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L'école autrement ?

MAGAZINE DEBAT SUR FORUM http://www.canalsatellite.fr/

Rediffusé le 28/12/2000 de 17h00 à 18h00 http://www.forum-planete.tm.fr

Présentateur : Stéphane Paoli

Invités : Gabriel Cohn-Bendit, fondateur du lycée autogéré de Saint-Nazaire, Philippe Meirieu, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Lyon II, François Dubet, sociologue, Anne-Marie Vaillé, directrice du Conseil national de l'innovation pour la réussite scolaire, Joël Blanchart, instituteur en Vendée ( ce dernier est en fait absent et remplacé par Jean-Marie Fouquer ) .

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Stéphane Paoli : Bienvenue sur FORUM pour une émission préparée par Astrid de Ficher, qui a pour titreL'école autrement ? ", sujet inépuisable ! Comment enseigner, à moins que ça ne soit comment éduquer ? On va voir … Suit la présentation des invités …

S. P.: Une première question que j’ai envie de vous poser parce que j’ai en mémoire ce lycée expérimental qui date des années 80, 81 si ma mémoire est bonne …

Gabriel Cohn-Bendit, initiateur du lycée expérimental de St.-Nazaire, retraité de l’Education nationale : 81, exactement !

S. P.: Ils étaient quelques-uns, lycées expérimentaux en France, sauf qu’ils le sont restés …expérimentaux !

G.C.B. : Tout à fait, tout à fait ! Mais les lycées expérimentaux ont été créés par une volonté politique, celle d’Alain Savary. On a eu quelques … UN grand ministre de l’Education nationale, pas beaucoup !

à gauche en tous les cas ! Oui, il en a créé quatre. Il a été dégagé, remplacé par Chevènement, le ministre de l’Education nationale sans doute le plus conservateur que la France ait connu depuis la Libération. La volonté politique n’a pas été continuée, d’où les lycées expérimentaux ne sont restés que ce qu’ils étaient au moment où Savary les a créés.

S. P.: Alors, si on va plus loin, est-ce que ce qui est expérimental dans ce pays en matière d’éducation le reste toujours ? Vous alors, vous êtes à la tête d’une nouvelle structure pour l’innovation .Est-ce que vous avez l’impression qu’on va vous donner les moyens de faire quelque chose de bon ou c’est une idée expérimentale, elle aussi ?

Anne- Marie Vaillé, présidente du " Conseil National de l’Innovation pour la réussite scolaire " au ministère de l’Education nationale : J’espère qu’on ne va pas en rester à de l’expérimentation en vase clos et qu’on ne va pas enfermer toutes les initiatives dans des bulles sans communication avec le reste du système éducatif… Moi, mon objectif et, la raison pour laquelle j’ai accepté cette mission, c’est véritablement parce que j’espère bien que l’innovation va être l’indicateur, le moyen de déterminer des orientations pour les grands chantiers qui sont à l’œuvre actuellement dans le système éducatif.

Et pour répondre aux urgences, aux questions qui se posent . Je crois que beaucoup attendent de cela et les gens se sont lassés de faire des innovations tout seul, non soutenues, non reprises…Certaines ont été reprises, il faut être honnête, elles circulent quand même ! Mais moi, je souhaite vraiment que cela serve à quelque chose enfin !

S. P.: M. Meirieu, maintenant que vous avez les mains libres, on peut parler plus librement dans ces cas-là aussi ! Est-ce qu’il y a une vraie volonté politique dans ce pays de se poser les questions de l’enseignement ? Comment enseigner différemment ou éduquer différemment ?

