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Sur le sujet d'invention


Montage de réflexions lues sur Lettres&Débats.

Anne-Françoise 12 Jan 2001

J'aimerais connaître vos points de vue sur le sujet d'invention au bac. Personnellement, je suis favorable à cette idée, tout en étant consciente des difficultés que cela poserait.

Les principales objections émises par des collègues:
- les élèves ne feront plus rien en français (certains ajoutent que c'est le but de la manoeuvre...)
- comment évaluer les copies de façon équitable?

Mes propositions pour répondre à ces objections:
- que les sujets soient élaborés de façon à faire intervenir des contraintes précises et techniques (par exemple, emploi de tel registre ou de telle focalisation, figure de style...): les élèves devraient donc avoir assimilé ces notions durant l'année.
- que l'évaluation en soit exigeante et fondée sur des critères bien définis (respect des consignes, cohérence, invention, langue...)

Mes arguments:
- la créativité serait valorisée (on peut être créatif tout en respectant des contraintes) - l'enseignement du français en 1ère y gagnerait une dimension qui lui manque (est-ce qu'on imagine des épreuves d'arts plastiques qui consisteraient uniquement en commentaires?) - s'entraîner à utiliser des techniques littéraires permet de mieux les percevoir dans un texte et développe la sensibilité littéraire - cela pourrait être intéressant à corriger! (pourquoi ne pas tenir compte de cet aspect?) Qu'en pensez-vous?

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Philippe 13 janvier

Je suis irréductiblement opposé au sujet d'invention et voici pourquoi: une raison éthique, et je dirai philosophique.

Un examen terminal a pour fonction la validation des savoirs, et non la vérification de la conformité de la personne (l'élève) à un modèle émanant du projet politique qui sous-tend les élucubrations du GTD. Un exercice d'invention est en soi le lieu du subjectivisme triomphant, cela crée donc un obstacle docimologique rédhibitoire que l'on croit résoudre en faisant intervenir des consignes impliquant des contraintes rhétoriques et/stylistiques, ce qui implique la transformation de notre enseignement en un catalogue desséché de figures de style à connaître. Comme si la métaphore, la polyptote, le zeugma et autres épigones de la cuistrerie pouvaient s'enseigner. C'est réduire la littérature à la mise en oeuvre de techniques, d'où le risque de fétichisme méthodologique qui pourrait aboutir à des copies qui respecteraient à la lettre le protocole rhétorique imposé mais qui seraient le lieu d'une vacuité de pensée qui n'a de nom dans aucune langue. Quant au concept de créativité, cela fait partie des expressions à la mode mais tout-à-fait vide de sens du nihilisme contemporain, au même titre que le principe de précaution. J'ai en de multiples contributions eu l'occasion de pourfendre la superstition rhétorique qui avilit nos études littéraires. Et je le dis très franchement, si j'étais lycéen aujourd'hui, la triste comédie servile qu'une coterie d'intrigants du GTD tend à vouloir imposer à l'ensemble d'une profession originellement d'essence libérale, ne me donnerait pas l'envie d'embraser pareille carrière. Plus fondamentalement, ce sujet d'invention immanquablement engendrera chez nombre d'élèves le refus de s'exprimer à l'écrit et c'est normal. L'écrit littéraire est d'abord un acte intime. Cela ne va pas de soi de l'offrir au regard extérieur. Donc la réaction d'un candidat au bac de refuser de se soumettre à pareille imposture serait plutôt saine. Car si l'on réfléchit bien, l'exercice d'invention que d'aucuns prônent sous couvert de modernisme, et mettant en avant la cause des élèves, n'est qu'après tout la vérification de la conformité à des consignes. Comme si le texte littéraire était réductible à l'addition de procédés scripturaux. C'est éluder la question du sens et cet exercice d'invention n'est sûrement pas la panacée qui remédiera aux vicissitudes de l'enseignement des lettres. D'abord, parce que les problèmes de fond ne sont pas abordées, ou de façon dilatoire et hypocrite. Qu'il s'agisse des ravages de la méthode globale en lecture, qui produit des dyslexiques et des handicapés de l'orthographe, du refus d'analyser et de nommer les choses qui aboutit à des vides sidéraux en grammaire dont nous percevons les conséquences dans l'enseignement du grec et du latin, qu'il s'agisse aussi du refus d'envisager les implications conceptuelles et culturelles des textes que nous donnons à lire. Bref, pour sauver les lettres, il faut rompre le lien avec la rhétorique et le fétichisme méthodologique et retrouver la parenté avec la philosophie et l'histoire.

Anne-Françoise 13 Janvier à Philippe

Votre message m'a paru un tantinet catégorique. Il me semble que vous me faites un procès d'intention et nourrissez contre moi de noirs soupçons, simplement parce que j'ai osé marquer une inclination pour le sujet d'invention. Je ne milite pas pour la réforme ni n'appartiens à aucune "coterie". Inutile de me pourfendre!

Je ne nie pas que le sujet d'invention pose des problèmes docimologiques, mais ne suis pas persuadée qu'ils soient "rédhibitoires", comme vous l'affirmez. Tout en partageant votre refus du "fétichisme méthodologique" et votre attachement à la philosophie et à l'histoire, je ne vois pas l'intérêt de "rompre" totalement avec la rhétorique... De formation classique, moi aussi, j'ai un certain goût pour la mesure: une mesure de philo, une d'histoire... et une de rhétorique (sans oublier un zeste de méthode)!

