L’orthographe dans les copies d’invention

(Lire le texte de présentation : "Autopsie d’un paquet de copies de bac ordinaire")


Le décompte des fautes d’orthographe dans les vingt-sept copies d’invention donne des résultats spectaculaires : 422 fautes sans compter les accents, une moyenne de 17 fautes par récit, un taux de fautes moyen de 3,5%.

Le nombre de fautes pour cent mots s’obtient à partir du tableau suivant :

I.4

I.6

I.7

I.10

I.13

I.16

I.18

I.20

I.23

I.25

I.27

I.31

I.35

I.37

I.39

I.43

I.44

I.46

I.47

I.50

I.51

I.52

I.53

I.54

I.56

I.59

I.62

TT

Moy

Total fautes

21

12

16

4

29

14

35

13

17

1

23

15

27

5

2

23

3

42

16

49

16

14

8

13

31

10

3

462

17,11

Nombre de mots

565

482

438

405

875

394

479

655

553

511

600

710

475

273

234

475

424

605

574

623

403

379

244

384

528

499

462

13249

490,7

% fautes

3,71

2,48

3,65

0,98

3,31

3,55

7,30

1,98

3,07

0,19

3,83

2,11

5,68

1,83

0,85

4,84

0,70

6,94

2,78

7,86

3,97

3,69

3,27

3,38

5,87

2,00

0,64

3,48

3,48

On s’est même autorisé à sacrifier à la mode des graphiques, et on a obtenu le joli dessin qui suit :

Si on fixe – arbitrairement, bien sûr – le seuil de tolérance qui définirait la maîtrise de l’orthographe à une faute pour cent mots, on constate que 5 récits sur 27 répondent à ce critère, alors que 17 autres dépassent les 3%.


" Ni rire, ni pleurer, mais comprendre "

Les inquiétudes sur l’effondrement de l’orthographe sont extrêmement répandues, notamment chez les parents qui y voient le signe visible d’une dégradation essentielle de l’enseignement de la langue. Il ne manque pas de doctes experts ès pédagogie pour leur répondre que la maîtrise de l’orthographe est affaire de distinction sociale, que la correction systématique des fautes inhibe la libre expression et que les quelques pertes de compétences enregistrées dans ce domaine sont largement compensées par les nouveaux champs de connaissances qui s’offrent à leur progéniture, par l’internet et par la pratique du traitement de texte. L’observateur superficiel se précipitera sur l’opposition commode entre de prétendus puristes et des réformateurs, prêts à sacrifier quelques consonnes doubles et une poignée d’accents circonflexes pour introduire enfin un peu de logique dans notre vieille orthographe [1].

Or l’examen attentif du type de fautes relevées dans les copies, et de leur fréquence détruit ces faux débats, et donne raison à tous ceux qui estiment ce phénomène très grave.

Il faudra donc aller au-delà des chiffres globaux et des graphiques aguicheurs, entrer dans le détail des fautes pour tenter de comprendre et d’expliquer. Le tableau inclus à la fin de l’étude peut y aider, mais il ne dispense pas de la lecture directe des copies.

Parce que l’orthographe n’est pas – du moins pas encore – affaire de spécialistes, nous vous proposons d’abord un mode d’emploi du tableau final de classification des fautes.


Tableau de classification, mode d’emploi

Le signe / signifie " mis pour ". Le signe / \ indique que la confusion peut se faire dans les deux sens.

Tous les exemples sont extraits des copies.

Conjugaison

 

 

 

S1 CP / \ IF

rai / \ rais

Confusion entre les premières personnes du singulier du futur de l’indicatif et du conditionnel présent : je pourrais, je pourrai.

