Il est très facile et même simpliste d’opposer les phénomènes entre eux – en fait d’opposer les mots censés décrire une réalité – mais il est beaucoup plus difficile, au moins pour les concepteurs des programmes, de voir la liaison qui les unit.
Les thèses pédagogiques dominantes opposent l'ensemble des catégories : l'intelligence est opposée à la mémoire, le sens de l’opération est opposé à la pratique de celle-ci . On retrouve là une vielle idée sorbonagre qui n'est pas disjointe de l'opposition entre la théorie et la pratique ou de celle entre la science et la technique... En mettant bien sur en avant la théorie, la « science contre la technique » ou au contraire en réduisant la « science » à la technique et la « pensée scientifique » à un vulgaire empirisme : il est vrai que le développement scientifique semble de plus en plus liés à la chasse au contrat et que nous ne sommes plus à l'époque des craintes dans ce domaine où "En 1965, Grothendieck rapportera par exemple que « [Roger] Godement estime comme Schwartz que l'institut représente le début de la mainmise du capitalisme français sur l'université et est décidé à n'avoir aucun contact avec nous ! » (à propos de l'IHES, in "La Recherche", Article de David Aubin : L'enfance chaotique de l'Institut des hautes études scientifiques : Un pacte singulier entre mathématiques et industrie)
Prenons une par une ces oppositions mises gratuitement (à part pour les droits d'auteur car les tenants de ces thèses sont des auteurs recommandés et qui se vendent) en avant :
1) Technique opératoire et calcul mental
Lorsque l'on fait une division classique à la française (c'est-à-dire sans poser ni les soustractions ni les multiplications), que fait-on à chaque étape pour calculer les quotients et le restes partiels : on fait du calcul mental sur toutes les autres opérations et les méthodes classiques qui passaient un temps très long sur l'apprentissage complet de l’opération elle-même renforçaient les capacités de calcul mental des élèves. Il ne faut donc pas s'étonner outre mesure que les recommandations qui interdisent les divisions « compliquées » aboutissent à une baisse en calcul mental car la disparition des divisions « compliquées » signifie simultanément la disparition de la phase d'apprentissage dans lequel le calcul mental était le plus employé. Je présente toutes mes excuses au lecteur pour l'emploi de l'expression "divisions compliquées" mais je n'ai trouvé que ce « concept » à opposer au puissant concept de « divisions dans des cas simples » cité plus haut : en fait, cette problématique opposant les « opérations simples » et les « opérations compliquées » veut effacer le fait que l'on ne maîtrise la division que si on sait la faire dans tous les cas, ce qui est d’ailleurs vrai pour toutes les opérations. Dans le même ordre d’idée, il y a encore une exigence non seulement pour le calcul mental mais pour le fait de savoir les tables de multiplication (Pour combien de temps ?) : or, les tables de multiplication ne sont employées essentiellement que – on est un peu gêné de devoir affirmer des choses aussi simples face à des sommités académiques des Sciences de l'Éducation – lorsqu'on fait des opérations et qu'elles ne sont pas « simples ». La position contraire – qui consiste à critiquer la «virtuosité technique » – aboutit à ce que le calcul mental et la connaissance des tables d'opération deviennent de plus en plus difficiles pour les élèves car cela les réduit à des activités « en soi » qui n'ont d'autre but qu'elles mêmes alors que l'ensemble des activités mathématiques ne se nourrit – et prend son intérêt – que dans la liaison entre les différentes parties des mathématiques et dans la liaison entre les mathématiques et les différents besoins humains qui sont sa source de vie.
2) Sens de la division et pratique de la division
Là aussi, l'argument essentiel des autorités compétentes
(y compris) est de mettre en avant le sens de l’opération, c'est-à-dire
Dividende = Diviseur x Quotient + Reste ou Dividende - diviseur x Quotient
= reste en l'opposant à la technique : l'argument était classique
chez les spécialistes des SDE mais il prend une forme tout à
fait caricaturale dans le récent B.O. Spécial consacré
aux programmes du primaire ( B.O.
