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Colloque sur l'avenir des disciplines littéraires
dans l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur


Grand amphithéâtre de la Sorbonne
Samedi 6 mai 2000


Cette page a été rédigée par des membres du collectif, à partir des notes prises sur place, dans des conditions d'écoute pas toujours satisfaisantes. Nous avons pu omettre des arguments importants, ou déformer involontairement certains propos. Toute modification demandée par les auteurs des communications serait évidemment immédiatement opérée. Vu l'urgence de la situation, nous avons jugé intéressant d'informer, même de façon imparfaite, les personnes qui n'auraient pu assister à la réunion.

Propositions pour les enseignements littéraires, tiré du colloque de la Sorbonne, sort fin août 2000 aux PUF : 200 p., 98 F.
Table :
Michel Jarrety : La nostalgie de l'ambition
Mireille Grange : Témoignage sur le collège
Fanny Capel et Emmeline Renard : Les obstacles à l¹enseignement des lettres au lycée
Patrick Grainville : La littérature est profonde
Michel Zink : La littérature pour elle-même
Antoine Compagnon : Persuadez votre enfant d'étudier la littérature
Emmanuel Bury : Argumentation ou littérature ? Les faux-semblants d'une alternative
Danièle Sallenave : "L'auteur prétend que..." : genèse d'une formule, ravages d'une méthode
Alain Finkielkraut : La révolution cuculturelle à l'école
Dominique Boutet : Les exigences du CAPES
Jean-François Sirinelli : La culture en partage
Jacques Le Rider : Les « langues » coupées de la littérature
Bernard Sergent : De l'hellénisme et du latinisme français
Paul Demont : Les études littéraires entre spécialisation et options facultatives
Denis Kambouchner : Comment sortir de la guerre de trente ans
Régis Debray : Quand se réouvriront les temps de la fécondité collective...
Alain Viala : Questions de programmes : éléments d¹histoire et perspectives
Annexe : Extraits des Annales zéro du brevet des collèges

Vous trouverez ci-dessous les comptes rendus suivants :

  • Ouverture du colloque par Dominique Boutet, Professeur de littérature française à l'Université Paris X
  • Introduction par Michel Jarrety, Professeur de littérature française à la Sorbonne
  • Message de soutien de l'APL (par Charles Coutel)
  • Fanny Capel, Professeur de lettres au lycée Jules Ferry de Coulommiers
  • Antoine Compagnon, Professeur de littérature française à la Sorbonne
  • Alain Finkielkraut, philosophe, Professeur à l'École Polytechnique
  • Danièle Sallenave, écrivain, Maître de Conférences à l'Université Paris X
  • Michel Zink, Professeur de littératures de la France médiévale au Collège de France
  • Jacques Le Rider, Directeur d'études germaniques à l'E.P.H.E.
  • Bernard Sergent, helléniste, Directeur de recherches au C.N.R.S.
  • Jean-François Sirinelli, Professeur d'histoire contemporaine à l'I.E.P. de Paris.
  • Denis Kambouchner, Professeur de philosophie à l'Université Paris X
  • Régis Debray, Professeur de philosophie à l'Université de Lyon III
  • Message de soutien d'un groupement d'associations de philosophes, par Francesca Ferré, professeur au lycée Marie de Champagne à Troyes.
  • Alain Viala, Professeur de littérature française à la Sorbonne nouvelle et à l'Université d'Oxford, président du Groupe technique disciplinaire lettres au Ministère de l'éducation nationale
  • Débat.

    Pour télécharger l'ensemble des comptes rendus : colloque.rtf

    Il est assez instructif de lire ce qu'en ont dit Libération du 08/05/00, Le Monde du 09/05 et Le Monde de l'éducation, juin 2000.
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    Ouverture du colloque par Dominique Boutet, Professeur de littérature française à l'Université Paris X.

    Dominique Boutet rappelle que le colloque est né de la rencontre de deux démarches : l'article du
    Monde du 4 mars d'une part, la pétition sur la réforme du concours du CAPES (Paris X) d'autre part.

    Il insiste sur le fait qu'un enseignement de masse pourrait être un enseignement de qualité, et rappelle d'autres actions, notamment hors syndicats, qui avaient amené, à Nanterre, la rédaction d'une plate-forme de réforme de la formation des enseignants.

    Les communications seront organisées selon le plan suivant :
    - sur la littérature ;
    - sur les langues vivantes, anciennes, l'histoire ;
    - communications des philosophes ;
    - communication d'Alain Viala.