Philippe Meirieu, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Lyon II, directeur de l’" Institut National de Recherche Pédagogique " (1988-2000) : Je ne suis pas sûr qu’il y ait une vraie volonté politique. Moi, ce que je sens, c’est une difficulté à se doter d’un projet politique clair pour l’école. On a visiblement construit au 19ème siècle une splendide école primaire qui correspondait aux exigences de l’époque. On a construit le collège…

S. P.: C’était un projet de société …

 

P.M. : Qui était un projet de société qui était fait par un homme, Jules Ferry, qui savait où il allait et qui savait ce qu’il voulait faire des petits Français. On a créé le collège sans trop bien savoir ce qu’on faisait. Le collège est resté un peu une structure batarde dont on ne voit pas à quoi elle aboutit et qu’est-ce qu’elle fait ! On n’a peut-être pas aujourd’hui une vraie définition de ce que doit être l’éducation, au moins au niveau de l’école obligatoire, c’est-à-dire la scolarité jusqu’à seize ans, quand elle a un lien organique avec l’Etat. Alors, sur le plan de l’innovation, moi, en tant qu’historien de la pédagogie, des pratiques pédagogiques, j’ai un peu le sentiment quand j’entends parler d’établissements expérimentaux ou innovateurs, de quelque chose d’assez surréaliste ! C’est vrai qu’en pédagogie tout a été dit et tout reste à faire ! Ca fait à peu près cent ans que tout a été dit : on sait globalement comment il faut faire pour faire réussir les élèves . (…)

Ce qu’on sait aussi, c’est qu’il ne suffit pas de savoir pour vouloir. Et, qu’entre le savoir que l’on a accumulé et le vouloir qui consiste à mettre en musique au plan politique, il y a un vide et un vide qui me paraît devoir être comblé de manière assez urgente.

S. P.: Alors, restons sur le " vouloir ", François Dubet ! A votre avis, y a-t-il aujourd’hui une volonté politique dans les pédagogies de changer la société ?

François Dubet, sociologue, professeur à l’Université de Bordeaux II, directeur d’études à l’EHESS :

Non !

S. P.: Est-ce que c’est encore à l’école qu’on peut fabriquer la société ?

F.D. : Non ! D’abord, je ne pense pas qu’une école fabrique une société. Il y a eu historiquement avec la création de l’école républicaine la volonté de créer une société républicaine, moderne, industrielle, nationale. Elle a fait les Français. (…)

L’idée d’une école qui fabrique un monde me paraît une rêverie et même, une rêverie dangereuse d’une certaine manière. Ce qu’on peut attendre, c’est qu’elle fabrique des individus aujourd’hui, des citoyens, des sujets, ce qui est extrêmement compliqué.

Sur la volonté politique, je crois qu’il faut quand même dire les choses très simplement : il n’y a plus de volonté politique de changer l’école aujourd’hui, d’où l’espace ouvert aux expérimentations.

S. P.: Et pourquoi il n’y a plus la volonté ? Parce que c’est difficile ? dangereux ?

F.D. : D’abord, il n’y a pas de volonté parce que tous ceux qui l’ont manifesté de quelque manière que ce soit , se sont fait tuer politiquement depuis vingt ans ! Avec des styles très différents :

  • Alain Savary s’est fait tuer en plein vol
  • Un ministre de droite, qui n’était pas aussi mauvais que cela, qui s’appelait Devaquet, avec des idées qui n’étaient pas scandaleuses, s’est fait tuer avec une catastrophe politique pour la droite
  • Lionel Jospin, au début des années 90, est allé au maximum, mais avec des tensions, des conflits, d’énormes difficultés. Sur la fameuse affaire de la " revalo ", au fond, les syndicats enseignants ont pris l’argent et sont partis.
  • Allègre, dans un style politique qui n’est pas forcément exemplaire, n’empêche qu’il s’est fait tuer.

Et il y a, au fond, l’idée qu’un gouvernement de gauche ne peut pas heurter les enseignants qui sont sa clientèle électorale la plus solide et, en même temps, qu’un gouvernement de droite ne peut pas prendre le risque d’une guerre frontale avec une opinion publique qui lui est hostile.

