L'Education Civique, Juridique et Sociale et la démocratie au lycée.
L'une des tâches que les réformes veulent, aujourd'hui, donner à l'école est celle de pallier une crise de la citoyenneté enregistrée comme " fait sociologique ". Il faudrait pallier, si l'on écoute le discours ministériel, la montée de l'" incivilité ", ainsi que le désinvestissement de la chose publique.
Mais une observation de la mise en place de ces " réformes citoyennes ", alliée à une petite réflexion, met très vite en évidence que les buts poursuivis, derrière ce voile de " citoyennisme " sont d'une toute autre nature. Ces buts sont budgétaires, stratégiques, et ils impliquent un renversement de la démocratie en son négatif : la démagogie.
Les fers de lance de la démocratie au lycée sont le Conseil de Vie Lycéenne (CVL) et l'E.C.J.S, le premier instaurant une soi-disant pratique de la démocratie, l'autre visant l'acquisition des savoirs que tout citoyen doit posséder.
Mais les élections pour les CVL ont été de véritables simulacres de démocratie, et relèvent par ailleurs d'une démagogie qui mine d'une part la démocratie dans l'esprit des élèves, et d'autre part la possibilité même d'enseigner pour les professeurs. Il faut bien insister, pour commencer, que le lycée n'est pas nécessairement un lieu qui doit, ou même qui peut être démocratique, et que vouloir l'y forcer peut avoir des conséquences des plus néfastes. En effet, les élèves ne peuvent recevoir le pouvoir au lycée, alors même qu'ils constituent le " peuple scolaire " (le démos de démocratie) : le lycée a pour finalité l'enseignement, et seuls les professeurs, eux-mêmes soumis aux programmes, sont compétents pour décider de ce qui doit se passer en classe, or la vie en classe constitue l'essentiel de la vie au lycée, et il ne peut donc rester au CVL que des miettes de légitimité, limitée au lycée en dehors de la classe ; et même là, il n'a qu'une fonction consultative. Il ne faudra pas s'étonner, alors, que l'on ai observé des résultats tels que 160 votants sur 1200 électeurs, 1 élu avec 58 voix, l'autre avec 42 voix, manifestement absurdes : pour qui ou pour quoi les élèves auraient-ils voté ? Le choix démocratique est ici réduit au choix de l'âne de Buridan.
Mais ce mensonge de la démocratie au lycée n'en sera pas moins nocif, au contraire, il constitue une promesse faite aux élèves, et ces derniers se sentiront alors dans leur droit de revendiquer tout et n'importe quoi, et surtout de remettre en question l'autorité des professeurs qui osent exiger d'eux du travail et de la discipline. Ce qui n'était qu'une mesure démagogique destinée à caresser les " sauvageons " dans le sens du poil se retourne alors contre l'institution scolaire, au détriment des mêmes " sauvageons " qui, en vue d'une liberté immédiate qu'on les incite à revendiquer, mettent en péril la raison même de leur présence au lycée : l'acquisition des savoirs qui leur permettront de s'élever.
Mais on peut même douter que ce ne soit là qu'un effet pervers de la démagogie : pourquoi ne pas penser que cette politique faussement démocratique est mise en place précisément dans le but de déstabiliser l'école encore un peu plus, et donc de précipiter des changements qu'on proclamera alors nécessaires ? On sait que l'un des buts du ministère est de modifier le statut des professeurs, pour en faire des animateurs polyvalents, à moindre coût non seulement au niveau de leur formation (réforme des universités et des concours) mais aussi sur le plan de la gestion des personnels (la polyvalence). On aura alors peu de mal à faire le lien avec les exigences de l'Europe et de l'OCDE en matière de réduction quantitative et qualitative de l'investissement publique dans les dépenses d'éducation, réductions qui ont pour but l'ouverture d'un marché particulièrement lucratif. L'exemple de l'ECJS est alors assez parlant.
L'ECJS est le cheval de Troie de la polyvalence au lycée. A l'instar de nombre d'innovations pédagogiques récentes (les TPE par exemple), il serait bien difficile d'en mettre en évidence les avantages scolaires. Au contraire, il est facile de voir que c'est là une matière non disciplinaire, puisqu'il n'y a pas de capes d'ECJS. Il va alors de soi que n'importe quel professeur pourra se voir attribué cet " enseignement ", non pas en fonction de ses compétences, mais en fonction de sa disponibilité. Cela se nomme la " gestion à flux tendu ", et se superpose à une constante réduction des horaires disciplinaires : faire baisser le coût de l'école en faisant éclater de l'intérieur le statut des professeurs, voilà tout le contenu " démocratique " de l'ECJS.
CVL et ECJS sont donc deux illustrations de la fameuse " stratégie de l'épidémie " de C. Allègre, qui consiste à procéder par touches successives, en frappant certains points névralgiques pour ensuite attendre que la mutation se propage à l'ensemble du système. L'image de l'épidémie est d'Allègre lui-même, mais toute métaphore peut être filée afin d'en révéler l'implicite ; or, en ces temps de virus mortels, cette image dit assez qu'il s'agit d'instiller autant de souches virales destructrices dans le corps de l'Education Nationale.
Blaise Buscail
Professeur de Philosophie
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Novembre 2000.
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