Poésie ?>

Poésie

Vendredi 16 septembre 2016

Nous avons appris un premier poème, cette semaine.
J’aime beaucoup les moments de récitation.

Quelle que soit la classe, quand les élèves sont petits – je crois que les grands sont plus timides – ils sont toujours pressés de réciter, et déçus de devoir passer leur tour – je ne peux pas les faire réciter tous, tous les jours… Presque tous les bras se lèvent quand je demande qui veut venir au tableau, se jucher sur l’estrade, qui fait comme une petite scène – j’ai besoin de cette estrade, sinon, je n’atteins pas le haut du tableau –, pour dire le poème.
L’élève désigné se lève, tout content, se place devant la classe. Je propose, pour les plus fragiles, un souffleur, très fier de sa mission, qui est chargé de dire le mot suivant pour relancer en cas de trou de mémoire. Je suis d’une exigence plutôt minutieuse, lors des récitations. Il me faut le titre, l’auteur, les liaisons, les mots bien articulés, une voix qui porte, les pauses au bon endroit. Si une erreur se glisse, je fais reprendre, parfois trois fois, quatre fois d’affilée, jusqu’à obtenir la bonne diction, et la répétition peut produire un effet assez comique, dont les élèves deviennent friands.
Les temps de récitation sont comme des petites représentations, pleines de poésie. Les mots d’un poète dans une petite voix d’enfant soudain sérieux, concentré… C’est tellement joli en soi, que je ne leur demande pas spécialement de mettre le ton. Juste une bonne diction simple et posée, juste la consigne de s’efforcer de raconter une histoire, et on a un petit spectacle, un texte en voix, différent à chaque fois, selon la personnalité de l’élève, et des moments de grâce.

Une élève, dans un CE2, il y a quelques années, est arrivée en cours d’année du Portugal, sans un mot de français. Elle apprenait et progressait tous les jours, mais je n’insistais pas pour la faire parler, attendant qu’elle prenne ses marques. Les élèves apprenaient « Le Loup et l’Agneau ». Ce jour là, ils passaient un par un, comme d’habitude. Elle a levé la main. Je n’avais presque jamais entendu sa voix. « Tu veux réciter ? » Elle a hoché la tête en souriant. Elle s’est levée calmement, s’est posée sur ses deux pieds, sur l’estrade, a laissé un temps de silence. Et elle a commencé, toute droite, immobile, les bras le long du corps, les yeux levés sur un point fixe, avec un léger sourire. Je me suis tournée vers la classe. J’ai vu toutes les têtes se lever une par une avec des grands yeux ronds surpris, tous les élèves arrêter leurs dessins, poser leurs crayons et rester saisis, attentifs, pendant qu’elle récitait, sans hésiter, sans une erreur, avec aisance, lenteur, simplicité, le long poème, en entier. Personne n’a osé bouger, pendant quelques secondes, après son dernier mot.

Mes élèves de cette année ne font pas exception. Lorsque je leur ai proposé le premier poème, ils se sont pris au jeu des discussions sur le sens, ils ont relativement bien retenu la signification des mots nouveaux, ils ont fait des beaux dessins. Ils ont appris en un jour – plutôt facilement – la moitié du petit poème et lèvent presque tous la main avec enthousiasme pour passer sur l’estrade, quand bien même ils se rendent compte, une fois arrivés, que la mémoire leur manque encore un peu.
Aujourd’hui, ils savaient tous le poème en entier, comme il était noté de l’apprendre dans l’agenda. Je n’aurais pas pu, sans les décevoir, me dérober à prendre vingt minutes pour que six ou sept d’entre eux se succèdent sur l’estrade et articulent avec application :

« Un coin vert (Jean Follain).
Parfois reste une bête
Douce et triste en un coin vert
Personne ne sait d’où elle vient
Un bruit de feuillage l’effraie
De ses pattes à doigts griffus
Elle foule – encore un – une fleur très petite
Sans la voir
Puis la nuit recouvre tout. »

Silence.
Quelques remarques.
Et tous les bras qui se lèvent.