Bref, sans me proclamer pour autant irréductible, je vous avouerai que n'ai pas été convaincue par vos arguments. Ils ont l'intérêt de rappeler et de souligner certains obstacles. Je continue à penser qu'une approche rationnelle, une réflexion collective et, sans doute aussi, des "expérimentations" (j'imagine que ce mot doit vous faire bondir!) pourraient aider à les franchir.

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C.T. 13 Janvier

A ces arguments, j'ajouterai que les jeunes ont exploré le sujet d'invention en tous sens au collège et qu'ils sont ravis de parcourir (enfin) de nouveaux horizons qui correspondent mieux à leur maturité.

Anne-Françoise à C. T.

A cet argument, je réponds que :
- je n'ai rien constaté de tel auprès de mes élèves ;

- ceux qu' a lassés le sujet d'invention peuvent en choisir un autre...
- si être mûr signifie ne plus avoir d'imagination, loin de moi la maturité!

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J.E. G. 13 Janvier

Tout à fait d'accord. C'est difficile de faire une lecture méthodique, un commentaire composé, une argumentation une dissertation. C'est aussi ce qui est motivant : ce n'est pas évident, on ne réussit pas forcément du premier coup ; on progresse... Mais cela montre aussi qu' " on ne nous prend plus pour des bébés ", disent-ils.

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C.T. 13 Janvier

C'est donc que vous avez expérimenté le sujet d'invention auprès de vos élèves, je suppose. Je l'ai fait également, pour tenter une approche différente de certaines notions. Je pensais qu'ils comprendraient mieux les enjeux d'un genre littéraire ou d'une figure rhétorique en testant eux-mêmes l'écriture. Mais j'ai compris qu'en fait, je demandais un investissement encore plus important aux élèves : la créativité n'est pas neutre, impersonnelle, et les lycéens se livrent beaucoup moins spontanément que les élèves du collège. Certes, ils peuvent s'orienter sur un autre sujet (" ceux qu' a lassés le sujet d'invention peuvent en choisir un autre "... dites-vous), mais notre rôle est aussi de les préparer à tous les types d'exercices qu'ils sont censés apprendre; alors penser que des jeunes pourraient, durant toute leur scolarité - du primaire à l'épreuve du bac - ne s'essayer qu'à des sujets d'imagination, me semble beaucoup trop partiel, réducteur.

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Eliane 14 janvier

Être mûr signifie surtout savoir choisir et juger. Donner aux élèves, via l'étude esthétique des oeuvres, des instruments pour se situer par la suite dans l'échelle des valeurs de la création - et pas seulement littéraire, la création est un tout, n'est absolument pas inutile, et c'est un travail long et difficile qui doit, s'il veut vraiment porter ses fruits, être pratiqué de manière rigoureuse et quasi exclusive durant ces maigres années de lycée. Ce travail essentiel-là, qui n'est pratiquement pas fait au collège du fait des contraintes d'apprentissage en langue en particulier, mais aussi, justement, de l'absence de "maturité" des élèves ne peut donc être fait qu'au lycée, très peu d'élèves se destinant à des études littéraires, les seules, avec celles d'art plastique et de musique, où ils puissent étudier la création.

Le concept d' "imagination" me paraît pour ma part bien douteux si vous le réservez à la réalisation par les élèves de textes de fiction. Une bonne analyse littéraire ou esthétique demande aussi de savoir mobiliser des connaissances très différentes, de savoir s'exprimer de manière claire, voire originale pour les élèves brillants (il y en a encore), et donc, dans une certaine mesure, de faire preuve d'"imagination", en plus de la rigueur nécessaire dans l'analyse et le maniement de concepts d'histoire littéraire, de techniques d'écriture etc.

Mes élèves sont heureux d'aborder enfin, à l'âge de 15 ans, l'étude des textes : d'une certaine façon, on leur confie enfin la mission de préciser leur propre position, de se situer relativement aux oeuvres, de les situer les unes par rapport aux autres, et d'apprendre à s'enrichir esthétiquement, à se construire un bagage de connaissances esthétiques dont ils pourront profiter toute leur vie (pour beaucoup d'entre eux en tout cas). Pourquoi utiliser le maigre horaire dont je dispose à disperser leur attention sur des activités d'"invention" quand j'aurais besoin du double pour parvenir à mes fins - les initier à une approche originale, qu'ils ne connaissent pas ?

Il faudrait pour finir questionner un peu ce terme bien vain d' "invention" : parmi les textes catalogués dans cette rubrique depuis les dix années que j'enseigne en collège (je suis sur les deux niveaux actuellement), je n'ai dû lire que trois ou quatre copies correspondant à cette définition. Le reste se partageant entre bouillie illisible et reproduction terne de procédés techniques. Il ne me dérangerait pas en revanche de voir mes lycéens reproduire des analyses théoriques ou esthétiques vues ailleurs, pourvu que ce soit à bon escient : les études littéraires sont faites de cela, de la réutilisation de concepts à des fins propres. Et je n'ai pas à me plaindre de lire 50 fois les mêmes idées. Chaque élève est unique, et lui, c'est la première fois peut-être, au moment où il l'énonce, qu'il fait usage de tel concept, de tel jugement esthétique. Lire 50 copies identiques est certes un peu lassant mais ne nous autorise absolument pas à vouloir faire régresser les élèves vers des pratiques antérieures qu'ils n'ont déjà que trop explorées et souvent, il faut le dire, bien médiocrement, et à rogner leurs maigres horaires pour leur faire pratiquer des écrits d'"invention" qui n'ont de l'"invention" que le nom, et qui empêcherait toute initiation sérieuse et un minimum approfondi à la lecture des oeuvres.

