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Luc Ferry : " L'enseignement des mathématiques est un modèle ".

Antidote : rapport de JP Demailly, article de Science et Vie



           Selon  Luc Ferry, président du Comité National des Programmes,  "L'enseignement des mathématiques est un modèle pour toutes les autres disciplines. Plus que n'importe quel autre, c'est un enseignement qui a su se réformer et réfléchir à ses propres problèmes." L'enseignement de la philosophie et des lettres devraient donc prendre modèle sur lui : mais il y a un double hic révélé tout autant par le rapport que JP Demailly vient d'envoyer à Jack Lang que par l'article consacré à l'enseignement des mathématiques dans Science et Vie de septembre 2001.

          JP Demailly,  mathématicien à l'université de Grenoble où il s'occupe également de la formation des futurs professeurs, est également membre correspondant de l'Académie des Sciences. Il écrit :" L'enseignement des maths et des sciences est en péril....on a taillé sauvagement dans les programmes". De plus, on ne pourra pas le traiter de réactionnaire "opposé au progrés" puisque ses " travaux de recherche [l]'ont amené à cotoyer de près plusieurs branches des mathématiques, mais aussi la physique mathématique et l'informatique, souvent en relation avec des chercheurs européens ou d'autres pays. Enfin, [il] a joué récemment un rôle de conseil auprès du MEN et du CNDP dans le cadre d'une opération en cours concernant les TICE et les logiciels libres". Ce qui ne l'empêche pas de préciser :" Il a été écrit à de nombreuses reprises, y compris par des scientifiques reconnus, mais surtout par des milieux proches des media et du monde politique, que le fait de disposer via les ordinateurs d'une grande puissance de calcul automatique allait pouvoir dispenser l'être humain de la plus grande partie de ses efforts intellectuels. Mais si l'on imagine que les ordinateurs d'aujourd'hui sont capables de simuler certains processus intellectuels, c'est probablement, en dehors de quelques cas de systèmes experts très particuliers et très limités, qu'on ne dépasse guère le niveau de l'intelligence simiesque (et encore... les singes font beaucoup mieux que l'ordinateur dans quantité de domaines!).

Vous pouvez consulter le rapport de JP Demailly à http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~demailly/rapport.html

       Quant à l'article de Science et Vie, son auteur nous autorise à en publier les extraits suivants. Il comporte, en plus de l'article principal, de nombreux encarts : "Le nombre en quête d'une grandeur"," Ne dites plus : "Je suis nul en maths"","Les maths boivent, la physique trinque","La géométrie cherche un espace raisonnable", "Bac S 2001: intuition 2,75/20, raisonnement 2,5/20", "Les équations nous interrogent","Le micro-ordinateur cherche sa place","L'analyse joue avec les limites", "BEP 2001: plus simple que le certificat d'études des années 60","L'économie est-elle soluble dans les maths?", "Les statistiques cultivent la différence". 

M.D.
09/2001



 L'ECHEC DES MATHS A L'ECOLE : A QUI LA FAUTE ?

Extraits d'un article de Hervé POIRIER, publié dans Science et vie n°1008, septembre 2001.

          [....] A priori, tout va bien. Les programmes sont tout neufs. La réforme des contenus de l'enseignement qui a commencé il y a cinq ans par la classe de Sixième atteint cette année la classe de Première et sera appliquée en Terminale l'année prochaine, les détails de cette dernière année ayant été officiellement publiés en juillet. 
    "L'enseignement des mathématiques est un modèle pour toutes les autres disciplines," estime Luc Ferry, président du Comité National des Programmes chargé par le Ministre de l'Education Nationale Jack Lang de refonder les contenus de tous les enseignements de la maternelle à l'université. "Plus que n'importe quel autre, c'est un enseignement qui a su se réformer et réfléchir à ses propres problèmes.

     Les Français dans leur ensemble sont eux aussi satisfaits de cet enseignement. D'après le sondage effectué par BVA pour Science & Vie, 73% estiment que cette matière est très utile pour former l'esprit au raisonnement, 64% estiment qu'elle "permet une meilleure égalité des chances que les matières littéraires car on peut être bon en maths quel que soit le milieu social des parents", ce pourcentage étant plus élevé chez les personnes les moins diplômées. Et seul 30% de la population a gardé un mauvais souvenir de ses cours de maths. A priori, donc, tout va bien. 