S. P.: Est-ce que, par définition politique, l’école expérimentale est une école de gauche plus qu’une école de droite ?

F.D. : Non ! L’école expérimentale repose sur, je crois, un double pari . Et ce pari, moi, je ne le critique pas en principe, sauf s’il sert à faire croire qu’on réforme l’école. Si on fait croire qu’on réforme l’école comme ça, c’est un mensonge, c’est de la foutaise. L’école expérimentale repose sur deux thèmes pratiques. C’est que, d’une part, il existe dans le monde scolaire, au delà des blocages absolument ahurissants de cet univers, il existe un ensemble de gens généreux, dynamiques, toniques. Tous les profs ne sont pas à l’image de celle qu’ils ont donnée, quand le Snes et le Snalc, c’est-à-dire la gauche et l’extrême-droite, manifestaient de manière conjointe, il y a deux ans, plus Fo-éducation, plus …

 

 

Deuxième principe, qui est plus ennuyeux, c’est que l’expérimentation s’adresse à ceux que l’école " normale " a tués. Au fond, on dit, pour les enfants de classe moyenne, qui s’ennuient moyennement et réussissent moyennement, laissons leur une école qui marche moyennement et ceux pour lesquels cette école ne parvient à rien, faisons des expérimentations. Alors là – et ce n’est pas la faute aux expérimentateurs – c’est effectivement très dangereux. Ca, ça peut être quelque chose, qui peut assez facilement se lier à des thèmes – je ne dirai pas de droite – mais des thèmes libéraux . Ca veut dire : " laissons la demande commander l’offre ". (…)

L’inconvénient, c’est que cela devienne le leurre qui permet de cacher l’extraordinaire faiblesse politique de la France sur un objet qui est d’ailleurs aujourd’hui, politiquement UN des SEULS objets sur lesquels on peut garder des politiques nationales autonomes. On n’a plus de politique économique autonome . On n’a plus de politique internationale autonome . Une politique scolaire, on pourrait en avoir une. Et on n’en fait pas !

(…)

G.C.B. : Je sais que l’expérimentation peut être un alibi. Il y a un blocage fantastique, entre autres, je pense aujourd’hui, le plus fort du corps enseignant. Alors, ou bien on le prend de front et on lui impose qu’il y ait un débat avant national et qu’on dise : écoutez, c’est l’éducation nationale et c’est pas à vous de décider…Personnellement, je pense que c’est suicidaire pour tout ministre de droite ou tout ministre de gauche de prendre de front, d’où des stratégies de contournement . (…)

L’école a toujours eu plusieurs fonctions – je préfère fonction que mission, je suis fonctionnaire, pas missionnaire – elle a toujours eu plusieurs fonctions, qu’elle le veuille ou non :

elle a toujours éduqué, elle a toujours plus ou moins instruit, elle a toujours été un lieu de vie, elle a toujours eu quelque part une relation avec le travail . (…)

Aujourd’hui, les jeunes qui vont au collège, c’est tous les jeunes, des milieux populaires, et c’est vrai que les enseignants qui sont des milieux cultivés, ils ne comprennent rien pour la plupart à tous ces jeunes(…)

Le débat général serait plus important. Aujourd’hui, il est occulté par des enseignants plus ou moins traditionalistes qui disent : il faut faire la même chose à tout le monde de la même façon, etc. et nient qu’ils excluent eux-mêmes par là-même ! Là, je suis d’accord avec Dubet, ce n’est pas l’école qui change la société ; l’école peut faire des citoyens qui se battent. La société changera par le combat des citoyens.

S. P.: L’innovation, elle est plus dans la méthode pédagogique que dans le contenu pédagogique ? Je sais que vous dites " l’élève est au centre du projet pédagogique ". Où est l’innovation à vos yeux ?

A.M.V. : Je voudrais poser le problème un peu différemment de la façon dont Gabriel Cohn-Bendit le pose. Je voudrais qu’on distingue ce qui serait les lieux complets d’innovation et puis l’innovation sur le terrain. L’enjeu est essentiel. Je suis quand même d’accord avec ce qu’en dit François Dubet. Il n’y a pas de débat politique sur l’éducation et c’est une lacune grave dans notre système. Plus modestement, la question de l’innovation se pose prioritairement de la façon suivante : c’est, pour moi, une respiration du côté des personnels du système éducatif. C’est maintenir en vie, en mouvement, des personnels qui ont besoin de se dire qu’ils ont une marge d’autonomie malgré tout, qu’ils ne sont pas complètement coincés et enfermés dans un système hypercentralisé et complètement bloquant. (…)

Cette innovation-là, c’est dans les établissements tels qu’ils sont à l’heure actuelle, je pense qu’il faut l’entretenir, la développer, la faire vivre, la soutenir, l’accompagner …

F.D. : L’évaluer !

