Si je ne partage absolument pas l'opinion de M. Ferrant selon laquelle le calcul humain doit être remplacé en classe par le calcul automatique, il est vrai que l'existence des calculettes, en tant qu'automatisation du calcul humain – les mêmes remarques valant pour tout ce qui représente le rapport entre les « fondamentaux » et ce qui les automatise : écriture/traitement de texte, orthographe /correction orthographique automatisée, apprentissage du dessin géométrique/ logiciel de dessin géométrique – introduit bien évidemment une nouvelle période dans laquelle l'existence des appareils électroniques impliquera, de toutes façons, par facilité peut-être – mais nous ne sommes pas sur terre exclusivement pour souffrir ! – une baisse quantitative de la pratique humaine du calcul – c'est à dire non de l'individu untel mais une baisse sociale – : tout le monde (?) est d'accord sur le constat mais les avis divergent sur la réaction à ce phénomène : on trouve bien évidemment le "laissez-faire, laissez aller " du mercantilisme : ce terme est doublement vrai car le marché des machines de la cybernétique généralisée est l'aiguillon du NASDAQ – et aussi de sa future implosion – et la problématique cybernétique de la conception des sciences cognitives est elle-même entièrement pénétrée de conceptions mercantiles. Dans ce cadre, pendant que les représentants placent sans vergogne leur matériel et leurs logiciels, les concepteurs des programmes s'adaptent en parant des mille couleurs de la "psychologie scientifique" et l'utilisation des machines et les théories pédagogiques qui assimilent l'homme à une machine.
Face à cette débandade, il semble que l'on peut dire
a) Que la maîtrise réelle d'une machine qui automatise une tâche supposePour l'école cela signifie, dans un premier temps, l'interdiction totale des calculettes à l'école primaire (et jusqu'au niveau quatrième ?). Cette mesure n'a de sens que si sont remises en vigueur des méthodes actuellement décriées mais efficaces d'apprentissage du calcul. Elles ne signifient pas non plus de bannir l'électronique et l'informatique de l'école primaire : si l'on reconnaît qu'il y a des activités répétitives nécessaires, les appareils électroniques et les logiciels peuvent rendent de grand service : les activités répétitives sont nécessaires pour l'élève mais pas pour l'enseignant (quoique que pour certains…) qui peut être déchargé d'une partie de ces activités prise en charge par ces machines pour se consacrer aux cas particuliers dont les difficultés ne sont ni répertoriées dans le silice des machines ni dans les bases de données de logiciels pédagogique qui restent à concevoir (j'ai quelques idées là-dessus). C'est effectivement beaucoup plus facile- une maîtrise complète de la tâche sans la machine.Sans ces conditions – au minimum – , c'est la machine qui domine l'homme. Ceci est réalisé dans le travail à la chaîne mais la limite des "compétences exigibles" est la production standardisée, soit, au niveau intellectuel, l'utilisation d'algorithmes. La mise en place de l'utilisation de la calculette sans formation au calcul que nous vivons est, en ce sens, parfaitement cohérente avec la mise en avant des algorithmes.
- une compréhension du fonctionnement de la machine car celle-ci ne réalise pas cette tâche de la même manière que l'être humain. De plus, l'automatisme doit toujours être débrayable.b) Que nous ne pouvons plus compter sur l'activité humaine de calcul comme activité normale d'entretien des capacités de calcul
c) Qu'il faut interdire, dans la période d'apprentissage d'une activité qui peut être automatisée, l'utilisation de la machine qui automatise cette activité.
d) Que, globalement, l'introduction des "machines mécanisant le calcul" impose une intensification du calcul purement humain.
