Malgré son style inimitable, il
est tonique ! En effet, la réécriture qu'il propose du BO
précédent va tout à fait dans le sens des protestations
et scandales que ce dernier a suscités. On peut ainsi maintenant
faire jouer à plein la formule « annule et remplace »
pour récupérer, dans les cours de français, du sens,
de l’intérêt, et une étude de la littérature
que la rédaction précédente de la réforme
refusait presque systématiquement, dans le choix des textes et des
œuvres, des exercices, et des "travaux d’écriture"
(Cf. l’analyse « Pourquoi il faut boycotter
les nouveaux manuels de Seconde »).
L’analyse qui suit s’appuie sur cette
formule consacrée : « annule et remplace ». Elle signale
l’essentiel des suppressions, remplacements ou réécritures
qui ont été opérés entre le BO précédent
d’août 1999 et celui-ci, un an et quelques protestations après…
Elle ne prétend pas à l’exhaustivité,
mais a choisi de s’attarder sur les points les plus contestables de la
rédaction précédente :
- Les Finalités du Français au Lycée
étaient ramenées à une seule, "la formation intellectuelle
du citoyen" ; cette dernière n'en est plus que le troisième
élément, sous la forme "la formation du citoyen" ; évidemment,
"intellectuelle" a disparu au passage, mais... on ne peut pas tout avoir.
- À la troisième ligne des Finalités, on
voit apparaître ce qui n’en était plus une : "la connaissance
de la littérature".
- Toujours dans les Finalités, on avait "la fréquentation
des oeuvres littéraires", on a maintenant une insistance intéressante
: "la lecture de textes de toutes sortes, en particulier d'oeuvres littéraires
significatives". La suite du texte les valorise: "(l'enseignement du français)
forme l'attention à la signification de ces oeuvres, aux questionnements
dont elles sont porteuses et aux débats qui caractérisent
chaque époque, dont elles constituent souvent la meilleure expression."
Un véritable enseignement d’histoire littéraire semble même
en découler : " Par là, il (l'enseignement du français)
permet aux lycéens de construire une perspective historique sur
l'espace culturel auquel ils appartiennent."
- Un terme disparu des instructions antérieures, "pensée",
apparaît maintenant. Il remplace "opinion" dans les Finalités,
des formules insistent sur le rôle du français en ce domaine
: "structurer sa pensée et ses facultés de jugement", "savoir
organiser leur pensée" (là où on avait "construire
leur opinion").
- Une formule abandonnée auparavant, "l'esprit critique", apparaît
deux fois, valorisée par le contexte : "leur réflexion et
leur esprit critique", "la formation du jugement et de l'esprit critique".
- Dans le plan des instructions du BO, le titre Objectifs est
remplacé par La formation de la pensée : les perspectives
d'étude, celui de Compétences à développer
remplacé par Les connaissances : les objets d'étude.
Le recul des réformateurs dans le sens de la réflexion et
des apprentissages est ainsi net.
- Là où on avait : "Ils percevront l'originalité
des œuvres ("oeuvres et documents d'origine et de sensibilité très
diverses") et leur beauté", on a : "les élèves...
peuvent saisir l'originalité et l'apport des oeuvres littéraires
majeures, en ce qu'elles se distinguent des contraintes usuelles." L’importance
et la portée de la littérature sont ainsi remises à
leur juste place.
- Une précision indispensable, qui ne figurait presque plus dans
les instructions précédentes, redonne au français
sa finalité : "Ces perspectives d'étude... sont nécessaires
pour accéder, de façon réfléchie, au sens des
textes lus". La compréhension du sens ne reposait plus sur une étude
des textes, mais était abandonnée à l’élève
et à la qualité de ses réécritures.
- Dans Les connaissances : les objets d'étude, "la connaissance
de la littérature" – qui avait disparu de la rédaction antérieure
-, est réaffirmée et précisée : "l'enseignement
du français au lycée porte donc avant tout sur les textes,
en particulier littéraires", "la lecture d'oeuvres majeures du passé".
- L'histoire littéraire est revisitée, et son étude
entre de plein droit dans l’enseignement en Seconde : "la culture"... "se
structure grâce à une mise en perspective historique. A cet
égard, la richesse des savoirs pour l'étude des textes et
de la littérature impose de privilégier, au cours des années
de Seconde et de Première, les mouvements et phénomènes
qui constituent les grandes scansions de l'histoire littéraire et
culturelle. (...) La mise en perspective historique se construira donc
par l'approche des moments clés de l'histoire des lettres, de la
pensée et de l'esthétique".
- Dans Progression d'ensemble, le domaine de l’histoire littéraire,
gommé des instructions antérieures par une phrase inadmissible
: "L'ampleur des savoirs en histoire littéraire et culturelle excède
les possibilités des élèves", retrouve une vraie place
dans les savoirs nécessaires, auxquels un moment les professeurs
avaient cru devoir renoncer. Il ne reste plus aucune allusion au renoncement.
- Toujours dans cette Progression, le mot "littérature"
réapparaît, et sur un mode discriminant : "leur étude
(des genres) permet une mise en relief des modes de connaissance de l'humain
et du monde propres à la littérature", ce qui lui redonne
également une place centrale, un moment effacée.