A.M.V. : Et l’évaluer !

F.D. : On part du postulat que toute innovation est bonne. Je suis convaincu qu’on ne sait pas vraiment ! C’est un des problèmes d’ailleurs qui, tu le reconnaîtras, montre à quel point c’est d’un usage politique bizarre, on dit aux gens : " l’innovation est bonne, tout est bon ". On n’en sait rien. On n’a jamais véritablement mesuré sur un peu de durée les effets de telle ou telle novation, telle ou telle pratique…

A.M.V. : Je suis d’accord !

 

 

 

 

F.D. : Donc, je crois que s’il y avait une vraie politique de l’innovation, il y aurait une vraie politique d’encadrement de mesures et il me semble que, là-dessus, on arriverait à des résultats probablement ambigus, c’est-à-dire que l’on se rendrait compte peut-être que les méthodes pédagogiques les plus distinctes, les plus étrangères peuvent avoir des résultats identiques. C’est-à-dire il faut quand même faire très très attention là-dessus à l’idée qu’on ne va pas inventer LA bonne méthode. Moi, je suis absolument persuadé que les méthodes sont des choses que des individus mettent en œuvre et que la manière dont ces individus la mettent en œuvre crée l’efficacité .

S. P.: ( s’adressant à Meirieu) On nous a parlé, parfois un peu bassiné, avec des formules politiques, type " fracture sociale ", mais qui montre bien qu’il y a une segmentation de la société aujourd’hui et que dans les écoles on trouve des populations d’élèves, très différentes les unes des autres. Est-ce qu’on n’est pas obligé de se poser la question de l’école, mais des écoles ? De l’expérimentation, mais des expérimentations en fonction de ces types d’élèves si différents les uns des autres ?

P.M. : Hum ! ( passe la parole à Dubet )

F.D. : L’école classique – celle qui envahit la nostalgie républicaine d’Alain Finkielkraut, de Madame Sallenave, du Snes, etc.- cette espèce de nostalgie repose sur une situation historique très particulière où des types de publics socialement et scolairement très définis rentrent dans des types d’écoles eux-mêmes très définis. Donc, c’est un monde paisible . (…)

Ce monde-là est terminé, les publics sont de plus en plus hétérogènes, les gamins ont des parcours de plus en plus divers. Mais, au contraire, je crois que plus on a à faire à des publics hétérogènes, plus il faut :

1 – diversifier les méthodes, c’est clair !

2 – affirmer, au contraire, l’unité des objectifs.

Le grand problème, c’est que si vous diversifiez les méthodes en disant que chaque méthode a ses objectifs, ce n’est pas la peine de se cacher derrière son doigt, l’Education nationale n’a plus vraiment d’utilité…

S. P.: C’est la fin, même !

F.D. : Je crois qu’au contraire, il faut affirmer ce qu’on attend de l’école primaire, ce qu’on attend du collège, ce qu’on attend des lycées. Se donner les moyens de s’assurer qu’on le réalise et dire aux enseignants : la manière d’y parvenir vous appartient très largement . Aujourd’hui, nous sommes dans un système où l’on dit aux gens : " Voilà la manière orthodoxe de travailler, mais les résultats que vous produisez ne nous intéressent pas ". Je crois qu’il faut complètement changer le raisonnement . (…)

Cette définition de " à quoi sert l’école ? Qu’est-ce qu’elle est ? Qu’est-ce qu’elle se fixe comme objectifs ? ". C’est ça la politique et c’est là qu’il y a des enjeux considérables.

S. P.: Moi, je suis très intéressé de vous écouter ! On n’entend pas si souvent que cela ce que vous dites les uns et les autres, notamment en matière d’enjeux politiques. Ce n’est pas dans le débat politique ce qu’on dit sur ce plateau ou pas beaucoup…

P.M. : (…) Un des problèmes majeurs est de savoir si, par exemple au collège, nous voulons conserver la fonction sociale, la fonction morale, la fonction politique de l’hétérogénéité des classes …

S. P.: L’enquête de l’Insee qui date d’octobre dernier, publiée par Le Monde : 62% des enfants de 15 ans, de famille modeste, sont en difficulté en 3ème . Bon, voilà !