Il existe une solution pour les professeurs lassés de lire des copies de lycée identiques, demander une mutation en collège, au lieu de vouloir transformer le lycée en supercollège. De nombreux collègues croupissent en collège, qui, eux, aimeraient beaucoup aller en lycée pour faire autre chose, justement, que de l' "invention", et qui ne le peuvent pas parce que leur barême ne le leur permet pas.

Antigone 14 Janvier

Le terme de travail d'invention me semble relever d'une véritable supercherie. En fait d'invention il s'agit d'appliquer des consignes (est-ce d'ailleurs vraiment novateur?) et essayer tant bien que mal, pour l'élève (pardon: l'apprenant) comme pour le professeur d'imiter tel ou tel écrivain (il faudra bien fournir un corrigé...) . Je pense que c'est un exercice qui ponctuellement peut permettre de vérifier si un élève a compris le fonctionnement des figures de style ou du système énonciatif, mais sans doute pas leur intérêt (ce qui est plutôt du domaine d'un artiste authentique). Personnellement, j'estime que les élèves doivent apprendre à réfléchir de manière rigoureuse (sur le "monde" ou sur une oeuvre qu'ils ont étudiée) mais qu'il n'est pas nécessaire d'écrire comme... (je vous laisse compléter avec le nom de votre auteur préféré...) . Quant au côté "agréable" de la correction, je n'arrive pas à y croire... L'ennui me semble une composante essentielle de la lecture d'un paquet de copies et il faut en prendre son parti.

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Eliane 14 Janvier

Je suis tout à fait d'accord avec Philippe : je ne pense pas non plus que les Lettres aient grand avantage à tirer de laisser croire aux élèves que la création littéraire est une affaire d'application de recettes techniques. Et pourquoi ne pas accorder au lycée la spécificité de faire découvrir des méthodes de réflexion sur les textes, pourquoi vouloir à tout prix empêcher les élèves d'accéder à une telle aptitude d'évaluation sur la beauté et l'originalité des oeuvres ? Croit-on, une fois que ce sujet d'"invention" sera entériné au bac, que les élèves vont se fatiguer (pour la grosse majorité d'entre eux) à apprendre un autre fonctionnement que celui qu'ils ont connu, je le rappelle, durant toute leur scolarité antérieure ? Je verrais pour ma part là un formidable danger de régression des études secondaires (...). C'est parce que ces années sont très courtes, que les horaires sont eux-mêmes extrêmement réduits, (...). que nous n'avons pas intérêt à disperser l'attention des élèves en multipliant encore les objectifs.

Ceci dit, et pour toutefois ajouter une nuance à la conclusion du texte de Philippe, si le lien entre littérature philosophie et histoire est fondamental, la littérature se trouvant elle-même solidaire de ces deux disciplines, je rajouterai pour ma part l'esthétique au sens large, comme façon, pour un auteur, de situer son oeuvre dans le monde... A ce titre, l'expression "fétichisme méthodologique" me paraît un tantinet dangereuse : oui si l'on considère la méthodologie standardisée d'approche actuelle des textes tendance Boissinot-Bertrand Lacoste. Mais initier les élèves aux méthodes d'explication des textes et des oeuvres ne me paraît pas vain dans la mesure où cela leur permet d'apprendre à se situer précisément dans une échelle de valeurs - esthétique littéraire ou littérarité comme on voudra - qui en vaut bien une autre !!!

Anne-Françoise à Eliane

Si je suis favorable aux sujets d'invention, ce n'est pas par lassitude vis à vis des copies de lycée!

J'ai enseigné en collège jusqu'en 1992. Depuis, j'ai régulièrement des 2des, ce qui me permet d'avoir une idée de ce qui se fait en 3ème. Il me semble qu'analyses de textes et d'oeuvres et travaux de réflexion existent déjà en collège, contrairement à ce que vous laissez entendre.

Votre argument selon lequel le sujet d'invention provoquerait une "régression des études secondaires" est celui qui me touche le plus. Ce n'est pas du tout ainsi que je conçois un sujet d'invention. Je le voudrais exigeant, évalué avec rigueur et réputé tel, et non un sujet "spécial-fumistes". Mais, ai-je envie d'ajouter, qui concocte les sujets et qui évalue les copies? Des profs, non? Vont-ils saboter leur propre discipline?

Vous avez raison également en ce qui concerne les horaires. Que puis-je répondre? Que nous avons largement le temps de tout faire? Certes, non. Cependant, au lieu de refuser le sujet d'invention, je préfère demander davantage d'heures de français. On peut en faire une condition.

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Jacky 14 Janvier

Avant d'être en lycée j'étais en collège, donc comme vous tous je connaissais déjà ce sujet.

1) Ce "sujet d'invention" n'est pas une nouveauté dans la mesure où il existait déjà (inventio) jusque dans les années 60 il me semble, évidemment sous une autre forme que celle qu'on suppute dans la réforme.