UN ENSEIGNEMENT EN PERIL 

     Pourtant, c'est un tout autre discours que l'on entend dans la communauté mathématique. Jean-Pierre Demailly pousse même un cri de colère : "Je suis profondément révolté par la situation actuelle." Mathématicien, membre correspondant de l'Académie des Sciences qui s'occupe en particulier à l'université de Grenoble de la formation des professeurs, il a envoyé cet été au Ministre de l'Education Nationale et au Ministre de la Recherche et de la Technologie un rapport sur l'enseignement des sciences. Un rapport alarmant. Selon lui, "l'enseignement des maths et des sciences est en péril. Une prise de conscience très large serait nécessaire pour faire bouger la situation. Si on ne remédie pas d'urgence aux lacunes, je crois que notre pays se dirige àcourt terme vers une situation de véritable décadence technico-scientifique.
     Tout le monde n'est pas aussi virulent. Mais la grande majorité des professeurs a conscience d'un malaise [......] Même Claudine Ruget, doyenne du groupe mathématiques des inspecteurs généraux chargés de contrôler et d'évaluer le système éducatif français, ne cache pas son "inquiétude face aux dérives actuelles de l'enseignement des mathématiques.
    Tous font le même constat : les mathématiques telles qu'elles sont enseignées n'ont plus beaucoup de sens. "C'est devenu une liste de résultats et de techniques que les élèves mémorisent comme des perroquets", déplore Jean-Pierre Demailly. "Les contenus ont été peu à peu vidés de leur sens, regrette Claudine Ruget. Ils laissent la possibilité aux élèves de ne faire que des vérifications sans compréhension ni raisonnement."[.....] 

L'INEGALITE DES CHANCES

[.....] Cette situation ne fait qu'accentuer les inégalités sociales. L'étude statistique réalisée l'année dernière par le sociologue Pierre Merle montre en effet un "embourgeoisement" des classes de Terminales scientifiques : "la part des élèves d'origine sociale élevée scolarisés en terminale scientifique est passée de 29,2% en 1994/95 à34,5% en 1999/2000." 
[.....] 

MATHEMATIQUES EN QUETE DE SENS

     [....]Au début du XXe siècle, lors de la grande réforme qui tente d'adapter l'école à la révolution industrielle, Carlo Bourlet, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers souligne la nécessité de "faire plier les abstractions mathématiques aux nécessités du réel". Et dans les années 60, lors de l'introduction des maths modernes, André Lichnérowicz, le président de la commission de la réforme, maintient que "les mathématiques jouent un rôle privilégié pour l'intelligence de ce que nous nommons le réel." "Construire des modèles est l'activité primordiale des mathématiques, résume aujourd'hui Claudine Ruget. Il est indispensable que les élèves en connaissent un grand nombre et enrichissent au fil des années leur bestiaire mathématique.
     Si tout le monde s'accorde sur le sens de l'enseignement, la traduction de ces principes dans les programmes a cependant beaucoup varié. Du début du XXe siècle jusqu'en 1970, les maths étaient "classiques". Le parallélogramme, par exemple, est étudié à partir des égalités de triangles et des propriétés des angles. Mais, les mathématiciens ressentant la nécessité de rapprocher les contenus scolaires des mathématiques développées dans la recherche, l'enseignement devient plus conceptuel, abstrait et rigoureux. Le parallélogramme est alors défini à l'aide de relation d'équivalence et de symétrie centrale : "Pour que le quadruplet (A, B, C, D) soit un parallélogramme, énonce un livre de cours de l'époque, il faut et il suffit que deux points occupant dans le quadruplet des places de même parité soient homologues dans la symétrie centrale échangeant les deux autres." Cette réforme tournant rapidement à l'échec, l'école revient dès 1975 à des maths en apparence plus classiques. 