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    Introduction par Michel Jarrety, Professeur de littérature française à la Sorbonne

    Michel Jarrety dénonce tout d'abord la caricature du débat, sous la forme d'une opposition entre "volonté conservatrice" et "énergie réformatrice". Sous couvert de démocratisation, on veut imposer une mauvaise réforme. Peut-être est-ce de bonne foi d'ailleurs, mais il faut alors redire qu'il y a véritablement de l'aveuglement chez ceux qui accusent "la réaction". La réforme n'est pas le "terrain réservé" ou la "propriété privée" d'une "poignée de pédagogues", de "songe-creux". L'éducation est une "question politique qui mérite discussion". Jusqu'alors ce débat était réservé. L'éducation est enfin devenue une affaire sociale comme une autre.

    La vérité est qu'on a perdu toute exigence. La politique de l'éducation devient "une politique du logement", et n'est plus une ambition nationale. "Au prétexte qu'on ne peut plus transmettre la culture de la même manière, on la transmet de moins en moins", et ce depuis 30 ans (6% des fils d'ouvriers accèdent au second cycle des universités aujourd'hui). La réforme, ce serait de redonner à l'école l'ambition de cette mission.

    Ce qu'il faut, c'est "reconstruire un enseignement de la langue". La dictée est le "symbole éclatant" de la dégradation subie. Et rétorquer que c'est un simple instrument d'évaluation est une lapalissade ! Ce qui est perdu, c'est la fréquentation précoce des textes littéraires ; nous assistons à une "déculturation galopante", une dilution du littéraire. Les frontières sont tombées à l'école entre divertissement et littérature. Il faut "ouvrir les yeux sur la réalité et prendre acte du désastre accompli".

    Michel Jarrety ironise sur le leurre que constitue l'ambition démesurée affichée par un programme de français en seconde qui se donne pour objectif la connaissance d'un "héritage culturel" regroupant "des oeuvres issues de la communauté française, francophone ou européenne" et même "mondiales". Qui se laisserait prendre au piège de ce qu'à l'armée on appelait des "paroles verbales" ? Comme un aveu, "la maîtrise de la langue" figure dans les programmes, alors qu'elle aurait dû être acquise au collège. Et de rappeler l'indigence des annales zéro du brevet (applaudissements). En réalité, ce programme est un "bric-à-brac où la dispersion entrave toute formation", "du texte à l'avant-texte, du cinéma à la culture mondiale, ce zapping affole les élèves, il ne les forme pas".

    "Je n'ai pas le fétichisme de la dissertation", affirme Michel Jarrety ; certes elle comporte une part de formalisme, "l'entraînement du danseur à la barre" aussi. Elle n'en est pas moins un exercice formateur. L'honnêteté consisterait à dire pourquoi elle est moins pratiquée par les élèves : parce que depuis trente ans on leur propose trois sujets au baccalauréat, parce qu'ils choisissent le plus facile et donc forcément les professeurs les préparent moins aux autres. Pour mettre fin à cette "spirale descendante", faisons une "proposition de bon sens" : deux types de sujets : un commentaire et une dissertation, il s'agira pour les professeurs de préparer l'un et l'autre de ces exercices.

    Michel Jarrety conclut en affirmant que face à la "complaisance qui porte à l'affaiblissement", "il s'agit de refonder les enseignements littéraires".


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    Fanny Capel, Professeur de lettres au lycée Jules Ferry de Coulommiers


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    Charles Coutel, Président de l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public : message de soutien de l'APL.

    Notre association tient à vous exprimer toute sa solidarité et exprime, avec l'Association des professeurs de lettres, tout son attachement à la culture littéraire et générale, gravement menacées par les réformes en cours, notamment dans les projets concernant les Concours de recrutement des professeurs. Nous tenons à porter à la connaissance de tous le communiqué suivant, rédigé le 12 mars, mais que le changement de ministre rend plus actuel encore.

    Communiqué de l'APL (Association des professeurs de Lettres) et de l'APPEP (Association des professeurs de philosophie de l' enseignement public)

    L'APL et l'APPEP se sont réunies et ont constaté la profonde convergence de leurs analyses de la situation dans l'institution scolaire et l'enseignement depuis la mise en place de la " réforme des lycées ".

    Les récents Programmes de Français pour la classe de seconde , applicables à la rentrée 2000, confirment nos craintes les plus vives : c'est la culture générale et littéraire que l'on veut détruire . Une véritable entreprise d'inféodation des esprits est en marche, au détriment d'un apprentissage raisonné de la langue et de l'esprit critique. Cette entreprise ignore , non sans cynisme, que la formation du goût et le développement de l'imagination réclament le contact avec les œuvres d'art et la fréquentation méthodique des textes littéraires.

    Nos associations dénoncent la volonté de destruction des humanités gréco-latines au Collège, au Lycée. C'est pourquoi il faut lutter contre l'organisation d'une véritable amnésie destinée imposer à la jeunesse les faux-semblants de la " société communicationnelle ".