2) Dans mon lycée, la critique principale est de savoir comment on l'évaluera...et nous n'avons pas de réponse (les collègues sont partagés sur le sujet en soi). Mais verra-t-on, comme d'habitude, les Instructions Officielles nous préciser " ce que n'est PAS le sujet d'invention" en nous laissant INVENTER ce qu'il doit être ? Méthode expérimentée pour les "séquences modulaires" (quasiment supprimées) et l'aide individualisée. (...).

3) Critique plus fondamentale : ce type de sujet risque de renforcer l'inégalité entre élèves puisque pour "inventer", "pasticher" finalement dans l'idéal ce qu'on voudrait c'est une imitation/imitatio ? -"personnelle" - des modèles, de préférence littéraire, Il faut être - justement - cultivé et/ou avoir à disposition un entourage, une bonne bibliothèque (et l'entourage qui...). Bref, l'élève lambda de nos lycées de banlieues "inventera-t-il" à partir de sa culture ? (...). On imagine le résultat. De plus, les élèves ne lisent que fort peu, voire plus du tout et il faut voir leurs choix personnels (Stephen King et consorts relèveraient de la littérature ? Selon le ministère, la réponse est oui puisqu'il a été donné comme modèle aux évaluations de 2nde l'an dernier et il se trouve qu'un groupe d'élèves avait été amené à "produire"un texte - critique certes - à partir de S. King). En outre, lors d'une enquête effectuée auprès de mes 2ndes je me suis aperçu qu'ils considéraient comme "catalogues de lecture" - c'est leur expression - les catalogues IKEA, Trois Suisses, Auchan etc. En sus des inégalités on peut, à ce sujet, prévoir le pire. La dissertation les laisse "secs", c'est un fait (on ne peut rien avoir à dire sur ce qu'on ne sait pas); ces sujets d'invention risquent de nous "mouiller", par contre, dans des histoires perso fort peu ragoûtantes. Un mauvais scénario type "Seven" (qui prend pourtant pour modèle la bible !) mal raconté par un ado. A tout prendre, je préfère les relevés de champs lexicaux.

4) Pour pouvoir demander l'utilisation de telle focalisation, tel registre il faut "connaître" la littérature, digne de ce nom, ou bien se contenter d'un minimum. Sinon, vu l'ampleur des possibilités de sujets d'invention, l'examen deviendrait irréalisable. Ou alors, et des collègues l'ont évoqué : s'en tenir à quelques modèles littéraires chaque année ? Pourquoi pas en effet ? C'est ce qui se fait déjà par la force des choses.

5) Avant de se préoccuper des examens, ne devrait-on pas, plutôt, tenter de pallier la pauvreté de l'imaginaire culturel des élèves ? L' obligation faite d'au moins 6 lectures cursives annuelles d'oeuvres intégrales (en sus d'une étude plus poussée, transversale selon l'évangile didactique, d'au moins 2 oeuvres intégrales par an) dans les nouveaux programmes de 2nde est une mesure intelligente : cela fait bien longtemps que je n'étais parvenu à les faire lire autant . (...).

6) (...) L'instauration de ce sujet d'invention sera de toutes les manières imposé, s'il n'est pas " choisi " par les collègues, car il constitue l'une des pierres angulaires de la réforme des programmes et surtout du futur Bac (c’est à dire de sa suppression) : d'où les nouvelles séquences Lire-écrire-publier et de scandaleux nouveaux manuels à prétention didactico-pédagogique tel celui de J.Jordy et MM Touzin (Français seconde, Bertrand Lacoste) dans lequel un IPR de la "plus grosse académie de France" (pour citer qui se reconnaîtra) se met au même niveau que Julien Gracq dans une partie de la séquence sobrement intitulée "Pratiquer" (page 183) pour inciter à penser que tout se vaut, que l'important finalement c'est d'écrire (et qu'on est alors un talentueux écrivain, en tout cas autant que ceux qui ont eu avec vous une relation épistolaire ?).

7) C’est tout le contraire de la rigueur, donc des règles et repères dont ont besoin ces jeunes. En cela, la dissertation est utile, en cela le sujet d' invention peut se révéler néfaste (...)..

 

Anne-Françoise à Jacky

L'argument des inégalités socio-culturelles est malheureusement souvent pertinent, mais ne l'est-il pas aussi pour les autres sujets? De plus, ces élèves ont des cours de français, qui les obligent à lire des textes. Ces derniers les imprègnent plus que ne le croient généralement les professeurs. J'ai déjà eu de bons travaux d'invention d'élèves dits "défavorisés", que je considérais personnellement comme peu cultivés, et ce n'était pas le dernier match de foot!

Par ailleurs, pourriez-vous m'expliquer en quoi un sujet d'invention serait forcément néfaste aux règles, aux repères et à la rigueur? Oui, si c'est un sujet libre; mais ce n'est pas ce dont nous débattons ici.

