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Brevet 2000 : de mal en pis.

 

I/ Répétition générale : les " Annales zéro "

Au terme de la réforme du collège, l'épreuve finale du brevet était appelée à changer. C'est pourquoi les " Annales zéro " du nouveau brevet des collèges, choix de sujets élaborés selon la réforme, étaient attendues avec curiosité. Las ! Les professeurs durent vite déchanter à leur lecture.

Le choix des textes

Si dans l'ancien brevet les textes se trouvaient être d'inégale valeur, ils pouvaient, sauf très rares exceptions, prétendre au titre de textes littéraires. Il n'en était évidemment plus ainsi : sur un choix de onze textes, quatre classiques de la culture scolaire seulement (La Bruyère, Chateaubriand, Rimbaud et Camus), le reste se répartissant entre auteurs contemporains à succès (Daeninckx, Higgins avec un extrait d'Harold et Maude), articles de presse et culture " showbizz " (via une chanson de Luc Plamondon, dont il est précisé qu'elle est accompagnée d'une musique de Michel Berger).

Les questions portant sur les textes

La première constatation qui s'imposait était la quasi disparition des questions de grammaire. L'ensemble des questions portant donc essentiellement sur la compréhension du texte, on remarqua néanmoins que quelques sujets proposaient encore des questions nécessitant une certaine finesse. Cependant, même dans ces sujets, une évolution dans la façon de poser les questions était sensible.

Quand il fallait au candidat, il y a peu encore, aller chercher dans une portion relativement étendue du texte les éléments nécessaires pour composer une réponse argumentée, ces éléments étaient désormais souvent donnés d'emblée ou indiqués de façon tellement explicite (numéro de la ligne) que l'élève ne pouvait que se retrouver en situation de tirer la conclusion de faits littéraires observés par d'autres que lui.

L'évaluation de l'orthographe

Auparavant la dictée était évaluée sur 10 points (sur un total de 40) et, dans les questions portant sur le texte, 2 ou 3 points étaient attribués à des exercices essentiellement orthographiques (manipulations passif/actif, justification d'un accord…), soit un total de 12 ou 13 points sur 40. Un tel système présentait surtout l'inconvénient majeur de faire apparaître sans ambiguïté l'échec de l'apprentissage de l'orthographe pour un nombre important d'élèves, résultat d'une négligence démagogique organisée depuis des années et allant de pair avec les réductions successives de l'horaire d'enseignement du français ces trois dernières décennies à l'école primaire. Comme il était exclu, par souci d'économie, de se donner les moyens (horaires principalement) indispensables pour redresser la situation, il fallait dissimuler le bilan et empêcher le constat. " Faute de vouloir soigner le malade, on casse le thermomètre ", le procédé est connu.

Désormais, il importait donc surtout de " valoriser les formes de graphie correctes ", ce qui signifiait deux choses : réduire la dictée à sa plus simple expression (dorénavant notée sur 6) et y adjoindre une question de réécriture d'une simplicité enfantine, permettant à l'élève d'arracher 3 ou 4 points si ce n'est la moyenne, et non d'être sanctionné par un cuisant - mais fidèle à la réalité - 0/10.

Aucune indication de barème n'était encore apportée L'impréparation générale de ces Annales zéro ne conduisait pas à s'en étonner : ce n'était qu'une négligence de plus. Néanmoins on pouvait aussi s'inquiéter : n'allait-on pas apprendre que la faute pleine (orthographe grammaticale) ne serait plus sanctionnée qu'à hauteur d'un demi-point ? Nous allions bien vite déchanter, avec la mise en application de ces beaux principes, et le véritable " Brevet 2000 "… Nous étions encore bien loin de la réalité !

La rédaction

Il y a un an encore, l'élève pouvait, le jour de l'épreuve, choisir entre un sujet d'imagination (un récit illustrant une situation imposée suggérée par le texte étudié précédemment, ou une suite à donner à ce texte ou encore une réécriture de celui-ci en modifiant le point de vue), et un sujet de réflexion. Le premier constituait une sorte d'aboutissement de la plupart des travaux écrits réalisés depuis la 6e, le second offrait à un élève déjà plus intéressé par l'exposition et la confrontation d'opinions sur un sujet donné, de prolonger la partie du programme de 3e qui prépare au lycée et constitue les bases de l'apprentissage de la dissertation.