- pour Casio de concevoir une calculatrice qui permet à l'élève d'apprendre le calcul mental (par exemple)
- pour les éditeurs de logiciels de placer force traitements de texte dans les écoles plutôt que de concevoir des logiciels éducatifs permettant l'apprentissage de l'écriture-lecture ou le travail des enseignants et la coopération des élèves et des enseignants (c'est-à-dire de concevoir un groupware éducatif, qui n'a que peu de rapports avec le groupware commercial car les natures des "informations" à classer et à rendre disponibles sont différentes : les connaissances nécessaires pour les fondamentaux sont des connaissances stables tandis que les informations commerciales sont à durée de vie courte, et ceci implique même une différence physique de de stockage informatique et de nature des moteurs de recherche : dans un cas on privilégie la vitesse d'accès et l'accès au maximum de sources qui optimisent l'élargissement du marché et la circulation des marchandises, dans l'autre, on privilégie la pertinence de la recherche)
Mais sachons ce qui est utile et j'ai aussi quelques idées.
Cette idée d'interdiction peut paraître saugrenue – surtout en France ou l'on copie en général les défauts des USA et ou on s'oppose à ce qui y est positif – ou irréalisable mais
1) L'Angleterre depuis la rentrée 1999-2000 interdit l'usage des calculatrices jusqu'à lâge de huit ans :
Mais ceci n'est qu'un exemple du débat abondant en Grande Bretagne depuis 1996 et depuis la publication du rapport de la London Mathematics Society " Tackling the Mathematics Problem" On peut retrouver une analyse de la situation anglaise dans le numero de Janvier 1998 du Christian Science Monitor:" Trash the Calculator, It's Back to Basics in Britain" . On peut observer le mutisme absolu en France sur ces sujets.
2) c'est justement dans la Silicon Valley, et de manière générale en Californie sous la pression de groupes comme Mathematically Correct que les responsables des majors de l'informatique ne veulent pas que leurs enfants aient des calculettes en classe tant qu'ils ne savent pas calculer (voir les déclarations de Steve Jobs, patron d'Apple ou celle de Jean Louis Gassée, président de BeOS et chroniqueur à Libération) et que l'on recherche des méthodes très classiques d'apprentissage du calcul utilisant des méthodes de mémorisation, de répétition, d’imitation et ne reculant pas devant le fait de faire des opérations « compliquées ». Je développerai plus tard la critique de ce retour en arriére (« Back to basics ») car la réponse à la fausse position anarchiste qui confond l’autorité et la répression, position qui est un des postulats politiques justificateur des dérives actuelles, ne devrait pas être le retour à l’oppression réelle qui accompagnait les positions politiques de l'école de Jules Ferry que certains critiquent pour ses qualités (Meirieu, si l'on peut dire que ses textes sont cohérents et ne surfent pas exclusivement sur les oppositions inter-bureaucratiques pour justifier sa position et celle de son clan) tandis que d'autres la louerait pour ses défauts : le retour à « l’autorité », au « règlement » – Pourquoi pas au tableau d'honneur au nom de l'émulation et de la bienfaisante concurrence ? – est bien le fait de la partie de la gauche plurielle pro-ferryste et de tous les tenants de "l'ordre avant tout".Le débat est également abondant aux USA : chercher sur le site de 2+2=4 ou , pour prendre un seul exemple, l'article de 1998 de David Gelertner, Professeur d'Informatique à la Yale University "Put down the calculator, stupid". Ou au Texas:"According to the bill, calculators can be used on the TAAS only in grades eight and up. Conservatives say the message to educators will be : Don't depend on calculators to teach elementary and intermediate school students their basic math skills." Tiré du Star Telegram.
On peut dire la même chose pour les traitements de texte,
les logiciels de dessin géométrique et l'essentiel de ma
réflexion a été justement de voir ce que pouvait apporter
l'informatique (et l'Internet) à condition de ne pas se laisser
porter par le courant mercantile mais au contraire de dominer l'informatique
pour qu'elle puisse effectuer un travail pédagogique, ceci ayant
d'autres conséquences non minimes sur la conception même de
l'informatique et " l'utilisation d'Internet". Mais, les choses étant
ce qu'elles sont, il me semble que la condition d'un emploi positif de
l'informatique est la critique de l'influence de la problématique
"informatique / Sciences de la cognition" sur la pensée pédagogique
: ce qui est l'axe de ce texte.