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Jacky 14 Janvier

Voici, à titre d'exemples, quelques sujets "d'invention" donnés au Bac...il y a bien longtemps:

Dans le genre "à la manière de":

Vous ferez, à la manière de La Bruyère, le portrait du personnage de Molière de votre choix (Rennes,1932) . Faites, à la manière de La Bruyère, le portrait de M. Jourdain, bourgeois gentilhomme (Bordeaux, sans date, mais avant 1935) . Vous supposerez que Mme de Sévigné écrit à La Fontaine pour le féliciter de ses Fables et notamment du sentiment de la nature qu'elle y a admiré. (Caen,1927)

Dans d'autres genres, plus "libres":

La Fontaine sommeille: il a négligé et parfois maltraité le chien dans ses fables; vous supposerez que, dans un songe, un de ces animaux lui apparaît et lui présente l'apologie de ses congénères (Lille, 1927) .Racontez une journée de La Fontaine à la campagne. (Dijon,1926). On sait que Louis XIV aimait à donner devant les ambassadeurs des puissances étrangères des fêtes capables de leur laisser la plus haute idée de la civilisation française. Vous supposerez qu'après une de ces fêtes où aura été représentée une comédie de Molière ou une tragédie de Racine, un ambassadeur écrit à un de ses collègues pour lui exprimer toute son admiration (Hanoï, avant 1935)

Enfin, pour la bonne bouche, ce dernier sujet, donné à Besançon, en juin 1935, qui donne la "matière", comme les anciens sujets de discours latins (ou français):

Alceste s'est retiré dans son "désert". Tranquille, apaisé, il se souvient: la vie de cour, les froissements quotidiens, les ridicules et les vices, la maison de Célimène, son amour inquiet, la trahison finale, tout cela remonte à son esprit, il sourit, désabusé; peut-être il regrette. Mais quelques bons livres, compagnons de sa solitude, la vie simple du gentilhomme campagnard, de rares mais vrais amis, suffisent aujourd'hui à son bonheur. Il chasse bien vite les souvenirs importuns. Un jour, il reçoit une lettre de Philinte. Son ancien ami, devenu le mari d'Eliante, lui parle de la vie brillante que l'on mène à Versailles et à Paris : fêtes de cour, éclat de la société mondaine, et, parmi les reines de cette société, Célimène. Il l'invite à venir reprendre sa place, à s’accommoder enfin aux goûts d'un monde auquel le destine sa naissance, à oublier de fâcheuses affaires et un pénible rupture, où il avait peut-être ses torts Vous ferez la réponse d'Alceste.

J'arrête là ce florilège (tiré de l'appendice caudal de la vieille collection Vaubourdolle, en usage avant 1940). J'avoue ne rien savoir des exigences des correcteurs et des performances des candidats ! En tout cas, à voir la somme de connaissances et de qualités nécessaires pour traiter ces sujets (histoire littéraire, histoire tout court, fréquentation assidue des auteurs et des oeuvres, maniement de la langue...), je me dis que nos élèves ont sans doute bien de la chance de faire combattre les forces de l'axe au milieu des ruines fumantes des champs lexicaux, dans la fureur meurtrière de la méthodolatrie boissinesque ! Je suis d'ailleurs persuadé que nos "refondateurs" n'envisagent pas du tout le sujet d'invention sous cette forme-là !

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Marc 14 Janvier

Je suis professeur en collège et je connais bien le problème que posent les sujets dits "d'imagination" : difficiles à lire, à évaluer, parfois bourrées de clichés, souvent construits sur un modèle stéréotypé (la litanie des rédacs commençant par "C'était il y a trois ans...").

D'un autre côté, quelque chose me choque dans certaines prises de position. Pour moi, lire n'est pas une corvée. C'est même un plaisir. Idem en ce qui concerne l'écriture. Et cette idée de plaisir est absente de la plupart des message que j'ai pu lire... Apporter des notions littéraires à nos élèves, leur permettre d'aborder l'analyse théorique ou esthétique, affiner en eux le sens critique. Oui, bien sûr. Mais n'est-il pas paradoxal que, la plupart du temps, nous les fassions travailler sur les textes d'imagination - invention (romans, nouvelles, oeuvres théâtrales...) alors qu'en parallèle nous leur affirmons que non, surtout non, ils n'ont pas le droit de s'y essayer ? Juste celui de regarder de loin, de disséquer, d'essayer de comprendre comment fonctionnent ces textes...

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DB 14 Janvier

J'ai également des a priori négatifs concernant le "sujet d'invention" que je me refuse à formuler en ces termes.

Concernant les réactions de Philippe :

1) Je ne comprends pas l'exemple de la méthode globale qui me semble éloigné du problème de la créativité à tous crins, refuge de l'ennui moderne et dont les implications politiques ne doivent pas être masquées.

2) Je ne pense pas également qu'un sujet de création dispense obligatoirement d'une perspective critique. Tout au contraire, la radicalisation d'une démarche critique me semble passer par l'affirmation d'une autorité scripturale.

3) Je vois plutôt la création (ou l'idée qu'on s'en fait) comme le lieu impossible de l'institution, comme un désir, toujours inassouvi, compulsion perverse s'il en est...(les rapprochements sans cesse souhaités (et jamais pleinement réalisés!) entre les deux ministères de l'éducation et de la culture ne me contrediront pas.). Comment faire accepter l'idée que la création n'est pas (ou ne doit pas être) la simple expression d'un "subjectivisme triomphant" ?

4) Je remarque d'ailleurs que les élèves cultivés, éduqués, (...) ne trouvent pas toujours dans l'écriture de création l'aisance et la liberté qu'on leur suppose. Pourquoi ? Est-ce vraiment si grave ?