Mais nos penseurs en démagogie (eux parlent de pédagogie, allez savoir pourquoi) ayant précisément entrepris de faire passer de vie à trépas cet exercice fondateur des études françaises au motif qu'il est aussi un " discriminant social ", le sujet dit de " réflexion " est condamné. Loin qu'il se fût agi jusque-là d'obtenir des élèves une authentique discussion dialectique, le candidat cependant, s'en fût-il tenu à l'exposé d'une seule opinion, devait la justifier en une langue qui était celle du texte d'idées en articulant des paragraphes convenablement construits.

Désormais, dans l'unique sujet proposé, le contenu argumentatif devenait le plus souvent secondaire ; quand il n'était pas totalement absent comme dans le sujet n° 10 (" Le fils Zap raconte une journée de sa vie de panéliste à un de ses camarades qu'il veut amuser… La fille Zap raconte une journée de sa vie de panéliste à une de ses camarades qu'elle veut apitoyer… Vous rédigerez deux courts récits successifs. "), ou dans le sujet n° 4 qui requérait sans vergogne d'écrire une suite en prose au poème " Les effarés " d'Arthur Rimbaud (" Vous écrirez un récit proposant une suite et une fin à cette scène. Il comportera un dialogue et explicitera les " choses " que les petits " effarés " se disent entre les trous du treillage "). Un parmi d'autres, le sujet n° 1 illustrait sans ambiguïté l'esprit de cette nouvelle rédaction : " Imaginez le dialogue de deux adolescents, dans les rues de Monopolis, en 2050. L'un apprécie le cadre qui l'entoure et croit en un avenir heureux, l'autre déteste ce cadre et regrette le passé. " Jusqu'à la dernière session du brevet le même sujet eût été formulé différemment de façon à conduire le candidat à exposer sous forme exclusivement argumentée, et si possible nuancée, son opinion sur l'évolution urbaine. Désormais le mépris, car il ne s'agit pas d'autre chose, dans lequel les responsables de cette évolution tiennent les élèves était tel qu'ils ne les croient plus capables d'élaborer une réflexion authentique. Il fallait donc y introduire de l'action, (ils aiment ça, les jeunes !), et surtout du dialogue (" la tchatche ", ça va leur plaire, ça aussi). Plus largement, on remarquait une conception très étriquée de la langue, les textes étant avant tout considérés par le biais d'un taxinomie des types de discours pour être ensuite prétexte à la réalisation d'écrits définis pour la plupart par la même visée énonciative : con-vaincre un interlocuteur. Disparaissait donc aussi au passage toute possibilité réelle, pour l'élève, d'inventer un véritable récit, de développer des descriptions, de travailler le rythme, l'attente du lecteur, etc. On ne pouvait d'ailleurs que constater, dans l'énoncé des sujets, la confusion délibérément organisée entre les notions de " discours ", de " récit ", et d' " argumentation ".

Au mépris de l'élève, nous pouvions donc ajouter le mépris de la littérature assujettie à la même visée utilitaire, " communicationnelle ", pour reprendre un affreux néologisme. C'est en vertu de ce principe que le texte sur la famille Zap, extrait de Télérama et exposant la situation d'une famille dévouée à la télévision au point de lui servir de " cobaye audiométrique " donnait lieu au même type de " production d'écrit ", pour employer un autre néologisme, que celui de Rimbaud : dans les deux cas, il ne s'agit plus que de " faire dire quelque chose à quelqu'un "…

Au choix qu'avait auparavant l'élève entre devoir de réflexion et texte narratif est le plus souvent donc substitué l'exercice unique du discours direct (dialogue ou monologue), dont on sait qu'il est un exercice extrêmement artificiel pour un élève de collège. Se perdent au passage l'existence et le sens du verte raconter… L'écrit rejoint donc enfin l'oral : plus besoin, dans les collèges d'exiger désormais dans les " productions d'écrit " (dénomination actuellement en usage remplaçant avantageusement aux yeux de nos " pédagogues " celle, pourtant claire mais autrement exigeante, de composition ou de rédaction), quelque rigueur dans la structure, ou quelque richesse que ce soit dans l'emploi du vocabulaire et de la syntaxe : dorénavant au brevet, on écrira comme on parlera.