16

S1 IPS / \ II

ai / \ ais

Confusion entre les premières personnes du singulier de l’imparfait de l’indicatif et du passé simple de l’indicatif : je gardais, je gardai

10

IPS S1 Gr1

A / ai

Première personnes du singulier du passé simple de l’indicatif, verbes du Ier groupe : je commença

30

II / IPS

 

Indicatif imparfait utilisé pour le passé simple, faute de maîtrise de la conjugaison : Je fondais en larmes pour je fondis en larmes

7

IPS

[a] [i] [u]

Passé simple de l’indicatif, erreur sur la voyelle : (elle) sorta

5

S3 / S1

 

3ème personne du singulier à la place de la première : Je met, je sut, je me rend compte

26

autres pers

 

Autre confusion de personnes, ou absence de marque personnelle : Je reconnu, il m’appris, il jouais, il pu

31

II / \ PP

[ai] / \ [é]

Confusion entre l’indicatif imparfait et le participe passé : Au fur et à mesure que le temps passé, on se serait racontait nos souvenirs

7

II / \ Inf

[ai] / \ [er

Confusion entre l’indicatif imparfait et l’infinitif : les chances s’amenuiser, trouver un endroit où passait la nuit.

10

PP/ \ Inf

[é] / \ [er

Confusion entre le participe passé et l’infinitif des verbes du premier groupe : je ne pourrais retrouvé, toutes mes illusions étaient envoler

37

PP [i] [u] + s, t.

 

Participe passé des verbes des 2ème et 3ème groupes : servit, noircit, dut, permi

19

3ème groupe

 

Je découvrerai, il fesait, il saurait/serait, voire

9

Subjonctif

 

 

1

Conjug. autre

 

 

14

Total fautes de conjugaison

 

 

222

Accords

 

 

 

Épithète, apposition, déterminant

 

Accord de l’adjectif épithète, de l’apposition, du déterminant : Une vrai joie, cet fois ci

18

Attribut, PP avec être

 

Accord de l’attribut du sujet, ou du participe passé employé avec être : mes ambitions étaient garnis d’espoir, une seule solution me semble approprié.

26

Pronoms

 

Erreur sur genre, nombre ou personne des pronoms

1

PP avec avoir 1

avec sujet

Accord du participe passé employé avec avoir. Accord avec le sujet : des champignons avaient poussés.

7

PP avec avoir 2

COD dvt

Accord du participe passé employé avec avoir lorsque le COD est placé devant le verbe : ce paquebot nous a déposé.

20

PP vb pronominal

 

Accord du participe passé d’un verbe pronominal : ma quête s’est aujourd’hui terminé.

2

Plur / \ Sing Masc / \ Fem

 

 

26

autres

 

 

4

S-V

 

Accord du verbe avec le sujet

14

S-V Pronom Complément

devant

Accord du verbe avec le complément placé immédiatement avant : je les avaient prévenu.

6

Total fautes d’accord

 

 

124

Confusions de natures

 

 

 

s’est / \ c’est|| se / \ ce

 

 

3

ses / \ ces

 

 

1

a / \ à

 

 

15

ou / \ où

 

 

10

Autres

 

 

1

Vb / \ nom, adj, pron

 

Confusion entre un nom, un adjectif ou un pronom et un verbe :Les personnes présentent dans le bateau s’effacèrent

3

Découpages aberrants

 

Ma/m’a, mis/m’y s’en/sans

10

Total confusions de natures

 

 

43

Total fautes de grammaire

 

 

389

Fautes d’usage

 

 

 

Mots outils

 

Malgrés, encors

10

Autres

 

 

63

Total usage

 

 

73

Nombre de mots

13249

 

 

Total accents

 

 

 

Total fautes d’orthographe

(-accents)

Total des fautes d’orthographe sans les accents.

462


La marquise sorta à cinq heures

La prédominance des fautes de grammaire sur les fautes d’usage saute aux yeux. Elle se retrouve dans tous les paquets de copie, et annule d’emblée toutes les considérations lénifiantes sur le caractère secondaire de la maîtrise de l’orthographe : ce qui est en question ici, c’est un maniement très déficient de la langue.