    Nos associations tiennent à réaffirmer leur attachement à la dissertation et au commentaire composé . Dans les textes proposés, concernant la classe de seconde , ces exercices exigeants et formateurs seraient remplacés par des productions d'écrits inconsistants et ne faisant appel qu'à une " imagination " elle-même atrophiée. Or la dissertation est par son principe même un apprentissage de l'esprit critique et présuppose l'appropriation d'une culture que l'élève est invité à mieux apprécier et à juger par lui-même ; voulons-nous voir disparaître la liberté de penser ? Défendons la dissertation qui , par son effort de problématisation et de recherche de la vérité, contribue à la lutte contre les schèmes affligeants de la " pensée unique ".

    Nos associations appellent à la résistance : la " construction de l'Europe ", l' " aube d'un nouveau millénaire ", les " impératifs de la mondialisation " ne sauraient justifier l'abandon de nos exigences , de la qualité de notre enseignement, de nos disciplines et de notre patrimoine.

    Nos associations appellent tous leurs adhérents et tous les amis de l'école publique à la plus grande vigilance et à la mobilisation.

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    Antoine Compagnon, professeur de littérature française à la Sorbonne.

    Antoine Compagnon fait d'abord allusion à trois circonstances personnelles qui donnent de l'objectivité à son intervention : il n'a pas été élève ni professeur dans un lycée français, n'a pas le CAPES, et n'est pas parent. Il va donc parler sereinement des programmes et du bac.

    Une constatation personnelle : les étudiants éludent constamment le sens du texte, et ont beaucoup de mal à parvenir au fait. Mais Antoine Compagnon n'en est pas pour autant fanatique de la dissertation (c'est un exercice parmi beaucoup d'autres, mais aussi valable que le résumé-discussion). Le mal semble venir d'ailleurs.

    La vraie raison est que "la place de la littérature est résiduelle", "marginalisée". Pour les "penseurs du XXIème siècle", la littérature n'existe plus. La crise de la littérature est dans l'école et au-dehors, elle provient d'une crise de la lecture. On peut souligner ici le rôle négatif de l'école : elle réduit de fait le corpus de lecture (limité la plupart du temps aux programmes), elle se fonde sur une "interdiction de l'ennui", donc de la lecture : "la lecture se meurt de la fin de l'ennui".

    Mais "le cadavre bouge encore".
    La question des programmes est une urgence, puisqu'ils sont applicables à la rentrée 2000. Ceux qui l'ont soulevée ont été accusés de se fonder sur des "rumeurs", mais si la concertation avait été véritable, personne n'aurait parlé de "rumeurs".
    Des éléments de la réforme sont inadmissibles : que le contenu du bac n'ait pas été révélé en même temps que les programmes ; qu'au lieu des trois exercices actuels, les textes parus à ce jour ne mentionnent qu'un exercice de "délibération sous forme de composition française" et qu'un "exercice d'invention". C'est ménager la chèvre et le chou, et de toute façon supprimer le commentaire, qui était des trois sujets le plus littéraire.
    Le prétexte avancé est que les élèves n'en sont plus capables. Mais on peut aussi penser que le problème est ailleurs : "les refondateurs font partie du problème, pas de la solution".
    Face à leurs attaques, il faut mener une contre-offensive : affirmer la valeur de la littérature et de la lecture. On constate que dans les avant-projets de réforme, le mot ne figure pas dans les programmes, ou bien sous le nom de "littérature restreinte", autre façon de nommer les grands textes. Il faut se battre sur deux points : "ne pas noyer la littérature dans le discours", ne pas s'appuyer sur le principe de "plaisir" appelé en renfort de la "lecture cursive". Car on sait bien que comme chez Baudelaire, c'est "le plaisir qui tue".

    Aujourd'hui, la littérature est accusée par les réformateurs de créer une amplification des fossés sociaux, "un obstacle à l'égalité des chances". On ne peut que leur répéter : "La littérature fait mieux vivre à chacun chaque instant dans ce monde-ci".

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    Alain Finkielkraut, philosophe, Professeur à l'École Polytechnique

    Alain Finkielkraut commence par rappeler que le mot " réforme " semble recouvrir le "concept d'action", comme si sauvegarder une institution ou un principe, ce n'était pas agir. On a toujours raison de réformer, disent les journaux de droite comme de gauche, sans considérer le contenu du changement proposé.