- Dans la Mise en oeuvre, la "lecture cursive" est redéfinie
: elle passe de "six oeuvres par an" à "six oeuvres littéraires
par an".
- Les démarches d'analyse des textes sont définies,
dans le sens que tous les professeurs souhaitaient : "elles sont au service
de la compréhension et de la réflexion sur le sens". Antérieurement,
il n'y avait rien, sauf "activités de lecture diverses".
- Dans le Programme de Seconde : les Objectifs sont redéfinis
; au lieu de : "la Seconde a pour fonction... d'établir les bases
nécessaires à un choix positif de formation", on a : "une
maîtrise sans cesse accrue de la langue, la connaissance de la littérature,
la constitution d'une culture et la formation d'une pensée
autonome." Les objectifs propres à l’enseignement du français
se retrouvent ainsi, au lieu d’être dévoyés, à
leur vraie place.
- Détail amusant : dans les Objectifs antérieurs,
on avait le "plaisir" ; il a disparu, il est remplacé par "la connaissance
de la littérature"... Ce "plaisir", qui ne désignait que
la connivence intellectuelle d’un milieu protégé, ou la naïveté
démagogique des réformateurs, cède ainsi une place
de plein droit aux finalités de l’enseignement : l’acquisition de
connaissances.
- dans les Contenus (auparavant non définis), la phrase
: "Il s'agit avant tout d'amener les élèves à savoir
construire la signification des textes et des oeuvres" redonne un sens
à l’enseignement du français.
- Dans le même secteur, il est précisé : "Le programme
indique… "la perspective dominante" de "chacun (des) objets d'étude".
"De la sorte, les élèves disposeront de repères précis".
L’émiettement et la dispersion qui avaient été dénoncés
dans les instructions précédentes semblent donc avoir été
perçus comme un risque réel.
- Le "genre narratif" est remplacé par "le récit", ce
qui semble indiquer l’abandon d’un vocabulaire qui ne pouvait que perturber
les élèves.
- Dans l'argumentation (Démontrer, convaincre et persuader),
les "problématiques conseillées" ("les débats sur
l'éducation ou la question de l'altérité") ont disparu.
Cette suppression périme d’emblée les nouveaux manuels.
- Dans la rubrique Mise en oeuvre et pratiques, la "lecture analytique"
prend la première place, avant la "lecture cursive" (c'était
l'inverse auparavant) ; on apprend qu'au lieu d'avoir pour but "l'examen
méthodique d'un texte", il s'agit de :"la construction détaillée
de la signification d'un texte... un travail d'interprétation",
ce qui redonne à l’explication des textes un but et un sens qu’on
lui avait déniés.
- La "lecture cursive" est elle aussi redéfinie, d'abord par
"la lecture d'oeuvres complètes" (ce dernier adjectif ne figurait
pas dans la première version). Bien que toujours appelée
« la forme libre, directe et courante de la lecture », elle
réintègre le cours de français d’où on avait
voulu la chasser : « Elle se développe dans la classe et en
dehors de la classe ». Le professeur maintenant la dirige : il "propose
des titres et des textes, indique des orientations pour aider les élèves...
et établit des bilans". L’élève n’est ainsi
plus laissé à lui-même, c’est à dire à
la non-lecture ou au risque de contresens. Le rôle du professeur
est réaffirmé, on lui reconnaît un rôle incitatif
et directif.
- Dans L'écriture, on avait "On a recours dans la mesure
du possible aux traitements de textes auxquels on initiera les élèves"
; maintenant : "On recourt dans la mesure du possible au traitement de
texte."
- La formule de titre La pratique raisonnée de la langue
disparaît, on a à la place : L'étude de la
langue. A l'intérieur, une nouveauté : "l'acquisition
d'une langue plus abstraite". La "reformulation" recommandée dans
les travaux d'écriture n'est plus définie (auparavant, on
avait les consignes du collège : "par changement de point de vue,
par changements d'interlocuteurs, par changement de temps, par changement
de genre ou de registre"). Les concepteurs de manuels ont eu bien
tort de se précipiter... Des exercices plus exigeants pourront ainsi
être proposés aux élèves, dans le cadre de la
réflexion et du jugement liés au « vocabulaire abstrait
».
La lecture de ces nouvelles instructions, les corrections ou les remaniements laissent percevoir que les protestations des enseignants, du lycée et de l'université, ont été en partie entendues. Il ne s'agissait pas, comme on le leur a reproché, de défendre des pratiques élitistes, mais d'affirmer le sens de l'étude du français et de la littérature, et leur volonté de ne pas l'abandonner à des réformateurs aux visions utilitaristes ou finalement élitistes, dans la mesure où la réforme refusait aux élèves savoirs exigeants et construits, pour les abandonner à leur milieu d'origine.
Reste l'essentiel, à l'origine de notre mobilisation : la promotion de l'écrit d'invention, clef de voûte de cette " refondation " de l'enseignement du français en lycée.
La lutte continue donc, avec la même priorité que l'an passé. Cette année sera cruciale, qui verra s'engager le débat sur les épreuves du baccalauréat.
" Sauver les lettres ", septembre 2000.