Les fautes de conjugaison atteignent près de la moitié du total. Là encore, pas de surprise majeure, mais cela s’explique partiellement par la nature du sujet : le récit invitait à utiliser des temps du passé – passé simple et imparfait – que les candidats manipulent depuis l’école primaire dans les rédactions, mais dont l’orthographe et parfois la forme phonique précise restent mal connues.

C’est un paradoxe sur lequel il faut s’arrêter. La plupart des copies utilisent abondamment le passé simple, et à bon escient, puisque seulement sept emplois fautifs de l’imparfait à la place du passé simple ont été relevés [2]. C’est un temps propre à la langue écrite, mais qui est toujours bien vivant et dont l’emploi est ressenti comme une nécessité par les enfants très jeunes : il leur suffit d’être familiarisés avec des récits lus ou entendus pour chercher spontanément à l’utiliser. Pourquoi depuis ce temps la forme précise du passé simple est-elle restée aussi nébuleuse pour tant d’élèves [3] ?

Deuxième paradoxe : beaucoup de verbes du troisième groupe qui sont très courants font l’objet de fautes extrêmement surprenantes Je découvrerai, il fesait, il saurait mis pour serait, je met.

Ce n’est pas faute d’avoir rencontré ces verbes que des élèves de S ou de ES ont fixé des erreurs aussi grossières. Il peut même arriver que d’honnêtes lecteurs soient victimes de telles aberrations orthographiques…

Alors où en chercher les causes ?

Nous proposerons un petit détour dans des textes un peu ennuyeux mais toujours instructifs :

Programme de 1985 Programme de 1995 Projet 2000 (C. Allègre)

"Il convient de restreindre la place trop souvent excessive faite aux leçons de grammaire"
Programme 2002 (J. Lang)

Observation réfléchie de la langue française (grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire) : 1 h 30 à 2 h /semaine
verbes du 1er et 2ème groupe + verbes venir, faire, voir, prendre, partir, recevoir, devoir, savoir, vouloir, falloir, rendre, boire, croire, dire, écrire, vivre, sentir, recevoir, rendre + avoir et être "Auxiliaires avoir et être, des verbes en er (du type chanter et les particularités des verbes en GER et CER), des verbes en ir (du type finir) et des verbes faire, pouvoir, aller, venir, voir, prendre." "la conjugaison des auxiliaires avoir et être, de quelques verbes en er (du type chanter et les particularités des verbes en ger et cer), de quelques verbes en ir (du type finir) et des verbes faire, pouvoir, aller, venir, voir, prendre." " Les verbes les plus fréquents sont étudiés en priorité."
"indicatif (présent, imparfait, futur, passé simple, passé composé, plus-que-parfait, futur antérieur), impératif (présent), subjonctif (présent et passé), initiation au passif" "Il s'agira pour l'élève, moins d'enregistrer mécaniquement la morphologie des conjugaisons, que de s'initier à l'usage des temps et des modes et d'en appréhender progressivement la signification."

"indicatif présent, passé composé, futur, passé simple, imparfait ; impératif présent ; conditionnel présent, subjonctif présent (en cours d'acquisition à l'issue du cycle)."
"indicatif présent, passé composé, futur, passé simple à la 3ème personne, imparfait, impératif présent" "conditionnel présent, subjonctif présent (en cours d'acquisition à l'issue du cycle)". "Les règles d'engendrement du présent, du passé composé, de l'imparfait, du passé simple, du futur, du conditionnel et du présent du subjonctif peuvent être aisément dégagées ainsi que les régularités orthographiques qui les caractérisent (les formes rares seront étudiées au collège)." "présent du subjonctif des verbes réguliers" "La conjugaison est, au cycle 3, centrée sur l'observation des variations qui affectent les verbes."

Ce tableau [4] présente les connaissances en conjugaison exigées par les programmes en fin de cursus primaire. On y décèle une double évolution : réduction des objectifs – déjà à l’œuvre avant 85, d’ailleurs – et discrédit récurrent de tout travail de mémorisation systématique. Pauvre Montaigne ! S’il avait su qu’en son nom des experts en pédagogie s’échineraient à vider de jeunes têtes sous prétexte de fabriquer des têtes bien faites !