    A cela s'ajoute, dans le domaine de l'éducation, "l'impossibilité de s'entendre sur l'objet de la querelle" : lorsque les " anciens " s'inquiètent pour la dissertation, les " modernes " répondent qu'il n'a jamais été question de supprimer cet exercice - par ailleurs moribond et artificiel ; lorsque les adversaires de la réforme protestent contre les nouvelles finalités assignées à l'école par le pédagogisme, les réformateurs affirment que le but de l'enseignement n'a pas changé, qu'il faut seulement trouver de nouvelles méthodes adaptées à un nouveau public ; et lorsqu'une pétition dénonce la marginalisation de la littérature, le "parti de la réforme" répond que les signataires cèdent à des rumeurs et que jamais la littérature n'a été plus présente que dans les nouveaux programmes.

    A cette "technique pour saper la confiance de l'autre dans la fiabilité de ses propres réactions affectives et de sa propre perception de la réalité extérieure", le psychanalyste américain Harold Searles avait donné un nom : "l'effort pour rendre l'autre fou".

    Mais nous pouvons prouver que nous ne sommes pas fous en donnant la parole à ceux qui veulent nous faire passer pour tels. Et d'abord à Marie-Noëlle Pierrelée, auteur du livre : Pourquoi vos enfants s'ennuient en classe, avec une préface de Philippe Meirieu. Elle propose que les collégiens suivent quinze heures de cours obligatoires par semaine et passent dix heures auprès d'un tuteur : ils doivent réaliser des projets concrets, "la fabrication d'une machine, la réalisation d'un journal, la préparation d'un concert, la création et l'entretien d'un jardin, le soutien moral des personnes âgées dans les maisons de retraite, ou pourquoi pas une recherche mathématique."

    Alain Finkielkraut rappelle ce que disait Jaurès, cité par Péguy : " je ne sais pas en vertu de quel préjugé nous refuserions aux enfants du peuple une culture équivalente à celle que reçoivent les enfants de la bourgeoisie ". A cela, Mme Pierrelée rétorque que si les élèves s'ennuient, ce n'est pas parce que la télévision leur fait juger ennuyeux tout ce qu'ils ne trouvent pas divertissant, c'est à cause d'une étrange conception de l'égalité qui impose à tous un enseignement passéiste et abstrait adapté à une minorité. Plutôt que Péguy le paysan normalien, elle évoque un jeune paysan sarthois qui prendrait goût à l'histoire si on lui faisait étudier l'histoire des techniques agricoles. Elle propose donc la réduction du temps dévolu à la transmission de l'héritage, et l'augmentation du temps du projet qui donne prise sur le monde actuel, et développe la créativité. Le problème est donc qu'il y a trop d'école à l'école, il faut renverser la tendance des concours de recrutement à favoriser " les grosses têtes, les érudits, les passionnés d'une discipline, au détriment des pédagogues " et préférer le multimédia au livre.

    Il ne faut pas oublier que M. Allègre allait dans le sens du courant. Les dirigeants de la FCPE déclarent dans leur brochure : " le jeune doit être acteur de son éducation…l'accent doit être mis, dès sa naissance, sur ses potentialités, sur son initiative ". Il faut " centrer sur l'enfant et non sur les disciplines enseignées, c'est à l'école de s'adapter aux élèves et non l'inverse. "

    Selon Alain Finkielkraut, il n'y a pas pas de précédent à "la haine des maîtres manifestée par l'institution scolaire elle-même ",et il manifeste son opposition à Pierre Bourdieu en refusant de voir dans cette ardeur réformatrice la volonté cynique de soumettre le système éducatif aux lois du marché : ceux qui veulent que l'école bouge sont " habités par l'esprit du sympa bien plutôt que par l'esprit du capitalisme ". Ils noient l'école, non pas "dans les eaux glacées du calcul égoïste mais dans celles régénérantes de l'amour universel", et veulent transformer un "métier humaniste" en "métier humanitaire". Ils prônent donc une "conception ouverte de la littérature", que définissent ainsi deux professeurs de l'AFEF : " un univers de signes criblé de références, de réécriture sans fin ", par opposition à la littérature de patrimoine, " celle des auteurs morts ou en bonne voie de l'être ".

    L'école ne serait donc pas la proie du libéralisme, mais d'une "idée démocratique devenue dévorante" "qui destitue l'art comme culte de la grandeur, affaire d'éminence, hiérarchie sévère des valeurs", au profit d'un "culte de l'égalité" dont le mot d'ordre est : "nous sommes tous des écrivains, tous des artistes". A la culture s'oppose la "cuculture". La "révolution cuculturelle" dénonce l'exclusion, la sélection par les classiques. L'abandon du commentaire pour les exercices d'imagination sera le triomphe de la doxa, "la mise en conformité de chacun, dès ses premiers pas dans l'existence pensante, avec les éditoriaux de France Inter".

