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Collèges : l'unicité n'est pas l'égalité

Par Philippe Petit
Article paru dans Marianne, 9 - 15 avril 2001

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La bataille du " collège unique " ne fait que commencer. Après vingt-cinq ans d’hésitations et de controverses fertiles, Jack Lang, le ministre de l’Education nationale, a décidé d’introduire des enseignements différenciés en option pour " lutter contre l’ennui ", l’uniformité et l’égalitarisme mensonger. Il y a été poussé par son bouillonnant ministre délégué à l’Enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon, qui depuis quelques semaines multipliait les interventions contre le mythe de l’égalité des chances à l’école. On s’étonne toutefois qu’il ait fallu attendre si longtemps pour porter le débat sur la place publique. La querelle entre les partisans du " tout-pédagogique " et les défenseurs des " savoirs fondamentaux " aura au moins servi à débloquer la situation. Merci donc à Alain Finkielkraut, Philippe Meirieu, Danièle Sallenave, Jean-Claude Milner !

L’idée selon laquelle l’école reproduit les inégalités sociales et culturelles ne date pas d’aujourd’hui. La massification, qu’on a trop souvent confondue avec la démocratisation, fut dénoncée tout au long des années 80 et 90 par de nombreux professeurs et intellectuels. Le rêve d’une " école pour tous ", réunissant les enfants du peuple et de la bourgeoisie, s’est échoué contre le mur de l’hétérogénéité sociale. Et aussi ethnique. Le néocapitalisme a imposé sa loi à la loi. N’a-t-on pas vu des journaux " de gauche " publier le classement des lycées in et out ? L’ascenseur social est tombé en panne. Redevenue machine à reproduire les inégalités, l’école s’est mise à gérer les stocks de lycéens à la manière d’un entrepôt, répondant de la sorte aux injonctions du néolibéralisme. René Haby, le père de la réforme du collège unique en 1975, déclarait dans le Monde du 6 avril que la gauche avait " mené une politique de droite en supprimant dans le collège tout ce qui n’était pas élitiste ". Cela n’est pas entièrement faux. Ainsi a-t-elle sacrifié une part non négligeable des enseignements fondamentaux dans le primaire et encouragé, dans le secondaire, une logomachie pseudo-moderniste qui a généré l’ennui le plus profond. On a ainsi laissé se dégrader l’école de la République. Égaux en droit, les élèves devaient se retrouver, comme par miracle, égaux de fait. Cette illusion ne pouvant plus fonctionner, on en vient donc à réintroduire des filières et des enseignements à option qui permettront à des élèves démotivés de se recentrer sur des heures " spécialisées " dès la quatrième. Jack Lang en tend le collège plus attractif, plus souple, plus adapté tout en préservant sa vocation égalitaire et sans hâter l’âge de l’orientation.

Jean-Luc Mélenchon cherche, lui, à revivifier l’enseignement professionnel, il défend l’orientation précoce, dès la quatrième, et voudrait rouvrir les quatrièmes et les troisièmes technologiques dans les lycées professionnels, qui ont été fermées en 1997. Le pugilat entre les deux ministres n’est pas clos. Il a eu le mérite d’accélérer les choses. Or, il y a urgence, en effet, à casser l’égalitarisme formel quand celui-ci sert d’alibi à la reconstitution de la pire des inégalités de fait. Mais à condition de ne pas sacrifier ce qu’on appelait hier le " tronc commun " (ce que nous devons tous savoir pour avoir la sensation de faire partie d’un même monde). Plus que jamais, il convient de se donner les moyens de promouvoir une école " populaire ", et non une école de masse ; une véritable " instruction publique ", en somme, qui permette d’offrir un certain nombre de références culturelles communes, ainsi qu’un socle de savoir, à tous les citoyens de ce pays. il s’agit certes de promouvoir un enseignement personnalisé et modulé, mais à condition de réinstaurer, dans le même temps, l’égalité des horaires disciplinaires en français, en mathématiques et en histoire, et d’imposer l’instruction civique. Il faut en outre casser ce faux égalitarisme, qui cache une concurrence sournoise entre les établissements, permettre enfin aux élèves de ne plus croupir dans des écoles-garderies.

Une question se pose alors : les filières " découvertes " de Jack Lang seront-elles ou pas mises en place au détriment des autres enseignements ? Peut-on sauver le " collège unique " en le dépouillant les disciplines fondamentales ? Non. Ce n’est pas parce que l’élève choisit sa filière qu’il sera mieux armé pour écrire, converser, forger son jugement. Plus l’enseignement sera diversifié et plus ce que tous les élèves devront apprendre deviendra essentiel. Demeure enfin la question du brevet. Que sera le niveau de cet examen en fin de troisième ? Mystère. " Si l’Assemblée nationale peut débattre de la fièvre aphteuse, elle doit pouvoir s’intéresser au collège ", déclarait récemment le sociologue François Dubet. C’est l’évidence. La gauche émotionnelle, celle de M. Lang, se doit de porter le débat sur l’égalité des chances au collège devant le Parlement. Il n’y a pas qu’à l’école que l’on s’ennuie !


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