Nos auteurs de récit d’invention, donc, qui achevaient leur CM2 en 1996 ou 1997, ont pu observer de façon réfléchie quelques temps, et quelques verbes du troisième groupe, ils ont eu l’occasion de s’initier progressivement à leur usage, et même de dégager par eux-mêmes les règles d’engendrement de leurs formes. Dans cette perspective, des formes comme il sorta, je tourna, il apercevit, deviennent des tâtonnements tout à fait louables, des recherches personnelles par lesquelles s’exprime l’autonomie et l’inventivité de l’enfant…

Si, au lieu de faire table rase des acquis de la pédagogie empirique [5], nos théoriciens apprentis sorciers avaient su écouter le bon sens, ils n’auraient pas négligé quelques principes simples : 1°) Si la phase d’observation constitue le B-A-BA de la pédagogie, elle doit être suivie au plus tôt de phases de fixation de la règle, de mémorisation et d’intégration par des exercices systématiques. 2°) Ce n’est pas en proposant aux élèves de réinventer la grammaire qu’on en fera de futurs Einstein [6]. 3°) Si on n’apprend pas à temps certains faits de langue, on crée des lacunes graves et on laisse se fixer des erreurs très difficiles à rattraper.


Je su, tu su, il su, je met, tu met, il met.

Le tableau de classification met en évidence une autre catégorie de fautes de conjugaison extrêmement nombreuse : celle des confusions de personne, ou d’effacement des marques personnelles (57 fautes en tout [7]).

Cela signifie que, pour beaucoup de nos élèves, l’utilisation consciente, maîtrisée, du verbe pose d’énormes problèmes. Au lieu de disposer d’une forme clairement définie par sa personne et par son appartenance à un mode, un temps, ils manipulent un machin verbal qui leur échappe, dont ils ne peuvent tirer toutes les potentialités, et autour duquel ils auront bien du mal à constituer une phrase.

Dans le projet 2000 de programme pour le troisième cycle de l’école primaire [8] on trouve un détail qui fournit une clef pour comprendre ce phénomène. Il n’y est question que d’étudier " le passé simple à la troisième personne ". Le raisonnement des concepteurs du projet de programme se reconstitue aisément : les formes les plus couramment rencontrées dans les récits au passé simple étant les troisièmes personnes du présent et du pluriel, allégeons la lourde charge de mémorisation qui pèse sur nos chères têtes blondes et brunes, et contentons nous des formes les plus usuelles.

Erreur fondamentale ! A tous les âges, on a besoin de connaître nous fûmes et vous fûtes pour utiliser correctement ils furent.

Ajoutez à cela qu’il est devenu pédagogiquement incorrect de faire apprendre des tableaux de conjugaison par cœur…

Il en résulte une perte de la conscience de la cohérence flexionnelle [9], qui prive les jeunes élèves de repères indispensables pour le travail sur la phrase et la maîtrise de leur propre écrit. Dans tout système, si vous ôtez des éléments essentiels, vous aboutissez à des cafouillages, à des ratés, voire au blocage complet de la machine. Le système de la langue et son sous-système, le système des conjugaisons, n’échappent pas à cette règle de bon sens.

Un grand classique de la faute de conjugaison a fait lui aussi d’énormes progrès : c’est la confusion entre le participe passé en é et l’infinitif en er des verbes du premier groupe (37 occurrences dans 17 copies). Mais il est talonné par un outsider particulièrement inquiétant, l’amalgame du [ai] de l’imparfait et du é ou du er des formes qu’on vient de citer (17 fois dans 8 copies) ; inquiétant parce que la faute repose sur une confusion entre deux sons différents de la langue, le é fermé et le è ouvert (noté ai à l’imparfait), et qu’elle est le symptôme d’une défaillance dans la maîtrise du code alphabétique.