    Certains parents trouveront toujours "une école où la communication n'a pas détrôné la transmission, où l'émulation n'est pas tabou, où le mérite n'est pas frappé d'infamie", où "la différence entre l'information et la connaissance n'est pas tombée dans l'oubli", où "les adultes ne se déchargent pas sur les droits de l'enfant de la responsabilité pour le monde", où "la formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque unique intérêt des études". Les autres sont condamnés à la "réforme Habby perpétuelle". Un enseignement à deux vitesses se met en place, "retardataire pour les privilégiés, distrayant pour le tout-venant". L'école de la république reproduit toujours davantage les inégalités, que les réformes qui se sont succédé depuis plus de trente ans devaient abolir. Les "gardes rouges de la cuculture" tablent maintenant sur la transformation des maîtres en animateurs.

    Alain Finkielkraut conclut en soulignant que "l'égalitarisme se nourrit des inégalités dont il est la cause" et qu'il sera difficile d'arrêter la marche victorieuse de la "révolution cuculturelle", car "il n'est pas de haine plus inexpiable, moins capable d'entendre raison, que la haine au nom de l'amour."

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    Danièle Sallenave, écrivain, Maître de Conférences à l'Université Paris X

    Danièle Sallenave a d'abord noté que Jack Lang n'envisageait pas pour le moment une réflexion sur l'enseignement de la littérature tel qu'il est dispensé de la 3ème à la terminale, alors que beaucoup attendent un débat sur cet enseignement souvent considéré comme entré en crise. Elle s'est ensuite demandée pourquoi de plus en plus d'étudiants, alors qu'ils commentent des textes littéraires, disent : "l'auteur prétend que ..." Elle en voit l'origine dans l'influence du pédagogisme, dont les manuels de didactique de Boissinot seraient, selon elle, un exemple éclatant. Elle relève en effet que ces ouvrages, consacrés surtout à l'argumentation, se donnent pour but avoué de renforcer l'élève dans la foi qu'il peut placer dans ses propres convictions, et de développer la méfiance qu'il peut nourrir face à celles des autres. Par ailleurs, elle a remarqué que les textes et les exercices proposés par ces manuels ressortissent avant tout à une ligne idéologique plus que partisane : promouvoir l'égalitarisme au sein de l'école ( un ex. de titre : "Lycée, fin de l'élitisme"), promouvoir la tolérance sous sa forme la plus stéréotypée ( un autre ex. : " Si tu es différent, tu m'enrichis"). Bien entendu, ces exercices s'ornent aussi d'artifices démagogiques. Les débats y adoptent souvent une allure télévisuelle : " Faut-il interdire le permis à points?"; " Convainquez un père d'acheter un ordinateur à son fils." Mais il y a plus grave. Les manuels font aussi du texte littéraire un texte argumentatif comme un autre, de sorte que le lecteur y est invité à se défier des récits, implicitement envisagés comme des discours chargés de faire pression sur l'opinion du lecteur. D'où l'appparition de la formule : " l'auteur prétend ... "qui attesterait que cette vue pédagogiste et méfiante de la littérature serait en voie d'assimilation.

    Ensuite, Danièle Sallenave élargit sa réflexion. Elle pense en effet que le pédagogisme, dont la méthode Boissinot est un exemple, réduit l'éducation à la promotion d'un narcissisme dangereux obtenu par l'abaissement de la culture dont l'autorité le bridait, obtenu aussi par le refus de la formation. Pour elle, cela contribue au règne de l'opinion et entraîne la fin de la distinction entre doxa et réalité. Ce qui expliquerait la vogue de l'argumentation sur les pédagogistes. Car ceux-ci sont à leur manière des disciples de Polös et Calliclès, ces rhéteurs qui assimilaient favorablement la puissance de la tyrannie à celle de la rhétorique. Ce dont ne sont peut-être pas éloignés ces jeunes, ajoute-t-elle, qui dans Libération déclaraient : " Plus je me découvre, plus je m'aime ... "

    Elle en conclut que vouloir en finir avec l'auteur à la manière de U. Eco et des structuralistes, c'était surtout en finir avec l'autorité de la littérature. Et préparer la voie à celle des pédagogistes, lesquels à la faveur des réformes abaissent le prestige de la littérature pour mieux asseoir leur tyrannie.

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    Michel Zink, Professeur de littératures de la France médiévale au Collège de France

    Michel Zink s'est interrogé sur l'échec des enseignements littéraires. A ses yeux, il est lié à la formation des professeurs ainsi qu'à la condescendance face aux élèves.

    La formation des professeurs favorise la formation pédagogique au détriment d'une formation universitaire solide (cf. les nouveaux projets de CAPES).Mais une formation pédagogique n'est efficace que si elle peut s'appuyer sur une formation disciplinaire et des savoirs intellectuels maitrisés.

