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La réforme du CAPES

Un projet pour l'an zéro

Le Monde du jeudi 16 mars 2000

Suppression de la dissertation ? La rumeur mobilise les défenseurs, réaction effarée devant une réforme dont l'adoption ruinerait la littérature ( Le Monde du 4 mars). La crainte, sans doute excessive, repose cependant sur des arguments puissants. Surtout, elle renvoie à une autre menace, du même ordre, mais plus immédiate et plus large. Récemment, M. Allègre a confié à deux experts, un ancien président d'université et un directeur d'IUFM en exercice, la mission de lui concocter un projet de rénovation du dispositif de formation des maîtres. Un premier cadrage, daté du 7 février, vient d'être soumis aux populations intéressées. Chacun approuvera évidemment le principe de la concertation. Mais chacun sait aussi que ce principe, pour le ministre, consiste en général à avancer de trois mètres pour reculer d'un pas. C'est la concertation du coup de force.

Car il y a dans ce projet, comme peut-être dans le cas de la dissertation, une violence implacable contre ce qu'on appelait autrefois les humanités, et qu'on appelle aujourd'hui, sans trop d'emphase, la culture générale et la liberté de penser. Il s'agit en l'occurrence de remettre aux IUFM les clefs du recrutement des enseignants. Tel est le projet pour l'an 2000. Les théoriciens de la transmission scolaire s'y voient officiellement confier le contrôle effectif des études de lettres, et, plus globalement, des deux premiers cycles du supérieur. Le vieux conflit du superflu et du nécessaire y trouve une conclusion hygiénique : on nettoie le savoir de tout ce qu'il a de gratuit, de rêveur, de risqué, pour n'en garder que le noyau dur, l'efficace et l'utile.

Le concours du Capes en particulier, qui concerne 80 % des professeurs du secondaire, va subir, en passant sous la coupe des IUFM, un nettoyage au jet de vapeur. De lourds protocoles d'admission sont prévus. D'abord, à la fin du premier semestre, se déroulera une épreuve écrite « centrée sur la maîtrise du champ disciplinaire », où l'on vérifiera « la capacité du candidat à opérer les synthèses requises pour enseigner », ce qui soumet forcément la qualité du fond aux exigences du but. Puis, au terme du second semestre, viendra l'heure décisive, l'examen phare, le coeur battant du cursus, le moment tant attendu des épreuves orales ! Là, « un entretien à base disciplinaire permettra d'évaluer à travers un entretien la solidité des connaissances et les aptitudes pédagogiques du candidat ».

« Une épreuve à dominante professionnelle dotée d'un fort coefficient sera axée sur le stage de pratique accompagnée effectuée par le candidat. » Cette épreuve à dominante professionnelle servira-t-elle, du moins, à observer la mise en pratique des compétences disciplinaires dudit candidat ? Pas du tout : « Elle mesurera les capacités de réflexion et d'argumentation de celui-ci sur les finalités de l'enseignement secondaire, sur les enjeux culturels, sociaux et éventuellement économiques de sa discipline, sur la responsabilité éducative de l'enseignant. » Bref, de l'instruction civique sous tutelle, assortie d'un kit de connaissances garanti passe-partout et certifié conforme.

S'il ne révoltait pas l'esprit par ses présupposés strictement fonctionnels, le projet offrirait de quoi séduire : la revalorisation de l'oral, le renforcement de la pédagogie, le développement du tutorat, l'accent porté sur le civisme. Rien que du bon sens. Mais il y a, dans cette vision de l'éden, beaucoup trop de règles et de coups de sifflet.

La gravité du projet ministériel provient d'une funeste inversion des priorités : en assurant la sélection des candidats, l'IUFM fait de l'université sa servante et de la pédagogie un moule. C'est confondre l'art et la manière. Si l'on enferme les enseignants de la République dans un rôle de rouages de la paix sociale, on donnera à la technicité une priorité écrasante. Calibrer les objectifs, les discours, les comportements, hausser la productivité de la machine en rationalisant les profils, professionnaliser tout ce qui bouge : on perçoit les avantages mais, inévitablement, cette logique se paiera d'une nouvelle défaite de la pensée, en tout cas de la pensée qui assied l'humanisme sur la culture écrite et qui, jusqu'à nouvel ordre, fonde la démocratie.

Les études de lettres aujourd'hui conditionnent la littérature et les esprits de demain. Le contrôle par les IUFM du Capes aura pour effet de plomber les études de licence, les vouant à se transformer en entonnoir des flux, et en pépinière d'exécutants. Il serait de la plus haute inconséquence de renverser la hiérarchie actuelle, où l'université forme et évalue les candidats dans le champ disciplinaire, à charge pour les pédagogues de former les lauréats pour la mise en oeuvre. L'emploi précaire et la modestie financière des familles ont rendu les étudiants prudents. Ils veulent caler l'avenir et recherchent des savoirs balisés. Mais, dans le même temps, ils ont une parfaite conscience du chantage à la normalité que le corps social leur adresse. Même s'ils se soumettent, ils recevraient comme une libération de travailler autrement, plus par plaisir d'apprendre que sous l'obsédant couperet des concours. Désir de culture qui va exactement à l'inverse de l'idée avancée par le projet, qui vise à vérifier les connaissances des professeurs des écoles « par une épreuve de type QCM », c'est-à-dire de façon mécanique, comme réagissent les sémaphores. On voit d'ici le goût du libre examen et la sensibilité littéraire qui présideront à la formation des nouveaux hussards de l'entreprise France.

Faire du savoir académique le prestataire de services de la formation professionnelle n'atteindra pas l'université seulement dans son pouvoir et dans son prestige, mais l'abaissera dans sa fonction centrale qui est sa fonction critique. Comme en témoigne le désarroi de ceux qui défendent la dissertation, elle ne peut que résister au coup de boutoir, sous peine de se voir dépouillée de sa toge, puis de sa chemise. Ce qui l'oblige à confronter ses coutumes aux réalités d'un nouvel âge, quitte à secouer franchement son conformisme qui constitue à la fois sa faille et son atout. Car vouloir faire des enseignants, même avec la meilleure foi du monde, des techniciens ventriloques, profitera peut-être à l'industrie du pays, mais, si l'on n'y prend garde, le pays perdra dans l'aventure sa culture propre et sa mémoire. Coupé des livres, comme dans le Fahrenheit 451 du regretté François Truffaut, et miné par l'incitation ambiante à se plier aux modèles tout faits, il offrira moins de résistance aux fourriers du divertissement mondialisé, terreau providentiel pour toutes les arnaques et toutes les influences, y compris celle, en cas de débâcle, des Haider et consorts qui traînent dans les bégaiements de l'Histoire.

par Jean-Michel Delacomptée

Jean-Michel Delacomptée est écrivain et maître de conférences à l'université Bordeaux-III.

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