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De l'élève à l'« apprenant »

Sur l'enseignement du français au lycée

MICHEL LEROUX

© Commentaire, n°87, automne 1999
Avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur.
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Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas  ; vous plairait-il
de recommencer ? J’y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez,
Acis, me dire qu’il fait froid  ; que ne disiez-vous : " il fait froid. "
Vous voulez m'apprendre qu’il pleut ou qu’il neige, dites " il pleut, il neige. "

La Bruyère

 

      Nouveaux venus dans les sciences humaines, les scientifiques de l'éducation raffolent de théorie et se posent en spécialistes. Fertile en néologismes, leur langage affecté, que Philippe Meyer a nommé pédagol, ne déparerait pas les plus féroces comédies de Molière. Longtemps contenu dans les gymnases, il y a forgé ses plus beaux fleurons, dont l'invraisemblable référentiel bondissant qui élève le ballon au statut de concept. Il y a pris des forces et beaucoup d'appétit. Il étend aujourd'hui son empire sur l'enseignement du français.

      Pour qui est de la partie, le rire n'est plus de saison. Quand, las du bonnet à grelots, l'amuseur guigne la couronne, une sérieuse menace s'annonce contre la vie de l'esprit. C'est cette menace qu'il importe de préciser en exposant la situation du français dans les lycées.

      S'il est une trouvaille de la science didactique qui mérite l'attention, c'est la substitution du terme d'apprenant au nom classique d'" élève ". Elle fait d'abord sourire, tant le nouveau vocable, affichant pieusement le versant éclairé de l'état d'ignorance, est propre à ménager les " exclus du savoir ". Mais le sourire se fige. La fonction véritable de ce curieux baptême n'est pas la correction : il s'agit d'imposer une conception étroitement technique de la pédagogie.

      Tandis, en effet, que l'élève est confié à un professeur, maître précisément chargé de l'élever au-dessus de sa condition, l'apprenant est l'affaire d'un professionnel, appreneur soucieux de lui inculquer, au moyen d'outils pédagogiques et au fil de séquences didactiques, les compétences consignées dans le cahier des charges d'un projet éducatif.

      C'est dans cet esprit que l'apprenant en lettres est soumis, dès son arrivée en seconde, à une évaluation nationale visant à dresser un état de ses " capacités et compétences, (plus que de ses connaissances) ", au nombre desquelles figurent les items suivants : " percevoir la spécificité générique et/ou typologique d'un texte ", " repérer et/ou interpréter des indices d'énonciation ", " utiliser des procédés rhétoriques ", " repérer et/ou interpréter des procédés d'écriture ". Les données obtenues subissent, en principe, un traitement informatique permettant la mise en place de modules où des groupes de besoin reçoivent la remédiation.

      Une telle rationalisation de la production de compétences est admirable : peut-on concevoir meilleur système pour compenser les handicaps socioculturels, inévitables dès lors qu'entrent en seconde soixante pour cent des collégiens ? Seuls des esprits chagrins insinueront que les inégalités peuvent, à l'aventure, provenir aussi des aptitudes ou de l'effort  ; que l'instrument informatique induit des procédures simplificatrices et rétroagit sur l'objet qu'on lui soumet  ; que, s'agissant de lettres, la référence au taylorisme ne promet rien de bon  ; que le choix des items ne reflète pas moins les dadas des évaluateurs que la logique de l'ordinateur  ; que le cerveau humain, enfin, est assez complexe pour qu'un simple sourire permette l'économie de vingt tombereaux de remédiation.

      À quoi les évaluateurs répondent à l'avance que, procédant à une " évaluation diagnostique situant l'élève en devenir ", ils se fondent sur " l'importance des compétences et la possibilité de les évaluer avec des instruments facilement utilisables par tous ". On ne saurait mieux se réclamer du taylorisme et introniser l'ordinateur. Nous voici donc rassurés.

      Quoi qu'il en soit, le Cahier d'évaluation étant " destiné à apprécier les élèves par rapport aux objectifs de la seconde ", précisons maintenant ce qui les attend.

Des instructions ambiguës

      Les études littéraires au lycée sont sanctionnées, à la fin de la première, par les épreuves écrites du baccalauréat qui consistent, au gré des candidats, à analyser une argumentation dont ils doivent discuter la thèse, à commenter un texte littéraire ou à disserter sur une oeuvre au programme. À l'oral, ils présentent la lecture méthodique d'un texte figurant sur une liste d'une vingtaine d'extraits. L’esprit et les méthodes qui régissent cette préparation ont fait l'objet d'instructions parues de 1987 à 1995 dans le Bulletin officiel de l’Education nationale. Après en avoir brièvement exposé le contenu, je montrerai que les didacticiens en ont fait une lecture abusive et pernicieuse. Qu'ils prétendent, en effet, évaluer des compétences littéraires ou interpréter un poème, les techniciens des lettres interrogent une réalité complexe qui leur renvoie l'empreinte réductrice de leurs modèles et de leurs instruments.

      En instituant, en 1987, la lecture méthodique des textes, les rédacteurs des Instructions souhaitaient en finir avec la " passive paraphrase ", la tendance à prêter " à l'auteur, a priori, une intention " et l'intimidation culturelle consistant à " s'enfermer dans des préjugés esthétiques ". Ils entendaient ainsi restaurer " une lecture réfléchie fondée sur l'observation objective, précise, nuancée des formes ou des systèmes de forme ". " Loin de proposer une grille unique ", on s'adresserait, en veillant à " éviter les excès du formalisme, à l'intelligence, à l'imagination et à la sensibilité pour donner accès à une culture véritable ".