5) Ayant cherché, cette année, comment travailler l'écriture de création en seconde, j'ai retenu des activités valorisant une compréhension critique des textes et non la simple imitation de figures : le dépassement du cliché, à partir d'un poème d'Eluard. Le problème de l'évaluation reste pour moi le plus délicat. J'en ai d'ailleurs parlé aux élèves qui comprennent fort bien qu'il m'est impossible de noter la qualité d'un poème. Je ne note pas, je réagis et donne mon avis par de simples annotations, ce qui n'est pas mieux : de quel droit dire à un élève qu'il n'a produit que des lieux communs sans véritable intérêt ? Le problème est donc identique à celui que nous rencontrons pour les discussions argumentées. Il se situe donc ailleurs. Mais où ? Enseignant en section théâtre, ces questions ne sont pas nouvelles dans ma pratique. Elles reste sans réponse au moment des épreuves du baccalauréat. La position de refus de Phillipe me semble saine dans son questionnement et son désir de politiser le débat mais elle réitère pourtant l'éternelle opposition des institutionnels et des créateurs, de la subjectivité créatrice et de l'objectivité scientifique, opposition imbécile que j'ai à coeur, avec quelques uns de combattre.

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Jean R. 14 Janvier

Jacky réduit un peu, dans sa bonne et pertinente intervention, la critique du travail d'invention à une critique didactique. Comment en juger ? Quel en sera le contenu pour des gens qui ont une culture télé-Rambo ?etc.

C'est vrai, et c'est important pour des praticiens. Mais il faut replacer cette problématique dans un plus large ensemble. Que détruit le travail d'invention, par opposition au travail analytique plus traditionnel ?

Dans toutes ces réformes qui nous sont parachutées, la seule question qui me semble appropriée est : qu'est-ce qu'on perd ‘ C'est la question qu'on hésite un peu à poser. A la faveur de la question qu'est-ce qu'on perd, on saisit le sujet. Saisir le sub-jectum (ce qu'il y a dessous) fait faire des progrès de clairvoyance sidéraux !

Réponse donc : à mon avis ici, on diminue le sens commun des jeunes. Je m'explique et je vais le faire grâce à un détour par Hannah Arendt : " Plus on l’écoutait, plus on se rendait à l’évidence que son incapacité à s’exprimer était étroitement liée à son incapacité à penser [?] Il était impossible de communiquer avec lui, non parce qu’il mentait, mais parce qu’il s’entourait de mécanismes de défense extrêmement efficaces contre les mots d’autrui, la présence d’autrui et, partant, contre la réalité même. "

Ce jugement d'Hannah Arendt à propos d’Eichmann, le bourreau nazi du peuple juif jugé à Jérusalem en 1961, après que les services secrets israéliens l’eurent capturé dans la banlieue de Buenos Aires, ce jugement est à plus d’un titre extraordinaire. Parlant de lui, Arendt affirme la banalité du personnage liée à son incapacité à penser. Le mal donc est lié à une incapacité à penser. Cela ne veut pas dire que les gens intelligents, appartenant à une élite de penseurs ou finement rompus à l’art de l’argumentation soient seuls capables de distinguer le bien du mal, mais que s’il leur manque le " sens commun ", les hommes ne peuvent plus opérer clairement cette partition. Ils sombrent dans la confusion et l’incohérence. C’est cette notion de sens commun qui manquait à Eichmann et qui lui interdisait, en fait, toute humanité parce qu’il était isolé dans son monde, coupé de l’extérieur et des autres.

1.Incapable de penser par lui-même, il s’en remettait à ses chefs et leur laissait le soin de ce travail fastidieux de se forger un jugement personnel. Inapte à penser sans préjugé.

2.Incapable de se représenter ce que les autres pouvaient ressentir, à aucun moment il ne s’autorisait à prendre en considération leur souffrance, leurs espoirs, leur point de vue. Inapte à une pensée ouverte.

3.Incapable enfin de suivre une ligne logique, il sombrait dans l’inconséquence et ne cessait de se contredire sans que cela lui apparaisse incohérent. Inapte à la responsabilité. Hannah Arendt affirme que cette inaptitude à penser, c’est-à-dire à mettre en oeuvre la condition minimale commune pour qu’une activité entre tous les hommes soit possible, est d’une terrible banalité. Non pas, évidemment que les crimes imprescriptibles d’Eichmann soient minimisés par la banalité dont elle parle, mais parce que l’absence de pensée est en définitive le refus d’envisager le sens de ce qu’on fait. Donc de juger ses propres actes. Plus simplement, refuser de penser, c’est s’en remettre aux clichés, aux lieux communs, c’est s’alimenter dans l’auge du prêt-à-penser que les médias, les journaux à sensation, les songe-creux approvisionnent à notre usage pour répondre du tac au tac à notre paresse endémique. Ma question est dès lors immédiatement saisissable : l'introduction d'un travail d'invention ne fait-elle pas diminuer la faculté de penser, donc n’atténue-t-elle pas le "sens commun" ‘ Dès lors qui est-ce qui en tire avantage ?

Moi, je crois que je sais la réponse.