Spécial N°7 du 26 août 1999 ) : Or, en faisant justement
des divisions que fait l'élève ? Il répète
justement, à chaque quotient partiel, le calcul Dividende - diviseur
x Quotient = reste et s'il fait systématiquement la preuve, à
la main, de chaque division, il répétera Dividende = Diviseur
x Quotient + Reste. Il est à remarquer que ce B.O. fait un
pas de plus dans la régression puisque aucune compétence
exigible n'est formulée explicitement à propos de la division
en CM2. Les élèves vont donc se trouver dans la double injonction
contradictoire de plus en plus délicate qui consiste
- à "utiliser les 4 opérations dans des problèmes"
mais sans avoir à savoir les faire
- à être obligé d'apprendre par coeur les tables
d'opérations de manière absolument formelle, c'est-à-dire
sans que cet apprentissage corresponde à un usage.
On peut s’attendre de toutes les façons à un progrès
très net des compétences.Il reste à savoir l'échappatoire
que le conglomérat SDE / Commission des programmes va produire pour
se sortir de l'impasse qu'il a lui-même produit:
- abandonner comme exigence la connaissance par coeur des tables d'opérations,
cette obligation étant actuellement toute formelle
- maintenir cette exigence en la présentant sous l'angle de
la trique : ceci ne serait pas une surprise car on a connu de nombreux
défenseurs de la "liberté pédagogique" et de "l'autonomie
de l'enfant" qui, lorsque le délire de leurs positions aboutit à
une situation réellement ingérable pour eux, reviennent aux
formes d'autoritarismes pires que ceux de "l'école de Jules Ferry"qui,
si ils étaient bien réels, apportaient cependant "du sens".
3) Intelligence, mécanisme et mémoire
Une des formes du "savoir calculer" la plus importante est le fait de savoir calculer mentalement car elle suppose l'acquis de mécanismes et notamment de mécanismes mentaux qui sont indispensables et qui sont la base, justement, de "l'intelligence " et du "sens". Ceci se remarque partout; puisque "On est champions", je prendrais l'exemple du sport. Dans tout sport, on sait que l'intelligence du jeu ne vient que lorsque le joueur a acquis un certain nombres d'automatismes, c'est-à-dire qu'il n'utilise pas son "intelligence" justement à retrouver des automatismes. Si nous observons maintenant non seulement l'aspect statique de la liaison entre les « automatismes » et « l'intelligence », il est possible de comprendre que, non seulement les deux ne s'opposent pas à un moment donné mais que le fait de comprendre un aspect d'une situation fait basculer cette compréhension dans le domaine des automatismes, ce qui renforce et le domaine des automatismes et celui de l'activité de compréhension : elle est déchargée du domaine correspondant. Nous avons l'exact parallèle sur le problème du rapport ente l'intelligence et la mémoire : la mémoire ne s'oppose pas à l'intelligence car les mécanismes de l'intelligence sont eux-même "en mémoire" – ou alors ils n'existent pas – tandis que la mémorisation n'est efficace que si elle est organisée de manière intelligente, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une classification rigide, héritée de la pensée médiévale.
4) Numération, arithmétique, algèbre
On pourrait citer beaucoup d'autres exemples et même l'ensemble
de la problématique des SDE car elle se caractérise par l'atomisation
de la pensée qui oppose justement de manière absolue chaque
réalité qu'elles prétendent traiter à toutes
les autres réalités mais, si l'on s'en tient aux mathématiques,
il est prioritaire de constater que
- la numération – en tant que perception de la suite des
entiers – n'est vraiment compréhensible que lorsque l'on maîtrise
le sens des opérations (cet aspect a été en gros traité
au IV ; en gros car les sens des opérations n'a pas été
traité et le sera dans un autre texte)
- la liaison entre les opérations – qui ne se réduit
en aucun cas à la distributivité –, qui est en gros le domaine
de l'arithmétique, avec une forte place du calcul mental, est la
base de la maîtrise du calcul algébrique si l'on veut que
les élèves n'appliquent pas les règles de calcul comme
des automaths. Par exemple, faire calculer (3,4 + 6,6)2 après
la leçon sur les identités remarquables : une bonne majorité
des élèves va considérer que c'est un calcul difficile.
- la non-maîtrise du calcul numérique élémentaire
– donc y compris la pratique des opérations – induit
la non maîtrise du calcul mental, du calcul algébrique et
du maniement de la calculette (on pourrait y ajouter de la géométrie
élémentaire car une des formes de pré-apprentissage
de la géométrie est la maîtrise des calculs d'aire,
de périmètre et de volumes des figures géométriques
de bases)
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