte scientiste aidant, vers l'histoire littéraire… Dans les années 1970, et pour répondre aux vagues de massification que j'évoquais tout à l'heure, se développe l'argumentation exactement inverse - nous sommes ici quelques-uns à l'avoir naguère tenue vigoureusement. C'est-à-dire : " Nos lycées sont envahis par un public nouveau, on ne peut plus fonctionner sur le mode de la connivence culturelle, on ne peut se contenter de paraphraser le Lagarde et Michard et de faire de l'histoire littéraire. Il faut se tourner vers des savoirs scientifiques plus solides. " Et comme on est dans les années 1970, on se tourne vers la linguistique, le structuralisme, etc., et on développe une approche des discours qui tente, à une date plus récente, de renouer avec la vieille tradition rhétorique, ce qui, évidemment, assure un gain de légitimité considérable puisqu'elle permet de bénéficier à la fois de l'autorité de Jakobson et de celle de Quintilien, conjonction qui, dans notre discipline, définit une position peut-être quelquefois un peu complexe sur le plan théorique, mais institutionnellement et stratégiquement forte… ! "(90) Voilà qui est intéressant : au nom d'un " nouveau public ", on peut donc aboutir à des politiques opposées… On sent Alain Boissinot gêné : il défend l'idée d'une réconciliation entre les deux tendances, mais avec la linguistique de l'énonciation, la pragmatique, et le renouveau autoproclamé de l'argumentation (même si c'est " un peu complexe sur le plan théorique "), on ne perçoit dans les faits que la défense de la tendance de 1970… D'ailleurs, la référence au Lagarde et Michard en moins, c'est l'exact discours du GTD de Lettres que décrit Alain Boissinot : " Nos lycées sont envahis par un public nouveau, on ne peut plus fonctionner sur le mode de la connivence culturelle, on ne peut se contenter de paraphraser le Lagarde et Michard et de faire de l'histoire littéraire. Il faut se tourner vers des savoirs scientifiques plus solides ". Bien malgré lui, il montre donc que nous ne sommes pas sortis de ce rapport de symétrie avec l'école de la IIIe République, que les deux conceptions de l'enseignement des Lettres donnent toutes deux dans la mode, et que leur ambition, leurs démarches ne sont pas si différentes. Au sein du GTD, André Petitjean affirme d'ailleurs : " Dans les années 1960-1970, l'enseignement de la littérature, institué contre la rhétorique à la fin du XIXe siècle, mais qui s'est routinisé dans l'intervalle, va connaître une double crise. (…) Cette nouvelle crise, encore une fois, inaugurée dans les années 1970, n'a pas cessé depuis. "(91) Voilà qui est encore plus clair : au nom de 1968 (la référence aux dates est constante), il s'agit de mettre à bas l'école des 30 glorieuses, qui avait pourtant réussi une certaine mixité sociale, et de… réhabiliter la rhétorique enseignée au XIXe ! Voilà le type de tour de force que réussit le GTD assez fréquemment. Plus étrange encore, Alain Viala ne craint pas de revendiquer, paradoxalement puisqu'il s'en défend en même temps, l'héritage de la IIIe République. Il affirme qu'il y a dans notre système éducatif " des sources de contradictions sur lesquelles il faudra se pencher. Peut-être, pour les comprendre, ne faut-il pas situer les lycéens d'aujourd'hui par rapport à ceux d'il y a une génération, mais par rapport au rôle qui incombait à l'enseignement il y a un siècle, quand l'objectif était d'amener le plus grand nombre possible de petits Français au niveau du certificat d'études, et une minorité privilégiée au bac. Je ne dis pas que le lycée d'aujourd'hui équivaut aux classes de certificat d'études d'hier. Je dis que ce sont, socialement, des populations de même configuration qui vont aujourd'hui au lycée et qui, il y a un siècle ou même cinquante ans, se seraient arrêtées au certificat d'études ou, au mieux, au brevet. Donc les lycéens ne sont plus les mêmes. On n'enseigne pas de la même façon. "(92) Qu'en conclure sans tomber dans le procès d'intention ? La dénégation d'Alain Viala est extrêmement intéressante : elle intervient quand il se réfère à l'objectif de Jules Ferry " d'amener le plus grand nombre possible de petits Français au niveau du certificat d'études, et une minorité privilégiée au bac "… N'est-ce pas une façon d'avouer qu'il y a un risque à amener " le plus grand nombre possible de petits Français " au baccalauréat, coûte que coûte, quitte à s'inspirer d'un système " socialement marqué " comme il le dit d'habitude : le risque de n'amener en retour qu'une " une minorité privilégiée " aux études supérieures… Le niveau de référence a certes changé en un siècle, mais l'ambition du président du GTD s'arrête là… Où est l'égalité prônée dans tout cela ? La IIIe République, qui n'était pourtant pas un modèle de justice sociale, avait su se donner les moyens de son ambition, et grâce à Jules Ferry élever réellement le niveau de la nation, même si c'était avec des arrière-pensées discutables. Aujourd'hui, à force de vouloir supprimer la sélection au sein du lycée, on se contente de la déplacer, et on la rend plus arbitraire encore, car purement économique : les élèves de milieu défavorisé n'ont pas les moyens de rattraper dans le supérieur le temps perdu jusqu'au bac. On peut donc se demander si c'est bien chez les défenseurs du savoir qu'il faut discerner aujourd'hui du conservatisme… C'est la question qui se pose quand on lit cette phrase d'André Petitjean défendant l'écriture d'invention (finalement déjà pratiquée, jusque dans certains travaux d'écriture, comme on l'a vu) : " le but n'est pas de réaliser un parfait pastiche de Balzac, mais d'apprendre à lire et à écrire. "(93) Et en maths… à compter, je suppose. Mais le président du GTD de Lettres le déclare lui-même : " après tout, cet enseignement [de la littérature et de la langue françaises] n'a derrière lui qu'un siècle d'expérience réelle. "(94) Un siècle d'existence, pardon d'expérience, ce n'est donc rien, eu égard aux siècles de bonheur passés et à venir, ce n'est qu'une parenthèse, qu'un détail. Pour comprendre un tel paradoxe, comment un idéal traditionnellement étiqueté " de gauche " comme l'idéal de 1968 peut à ce point faire le jeu de la réaction et des pouvoirs en place, il faut se référer à L'Enseignement de l'ignorance, de Jean-Claude Michéa. Celui-ci y explique comment " le refus " libertaire " de l'ordre capitaliste a pu ", sans solution de continuité apparente, sans aucun point de rupture, " se transformer aussi facilement, et de façon aussi massive, en approbation libérale de tous les exploits de la modernité " (p. 121). Il est en effet possible de voir dans la société néolibérale d'aujourd'hui sinon l'aboutissement, du moins une des conséquences les plus logiques de la révolte de 1968...(95) Ce n'est pas le moindre des obstacles qui s'offre à la compréhension de voir la contestation de 1968 et le capitalisme néolibéral d'aujourd'hui poursuivre les mêmes objectifs, et se renforcer mutuellement... La conséquence de cette alliance et le défaut majeur de toutes ces entreprises " réformistes ", c'est Claude Capelier, membre du Centre national des programmes, qui les a parfaitement pointés lors du plan national de formation les 27 et 28 octobre 1999 : " Pour le dire d'une image, on ne peut se défaire de l'impression que le sens des textes est à ce programme ce que les soldes sont au petit commerce : il n'y est " ni repris ni échangé " ! (…) Autant les attentes concernant la rhétorique, l'étude du contexte, les références historiques font l'objet de développements précis, autant le travail sur la signification (la force et la portée des œuvres ou des arguments) n'est évoqué qu'allusivement et indirectement. Rien ne vient indiquer comment faire acquérir aux élèves des repères culturels efficaces, comment ils pourraient se les approprier, apprendre à en juger et à les transposer, pour penser plus profondément ou s'orienter mieux dans les rapports humains. Les notions et techniques privilégiées par le programme s'appliquent aussi bien à un discours de café du commerce qu'à un plus brillant exposé, à un feuilleton de " série Z " qu'à Victor Hugo ! C'est leur force (car l'enseignement du français doit doter chacun des moyens de faire face aux usages de la langue les plus variés) ; mais c'est aussi leur limite (dans la mesure où elles ne suffisent pas à garantir que les élèves auront assez tiré profit des points de vue originaux contenus dans les thèses ou les œuvres abordées). (…) Quant aux œuvres littéraires, aucune place explicite n'est faite, dans le programme, à ce que chacune d'elles peut apporter d'irremplaçable (…). Le grand roman développe des formes jusqu'alors latentes de l'existence. Ce sont là des éclairages décisifs de l'expérience humaine qu'il ne suffit pas de croiser, presque par raccroc, à l'occasion d'une étude des registres, des genres