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Eliane 14 Janvier

Parfaitement d'accord avec vous. Je rajouterai à ce long inventaire d'arguments la notion-clé des réformes, celle de "culture commune", qui ne permet plus de prétendre sortir les élèves du néant culturel, justement, dans lequel ils baignent pour les trois quarts d'entre eux comme des poissons dans l'eau, sauf à se faire saquer par les inspecteurs au prétexte de vouloir imposer une culture terroriste d'"Héritiers" élitistes. Dans ce contexte, on voit les univers que pourront brasser les fameux "écrits d'invention", et les critères d'évaluation à l'aune desquels ils seront jugés : plus ce sera "commun" dans tous les sens du terme, plus ce sera à prendre en considération. "Commun" aux élèves d'une même "communauté", "commun" à tous et d'une platitude absolue, "commun" au professeur et à l'élève... Combien d'implications dans ce concept fumeux qui se trouve être la clé théorique des réformes selon Meirieu (cf L'Ecole ou la guerre civile), que démonte et analyse avec une extraordinaire patience et beaucoup de lucidité le philosophe cartésien Denis Kambouchner dans l'ouvrage paru en début d'année aux Puf, Une école contre l'autre...

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Jacky 14 Janvier

" Je ne vois pas pourquoi un sujet d'invention bien conçu ruinerait le bac! " a écrit Anne Françoise.

Le sujet d'invention, avec les TPE (par exemple) fait partie d'un "pool" de mesures nullement innocentes et qui obéissent à une logique. Ce sujet d'invention ne ruinera pas - seul - le BAC. Évident. C'est un ensemble de mesures qui feront que le BAC "tombera" tout seul : il apparaîtra obsolète. Tout est en place : on pourrait développer plus tard ce thème.

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Anne 14 Janvier

Une très bonne analyse critique du sujet d'imagination, d'après des annales du Brevet des collèges, a été publiée par Philippe LECARME dans le numéro 349 des CAHIERS PEDAGOGIQUES (décembre 1996) intitulé "Un peu plus d'imagination". Cette critique me paraît encore bien pertinente et transposable au projet pour le bac.

Anne-Françoise (en réponse à une demande d'exemple de sujet)

Un exemple: l'an dernier, en 1ère STT, après l'étude d'un groupement sur l'ironie au XVIIIème, j'ai demandé aux élèves de rédiger un texte où ils utiliseraient l'ironie pour s'attaquer à une injustice, un "fléau" du monde contemporain. C'était un devoir en classe, en deux heures. Nous avons pris quelques minutes pour nous mettre d'accord sur des thèmes possibles (la guerre, le racisme...). Il a fallu que je passe dans les rangs pour assurer le démarrage de quelques désorientés. Un potache m'a demandé s'il pouvait écrire au Ministre de l'Education Nationale pour vanter ironiquement ses réformes. Vous pensez si je l'en ai dissuadé! (astucieux, le jeune homme, entre nous!) La lettre était un petit bijou de persiflage, inspiré de la "lettre au comte de Lastic" de Rousseau. Je n'ai malheureusement pas eu le réflexe de la photocopier... Certains textes sur la guerre étaient tout simplement venimeux (mais pourquoi n'ai-je pas photocopié...???!!!§§§) Pour être honnête, j'ai eu aussi des ratages dans le même paquet, vous vous en doutez.

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Anita 15 Janvier

Je souhaite apporter ma modeste contribution au débat sur le sujet d'invention au Bac. Je le pratique par goût depuis longtemps au Lycée ( concours d'écriture de Télérama, concours de critique littéraire dans le cadre du prix Goncourt Lycéen, écriture d'un roman collectif...) et je suis totalement opposée à son utilisation comme exercice d'évaluation finale.

L'acte d'écriture nécessite un investissement personnel et une bonne dose de liberté. Il faut écrire pour soi ,ou pour le plaisir , pour que la création émerge. Aussi j'utilise les écritures d'invention dans un but de formation avec soit une évaluation extérieure (jury des concours par exemple), soit une évaluation positive qui tient compte de l'effort fourni et non du résultat.

Pour certains élèves, la production d'un paragraphe quasi parfait (présentation, correction de l'expression, style ..) nécessite déjà un effort énorme. Valoriser leur effort et leur capacité à s'investir leur permet de prendre confiance. Les juger casse l'acte créatif.De ce fait, cet exercice participe à leur formation et non à leur évaluation finale.

De plus, il ne faudrait pas oublier que le Bac reste le premier degré de l'université. Or, ce que l'on attend d'un étudiant, c'est qu'il soit capable de construire une pensée autonome et un acte de réflexion critique. Les exercices réflexifs sur les textes leur permettent d'avancer dans cette direction. Par contre, l'exercice d'invention - exercice d'imitation - ne les prépare pas à l'enseignement supérieur. On pourra me rétorquer que l'on travaillera aussi les autres exercices. Le temps d'enseignement étant limité, nous savons tous qu'il faudra faire des choix, que les élèves faibles se dirigeront vers l'exercice qui leur apparaît le plus facile, celui qu'ils ont manipulé au collège...

Enseignant en BTS depuis plusieurs années, je constate que les élèves venant en particulier des sections technologiques sont de plus en plus démunis face aux exercices de Synthèse qui leur sont proposés. Le bac de français a diminué ses exigences et ils ne savent plus construire une argumentation complète ( on exige d'eux en Première un "travail d'écriture" qui s'apparente à un long paragraphe). Pourtant ces élèves sont choisis sur dossier!! Aujourd'hui, 4 élèves sur 10 obtiennent leur DEUG en deux ans. Les autres abandonnent leurs études ou se réorientent avec plus ou moins de succès - en BTS, nous voyons arriver ces Bac+0, passablement désorientés-.

