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Lettre à votre député

Adresse de votre député ou d'un ministre.
Mieux vaut l'envoyer par courrier postal...

Madame, Monsieur le député,

J'ai l'honneur de vous faire savoir que je ne comprends pas votre silence, à l'Assemblée Nationale, sur les réformes effectuées sans vous consulter par le gouvernement Jospin à l'Education Nationale.

Comment peut-on programmer sa régionalisation, en tant que condition préalable au démantèlement de la référence nationale qu'elle constitue, alors que l'Education Nationale, qui n'est pas même un service public comme les transports ou la poste, relève d'une mission régalienne de l'Etat, au même titre que la santé ? Comment accepter que l'Education Nationale embauche de plus en plus de personnel précaire et flexible ? Comment interpréter que les missions de l'Ecole, de plus en plus lieu de vie civilisateur, et partant celles des enseignants, de plus en plus animateurs socio-culturels, soient redéfinies sans passer par des états généraux de l'éducation ? Comment peut-on programmer l'abaissement des exigences disciplinaires et, en conséquence, des diverses épreuves certificatives ? Comment peut-on renoncer à tout ce qui fait la singularité et la qualité de l'enseignement français ?

Je ne comprends pas que la France, pays des Lumières, de l'exercice du doute, de la pensée critique, ait décidé de s'attaquer aux forces vives de l'intelligence, de l'école primaire à l'université. Je ne comprends pas que sur l'autel de l'Europe - qui, suivant les recommandations de l'OCDE, préconise la privatisation progressive des Educations Nationales et la transformation du savoir en marchandise, la nouvelle manne du XXIème siècle - soient uniformisés les enseignements, pour ne pas dire calibrés, et, partant, sacrifiée la culture française.

De nombreux rapports, où l'on reconnaît aisément l'idéologie des consultants d'entreprise, souhaitent transformer les intellectuels que sont les professeurs en bureaucrates dociles et gentils animateurs. Ce mépris pour l'intelligence est d'autant plus dangereux et douteux qu'il s'accompagne d'une fascination obscurantiste pour l'intelligence artificielle.

Un tel laminage de l'Education Nationale n'excède-t-il pas le domaine de compétence d'un quelconque gouvernement ? Contrairement à ce qu'affirme en sa conclusion le Rapport Meirieu, l'école n'est pas une affaire de société : c'est une affaire d'Etat. Comme institution, elle relève du droit, en l'occurrence du droit à l'instruction, qui est garanti à tout citoyen par la Constitution.

Les projets ministériels posent donc le problème du détournement, à des fins commerciales, d'une institution fondamentale de la République par le personnel politique actuellement au gouvernement, et celui de la substitution du pouvoir politique aux autorités académiques en matière de définition de la culture et du savoir.

Laisser à l'Etat la seule mission d'assurer un enseignement minimal garanti pour tous est la porte ouverte vers un enseignement à deux vitesses. Croyez bien que les professeurs ne veulent pas d'une américanisation du système scolaire français. C'est pourquoi ils dénoncent l'hypocrisie des réformes en cours qui, loin de servir un projet généreux, masquent un élitisme pervers et pernicieux.

Tous les projets ministériels me semblent particulièrement alarmants, car c'est par le biais de l'éducation que l'on change de régime, en faisant l'économie d'un coup d'Etat ou d'une révolution.

Hannah Arendt a parfaitement montré que la société de masse, condition nécessaire à tout projet totalitaire, a paradoxalement besoin du développement de l'instruction générale, "avec l'inévitable abaissement du niveau et la vulgarisation du contenu qu'il implique".

Espérant pouvoir attirer votre attention sur le démembrement en cours de l'Education Nationale - qui sera soldé par un " non " franc au gouvernement Jospin dans les urnes aux prochaines élections -, je sollicite une intervention de votre part à l'Assemblée Nationale et vous prie d'agréer, Madame, Monsieur le député, l'expression de ma respectueuse considération.