P.M. : (…) Aujourd’hui, le problème c’est que cette solution qui consiste à exclure, à filiariser, à créer le plus vite possible un certain nombre de ghettos, qui est une position qui est massivement relayée par certains parents qui ne veulent pas que leurs enfants aient de mauvaises fréquentations, cette position-là devient une position dominante sans être officiellement avalisée. On est dans ce que François Dubet appelle une Hypocrisie scolaire absolue. (…) . Les Français voient leurs intérêts individuels s’exprimer au détriment d’un projet collectif de ce que pourrait être une école pour tous.

S. P.: On dit que les élèves qui apprennent bien en savent de plus en plus et de mieux en mieux et, qu’en revanche, ceux qui sont à la traîne sont beaucoup plus en retard qu’autrefois !

P.M. : Oui, bien sûr !

G.C.B. : Non ! Non !

P.M. : Ils sont en retard proportionnellement…

G.C.B. : Non, non ! Le niveau collectif monte … mais l’écart scolaire entre ceux qui entrent dans les grandes écoles ou font des études supérieures jusqu’au bout et les autres augmente. (…) Il ne faut pas laisser croire que l’école a baissé le niveau de tout le monde !

P.M. : Gaby, on ne peut pas continuer non plus à dire ça éternellement, sinon nous allons nous faire flinguer ! ! C’est vrai que l’expression écrite, par exemple, est en difficulté, c’est vrai que la chronologie historique, en français … on ne peut pas …

(…)

Jean-Marie Fouquer, président de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM), pédagogie Freinet :

Je voudrais réagir quand même ! L’innovation en tant que telle, ce n’est pas quelque chose auquel je crois. (…)Aujourd’hui, on sait que dans l’école, il y a des écoles. On s’aperçoit qu’il y a des parents qui jouent très bien le jeu …

G.C.B. : dont les enseignants !

F.D. : Les derniers chiffres là-dessus : sur les gens qui demandent des dérogations de carte scolaire, sur la population c’est 4%,chez les enseignants c’est 30,4% ! La dénonciation du consumérisme des parents me paraît un faux problème. Il est normal que les individus visent les intérêts de leurs enfants (…).

Mais ça n’a rien de scandaleux. Arrêtons de dire qu’on a à faire à des sortes de demi-salauds qui veulent mettre leurs enfants dans des établissements qui marchent et où ils ne se font pas racketter .

(…)

F.D. : ( s’adressant à A.M.V., qui vient de donner l’exemple d’un collège de Gonesse qui remarche) Tu sais que le statut des enseignants étant ce qu’il est, le statut des chefs d’établissement étant ce qu’il est, le service des enseignants étant ce qu’il est, on peut avoir des héros, des conjonctures formidables qui fait qu’un établissement marche, mais ça ne peut pas être une politique si on a 80% de turn-over et des gens qui disent : mon service est de 18 heures et je ne fais pas 18 heures 15 …

P.M. : François Dubet disait tout à l’heure : on ne peut pas stigmatiser les parents qui mettent leurs enfants dans les bons établissements. Oui, bien sûr ! Les parents, sinon, on dirait qu’ils sont démissionnaires, que ce sont de mauvais parents. La question, c’est que nous sommes en train d’installer en France un système alors à 2, 3, 4 ou 10 vitesses, peu importe, dans lequel il y a une sorte d’école moyenne qui est l’école de tous où on fait globalement pas de pédagogie ou une pédagogie qui est une pédagogie médiocre et au rabais.(…)

C’est ça qui me paraît extrêmement préoccupant et ça, ça ne peut pas être résolu simplement par un appel à l’initiative individuelle. Ca ne peut être résolu que si la fonction et le métier d’enseignant est complètement repensé.(…).

