Inquiets des projets du ministère de l'Education nationale concernant la rénovation de la formation des enseignants, les professeurs de Lettres que nous sommes, intervenant à l'université, en IUFM, dans les établissements du second degré, ont apprécié à sa juste valeur le communiqué de presse du 20 avril annonçant le maintien des concours de recrutement sous leur forme actuelle pour l'année 2001, notamment en Lettres Modernes, ainsi qu'une large concertation pour les modifier manifestant le souci de préserver leur niveau scientifique.

Cette satisfaction s'accompagne toutefois d'une énorme déception concernant les modifications récemment mais déjà apportées au CAPES interne de Lettres modernes par l'arrêté du 2 mars 2000 publié au J.O. n° 72 du 25 mars 2000.

Dans ce CAPES, comme dans tous les autres, on déplore la dévalorisation de l'écrit puisqu'il est affecté d'un coefficient 1 tandis que l'oral se trouve affecté d'un coefficient 2. Mais de plus, alors que d'autres disciplines comme la philosophie, l'histoire, ou les mathématiques conservent à l'écrit d'admissibilité des épreuves véritablement théoriques (même si elles sont simplifiées), les épreuves de composition française et de commentaire composé d'un texte assorti d'une question de grammaire disparaissent au profit d'une épreuve de didactique de la discipline alors que l'épreuve orale d'admission comporte et se limite à une épreuve " professionnelle " de nature très voisine.

Cette modification nous apparaît comme nocive aux candidats, aux futurs enseignants titulaires, qu'ils seront pour un certain nombre d'entre eux et à leurs élèves. Nous la jugeons donc inacceptable.

1) De nombreux candidats au CAPES interne ne possèdent pas une licence de lettres mais ont fait des études d'histoire, d'italien, d'anglais, d'allemand, de communication, de géographie... La préparation au concours ne nous semble pas devoir viser seulement leur titularisation au vu d'un savoir-faire acquis devant des classes et/ou des stages mais leur formation théorique forcément déficiente. D'autres candidats n'ont pas réussi aux épreuves du CAPES externe ou ne s'y sont pas présentés ; il convient également d'élever le niveau de leurs connaissances en matière d'analyse des textes, en matière d'histoire littéraire, en matière de langue française, voire d'orthographe...

2) Dans ce nouveau CAPES interne de Lettres Modernes, il n'existe plus aucune épreuve qui exige une étude du texte littéraire en soi ni qui entraîne à la composition en fonction d'un sujet donné. Il nous paraît malhonnête à l'égard des futurs candidats de leur laisser croire qu'ils sauront en six heures à la fois " analyser un ensemble de textes en fonction d'une problématique " et " proposer un projet de séquence " s'ils ne dominent pas parfaitement, faute de s'y être entraînés en vue d'une épreuve, les techniques de l'analyse approfondie d'un texte et s'ils ne sont pas habitués à raisonner et développer une pensée étayée par de solides connaissances en matière d'histoire, d'histoire littéraire, d'histoire des formes ; une épreuve de didactique, écrite ou orale, qui vise à la transmission d'un savoir n'est pensable que si ce savoir existe... Rappelons que l'explication, pratique fondamentale dans le métier de professeur de lettres, et qui permet tout simplement de vérifier si un texte est compris, a déjà disparu de l'oral de ce concours depuis un certain nombre d'années.

3) A aucun moment dans les dispositions concernant ce CAPES de Lettres, l'épithète " littéraire " n'est employée, ce qui laisse imaginer que le corpus de textes pourrait à l'occasion n'être composé que d'extraits de presse ou de textes de statuts divers et de documents iconographiques. Certes, le programme indiqué reste celui " des collèges et des lycées ", qui comporte des textes littéraires, mais comment imaginer que ce programme sera véritablement dominé par les candidats puisqu'aucune épreuve - et à partir de la présentation de ce devoir de didactique on imagine aisément des dérives - ne vérifie, tout simplement qu'il est connu ?

4) Alors qu'il est affirmé haut et fort par des membres du G.T.D. que la composition française ne disparaît pas des épreuves du baccalauréat, comment peut-on imaginer qu'y prépareront des enseignants qui ne l'auront jamais pratiquée eux-mêmes ? Le grade de certifié, acquis par la voie interne, donne la possibilité , comme le grade de certifié par la voie externe, d'enseigner en lycée.

5) Dans cet arrêté l'enseignant de français n'apparaît plus comme une femme ou un homme de culture mais comme un pur technicien de l'enseignement. Rappelons que c'est aux enseignants de français qu'est revenue la tâche d'assurer l'initiation à l'analyse de l'image et du film, et, la plupart du temps, l'encadrement de l'option théâtre du second cycle... S'ils l'ont bien assumée, c'est parce que leur culture leur permettait pareille adaptation. Que, par une épreuve, on incite les candidats à réfléchir sur la manière d'enseigner efficacement, qu'ils puissent investir dans cette épreuve ce qu'ils ont pu tirer de leur pratique, nous paraît légitime. Qu'on réduise à la didactique la formation de ces candidats sous prétexte qu'ils se sont déjà trouvés sur le terrain nous paraît relever d'une démarche profondément erronée. Les techniques de l'enseignement ne peuvent être dominées que par un être capable d'un recul par rapport à son savoir, et donc, en matière de littérature et langue française, par un être cultivé. La préparation de ce CAPES interne n'incite pas à l'effort d'acquisition de cette culture.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons instamment d'abroger l'arrêté du 2 mars 2000 concernant le CAPES de Lettres modernes et d'organiser, sur ce dossier comme sur celui du CAPES externe, la plus large concertation.