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SEQUENCES ET SIMAGREES

Sur la séquence didactique. Enseignement du français au collège.

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       Je suis persuadé que la séquence, telle qu'elle est conçue et mise en oeuvre dans les manuels est intrinsèquement mauvaise. Elle est au service de l'entropie et non de la pensée complexe. Elle brouille les cartes et les esprits. Elle ajoute au chaos et à la confusion. Elle est un jeu de l'oie, ou une charade spécieuse qui n'est là que pour entretenir le divertissement et non la connaissance. Ce qu'on gagne en cohérence d'un côté (le temps d'un miroitement) on le perd au centuple de l'autre : la séquence est une " monade " qui ne s'accommode pas ou mal d'une progression annuelle rigoureuse (en grammaire par exemple), et même parfois d'un programme, sinon aux prix d'acrobaties rhétoriques dérisoires tout juste bonnes à faire ronfler un cahier de textes en vue d'une inspection. La séquence aboutit inexorablement au désordre, et les classeurs ou cahiers s'en font le reflet impitoyable. Comme si nos élèves avaient besoin de cela !
       Lier les cours entre eux, oui. Ne pas dissocier arbitrairement l'étude de la langue et l'étude des textes, oui. Jeter des passerelles, tout le temps. Faire du tissage, bien sûr, mais pas des petites broderies disparates. Je pourrais développer mes images pour faire apparaître un discours conceptuel solidement charpenté, mais les métaphores révèlent et condensent parfois la vérité mieux que les arguments abstraits, et plus vite !
       La séquence relève de la pédagogie du chatouillement et du zapping. Avec du complexe, elle fait du composite. Avec du composite de l'hétéroclite. Bref, la séquence, c'est trop souvent la contingence quand ce n'est pas, l'inconsistance, l'évanescence, pour finir par le non-être. Elle est dans le meilleur des cas une sophistique habile, dans le pire, une rhapsodie affligeante. Assurément, elle exige un travail de préparation purement formel (il n'y a de Rédemption pour un professeur que s'il se consume à préparer ses cours, même si cela ne fait nullement progresser ses élèves!) et qui se fait une fois de plus au détriment d'une préparation sur le contenu substantiel.
       Non, je crois décidément que les séquences sont un gadget maléfique.

      Cela dit, nous n'entendons pas nous braquer sur un mot... Si l'on décidait d'appeler " séquence " une manière intelligente et intelligible de ne pas séparer ce qui est organiquement lié, un art du contrepoint qui s'accommoderait de quelques libertés d'exécutions; ou bien encore un art du tissage qui ferait se tresser plusieurs fils conducteurs, alors presque tout le monde serait pour les séquences. Mais la séquence qu'on veut nous imposer, loin d'être une invitation à reconstruire des totalités mutilées par un enseignement trop cloisonné, loin de réunir les morceaux d'un puzzle qu'on a laissés, il est vrai, trop longtemps épars, loin de réaliser cette pensée complexe qu'Edgar Morin appelle de ses voeux, est un carcan étroit, un lit de Procuste, une implacable machine à broyer, à tout mélanger et à pulvériser : Adieu à l'unitas multiplex, bonjour au saupoudrage hasardeux et au kitsch, qui plaque son bruit parasite et artificieux sur une matière déjà suffisamment compliquée.

      Pourquoi crée-t-on du labyrinthe, sinon pour amuser ? Du jeu de piste, sinon pour divertir? Le libre jeu de l'intelligence qui cherche à connaître et à comprendre ne suffit-il pas ? l' être n'est-il pas plus propre à exciter et aiguiser la curiosité que le non-être ? Le fond n'a-t-il pas quelques droits sur la forme ? Le contenu sur le récipient, fût-il incomparablement séduisant ? En d'autres termes, et pour me faire entendre, est-ce qu'il vaut mieux faire comprendre, faire aimer, et faire réciter un poème de Baudelaire, expliquer une alchimie rhétorique au service d'un univers original, faire sentir ce "frisson nouveau" dont parle Hugo, ou intégrer admirablement ce poème dans une séquence peaufinée comme un bout-rimé de mirliton, une séquence-palette-de-saveurs habilement cuisinée, qui ferait alterner une petite note sucrée et une petite note salée, où ce poème viendrait se loger admirablement ? Sacrilège, ou plus exactement, insanité ! Les élèves ne seront pas dupes, qui préfèrent, quoiqu'on dise l'aliment à l'excitant.
       Par ailleurs, et parce qu'il semble que soit à l'oeuvre dans la réforme une volonté mortifère de standardisation et d'uniformisation des pratiques pédagogiques, il est temps d'énoncer cette proposition incroyablement subversive : " Il y a plusieurs façons différentes d'être un bon et même un excellent professeur de français. "
       La séquence , redisons le, ne saurait être une pratique parachutée, sans considération d'ailleurs des élèves et des circonstances qui seuls inspirent le choix d'une méthode plutôt qu'une autre. Il n'est pas de pédagogie transcendantale, n'en déplaise à nos abstracteurs de quintessence et à nos théoriciens trop souvent démobilisés et loin du théâtre des opérations...Tout est affaire d'adaptation, c'est à dire d'intelligence. Nous voulons bien des directives mais nous ne voulons plus des diktats. Des échecs récents auraient dû enseigner l'humilité à ceux qui prétendent détenir la Vérité. Parodiant le mot de Valéry nous dirions volontiers : " Nous autres pratiques pédagogiques incontournables nous savons à présent que nous sommes mortelles... "

      Restituons donc le mot " séquence " à sa polysémie et à son origine : on y peut trouver l'occasion ou le prétexte d'une réflexion didactique (au sens grec) sur le lien, l'enchaînement, la suture. Mais le mot et la chose tels que définis dans les instructions sont trop étroits et trop réducteurs et laissent la part trop belle aux considérations exclusivement formelles.
      Préparer un cours, ce ne peut être seulement faire preuve d'astuce et jongler avec des protocoles en virtuose ou en magicien (qui ne fait d'ailleurs plaisir qu'à lui-même...)
      Faisons le choix de l'être plutôt que du simulacre. C'est un choix de société et de civilisation.
      Après tout, un peu d'esprit dialectique et dialogique devrait aider à repenser totalement la " séquence ", à seule fin de la rendre intelligente, c'est à dire aussi, plurielle et multiforme. Sans oublier qu'un ustensile faussé, devînt-il un outil infiniment sophistiqué, ne serait jamais qu'un outil et non une fin.
      La " séquence " est faite pour la Connaissance et non la Connaissance pour la " séquence ". Comme l'homme est fait pour le sabbat et non le sabbat pour l'homme.

Antoine Desjardins

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