"La science et la technologie se multiplient autour de nous. De plus en plus, elles nous dictent les langages grâce auxquels nous parlons et pensons. Soit nous usons de ces langages, soit nous restons muets"Il s'agit justement de répondre, sur le point très particulier de l'utilisation des calculettes, à ce défi : comment "user de ce langage" sans être dominé par lui, c'est à dire en restant humainement muet, ce qui n'empêche pas le bavardage. Un autre texte suivra pour répondre à ce même défi mais sur le plan plus général de "l'utilisation de l'informatique et d'Internet à l'école" selon la terminologie officielle, terminologie qui englobe en quelques mots des activités humaines totalement différentes et opposées sous le prétexte qu'elles font référence à l'ordinateur : c'est étymologiquement une pensée objective non arrivée encore à ce que Gaston Viaud appelait autrefois "l'intelligence artisanale" (le fait qu'elle se présente comme une intelligence conceptuelle ne change pas grand chose à l'affaire).
(in James Graham Ballard : RE/Search #8-9 : J.-G. Ballard, San Francisco-1984-)
Enfin, sur l'utilisation des ordinateurs à l'école, on peut consulter l'article de Valdemar W.Setzer et Lowell Monke : "Computers in Education: Why, When, How" qui, s'il part de thèses que l'on peut contester - la perspective de Steiner - ne pose pas moins de vrais problèmes en essayant de donner des normes d'utilisation au lieu de se laisser entraîner par la problématique de "l'existence des ordinateurs et des calculatrices " qui devraient automatiquement bouleverser les cursus scolaires et surtout dans leurs aspects initiaux.
En n'oubliant pas que se laisser porter par le courant aboutit au mutisme humain bien recouvert par la logorrhée cognitivo-cybernétique des spécialistes : elle justifie la logorrhée des élèves que l'on a ainsi convaincu en valorisant la prééminence de la participation par rapport à la pertinence de leurs interventions, ce qui transforme la pédagogie de l'erreur en un apprentissage du discours vide et faux comme condition de la réussite. Il faut dire qu'ils peuvent prendre une fois de plus le sieur Meirieu comme exemple : après avoir affirmé que l'important était d'apprendre à apprendre (le contenu important peu) et qu'il fallait apprendre à lire dans les modes d'emploi des appareils électroménagers, il change son fusil d'épaule et on apprend successivement qu'il s'était trompé sur "l'apprendre à apprendre" ("L'aventure des savoirs" dans Science Humaines - Hors Série N° 24 de Mai 99) et qu'il ne fallait plus apprendre à lire dans les notices des magnétoscopes mais dans les textes classiques (Figaro Magazine du 23 octobre 99). A part que les deux positions successives sont aussi stupides l'une que l'autre, on passe ainsi de la possibilité de faire des erreurs (ce n'est pas un droit) à la légitimation du pouvoir par la permanence des changements de cap. Le problème qui demeure, hors de la présence nocive des Meirieu dont la présence en elle-même est un déni à toute morale, est le suivant : comment des élèves qui, pendant 10 ans, ont appris à ne rien apprendre (formulation "positive" mais strictement équivalente : apprendre le vide des structures) en ne sachant lire que des modes d'emploi (l'algorithme du pauvre ) vont-ils pouvoir... lire ?
L'idéologie des SDE en est – au mieux si l'on suppose son
innocence – au stade de l'intelligence du petit enfant qui est libre
car il n'intègre pas l'influence de sa propre action sur le monde
ou de l'adolescent déformé à l'école moderne
: "Je ne l'ai pas fait exprès", ce qui est probablement vrai du
point de vue de sa responsabilité. Il faut en général
un certain temps pour que le pouvoir admette qu'il s'est trompé
: les SDE préparent actuellement leur "Responsable mais pas coupable".
Et si l'on a besoin de justifications plus "scientifiques", la vague
des années bourbachiques a aussi produit le justificateur des erreurs
de cette même période : Raymond Boudon, lui-même bourbachiste,
qui a théorisé l'existence permanente des "effets pervers"
dont il reconnaît cependant que certains sont "prévisibles
et prévus". (in "Effets pervers et ordre social", page 14,
PUF 1979). La baisse des capacités des élèves en calcul
fait-elle partie des effets pervers "prévisibles et prévus"
tandis que la vente des calculettes ferait partie des effets non pervers
et souhaités ?
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