    Des instructions contradictoires, des méthodes rigides, autoritairement imposées, des modèles et des exercices standardisés favorisent aussi la croyance en une "science de la littérature" ainsi que la technicisation des enseignements littéraires. Mais ,si les techniques littéraires peuvent faciliter l'accès aux textes, elles ne les épuisent pas ; et ne développent ni le goût de la réflexion ni le plaisir du texte, ni même la capacité à comprendre.

    Les techniques littéraires, trop utilisées et mal utilisées, ont permis le pédantisme et la paresse intellectuelle, qui dissimulent les difficultés à formuler une pensée autonome. De même, prétendre donner accès aux textes littéraires à partir de n'importe quel écrit est une imposture qui nie la littérature.

    Pour Michel Zink, la disparition de la littérature au CAPES d'anglais semble mal augurer de l'avenir des études littéraires

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    Jacques Le Rider, directeur d'études germaniques à l'E.P.H.E.

    Dans les études de langue aussi, on déplore la relégation de la littérature. Dans les études secondaires, elle a disparu au profit de la didactique de la langue, et de l'étude de documents exclusivement non littéraires.

    On pense ainsi, en rendant l'étude de l'allemand plus attrayante, enrayer la désaffection croissante pour cette matière . Par ce raisonnement, les concepteurs des programmes avouent leur défiance de la littérature, qu'ils considèrent a priori comme ennuyeuse et rebutante. D'ailleurs, cela n'empêche pas que le nombre d'élèves qui choisissent d'étudier l'allemand continue de baisser. Mais si les langues autres que l'anglais ne sont plus étudiées, c'est à court terme le rayonnement du français à l'étranger qui est menacé. Car on constate un effet de réciprocité : les ouvrages français sont d'autant plus traduits et lus dans une langue que l'apprentissage de cette langue est répandue dans les écoles françaises.

    De même, au CAPES, les épreuves exigeant des connaissances ou de l'analyse littéraire ont été éliminées au profit de tests d'aptitude linguistique. Les anglicistes ont été les premières victimes de cette politique ; c'est le même traitement qui est maintenant appliqué aux autres langues. Il faut aussi noter qu'à l'université, l'enseignement des langues bannit progressivement la littérature, dépréciée et méprisée, au profit des sciences humaines, si bien qu' on finit par trouver de nombreux cas d'étudiants qui possèdent une licence, sans avoir lu une ligne des grands auteurs de la littérature germanique.

    Toutefois, ce n'est pas pour autant que la littérature va disparaître de l'enseignement : cela fait un siècle qu'elle est attaquée par la sociologie et les sciences humaines au sein même de l'université, sans qu'elle ait pour autant disparu. Car nous restons convaincus que la littérature est un savoir, et qu'enseigner la langue sans la littérature, c'est enseigner une langue sans contexte culturel solide.

    Il est donc essentiel de refonder l'enseignement de la littérature, y compris par la connaissance et l'étude des oeuvres littéraires étrangères.

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    Bernard Sergent, helléniste, Directeur de recherches au C.N.R.S.

    Après avoir dénoncé le populisme guidant la politique du ministère de l'éducation nationale, Bernard Sergent a souligné combien l'étude du grec et du latin est synonyme d'ouverture. Ouverture sur les langues européennes qui sont en majorité des langues à déclinaisons ; ouverture sur l'ethnologie, discipline fondamentale qui n'est abordée, dans le secondaire, qu'au travers de l'étude des sociétés grecques et latines. S'inquiétant des conséquences désastreuses des mesures actuelles sur le long terme, Bernard Sergent rappelle que progrès technique et culture des humanités sont indissociables.

    Ainsi, par exemple, c'est la révolution du savoir engagée en Allemagne au début du XIXème siècle, relevée par Mme de Staël dans De l'Allemagne, qui a donné naissance, une génération plus tard, à une révolution scientifique puis industrielle.

    Bernard Sergent a clos son intervention par une dénonciation des pratiques insidieuses du journal Le Monde qui prend systématiquement parti contre la défense des savoirs notamment par un choix orienté des lettres publiées dans son courrier des lecteurs. "Ce n'est plus de l'information, c'est de l'idéologie" a-t-il affirmé.

    Enfin, il s'est ému des propos calomnieux et anonymes publiés dans Le Monde de l'éducation à l'encontre de Michel Zinck, Professeur au Collège de France, co-auteur de l'article "C'est la littérature qu'on assassine rue de Grenelle" (Le Monde, 4 mars 2000).

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    Jean-François Sirinelli, professeur d'histoire contemporaine à l'IEP de Paris.

    Jean-François Sirinelli justifie tout d'abord sa présence dans ce colloque : il s'agit de solidarité. Solidarité parce que l'historien appartient à une discipline convergente ; parce qu'en histoire et en littérature il s'agit de transmission culturelle ; parce que les deux disciplines sont victimes de menaces identiques : réforme du CAPES et diminution de son temps effectif de préparation.