II/ Le " Grand Soir "

Au cas où quelques doutes eussent subsisté à la lecture des Annales zéro, la mise en application se chargea de dépasser - et de loin - les prévisions.

Le brevet n'étant pas un examen national, l'épreuve (qu'on a vraiment du mal à appeler encore ainsi) présentée aux candidats des académies de Paris, Créteil et Versailles, constituera un exemple éloquent. Le choix du texte ne prêtant pas cette fois à discussion (un extrait des Misérables), on s'attachera donc à présenter les questions, l'orthographe et l'exercice de rédaction.

Les questions portant sur le texte

Hormis deux questions conduisant, l'une, à identifier la présence du mode impératif et, l'autre, à décrire, d'une façon très libre, une phrase construite par accumulation verbale, aucune question d'analyse grammaticale à proprement parler n'est posée. Les autres questions portent sur le sens du texte mais n'aboutissent qu'à des relevés de mots ou expressions ou des interprétations extrêmement ponctuelles, sans jamais toucher le sens global du texte. Symptomatique à cet égard est la délimitation précise, pour chaque question, du passage du texte à examiner (par exemple : " 5) a - Lignes 19 à 31 : Sur quel ton les adultes répondent-ils à Gavroche ? "). Le candidat est guidé de relevé formel en relevé formel, de remarque ponctuelle en remarque ponctuelle, sans jamais tirer quelque conclusion que ce soit de ses observations. Le travail d'explication de texte devient une sorte de parcours fléché d' " indices " n'offrant plus aucune possibilité de découverte, d'analyse un tant soit peu personnelle des enjeux du texte.

L'orthographe

Point n'est besoin de commentaires ici : il suffira de lire l'exercice de dictée, et les consignes de correction qui l'accompagnent :

LE PETIT GAVROCHE

      Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne pensait pas à lui et sa mère ne l'aimait point. C'était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins.
      Il n'avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d'amour ; mais il était joyeux parce qu'il était libre.

CONSIGNES AUX CORRECTEURS On attribuera 1/2 point pour la graphie correcte des mots suivants : Mais, à, aimait, ces, la marque du pluriel dans enfants dignes, pitié, tous, sont, orphelins, gîte, était, parce qu'. On enlèvera un maximum de 2 points pour d'autres fautes commises, à raison d'1/2 point par faute.

On voit donc assez rapidement où mène l'injonction de " valorisation des graphies correctes " assénée dans le préambule des Annales zéro. En effet, les nouvelles consignes de correction autorisent à récompenser d'un très convenable 4 sur 6 (barème de la dictée), soit 13,5/20, la copie suivante :

      " Pour temps il avais un paire est une mer. Mais son pair ne pensé pas à lui et sa maire ne l'aimait poing. c'étaient un de ses enfants dinieux de pitié antre tous ki on perd et mêre ait qui sont orphelins.
      Ils n'avaie pas deux gîte, pas de pin, pas de feus, pas d'amoure ; mais ile était joiieu parce qu'il été libres. "

À titre d'information, voici un texte de dictée proposé aux candidats à l'entrée en 6e dans les années 50 :

De grandes dalles cassées en mille endroits, posées sur le sol qui se montrait humide par places, auraient fait tomber quiconque n'eût pas observé les creux et les élévations de ce singulier carrelage. Les murs poudreux laissaient voir une bizarre mosaïque de bois et de briques, de pierres et de fer tassés avec une solidité due au temps, peut-être au hasard. Depuis plus de cent ans le plancher, composé de poutres colossales, pliait sans rompre sous le poids des étages supérieurs (…). Ces étages étaient à l'extérieur couverts en ardoises clouées de manière à dessiner des figures géométriques, et conservaient une image naïve des constructions.
Honoré de Balzac, Le Curé de village
(Tirée d'un recueil de dictées publié par Les Éditions de l'Atelier / Éditions ouvrières ; disponible en librairie.)