Je décloisonna, tu décloisonna, ils aidairent individuellement

Si on a beaucoup parlé jusqu’ici des programmes du primaire, ce n’est pas pour mettre hors de cause l’enseignement secondaire. Mais il faut bien comprendre que l’apport de l’école dite élémentaire est décisif pour fournir à l’élève une ouverture à tous les possibles du langage. De même que la nature a horreur du vide, les incohérences et les lacunes dans les programmes d’apprentissages de base de la langue laissent la place à la confusion et à l’erreur, difficultés qui, une fois enkystées, sont très difficiles à éradiquer.

Les programmes ont reporté au collège beaucoup d’apprentissages fondamentaux de grammaire, notamment en matière de conjugaison et d’étude des propositions subordonnées, tout en y faisant régresser considérablement la part de l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe.

Cette régression s’opère par deux biais : tout d’abord la promotion des grammaires dites de texte et de l’énonciation [10] au détriment de la grammaire de phrase – autrement dit la grammaire traditionnelle -, celle qui permet de fonder l’étude de l’orthographe et de la construction des phrases. Ensuite, l’obligation de décloisonner l’étude du français dans le cadre de séquences, de n’observer les problèmes de grammaire et d’orthographe qu’en rapport avec l’étude des textes. Le résultat le plus tangible de ces programmes aux allures très progressistes, c’est l’accroissement sans fin des lacunes en matière de maîtrise de la langue, pour tous. Les élèves perdent le vocabulaire grammatical le plus élémentaire , et ils sont désormais incapables de comprendre que la grammaire est une discipline qui suppose l’acquisition progressive et systématique de quelques connaissances simples et utiles. Quant à l’orthographe, il suffit de renvoyer au niveau des dernières dictées de Brevet des Collèges pour comprendre que, du CM2 à la classe de troisième, on ne demande pas aux élèves de faire beaucoup de progrès…

L’hypocrisie des programmes trouve encore à s’épanouir au lycée, puisque le professeur est censé, en plus d’objectifs littéraires à l’apparence très ambitieuse, faire étudier " la langue " à ses élèves. Lecture faite des textes officiels, on se rend compte qu’il s’agit d’étudier l’énonciation, les registres, des éléments de rhétoriques, mais en aucun cas de travailler systématiquement les connaissances grammaticales qui font défaut, ou l’orthographe. Reste le remède universel : l’aide individualisée en seconde. On l’a accordée en échange d’un recul d’une heure de l’enseignement du français pour tous en 2001, on l’a donnée en pâture aux parents légitimement inquiets, elle sert d’alibi à un système soucieux de masquer ses insuffisances en individualisant les difficultés et en les présentant comme le résultat d’une hétérogénéité en quelque sorte naturelle [11]. Elle est notoirement inefficace [12].

Après ce détour, nous pouvons revenir à nos auteurs de récits d’invention.


Je n’arrive pas à me relire

Pour éviter les fautes d’accord [13], il faut patiemment circuler dans la phrase, comprendre et maîtriser les liens qui s’établissent entre les mots, entre les groupes fonctionnels, et entre les propositions. C’est la démarche élémentaire du correcteur, mais c’est aussi celle du rédacteur, qui modifie, améliore, enrichit en permanence sa phrase. Dans le vocabulaire scolaire traditionnel, cela s’appelle la relecture.

Celui qui est capable de se relire pour corriger ses fautes a beaucoup plus de chance qu’un autre de bien écrire. C’est la raison fondamentale pour laquelle l’orthographe n’est pas la science des sots.

La technique de la relecture se consolide à travers des années de travail sur la langue, dans la pratique de la grammaire, de l’analyse fonctionnelle, des manipulations de phrases, de la dictée, entre autres choses.