PLUS DE MODELES  "CLES EN MAIN" 

     En 1989, c'est la troisième grande réforme du siècle. Le système scolaire se réorganise autour de l'objectif fixé quelques années plus tôt par Jean-Pierre Chevènement d'amener 80% des jeunes d'une même tranche d'âge au niveau du baccalauréat. L'enseignement des mathématiques devient constructiviste : les modèles ne sont plus présentés clés en main àl'élève, mais ce dernier doit les construire àl'aide d'expériences et d'observation. Le programme actuel est toujours basé sur ce principe : "l'intuition mathématique se construit, souligne Didier Dacunha-Castelle, ex-conseiller spécial de Claude Allègre pour l'enseignement qui a tracé les grandes lignes des nouveaux programmes. Pour que le cours prenne sens, il faut mettre les élèves en activité." 

     Dans les nouveaux programmes, cette activité passe d'abord par l'ordinateur. "C'est la principale nouveauté", souligne Claudine Robert, professeur à l'université de Grenoble et responsable de la refondation des programmes. "L'ordinateur permet aux élèves de simuler et expérimenter les principaux modèles mathématiques du cours." De tourner une figure dans l'espace, de faire varier le paramètre d'une fonction ou de simuler un tirage aléatoire. "La mise en activité passe aussi par les travaux personnels encadrés (TPE) qui proposent aux élèves de Première et de Terminale de faire des recherches autonomes sur des sujets pluridisciplinaires, comme la radioactivité traitée simultanément sous le point de vue mathématique, physique et biologique. "Nous avons aussi ouvert le champs mathématique à de nouveaux domaines, comme les statistiques maintenant étudiées dès la sixième ou les probabilités en Première et en Terminale," résume Claudine Robert

DES PROFESSEURS SCEPTIQUES

     Pourtant, de nombreux professeurs restent sceptiques sur la capacité de ces nouveaux programmes à réconcilier les élèves avec le sens perdu du cours de maths. Certains considèrent que la place donnée aux statistiques (environ 20% des contenus) est trop importante. Des critiques plus sérieuses sont portées sur les TPE : "après une année d'expérimentation, les professeurs de mathématiques sont globalement déçus par ces activités, note Jean-Paul Bardoulat, le président de l'APMEP. Les sujets choisis par les élèves sont souvent éloignés des mathématiques et ne permettent pas d'approfondir les notions du cours." Nombreux sont ceux aussi qui s'inquiètent du rôle que prend l'informatique dans le cours de maths. 
 Mais les critiques les plus dures portent sur la place laissée au raisonnement. "En géométrie, les nouveaux programmes n'exigent plus de faire des démonstrations, déplore Avi Benzekri, un de fondateurs de l'association "Sauvez les maths". Les élèves se contentent de voir. C'est un changement fondamental du statut de la preuve en mathématique." La démonstration du théorème de Pythagore, par exemple, n'est plus exigée par le nouveau programme et les recommandations officielles sur les programmes de Première et Terminale scientifiques parues dans le Bulletin Officiel conseillent "d'accepter, en particulier en analyse, des argumentations conçues et exposées à l'aide de schémas". A l'inspection générale de mathématiques, qui n'est plus responsable des contenus scolaires depuis la réforme de 1989, on considère déjà que ces nouveaux programmes ne tiendront pas longtemps... 

UNE REPONSE ABSURDE 

 [....] Mais pour beaucoup, la principale contrainte est d'ordre politique. La qualité de l'enseignement est en effet exclusivement évaluée en fonction des taux de réussite aux examens. Pour atteindre l'objectif affiché de 80% d'une tranche d'âge au niveau bac, les exigences ont donc été revues à la baisse, en particulier pour les épreuves de mathématiques du baccalauréat . "C'est la plaie de l'enseignement, déplore Claudine Ruget. L'épreuve ne valorise pas une vraie compréhension des notions ou le sens critique, mais seulement des techniques algorithmiques stéréotypées. Et puisque les contrôles en classe sont le plus souvent choisis dans les annales des années précédentes, cela influence tout l'enseignement au lycée.
 Christian Radoux, professeur à l'université de Mons en Belgique dénonce, lui aussi, "la schizophrénie du discours politique qui assure d'un côté que tout va bien et organise de l'autre sa déchéance" mais considère que "les responsabilités sont partagés entre les syndicats de professeurs, les comités de parents d'élèves et les psychopédagogues."... 

Pour en savoir plus, lisez Science et vie n°1008, septembre 2001.

Sauver les lettres
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