On mesurera à la lumière de cette comparaison l'extraordinaire démagogie qui caractérise les programmes actuels du collège, et surtout la mauvaise foi qui permettra à nos hommes politiques d'énoncer hypocritement d'illusoires statistiques de réussite en orthographe, une fois que tous les élèves auront obtenu, quel que soit le nombre de fautes commises, la moyenne à la dictée du brevet des collèges.

S'il était encore besoin de prouver cette démagogie, nous dénoncerions le fait que, loin de se contenter de la dictée comme exercice systématique de repêchage, les concepteurs des sujets ont aussi inventé de " valoriser les formes de graphie correctes " dans l'exercice de réécriture ! On appréciera en effet que dans un exercice (noté sur 4) qui consiste à transposer les verbes d'un passage du texte de la 3e personne du singulier de l'imparfait de l'indicatif à la 2e du présent de l'indicatif, l'une des consignes de correction demande d' "attribuer 1 point pour l'orthographe correcte des mots en dehors des flexions verbales" !!! Autrement dit, il suffit de savoir dorénavant recopier bêtement un texte pour voir sa note d'orthographe remonter…

La rédaction

Là encore, l'énoncé du sujet se suffit à lui-même :

" Les adultes ne prennent pas Gavroche au sérieux, à cause de son jeune âge. Imaginez une situation comparable, dans laquelle un enfant essaie de convaincre un adulte qu'il peut lui faire confiance. Vous prendrez soin d'encadrer le discours de l'enfant par une présentation de la situation "

Et comme s'il ne suffisait pas de restreindre par avance toute latitude de composition, sans rien dire de l'interdiction désormais de construire un raisonnement digne de ce nom à travers un véritable " sujet de réflexion ", l'élève se voit encore gratifié d'une suite de recommandations alignées comme autant de tristes " pensum ", pour mieux le guider dans la brume cotonneuse d'un vague " discours ", dont la consigne oublie, par ailleurs, de préciser qu'il doit avoir un objet déterminé !

" Vous écrirez un texte d'environ trente lignes ;
Il ne s'agit pas d'écrire un dialogue mais un discours argumentatif ;
Votre présentation n'excédera pas quelques lignes ;
Il sera tenu compte, dans l'évaluation, de la correction de la langue et de l'orthographe. "
(La ponctuation et les majuscules sont d'origine.)

Les consignes de correction apportaient la précision suivante : " On pourra retrancher, selon l'usage (sic), un maximum de 2 points pour des incorrections de langue et d'orthographe. "

Faut-il s'attendre - au nom de la tradition bien sûr - à lire l'année prochaine : " On tolérera le charabia et pour peu qu'un sens global se dégage de la copie on ne retranchera pas plus de 2 points. " ?

Il ne suffit pas d'inscrire le mot " argumentatif " dans un énoncé pour que le candidat élabore un authentique raisonnement. L'élève, forcé d'aligner clichés et stéréotypes tel " mais fais-moi confiance puisque je travaille bien à l'école ", ne pouvait que jouer le jeu, et emprunter la voie toute tracée de la banalité la plus affligeante, qu'on le forçait à suivre jusqu'à l'absurde parfois. Certains élèves, dans des copies d'ailleurs bien rédigées, observant à la lettre le sujet dans un attendrissant excès de zèle, demandaient à l'adulte sa " confiance ", sans raison particulière, ce qui rendait leurs copies étranges, sortes de machines tournant à vide mues par une rhétorique creuse parfaitement gratuite, mais étrangement symptomatiques d'une époque en perte de sens.

Comment sanctionner de telles copies, réponses parfaites à la demande absurde qui leur est faite, qui n'est peut-être que le vrai visage de cette " culture commune ", assignation expresse au conformisme bien-pensant dans lequel on veut étouffer nos élèves…

Eliane Thépot et Gaëtan Cotard
Télécharger ce texte : brevet2.rtf


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