    Cependant l'histoire occupe une place plus solide que les lettres, dans les contenus, les programmes, et la place réservée dans l'enseignement, parce que la lutte sur les pertes disciplinaires a eu lieu il y a 25 ans.
    Mais dans les deux matières il s'agit de la même chose : il s'agit d'une culture reçue "en héritage" et qu'il s'agit de "transmettre", mais comme le dit René Char, c'est "un héritage (qui) n'est précédé d'aucun testament". Il s'agit donc de transmettre une culture "en partage".

    La question de l'histoire dans tout cela ? C'est aussi une question de contenus et de programmes.
    Vers la fin des années 70, l'essor de l'histoire des mentalités a conduit à une disparition de la chronologie (exemple : étudier le soldat à travers les âges). Toutes tendances confondues, les historiens sont alors entrés en lutte pour un retour à la chronologie et à l'histoire événementielle.
    L'histoire doit aussi lutter contre l'amnésie. La commémoration a tendance à tourner au rite, le devoir de mémoire à l'incantation. La tâche de l'historien est alors de redonner sa place à la dimension temporelle, d'"empêcher les égarés spatio-temporels". C'est ainsi que l'histoire du temps proche (en Terminale) est importante, parce qu'en période de mutation elle donne aux élèves, les mutants, la conscience qu'ils le sont.
    Mais l'historien a aussi des inquiétudes : le débat actuel sur la question de l'histoire nationale soulève le soupçon de nationalisme ; "l'histoire culturelle", nouvel élément des programmes de lycée, est également celui que menacent les allègements.

    Dans tous les cas la vigilance s'impose. L'historien a en commun avec le littéraire le statut d'agent de transmission, le devoir de formation de l'esprit critique, surtout au moment où l'audio-visuel s'impose. L'historien peut fournir l'esprit critique là où règne "la palpitation historique". Il va s'agir d'"opposer à une société émotive du "pathos" le "logos", la faculté de construire un discours" à son sujet.

    L'échec serait le risque d'une "culture non partagée". Il s'agirait dans ce cas peut-être d'une "culture abolie".

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    Denis Kambouchner, Professeur de philosophie à l'Université Paris X.

    Le sort du français n'est pas séparable du celui des disciplines classiques. Les mathématiques, l'enseignement des sciences sont également concernés. Il faut donc songer à un argumentaire commun dans l'ensemble de ces disciplines où il y a "recentrage". Denis Kambouchner évoque la dangereuse recherche par le Ministère d'un moyen terme entre des normes académiques (nécessairement) élevées et des normes sociales très basses.

    Les répliques au texte du 4 mars présentent la défense de la littérature, celle des exercices traditionnels, comme une cause erronée, désuète, hypocrite. Le point central de l'argumentation adverse est la "nouvelle hétérogénéité des publics scolaires" "présentée comme une évidence fondatrice". Denis Kambouchner mentionne la remarque fréquente et finalement bien "malveillante" de devoir "prendre en charge les élèves tels qu'ils sont" : cela revient en fin de compte à "tenir l'échec antérieur lui-même comme une sorte de fatalité".

    Le bon sens voudrait que l'on s'interroge sur les causes de cet échec. Si les élèves ont tant de mal à faire ce qu'on leur demande, c'est sans doute parce qu'ils ont manqué toute une série de "pratiques intensives", "toute une structuration intellectuelle". Ne faudrait-il pas commencer par une "réforme de l'enseignement élémentaire" ?

    Alain Viala, Philippe Mérieu, ont un discours ambitieux sur la littérature. Pourquoi n'est-il pas appliqué ? Pourquoi fait-on comme si toute la scolarité devait être "acculturation infinie et non exploration méthodique".

    L'hétérogénéité apparaît "comme une chose que l'école n'a plus à surmonter". Celle-ci aide à se "construire une identité sociale", elle ne cherche plus à "définir une culture générale". Denis Kambouchner défend l'éthique institutionnelle qui veut que l'on refuse l'imposition d'une culture professionnelle et termine son intervention en dénonçant vivement cette "violence symbolique" de la part de nos dirigeants, vis à vis des élèves comme des enseignants : l'idée que "transmettre une culture, c'est transmettre un arbitraire culturel dominant".


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    Régis Debray, professeur de philosophie à l'université de Lyon III.

