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Etat des lieux au 28/04/00
(Stage à Noyon)

Reçu de Corinne le 30/04/00 :

Ce que nous avons compris de la réforme du français ou "pour une traduction en langue française"

Ce vendredi 28 avril, quatre personnes - il fallait au moins ça- sont venues à Noyon expliquer , non sans une certaine appréhension, à quelle sauce nos élèves allaient être mangés. J'ai nommé M. Pauchant, I.P.R. de Lettres, Mme C., professeur chargé de nous parler des collèges, Mme A., professeur-testeur de sujets au lycée d'Albert et une dame dont nous n'avons retenu ni le nom ni la fonction, ce dont nous vous prions de nous excuser.

M. l'inspecteur a commencé par nous préciser quelques points importants dont nous ne paraissions pas convaincus :
- la réforme en français s'est faite "en concertation" avec les représentants des instances syndicales, parentales et professorales sous l'éminente autorité de M. Viala et du G.T.D., ce qui suffit à justifier sa légitimité
- le programme de 87 "manquait de cohérence" : il a donc fallu plus de 10 ans pour s'en rendre compte et nous aimerions fort connaître les noms des responsables mais pas coupables…L'autre défaut de ce programme était qu'il laissait "beaucoup trop de liberté à l'enseignant", et on ne sait jamais à quoi tout cela peut mener…
- contrairement à ce qui se faisait avant, "c'est la seconde qui donnera sa forme au bac et non l'inverse"…
…et ce d'autant plus que l'on ne sait pas ce que sera le bac. La nouvelle mouture devrait être présentée fin juin mais ne voyez là aucune coïncidence .L'après-midi sera donc en majeure partie consacré au collège et au Brevet des collèges qui déterminera le programme de seconde, qui lui-même déterminera l'épreuve du bac .Pourquoi ne pas appeler plus simplement le Brevet "Baccalauréat" ?
- la réforme a pour but de rétablir une cohérence entre le collège et le lycée, ce dont personne ne doute et ce dont tout le monde peut légitimement s'inquiéter quand on voit les résultats de la réforme des collèges.
- la réforme en fait n'apporte "rien de nouveau", comme nous allions le constater. A tel point qu'on se demande où est la réforme.

Après ces prolégomènes, nous avons commencé à bavarder à bâtons rompus, au sens propre et au figuré.

Pour remédier à certaines tendances fâcheuses d'enseignants qui, partout ailleurs qu'au lycée Calvin, sont capables d' "étudier Beaumarchais sans souligner son côté subversif " ( O tempora ! O mores !) la réforme va nous remettre dans le droit chemin et nous obliger à revenir à l'essentiel.

La solution, à laquelle personne n'a songé plus tôt, est de changer les mots et le tour est joué ! Quelques exemples :désormais on parlera de "registre" là où l'on parlait auparavant de "tonalité", sachant qu'au collège le "registre" définit le degré d'orthodoxie de la langue ; on utilisera le mot "discours" pour tout texte, qu'il relève du récit ou du dialogue, et la notion de texte argumentatif se dissout d'elle-même puisque "tout texte ayant pour but de convaincre un lecteur ou un auditeur " de la véracité d'un raisonnement ou de la vraisemblance d'une fiction est par essence argumentatif.

Quant aux "axes" de lectures méthodiques, ils deviennent des "perspectives", terme qui ,lui, ne court pas le risque d'être employé à tout bout de champ par enseignants et enseignés, sans que l'on se demande par quel miracle celui-là pourrait échapper aux dérives que l'on reproche au premier .

A un collègue qui demande sous quelle égide s'est décidé ce changement de terminologie qui va embrouiller bien des élèves- et des professeurs- il est répondu, après un silence éloquent, que ce sont de grands universitaires qui, sans doute,… et que de toute façon là n'est pas le problème (du commun des mortels que nous sommes , en plus d'être fonctionnaires, ndlr).

Pour nous aider et simplifier notre travail , l'étude des textes se fera selon des "axes" ( l'ancien nom des "perspectives" si vous suivez), des "rubriques" et un "corpus" de textes et d'œuvres qui pour l'instant ne comprennent que des œuvres du XIX° et du XX° siècle mais, que l'on ne s'abuse pas, on peut "aussi" étudier les siècles précédents. D'ailleurs, tous les professeurs présents, victimes d'hallucinations collectives, ont sans doute mal compris tout ce qui leur a été affirmé péremptoirement, à savoir que le XVI° et le XVIII° , beurk , c'était fini, Dieu ait leur âme et vive Zidane. Après un quart d'heure d'explication, nous commençons quand même à comprendre comment fonctionne cette liste d'axes, de rubriques et de corpus dont on peut faire goulûment des lectures horizontales, transversales ,verticales, comme une sorte de toile d'araignée dont chaque cercle est relié aux autres par un fil ténu. En fait, il s'agit du MEME programme , des MEMES groupements de textes, de la MEME façon de travailler mais que l'on pourra désormais intégrer dans un tableau. Si après cela les élèves ne progressent pas ! De surcroît, comme M. Jourdain nous faisions déjà de la réforme sans le savoir ! Par exemple, avant la réforme, quand on étudiait une satire des pédants, on ne la classait pas dans la rubrique "éloge ou blâme", on ne classait pas les arguments dans "l'axe rhétorique", on ne précisait pas , dans "l'axe historique" que Molière écrivait au XVII° siècle, et dans l' "axe génétique", on ne disait pas que les pédants n'appréciaient pas tellement cette satire. Où avions-nous la tête ? Enfin la réforme est venue rendre les choses plus claires !