Or il est visible, à la lecture des copies, qu’elles ont presque toutes été rédigées d’un seul jet, au fil de la plume, sans plan, ni relecture. Cette incapacité à se projeter, à avoir un recul critique sur ses propres écrits, qui dépasse la simple orthographe, est caractéristique d’un rapport au langage très répandu chez nos élèves : " Je ne peux pas me relire ; si je relis, je ne trouve rien ", entend-on souvent. Il y a à la fois du défi et de la honte dans ces réactions, mais elles révèlent surtout une incapacité douloureuse à faire de la langue un authentique instrument d’expression et de réflexion.

Pour terminer sur une note optimiste, citons le cas d’une élève méritante, qui devrait échapper, n’en doutons pas, à ces tourments. Il s’agit de la propre fille de M. Luc Ferry, notre Ministre de l’Education Nationale. Dans le journal Le Point du 25/01/02, M. Ferry, alors Président du Conseil National des Programmes, en pleine campagne de promotion du nouveau programme pour l’école primaire, déclarait au journaliste qui l’interrogeait : " Je fais faire une dictée par jour à ma fille de 10 ans : elle est encore en vie et cela lui fait le plus grand bien ! " [14]

Félicitons donc notre ministre pour sa clairvoyance : en fin connaisseur des programmes de français et des horaires alloués à l’étude de la langue, il a su prendre les mesures d’urgence qui s’imposaient.


Jean-Marie Réveillon

10/2003


1. L’auteur de ces lignes précise qu’il n’a aucune objection contre une simplification de l’orthographe française, mais là n’est pas le débat.
2. Peut-être en existe-t-il plus, mais c’est une faute parfois difficile à discerner…
3. Ce sont les fautes de type je commença (30 fois au total sur 10 copies), elle sorta (5 fois au total sur 4 copies), je gardais pour gardai (10 fois au totals sur 7 copies)
4. Extrait d’un tableau réalisé par Michel Buttet, consultable sur
http://sauv.net/prim_langue.htm
5. Pléonasme
6. Mettons au défi nos pédagogistes de faire découvrir par les élèves eux-mêmes les règles d’engendrement des verbes à radicaux multiples du 3ème groupe, pourtant indispensables à connaître très tôt chez le jeune enfant, parce que très usuels… Ce qui est mis en place par leurs théories, c’est plutôt une machine à engendrer, et pour longtemps, des fautes en cascade.
7. 26 substitutions de la troisième personne du singulier à la première, réparties dans 10 copies ; 31 autres substitutions de personnes ou effacement des marques personnelles dans 11 copies. On devrait y ajouter la substitution je tourna pour je tournai (30 fois dans dix copies), déjà mentionnée plus haut. Ce qui donne au total 87 fautes (dans 17 copies) qui ont trait à la maîtrise des personnes grammaticales.
8. Voir tableau immédiatement précédent.
9. On appelle flexion verbale la variation des formes du verbe en fonction des personnes, des voix, des modes et des temps.
10. Ces deux disciplines, issues de la recherche universitaire, si elles peuvent apporter quelques notions structurantes à l’étude de la langue, supposent maîtrisé le socle qu’offre la grammaire de phrase.
11. Ou socioculturelle, si on préfère, mais cela revient au même dans l’esprit de nos réformateurs, puisque paradoxalement toutes les réformes récentes proclament leur légitimité en promettant une réduction des inégalités scolaires, conçues comme le résultat mécanique d’un déterminisme social, sans jamais oser évaluer leurs conséquences réelles dans l’aggravation de ces inégalités.
12. L’affirmation pourra paraître brutale. On trouvera toujours, bien sûr, des élèves qui à la marge ont pu tirer des bénéfices de cette heure d’aide individualisée, ce qui n’enlève rien à la nécessaire critique politique d’une mesure poudre aux yeux.
13. 124, réparties dans 25 copies. On les a distinguées des fautes de personnes qu’on a classées dans les fautes de conjugaison, pour des raisons qui nous semblent expliquées dans l’analyse qui précède.
14. Voir l’excellent texte de Michel Delord et Gilbert Molinier sur le site http://sauv.net/ferry.php

 

Classification des fautes d’orthographe dans les 27 copies d’invention

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