    Régis Debray se livre à "une généalogie" de l'esprit de "réforme". Il est dû tout d'abord à la génération de 1968 qui préside à cette réforme : "comment tant d'inconsistance a-t-elle acquis tant de légitimité ?". Son idéologie est un "techno-populisme", qui se caractérise par plusieurs aspects.
    Tout d'abord une volonté de désinstitutionnaliser l'école, qui suppose que le sujet est idéalement auto-fondé, ce qui sous-entend une volonté d'abolir le temps.
    Ensuite une confusion du temps institutionnel et du temps de la technologie, ce qui entraîne l'idée qu'il faut sans cesse que l'institution "rattrape" le temps qu'elle aurait perdu sur les progrès techniques ; une dévalorisation de l'héritage : le terme "héritier" est devenu péjoratif ; l'idée que l'effort d'apprendre est une atteinte à la liberté, et qu'il faut laisser libre cours au jaillissement d'une personnalité infuse.
    Autres caractéristiques : le "culte du fragment" (exemple le QCM) se développe, parce que considéré comme antitotalitaire ; il y a confusion constante entre la communication (dans l'espace) et la transmission (dans le temps) qui est le propre de l'école. Pour lutter, "il faudrait faire une grève non pas pour plus de moyens, mais pour plus de fin".
    Règne également la superstition du scientifique. La linguistique a vaincu la littérature : le sens s'est peu à peu perdu, de même que la langue naturelle. On pourrait faire un parallèle avec le vocabulaire de la biosphère, où l'on appelle "visuel" ce qu'on ne perçoit pas par l'expérience sensible : il y aurait le "textuel": un texte auquel ne correspond plus le sens.
    On peut remarquer aussi le manque d'une grammaire, d'un canon, d'un héritage. On risque alors une dérive à l'américaine, avec une spécialisation de haut niveau, mais un enseignement de base dévalorisé.

    Le combat à mener en est-il pour autant désespéré ? Il ne semble pas.
    La perte du littéraire correspond à une robotisation. Il faudrait y répondre par des questions : "comment se faire une personne ?", "comment échapper au dressage ?", comment "se faire des lunettes à soi" ?
    La lecture peut redevenir attrayante si elle est reçue comme une lutte contre l'accélération ambiante ; il faudrait retrouver le plaisir de la lenteur.
    Il faudrait échapper aussi à la fausse opposition, entre l'humanité et la culture d'une part, les média et la technique de l'autre, et considérer que la littérature est la meilleure technique de transmission de la culture.
    Le problème actuel est qu'on a les moyens de rétrécir l'espace (par la communication), pas ceux de réduire le temps. Mais on peut avoir l'espoir que la communication finisse par lasser, et qu'on puisse retrouver le temporel et la littérature. Bref, il faudrait "balkaniser le Mac Do par la littérature".

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    Message de soutien d'un groupement d'associations de philosophes, par Francesca Ferré, professeur au lycée Marie de Champagne à Troyes.


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    Alain Viala, Professeur de littérature française à la Sorbonne nouvelle et à l'Université d'Oxford, président du Groupe technique disciplinaire lettres au Ministère de l'éducation nationale.

    Alain Viala ne souhaite pas répondre à des propos avec lesquels il "se sent en accord parfois profond, en désaccord parfois profond", mais rappeler deux choses : la "tradition de démocratisation de la culture" et la "tradition de la culture d'intégration".

    En face d'une scolarisation de plus en plus longue, l'enseignement se dégrade. En un demi-siècle, la population scolaire a été multipliée par trois. Cela s'est accompagné d'une "dégradation de la qualité des prestations". La filière L est désormais minoritaire. L'école à deux vitesses est déjà là.

    L'ancien programme, mis en place à partir de 1985, comportait déjà des références à la communication, l'histoire littéraire n'apparaissait pas, les dérives technicistes étaient présentes. On a besoin d'étudier la langue au lycée et encore à l'université. L'étude des Lettres doit permettre au futur citoyen de délibérer. Certains milieux "ne donnent pas accès à la culture, voire à la langue française", il faut dépasser l'opposition entre "français utilitaire" et "littérature esthétisante".

    Face à cette situation de crise, le GTD essaie d'agir. M. Allègre s'y est pris avec "une méthode calamiteuse". Les ministres passent mais les enjeux demeurent. Le GTD propose une revalorisation de la filière littéraire comme des options langues anciennes (y compris les grands commençants latin). Le programme proposé augmente la part de littérature. "Oui, nous sommes favorables à la dissertation". La concertation a eu lieu avec des associations, des syndicats.

    Trois propositions :
    - le français jusqu'à la classe Terminale
    - des horaires de français augmentés en classes technologiques
    - en université, augmenter les lectures pour renforcer la formation fondamentale

    Alain Viala conclut en affirmant qu'"il ne s'agit pas de sauver" car "l'existant n'est pas défendable".


    Pour télécharger l'ensemble des comptes rendus :
    colloque.rtf

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