Concernant la lecture et l'étude des textes, la lecture méthodique doit dorénavant être appelée "lecture analytique" et la lecture sans analyse "lecture cursive".Celle-ci peut s'effecteur en classe : le professeur ou les élèves lisent, puis racontent "de quoi ça parle" ;il paraît qu'après cela, les élèves deviennent de fervents lecteurs. Une autre solution consiste à les emmener au C.D.I et à les laisser choisir un livre, grande nouveauté pédagogique qui n'avait effleuré personne. Mme C. nous rappelle d'ailleurs à notre devoir qui est de faire aimer lire aux élèves et ajoute qu'il importe peu qu'ils lisent "un article de l'Equipe" ou un classique, voire même qu'ils ne lisent pas puisque, dixit Pennac, Grand-Maître dans l'enseignement du français, le premier droit du lecteur est de ne pas lire. C.Q.F.D. Ainsi, la lecture cursive consiste à conseiller des textes ou des oeuvres aux élèves mais n'a aucune valeur contraignante puisque l'évaluation, préconise M. Pauchant , se fera "plutôt sous forme de pastiche d'un passage" que d'un contrôle de lecture pas très attrayant. A une collègue qui fait remarquer que les élèves peuvent très bien lire un seul passage pour ce travail sans avoir lu le reste de l'œuvre, tous reconnaissent que cette possibilité fait partie des risques, pardon, des droits des élèves. Dans des Annales zéro du futur bac, on nous donne l'exemple d'un pastiche de "L'amateur de tulipes" de La Bruyère avec quelques pistes pour ce travail : les élèves n'ont qu'à remplacer les " tulipes" par un sport, la télévision, des vedettes, internet, l'ordinateur, etc . On attend vainement dans la liste : la lecture, le cinéma, les collections, la pratique d'une activité artistique, voire les promenades dans la nature ou autres passions moins "tendance"…

A une autre collègue qui souligne l'intérêt que portent les élèves aux romans de gare, on conseille quand même, prudence oblige avec ces frondeurs, d 'en tirer parti mais "dans un premier temps" seulement.

Dernière tartufferie lorsque l'on évoque le Brevet des collèges et le remplacement de la dictée, "qui jamais n'a fait progresser en orthographe", par une épreuve de réécriture consistant à remplacer un mot ou un pronom par un autre. Par exemple, il s'agit de changer de personne ou de genre, ou de temps. Le raisonnement est simple : certains élèves ayant zéro à leur dictée, mieux vaut supprimer la dictée. Citation : "Quand je vois qu'un élève a zéro à une dictée, cela me suffit, je ne vois pas l'utilité de lui faire refaire une dictée. Au moins, avec le travail de récriture AUCUN élève n'a jamais eu zéro. Ainsi, les élèves constatent qu'ils ne sont pas mauvais en orthographe ,voire même qu'ils peuvent être bons". Ce dont chacun peut juger au lycée, d'ailleurs .Un collègue fait remarquer que l'existence de règles et de sanctions oblige les élèves à faire attention et qu'ils font beaucoup moins de fautes quand on les pénalise expressément pour l'orthographe que lorsqu'ils prennent des notes personnelles, ce dont chacun prend acte poliment. Il fait également remarquer que cette suppression de la dictée permet surtout aux élèves d'avoir de meilleures notes. "Pas du tout, lui rétorque-t-on , les notes ne sont pas meilleures, elles sont valorisées." Ne confondons pas.

Le travail de réflexion est supprimé purement et simplement. A un collègue qui s'en inquiétait et en demandait la justification, on lance un regard embarrassé, agacé, courroucé. Point. Donc plus de réflexion au collège, plus de réflexion au lycée. Rendons un hommage ému et unanime aux collègues de philosophie qui verront arriver ces esprits frais et vierges de toute pensée et rappelons quand même que certains concours d'entrée dans certains lycées d'élite, où l'on étudie Fénelon en seconde, comportent une épreuve de réflexion. Dire que ce sont encore des fils de profs qui vont pouvoir y entrer alors que la justice élémentaire serait que les enfants de profs soient aussi nuls que les autres !!!