Ca, ça nécessite un projet de société. La définition du service enseignant, ça ne peut pas être quelque chose qui est aléatoire au charisme individuel de quelques personnes. Il faut que l’Etat et, pour moi, l’Assemblée nationale, le Parlement disent : voilà ce que nous attendons des enseignants .(…)

Je crois que nous sommes là devant un problème de fond. On a laissé se construire un système enseignant qui a fonctionné sur un modèle très clérical : l’enseignant du secondaire, c’est le clerc qui vient donner la bonne parole du haut de sa chaire et puis les gens reçoivent le St-Esprit s’ils y sont préparés ! Et puis, ce modèle-là s’est progressivement étendu, c’était un modèle des classes prépas, c’est devenu un modèle des lycées, c’est le modèle du collège aujourd’hui .

 

 

S. P.: C’est le débat de la cité ! C’est ça la politique d’ailleurs ! Qu’est-ce qu’on fait ensemble dans la cité ? Qu’est-ce qu’on fait ensemble dans le champ de l’éducation ?

F.D. : Je crois qu’il y a un débat là-dessus, c’est évident ! Je voudrais insister sur l’urgence politique. Dans les dix ans qui viennent, la moitié du corps enseignant change . Soit on le recrute sur le modèle actuel - et nous pouvons tous aller prendre un café parce que notre discussion n’aura plus aucun sens pour quarante ans – soit nous avons la capacité de dire : voilà ce que nous attendons des enseignants que nous allons recruter et qui vont être le cœur de la machine pendant quarante ans. Moi, je suis un peu pessimiste …

S. P.: C’est à vous de le dire, non ? C’est vous qui …

F.D. : Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, aucun d’entre nous n’est ministre !

S. P.: Comme le ministre ne parle pas, qui va parler ? Vous mettez le doigt …Qui va parler ?

F.D. : Ce qu’on peut attendre du politique … les parents d’élèves, les syndicats non enseignants …

Considérer que les parents d’élèves sont indignes de s’occuper de l’école me paraît scandaleux !

P.M. : Tout à fait !

F.D. : Deuxièmement, il y a des syndicats non enseignants qui s’occupent des intérêts des travailleurs. Il y a quand même un certain nombre d’acteurs qui sont directement intéressés à cette affaire. Si nous sommes dans ce débat, la plupart d’entre nous ici, c’est qu’il y a un sentiment d’urgence et qui est conjoncturellement tout à fait considérable. Il est considérable aussi pour une autre raison, c’est que nous savons tous que nous sommes en train de sortir de la crise économique de fait, que nous allons avoir des mutations professionnelles et culturelles considérables et que si l’école continue à parler latin – que j’aime bien par ailleurs – il y aura peut-être plus de raisons de se procurer des CD-Roms efficaces que d’aller perdre son temps au collège.

P.M. : Pendant que, on peut dire, que la gauche, en général, est en panne de projet politique, la droite n’est pas complètement en panne quand même. Démocratie Libérale propose un système politique avec le chèque éducation, qui a sa cohérence. (…)

On a un vrai danger, pour moi un danger, d’une sorte d’ultralibéralisme à l’école, qui fasse se désagréger complètement la machine Education nationale. On a un vrai danger de dérive des continents : on a déjà des collèges et des lycées qui s’écartent les uns des autres et où il y a plus grand-chose en commun. (…)

Derrière ça, c’est la question de l’hypothèse d’un vieux mot qui n’a pas encore été prononcé qui est la laïcité ! Est-ce qu’on vend l’école française au plus offrant ? Est-ce qu’on se résigne à ce que le système marchand, le système des communautés, comme aux Etats-Unis, s’accaparent l’école …

S. P.: C’est la segmentarisation …

P.M. : C’est la segmentarisation ! Ou bien est-ce qu’on accepte qu’on a un projet collectif, quitte à ce que ce projet collectif soit mis en œuvre avec une plus grande liberté dans les moyens et avec une plus grande finalité dans les fins. Moi, ce qui me frappe aujourd’hui, c’est qu’on est à l’inverse de ce qui serait cohérent. Un établissement, du moment qu’il respecte les normes et les règlements, il peut faire n’importe quelle politique éducative, on ne lui dira rien . (…)

La mixité sociale, c’est, pour moi, un point essentiel dans l’école, dans l’école obligatoire en tout cas . Comment on encourage la mixité sociale ? Qu’est-ce qu’on fait pour que ce soit pas deux lycées à Paris qui, à eux seuls, se récupèrent tous les décrocheurs, pendant que les autres lycées…

F.D. : Pendant que deux autres se font toutes les classes préparatoires …

P.M. : Pendant que deux autres se font toutes les classes préparatoires !