ou des structures narratives : il faut les travailler pour eux-mêmes, y revenir dans des contextes variés pour en approfondir la compréhension, apprendre à en user de manière personnelle. Au demeurant, quand nous aimons un livre, il ne nous viendrait pas à l'idée d'en parler en termes de " grammaire du discours " ! " Et Claude Capelier d'ajouter, indulgent : " Il ne s'agit pas, du reste, de critiquer un programme par ailleurs excellent, mais de prévenir les fausses interprétations auxquelles il pourrait donner lieu. " Voilà qui rassure, qui prouve que si le néolibéralisme a progressé au sein du GTD de Lettres, il n'a pas anéanti toute sensibilité et tout bon sens dans l'inspection générale et le Centre national des programmes ; mais la conclusion de Claude Capelier ne doit pas nous leurrer. Il est possible d'aller plus loin : ce programme, et les sujets du bac qui en explicitent l'esprit, sont loin d'être excellents, précisément parce qu'ils permettent les fausses interprétations qui viennent d'être relevées, parce qu'ils les provoquent, et même, comme pour tout texte, parce qu'ils sont responsables des interprétations qu'ils induisent. Alors pour conclure, rappelons-le : tous ces textes, et toute l'idéologie qui les inspire, sont responsables d'un véritable formatage des élèves, d'un formatage éminemment pervers qui se déguise sous les apparences de la liberté. Ce n'est pas un hasard si l'école de la IIIe République est la référence constante des réformistes, car elle ressemble beaucoup à l'école que nos politiques, que les membres du GTD de Lettres veulent " refonder ", à la " révolution " qu'ils veulent explicitement provoquer. On y retrouve les mêmes valeurs hypocrites, dont on croyait s'être débarrassés : patriotisme, courage, dévouement ; avec cette différence néanmoins qu'il ne s'agit plus d'un conditionnement soi-disant autoritaire par l'Etat, mais par les marchés… On ne prépare plus les élèves à aller reconquérir l'Alsace et la Lorraine, mais à être les petits soldats du néolibéralisme, à être compétitifs, respectueux des entreprises, obéissants aux marchés, et tout cela au nom de l'intérêt présumé de la nation, pour récupérer les parts de marché perdues avec la guerre économique… Mais jamais on ne se demande si l'on ne colonise pas d'une autre façon le monde entier, par l'économie. Et jamais non plus, bien évidemment, le risque n'est envisagé de faire surgir une nouvelle barbarie, une barbarie qui s'annonce d'ailleurs, quand on veut bien la regarder en face, quand on pense que les maîtres d'œuvre de cette politique sont simplement des gens dans l'air du temps, des hommes qui veulent déconstruire l'Etat pour " notre bien ", de hauts fonctionnaires qui le déconstruisent de l'intérieur… pour leur seul intérêt, et celui de puissants industriels. Car les signes du désastre sont bien là : en interrogeant à charge mais jamais à décharge l'école d'il y a trente ans, nos réformistes jouent avec le feu, continuent les mêmes réformes, et détruisent notre fragile héritage. Entre 1970 et 1990, le taux d'admission des élèves d'origine populaire dans les grandes écoles est passé de 15 % à 7 %.(96) N'est-il pas temps d'en tirer des conclusions, plutôt que continuer à " avancer ", pour être encore et toujours " dans le mouvement " ? Osons dire que la démocratie est aujourd'hui menacée par une dictature silencieuse, celle des marchés et de quelques entreprises toujours plus avides. Le plus bel objectif qu'une société puisse se donner, n'est-ce pas de permettre une véritable ascension sociale, et non se contenter du leurre qu'on nous présente avec le sport ou le Spectacle ? C'est bel et bien l'enjeu de l'école d'aujourd'hui. C'est ce que tout le monde proclame. Mais ce n'est pas ce que l'on fait. Pourquoi ? Parce que le crime profite… Jean-Baptiste Renault