Si nous voulons éviter que le Bac soit un leurre, il faut donner à l'examen un contenu qui permette aux lycéens de poursuivre avec succès des études supérieures. L'exercice d'invention ne peut donc être un exercice final. Il peut par contre être pratiqué dans le cadre de la formation.

Philippe 16 Janvier

En fait, certains travaux d'écriture du sujet 1 ne sont pas loin du sujet d'invention. Je me souviens d'avoir donné en 1ère un sujet à des premières S où le TE devait revêtir la forme d'une lettre. Pour certains, la lettre se transforma en déluge de familiarité, diluant dans je ne sais quel magma toute dimension argumentative. Les meilleures copies furent celles qui se présentaient sous la forme canonique d'une dissertation, mais habillée de procédés épistolaires. Le sujet d'invention, comme certains TE du sujet I actuel me semble reposer sur une méprise énonciative: une copie d'examen, ce ne peut pas être de l'écriture "authentique", c'est d'abord un travail destiné à contribuer à l'obtention d'un diplôme. Laisser croire par des consignes visant à donner "un effet de réel", que c'est une "vraie situation d'écriture" me semble malhonnête vis-à-vis des lycéens qui ont horreur de n'être pas pris au sérieux. (...).

 

Anne-Françoise
Merci à tous ceux qui ont pris la peine de m'expliquer leur refus du sujet d'invention.
Ce débat m'a amenée à me demander pourquoi j'avais du mal à considérer ce sujet comme une pierre angulaire de la réforme et à m'interroger de façon plus approfondie sur mes motivations.
La première fois que l'idée en a été émise devant moi, c'était, bien avant Allègre, au cours d'une journée de réflexion syndicale académique, par un collègue que je ne connaissais pas, mais que l'on ne pouvait
manifestement soupçonner ni de démagogie, ni de la volonté sournoise de "casser" l'Institution. C'est la réponse à la première question.
Passons à la deuxième:
Il m'est arrivé (assez rarement, je le concède; mais je suppose que d'autres professeurs doivent faire les mêmes constatations) d'avoir des élèves dotés de qualités littéraires indéniables, qui échouaient lamentablement dans les sujets de commentaire et de réflexion. Je pense à une jeune fille de 1ère L, incapable d'organiser une dissertation cohérente (5 à l'écrit du bac...). Elle composait des poésies qui lui ont valu plusieurs récompenses à des concours. Je pense à un élève de 1ère S, dont les travaux d'écriture étaient des poèmes (dans tous les sens du terme) et qui avait en horreur les connecteurs logiques... J'ai dû "sabrer" les copies de ces élèves tout au long de l'année, en étant convaincue qu'ils excelleraient dans un sujet d'invention. Imaginez-vous mon malaise, à leur infliger sans arrêt des notes oscillant vaillamment de 4 à 7 (malgré mes efforts pédagogiques...) alors que je les savais très doués? Cela vous évoque-t-il des cas semblables? Je sais bien qu'il s'agit de cas
particuliers, mais je trouve regrettable que l'Institution n'ait à leur offrir qu'un lamentable échec en français!

Philippe
En réalité, l'un des paradoxes de notre enseignement est que nous ne jugeons pas nos élèves sur leurs qualités littéraires, mais sur leurs capacité à mener une réflexion à partir de l'analyse des textes littéraires. L'évaluation reste donc du domaine de la "réception" de l'oeuvre littéraire, et s'il y a "production" de l'élève, c'est pour rendre compte de sa "réception".

En fait, certains travaux d'écriture du Sujet 1 ne sont pas loin du sujet d'invention. Je me souviens d'avoir donné en 1ère un Sujet à des premières S où le TE devait revétir la forme d'une lettre. Pour certains, la lettre se transforma en déluge de familiarité, diluant dans je ne sais quel magma toute dimension argumentative. Les meilleures copies furent celles qui se présentaient sous la forme canonique d'une dissertation, mais habillée de procédés épistolaires.

Le sujet d'invention, comme certains TE du sujet I actuel me semble reposer sur une méprise énonciative: une copie d'examen, ce ne peut pas être de l'écriture "authentique", c'est d'abord un travail destiné à contribuer à l'obtention d'un diplôme. Laisser croire par des consignes visant à donner "un effet de réel", que c'est une "vraie situation d'écriture" me semble malhonnête vis-à-vis des lycéens qui ont horreur de n'être pas pris au sérieux. Prenons par exemple l'évaluation de septembre 1998, où il fallait rédiger un discours en vue d'une campagne de lutte contre la faim dans le monde. Pour qui prend-on les lycéens quand on leur demande de rédiger des textes dont la destination est fictive dès le départ? Le but de l'exercice a-t-on dit était d'évaluer la maîtrise des procédés oratoires. Est-ce bien là un objectif majeur en production. En lecture, je le conçois. Une oraison funèbre de Bossuet, c'est parfait pour cela.

Le travail d'invention a toute sa place dans un atelier d'écriture, mais pas dans la classe de français à partir d'un certain niveau, sauf à se transformer en pratique d'évaluation générant des conventions docimologiques, dûment exposés dans les vade mecum et autres Art de réussir le sujet d'invention en 10 leçons qui ne manqueraient pas de fleurir.

Montage réalisé par Anne-Françoise & Robert

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