 

S. P.: Est-ce qu’on n’est pas en train de faire de l’angélisme ? Je reviens à la question de la Ville . Mixité sociale, formidable ! Personne ne veut de HLM dans la ville (…)

Par rapport à ce que disait M. Dubet tout à l’heure, y a-t-il au moins dans la génération qui monte, celle qui va enseigner bientôt, une demande qui aille dans ce sens-là, qui vous dise : posons ensemble la question de l’enseignement ? Est-ce que vous la percevez ?

G.C.B. : Non ! Moi, je ne la perçois pas . Dans la mesure où on recrute aujourd’hui des jeunes sur des bases uniquement disciplinaires (…)

Quand l’autorité fout le camp, ou bien on invente des systèmes démocratiques auxquels les gens participent, ou bien c’est la mafia, c’est bon pour l’URSS comme pour les collèges de banlieue . (…)

Il faut recruter des gens, colos de vacances, centres de trucs, tu te démerdes bien avec ce public, alors on fera peut-être de toi un prof, j’ai pas dit que ça suffit, j’ai jamais dit que c’était une condition nécessaire et suffisante. Elle est nécessaire, d’être capable de changer de milieu, de comprendre un autre milieu et après, on voit comment tu peux enseigner et quoi enseigner. C’est vrai que ce qu’on a à enseigner aujourd’hui, indépendamment des publics, n’est pas tout à fait la même chose que ce qu’on enseignait dans le temps. Y a peut-être des choses plus importantes à enseigner aujourd’hui au départ qu’il y a vingt ou trente ans, les neuf disciplines sur lesquelles on nous emmerde et l’horaire peut pas changer et personne ne veut enlever une heure sur rien !

S. P.: Il y a une urgence incroyable là ! La première des innovations, ça va être de répondre à cette urgence là. Quand il y aura plus les hommes et les femmes qui seront partis à la retraite et qu’on n’aura peut-être pas demandé à ceux qui arrivent de s’inscrire dans le cahier des charges ?

A.M.V. : On a deux positions possibles et qui, d’ailleurs, doivent cohabiter ensemble. Cette urgence en terme de projet de société concernant l’école que tous décrivent et avec laquelle je suis tout à fait d’accord .Et puis, il y a une autre urgence qui est une urgence au quotidien. Il faut qu’on fasse très attention qu’ils sont pas encore partis à la retraite ceux dont vous parlez. Il ne s’agit pas de les décourager et de les laisser tomber complètement. (…)

J.M.F. : Je suis syndicaliste enseignant également et j’ai du mal à entendre des discours qui semblent dire toujours que les enseignants ne veulent pas, ne sont pas prêts à … Quelles que soient leurs appartenances syndicales, il y a un grand désarroi chez les enseignants.(…)

F.D. : (…) La société produit des inégalités, hier elle en a produit, elle en produira demain. Le problème de l'école n'est pas de produire de l’égalité, arrêtons ! Le problème de l’école est de produire de l’éducation et de faire que ceux qui ne seront pas dans la réussite scolaire ne soient ni dans l’humiliation, ni dans l’échec, ni dans l’inutilité. (…).

Deuxièmement, l’école a un deuxième mythe : c’est qu’elle croit que la pédagogie et la formation va sauver la formation. (…)

Si demain vous dites : je fais un enseignement au collège dans lequel il y a aussi de l’enseignement professionnel pour tous parce que tout le monde doit en avoir, je fais une formation professionnelle et technologique vers laquelle on s’oriente positivement, on enseignera différemment.