Notes(56) Il est comique de constater que les " réformateurs " font exactement ce qu'ils dénoncent chez les professeurs, qu'ils ne sont importunés que par l'arbitraire des autres : " Il y a dans l'enseignement une tendance archaïque que l'on peut résumer ainsi : " Ils n'ont qu'à m'écouter, c'est moi qui sais. " " déclarait par exemple au Monde en novembre 1999 Claude Allègre, avant de publier, à la rentrée 2000, un livre intitulé Toute vérité est bonne à dire… (57) Sujet de juin 1999, séries technologiques, centres étrangers groupe 1. (58) Sujet de juin 1998, séries technologiques, Polynésie. (59) Livre blanc sur l'éducation et la formation, Enseigner et apprendre, vers la société cognitive, Commission européenne, pp. 13-14. (60) Sujet de juin 1998, séries générales, Amérique du Nord. (61) Sujet de juin 1998, séries technologiques, Guadeloupe, Guyane, Martinique. (62) Sujet national de septembre 1996, séries technologiques. (63) Sujet de remplacement de juin 1998, séries technologiques. (64) Sujet de juin 1998, séries technologiques, Pondichéry. (65) Discours tenus au 10e congrès mondial de la fédération internationale des professeurs de français (FIPF), le vendredi 21 juillet 2000, à Paris. (66) Le 30 août 1997 à La Rochelle. (67) Sujet de juin 1999, séries générales, Tunisie. (68) C'est à dire au présent, à l'idéologie (qu'elle soit capitaliste ou communiste). (69) Marianne, 11 janvier 1999. (70) Rapporté par Hans Peter Martin et Harald Schumann dans Le piège de la mondialisation, Solin-Actes Sud, 1997. Cité dans L'enseignement de l'ignorance, Jean-Claude Michéa, pp. 48-49. (71) Adult learning and technology in OECD countries, OECD proceedings, OCDE 1996. Cité dans Tableau noir, résister à la privatisation de l'enseignement de Gérard de Sélys et Nico Hirtt, pp. 42-43. (72) Christian Morrisson, cahier d'économie politique n°13, OCDE 1996, p. 30. (73) Sujet de juin 2000, séries technologiques, Pondichéry. (74) Sujet de juin 2000, séries technologiques, France métropolitaine. (75) Sujet de juin 2000, séries technologiques, Polynésie. (76) Une éducation européenne - Vers une société qui apprend, ERT, février 1995. (77) Sujet de juin 1997, séries générales, Pondichéry. (78) Cette idée se trouve développée, par exemple, dans L'enseignement mis à mort d'Adrien Barrot, Librio, 2000. (79) Sujet de juin 1999, série technologique, Clermont-Ferrand. Merci à Nicole Paul pour son témoignage à ce propos. (80) Sujet de juin 2000, Afrique. (81) Sujet de juin 2000, Amiens, Créteil, Lille, Paris, Rouen, Versailles. (82) Sujet de juin 2000, Aix-Marseille, Corse, Montpellier, Nice, Toulouse. (83) Sujet de septembre 1997, séries générales, Polynésie. (84) Sujet de juin 1999, séries technologiques, Pondichéry. (85) Jean-Pierre Le Goff se penche sur cette méthode de " gestion " du personnel dans La barbarie douce, la modernisation aveugle des entreprises et de l'école, La découverte, 1999. (86) " L'enseignement pris en otage, Violences à l'école, violence de l'école ", Le Monde diplomatique, octobre 2000. (87) Point de presse du Ministre de l'Education nationale, le 27 avril 2000. (88) "Conclusion en 5 points", plan national de formation des 27 et 28 octobre 1999, texte paru dans le numéro spécial de L'école des Lettres du 1er décembre 1999, p. 116. C'est moi qui souligne. (89) Et si la démocratie, elle aussi, constituait un monument ? (90) " Argumentation et littérature ", Réflexion et discussion…, p. 17. (91) Ecole des Lettres 1999-2000, n°13 (mai 2000), p. 5. (92) " l'esprit des programmes ", Eléments de document d'accompagnement, p. 9. (93) Ecole des Lettres 1999-2000, n°13 (mai 2000), p. 27. (94) " l'esprit des programmes ", p. 8. Ce n'est même pas moi qui souligne. (95) C'est l'un des sujets principaux de ce livre indispensable : L'enseignement de l'ignorance (et ses conditions modernes), Micros-climats, 1999, au dos duquel on peut lire : " L'idée vient encore assez peu [au grand public] que [le déclin continu de l'intelligence critique et du sens de la langue] est devenu progressivement la fonction première des réformes et que celles-ci sont donc en passe d'atteindre leur objectif véritable : la formation des individus qui, à un titre ou à un autre, devront être engagés dans la grande guerre économique mondiale du XXIe siècle. " Et d'ajouter : " Cette hypothèse, que certains trouveront invraisemblable, conduit à se poser deux questions : Quelle étrange logique pousse les sociétés modernes, à partir d'un certain seuil de leur développement, à détruire les acquis les plus émancipateurs de la modernité elle-même ? Quel mystérieux hasard à répétition fait que ce sont toujours les révolutions culturelles accomplies par la Gauche qui permettent au capitalisme moderne d'opérer ses plus grands bonds en avant ? " (96) Antoine Prost, L'enseignement s'est-il démocratisé ?, 1992. Et de conclure : " les réformes voulant assurer l'égalité des chances ont eu le résultat contraire. " Télécharger ce texte : sujbac.rtf
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