Enfin, au grand dam des intervenants, il faut bien se résoudre à évoquer le bac, dont la teneur brille par son absence. L'écrit supprime purement et simplement tout travail de réflexion de type argumentatif, sauf si l'on considère que le devoir ayant pour but de convaincre un correcteur est toujours un " discours argumentatif ".Le travail d'écriture ne sera pas un exercice de création- M. Pauchant reconnaissant qu'il serait absurde de vouloir évaluer une création personnelle - mais un travail d'invention. Nuance. Avec une certaine mauvaise foi et beaucoup de désinvolture, dirais-je si je ne craignais d'être taxée de fétichiste, un sort est fait à l'ancienne dissertation " en 27 parties " dont la simple évocation fait glousser tous ces gens qui lui doivent sans doute , malgré son côté un peu formel, d'avoir gagné un esprit rigoureux et déductif qu'ils refusent aux nouvelles générations , et qui oublient un peu vite que cette construction ternaire est toujours de mise dans les classes préparatoires aux grandes écoles - de moins en moins fréquentées par les enfants des couches populaires il est vrai- où elle ne fait rire personne. Malentendu ou propos malintentionné, on feint de réserver le terme " dissertation " au seul 3° sujet alors que la lutte porte sur le maintien d'un raisonnement construit et argumenté dans l' " esprit " de la dissertation.

Quant à l'oral, on nous donne quelques pistes et on prend surtout la température sur ce que nous pensons de "la faisabilité" de l'épreuve: plus de liste d'interrogation mais une liste-support dont l'examinateur s'inspire pour interroger l'élève sur un texte qu'il ne connaît pas et qu'il prépare en 40 minutes. Donc plus de bachotage et de par-cœur, nous dit-on. Enfin l'élève va montrer ce qu'il sait faire ! On nous précise cependant qu' "il faut réhabiliter la paraphrase". L'élève doit d'abord montrer qu'il sait lire et comprendre ce qu'il lit. S'il est "en plus" capable à la fin de rapprocher le texte d'un autre texte du même "registre" étudié dans l'année, comme le parfum s'ajoute à la fleur, qu'il aille en paix. Rappelons que nous parlons là de l'épreuve du baccalauréat de français et non pas d'une quelconque épreuve de français langue étrangère. Pendant ce temps, en Italie, des élèves étudient Rabelais dans le texte et ont 4 heures de latin obligatoires par semaine en classe scientifique. Qui croyez-vous qui soit assez fou ou assez cruel pour interroger un élève sur un extrait de Phèdre de Racine, l'élève eût-il une journée pour déchiffrer la langue du XVII° ou un extrait plein d'ironie de Stendhal dont l'élève "normal" ne percevra pas le second degré ? Ne parlons même pas de poètes comme Nerval ou Mallarmé ni même de Ponge. Imaginons un extrait du Savon au bac : "Ben voilà, ça parle d'un savon qui mousse, qui mousse et qui fait des bulles…"

A court terme, on peut s'attendre à ce que seuls quelques textes et auteurs- contemporains de préférence- faciles d'accès mais pas forcément plus riches ni plus intéressants que d'autres servent de support à cette "épreuve" qui ressemble à s'y méprendre à un oral de Capes quant à sa forme mais risque une fois de plus de favoriser ceux qui grâce à leur milieu familial et culturel témoigneront d'une certaine finesse d'analyse et d'une culture dont le défaut pouvait pour les autres être compensé par un travail intelligent. Où était le par-cœur quand la moindre question au cours de l'entretien qui suivait l'explication, suivît-elle le plan du professeur, démontrait sans ambages la réelle compréhension du texte et la réelle maîtrise de l'explication ? Ceux qui prétendent que la majorité de leurs élèves sont capables d'expliquer ex abrupto un texte littéraire , d'en souligner la subtilité et de le rapprocher d'autres textes dans une perspective critique n'enseignent probablement pas à Noyon. Certains professeurs soucieux de rendement feront-ils encore étudier à leurs élèves dans l'année des œuvres et des auteurs dont ils sauront qu'ils ne peuvent servir de support à l'épreuve ? Enfin, les élèves peu motivés auront-ils le même intérêt à suivre l'étude des textes en sachant qu'ils ne pourront pas être interrogés sur ces passages le jour de l'épreuve ?

En outre un collègue fait remarquer que les oeuvres et les textes qui l'ont le plus marqué sont précisément ceux qu'il a étudiés, plan à l'appui, au cours de sa scolarité et de ses études. Il a droit à un regard compatissant.

Cette synthèse ne prétend pas à l'exhaustivité. Toute ressemblance avec ce qui se passe ou va se passer prochainement dans d'autres matières ne sera pas pure coïncidence. Heureusement que notre nouveau ministre a pris soin de souligner qu'il souhaitait revaloriser la série L " égale en dignité " aux autres filières. Effectivement, désormais, tout le monde sera écrivain puisque tout le monde saura écrire grâce à un décret officiel. Bientôt peut-être verrons-nous fleurir un décret qui fera de chaque élève un artiste de génie parce qu'il sait distinguer le bleu du jaune et tracer un trait de couleur sur une feuille. Dire que nous, nous serons toujours des médiocres !

Corinne Jésion, professeur de "lettres" au lycée Calvin de Noyon , Dieu seul sait pour combien de temps encore…

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