Si on dit, les élèves font des TPE, ils font quelque chose à l’école et ça fait partie de l’évaluation au bac, c’est pas la peine de faire un plan quinquennal à l’IUFM pour y former les profs, je veux dire :

les profs sauront, inventeront ça .(…)

On est dans un monde qui a des hiérarchies inacceptables et pas seulement des inégalités, des hiérarchies inacceptables. Par exemple, la totalité du corpus d’enseignement du collège est faite pour aller vers un lycée d’enseignement général. Or, 60% des élèves n’iront pas. Ces 60% d’élèves apprennent au collèges qu’ils sont indignes d’avoir une vraie scolarité. Rien ne justifie cela : ni la réduction des inégalités, ni les demandes patronales. Personne n’a intérêt à cela, sauf que le système a quand même pour finalité de produire le major à Polytechnique !

S. P.: Ca, c’est vraiment intéressant, car c’est la valorisation de ce qui est enseigné, mais de tout ce qui est enseigné … Ce que vous appelez par ailleurs la ritualisation de certaines méthodes qui consistent à ce que les élèves prennent en compte les résultats de l’examen et le reste, peu leur importe et qui ne travaillent que dans ce projet-là. Ca aussi, ça a complètement rétréci, resserré …La compétition, certains la dénoncent aussi …

 

 

P.M. : Ce que disait François sur la nécessité d’introduire des leviers, je crois qu’effectivement c’est bien. Les Travaux Personnels Encadrés (…), ça va contraindre les enseignants effectivement à changer leurs pratiques, mais je crois que ça ne suffit pas. Je vois tous les jours des enseignants qui sortent d’IUFM et qui ressemblent à des médecins qu’on enverrait dans la brousse sans aspirine, ni stéthoscope, mais avec le mode d’emploi d’un scanner très perfectionné qu’ils ne trouveront jamais dans la brousse .On a même pas travaillé sur des choses aussi élémentaires : quand un gamin vous crie après, il ne faut pas crier plus fort, il faut crier moins fort ! Il faut apaiser le travail .

Cette gestion des situations de violence que les enseignants ont à faire dans la vie quotidienne, y a pas eu, même dans certains cas, le début de l’ombre d’un commencement de réflexion là-dessus. Or, il y a une tradition pédagogique. Moi, je suis ahuri par la façon dont nos intellectuels républicains ont enterré complètement toute une histoire de la pensée éducative en France. (…)

Tout ça est mis au panier, est mis au rancart parce que nous avons des intellectuels qui décrètent que les élèves doivent être ce qu’ils doivent être et qu’ils ne veulent pas les prendre comme ils sont pour les amener un peu plus loin. Je crois que le débat là est faussé et que nous allons dans le mur avec les enseignants que nous formons aujourd’hui, nous allons dans le mur !

G.C.B. : On apprend à nager que dans l’eau et il est très dur de former au bord de la piscine. A un moment les enseignants plongeront !(…) On a tous pas été formés !

S. P.: Et c’est marée montante à vous écouter les uns et les autres et il va falloir qu’ils se mettent à l’eau !

G.C.B. : Ca sera de moins en moins facile à enseigner !

F.D. : Je pense que dans un mois, vous ferez le débat sur la violence à l’école ?

G.C.B. : Tout à fait !

F.D. : Logiquement, au mois de janvier, on va avoir une explosion de violence à l’école : tous les ans, depuis dix ans, il y en a une ! Ca recommencera …

G.C.B. : Tout à fait !

J.M.F. : On ne fera pas l’économie d’un travail de formation, parce que l’heure de vie de classe est un magnifique exemple d’une bonne idée qui ne fonctionne pas dans les collèges …

S. P.: On refera un débat, promis ! Parce qu’en plus j’ai peur que vous ayez raison, M. Dubet !

Madame, bonne chance, parce que l’innovation a besoin d’innovation !

Messieurs, merci et merci à vous de nous avoir accompagnés. Au revoir !

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En fin d’émission, " quelques conseils de lecture " proposés par Stéphane Paoli :

François Dubet, Marie Duru-Bellat : L’hypocrisie scolaire Ed. Seuil

François Dubet : Pourquoi changer l’école Ed. Textuel

Philippe Meirieu : Les devoirs à la maison Ed. Syros

Philippe Meirieu : L’école et les parents, la grande explication Ed. Plon

Philippe Meirieu : L’école, mode d’emploi Ed. Esf

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Transcription partielle de Bruno Ferrand, le 3 janvier 2001.

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