Autopsie d’un paquet de copies de bac ordinaire
La démarche pourra surprendre. On a extrait d’un paquet de copies de baccalauréat de Français l’intégralité des vingt-sept récits d’invention [1] qu’il comportait, on les a numérisés en respectant scrupuleusement leur orthographe, pour obtenir un corpus qui permettrait d’étudier la langue écrite des lycéens et, accessoirement, les conséquences de l’introduction du sujet dit " d’invention " depuis juin 2002 dans L’Épreuve Anticipée de Français. Ce corpus est-il représentatif du niveau de tous les lycéens de première ? Naturellement pas au sens statistique du terme, puisque l'échantillon est réduit. Il n'a cependant pas paru hors norme aux professeurs de lycée qui en ont pris connaissance. Les candidats proviennent de deux établissements publics et d’un établissement privé d’une petite agglomération ouvrière de province. Ils sont issus de deux filières d’enseignement général, S et ES - ce qui d’emblée les situe hors des catégories officielles de l’échec scolaire grave ou de l’illettrisme. Même s’il est vrai que le sujet d’invention est souvent choisi par des élèves qui fuient les difficultés des sujets traditionnels, on retrouve souvent les mêmes problèmes de maîtrise de la langue chez ceux qui optent pour la dissertation ou le commentaire [2]. Il faudrait bien sûr rassembler d’autres corpus, comparer avec des paquets de copies d’examen vieilles de dix, vingt, trente ans ou plus, qui dorment dans les archives de certains établissements, et que l’on étudierait sous l’angle de l’orthographe, de la richesse de la syntaxe ou du vocabulaire. En attendant, en dehors des enseignants amenés à corriger en nombre des devoirs rédigés et composés, bien peu de gens savent réellement comment un lycéen écrit aujourd’hui après onze ans d’études… Pourtant, il s’est développé dans les deux dernières décennies tout un discours managérial sur " l’évaluation des performances du système éducatif ". De savants rapports, fondés sur des tests biaisés ou inexploitables, quand ce n’était pas sur les résultats d’un baccalauréat qui se vide progressivement de sa substance, ont d’abord tenté de démontrer que le niveau montait, puis qu’il ne baissait pas tant que ça, et enfin que les problèmes de tout le système éducatif se réduisaient à une petite part de camembert, en noir sur un fond circulaire uniformément gris : 17,5% [3] d’illettrisme. Était-il bien sage de donner la responsabilité de l’évaluation du système aux gens qui, en même temps, en pilotaient les réformes ? Puisqu’aucune instance officielle de l’Éducation Nationale ne fournit de diagnostic fiable, il faut bien retrousser les manches et commencer à en faire un, même partiel…
Pour consulter le corpus : http://www.sauv.net/copies_invent.php
Ce travail est dédié aux auteurs anonymes des récits du corpus : l’Éducation Nationale leur devait bien plus que ce qu’elle leur a donné.
Pour consulter les sujets : http://www.sauv.net/eaf2003sujets_S.php
Première étude publiée : L’orthographe dans les copies d’invention
Etudes en cours : la syntaxe dans les copies d’invention, comparaison avec des rédactions de primaire, le contenu de l’invention
1. L’Épreuve Anticipée de Français propose depuis juin 2002 trois sujets au choix : commentaire, dissertation et un sujet dit " d’invention ". Le paquet comportait vingt-sept sujets d’invention sur soixante-trois copies en tout.
2. Commentaire et dissertation incitent les élèves, par la nature même de l’exercice, à utiliser une langue soutenue et complexe – celle de l’analyse et de la réflexion. Au contraire, la prétendue " invention ", que les élèves assimilent de fait à une rédaction telle qu’on la pratiquait en primaire et au collège, provoque immanquablement, selon les témoignages des correcteurs, un relâchement généralisé de la langue et une régression révélatrice de déficiences extrêmement graves dans le maniement de l’écrit. Il n’en reste pas moins que, quel que soit l’exercice choisi, les problèmes constatés dans le corpus sont partagés, à des degrés divers, par une grande majorité de candidats.
3. " Selon une étude du ministère de l’éducation de septembre 2002, 17,5 % des élèves entrant en 6e ont des difficultés de lecture, avec un noyau dur de 4% d’élèves en très grande difficulté et de 7 % présentant des difficultés importantes. " Martine Laronche, dans Le Monde du 1/10/03.