Vous pouvez télécharger ce texte au format .rtf : depute.rtf


Variante
Monsieur le Député,

Journalistes et hommes politiques ont rempli les colonnes des journaux, ces deux dernières semaines, de leur avis sur les leçons des municipales. Or je ne me suis nullement retrouvé, comme la majorité de mes collègues, dans ces propos. Permettez-moi donc de vous donner l'avis d'un enseignant du Val d'Oise, qui est aussi un citoyen et un électeur, un avis qui rejoint, me semble-t-il, une grande préoccupation - mais une préoccupation qui ne se laisse pas appréhender par les catégories politiques de M. Jospin : une préoccupation qui n'est ni celle des classes moyennes censées voter au centre, ni celle de classes populaires censées voter aux extrêmes ou s'abstenir, mais bien plutôt les deux à la fois, indissociablement. Quand M. Jospin comprendra-t-il qu'on ne gouverne pas en flattant tour à tour telle fraction de son électorat ?

En ayant refusé, pour la première fois, dimanche 18 mars, de voter pour un candidat de la "gauche plurielle", je n'ai pas voulu demander le départ de tel ou tel Ministre, ou réclamer une application plus stricte du non cumul des mandats. En vous écrivant aujourd'hui, je ne demande pas davantage la démission de Lionel Jospin, qui serait pourtant plus cohérente. Non, je demande seulement, comme tous les collègues que je connais, un changement radical de politique éducative, c'est à dire le gel immédiat des réformes en cours, et la tenue rapide d'états généraux de l'Education Nationale. J'ajoute que je me sens totalement solidaire des revendications des juges ou du secteur hospitalier. Le problème est identique : celui d'un Etat qui abandonne ceux-là mêmes qui constituent le socle, fissuré de toute part, de la démocratie.

Je me permets donc d'insister. Il est urgent que le gouvernement organise des états généraux de l'Education nationale. C'est en effet la seule solution pour que la majorité gouvernementale retrouve à nos yeux une certaine légitimité. C'est la seule solution pour qu'une réforme acceptable puisse voir le jour, loin des parodies de consultation actuelles, qui n'expriment que le mépris où l'on tient élèves et enseignants.

Je fais appel à vous dans l'espoir que le gouvernement écoute enfin les aspirations de ses électeurs. Comme mes collègues, je serais désolé d'être contraint, l'année prochaine, de ne pas voter pour un candidat de la "gauche plurielle". Ce n'est pas là une parole en l'air, mais une ferme résolution, mûrement réfléchie, malgré l'obstination médiatique à nous la faire regretter : pourquoi apporter sa voix à une majorité qui n'écoute que l'intérêt des grands industriels et les lubies de quelques sectes pédagogistes ? Je ne puis plus me sentir représenté par un gouvernement qui cautionne une telle politique, aggravant chaque jour les injustices, par aveuglement ou par méconnaissance du terrain, mais aussi et surtout par d'incessantes compromissions.

Ainsi, pour vous permettre de mieux comprendre ma démarche, et faire connaître des positions que ni le gouvernement, ni les syndicats ne relaient (et encore trop peu les journaux), je vous joins le rapport d'un collectif d'enseignant en lutte contre les réforme du français. Il vous donnera une première idée de la situation. Enfin, vous pourrez trouver d'autres analyses sur le site : http://www.sauv.net (auquel le rapport renvoie). Car le problème est plus large, et concerne aussi la transmission de la langue, sans laquelle aucune ambition n'est possible pour les générations futures, et la liberté risque de n'être qu'un vain mot. Dans l'espoir que vous entendrez mon appel, je vous prie d'agréer, Monsieur le député, l'expression de mes sentiments les plus dévoués au service de l'Education nationale et de la République française.

Vous pouvez télécharger ce texte au format .rtf : depute1.rtf


04/2001

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