      Bannissant l'impressionnisme au profit de l'observation rigoureuse, les prescripteurs mentionnaient, non sans précautions, les acquis de la recherche universitaire : " On exerce les élèves à employer [ ... ] un certain nombre de catégories, concepts et termes efficaces [ ... ]. Ces nécessaires instruments ne sont utilisés avec discernement, que s'ils sont proposés progressivement. On peut, [ ... ] en fonction des textes étudiés, entraîner les élèves à manier couramment quelques-uns des termes suivants [...] ". Suit une liste de figures et de catégories.

      Compromis manifeste entre modérés et modernistes, ces instructions ambiguës ont comblé un " bureau des méthodes littéraires " qui rongeait son frein. Une liste de catégories, concepts et termes efficaces était une aubaine : autant de compétences à inscrire dans un plan de production rationalisée et évaluable. Foin de l'esprit des instructions! Les textes deviendraient des prétextes au déploiement d'une logistique jargonnante. Ce fut la ruée.

      Dès le lendemain de la parution du Bulletin officiel, ont fleuri les vade-mecum, les conférences, les stages, les ateliers, les articles, les manuels proposant à l'envi des grilles universelles d'analyse, des batteries d'exercices illustrant jusqu'à l'épuisement toutes les notions évoquées dans les instructions et désormais proclamées indispensables pour la rencontre des élèves avec un poème, une page de roman ou une scène de théâtre. Les loups étaient entrés dans la bergerie, à savoir les didacticiens, les rhéteurs, les linguistes, les narratologues, les structuralistes, les abstracteurs de quintessence de toutes les Églises, autant de soldats de l'ingéniosité courant à l'assaut du génie. Les instituts universitaires de formation des maîtres, sans surprise, n'ont pas été les derniers à accueillir cette déferlante.

      Nul ne prit en compte l'avertissement formulé, dès 1984, dans Critique de la critique, par Todorov, dont se réclament pourtant tous les tenants de la " lecture moderne " :
" Il est temps d'en venir (d'en revenir) aux évidences qu'on n'aurait pas dû oublier : la littérature a trait à l'existence humaine, c'est un discours, tant pis pour ceux qui ont peur des grands mots, orienté vers la vérité et la morale. "

      Il en fut de cette mise en garde comme des textes officiels où l'on ne voulut entendre que ce que l'on attendait.

      Les termes d'implicite, de sous-entendu, de présupposé figurent dans les instructions ? Volant au secours des profanes, un inspecteur pédagogique tout neuf s'essaie à la vulgarisation : on entend par sous-entendu " des propositions qui n'apparaissent pas dans l'énoncé et qu'un raisonnement permet de rétablir. L’implicite, au contraire, dépend de l'énonciation et traduit une position de l'énonciateur. Le présupposé, lui, est repérable dans l'énoncé par des marques linguistiques ". Ce n'est pas encore tout à fait clair ? Courez à votre manuel où vous attendent quatre pages sur la question. Aborde-t-on l'étude d'un roman ? Veuillez distinguer la fiction de la narration, la narration du récit, le récit de la séquence et la séquence de l'action. Gardez-vous d'oublier le schéma narratif, les incipit et les épilogues dont vous saurez qu'ils " mesurent le degré de réalisation des projets initiaux entrepris par les personnages ".
- Et si les personnages n'ont pas de projet ?
- De grâce, n'allez pas tout compliquer!
- Soit. Mais Cosette et Jean Valjean, dans tout cela ?
- Voyez le schéma actantiel.

La " méthode lecturique ";

      Ici un intermède s'impose : le lecteur ne peut ignorer plus longtemps qu'il importe, dans toute intrigue, de mettre en lumière les schémas narratif et actantiel.

      Commençons par le premier : lorsqu'un Jacques Séguéla entreprend de communiquer son enthousiasme pour une pâte dentifrice, il brosse un scénario en cinq étapes : un état initial (l'haleine de Cindy est rédhibitoire mais elle s'en accommode), un élément perturbateur (Sébastien refuse de l'embrasser), une transformation (Cindy devient boulimique et son psychologue patauge), une résolution (son dentiste lui prodigue le bon conseil), un état final (Cindy se fiance avec Sébastien).
- Est-ce qu'on appliquera ce schéma à Racine ?
- Qui donc l'empêchera ? Si l'on veut obtenir son bac professionnel ou même son BEP, on repasse aujourd'hui son schéma narratif.
- Apprenez-nous aussi le schéma actantiel.
- J'y viens. Rejoignons donc Cindy : le schéma actantiel permettant d'" établir les liaisons entre actants et action ", Cindy est le sujet, puisqu'" elle est en quête de quelque chose "  ; son objet est le jeune Sébastien. Mue par le destinateur qui n'est autre que le désir de séduire, elle affronte un opposant, la plaque dentaire  ; des adjuvants viennent à sa rescousse : ce sont le praticien ainsi que le dentifrice  ; Cindy devient alors bénéficiaire de l'action et, de ce fait, destinataire. Ainsi se constituent nos fonctions ou actants. Notez qu'il y en a six.
- Impressionnant. Mais lorsqu'une intrigue ne correspond pas à ces modèles ?
- Vous pensez à Diderot, à Borges, à Kafka, Ionesco, Beckett ou bien Sarraute ? On entre alors dans une zone douloureuse de non-droit structural. Apprenez toutefois que le schéma actantiel, dont je vous soupçonne de vous gausser, autorise d'étonnantes promotions. N'a-t-on pas vu naguère, dans une publication destinée aux professeurs, le couvre-chef de Charles Bovary accéder à l'enviable statut d'opposant ?

      Mais laissons ces sornettes pour nous interroger : quel profit retirer de l'usage de telles grilles, dont la dernière provient du rhabillage, dû au docte Greimas, de structures héritées d'un folkloriste russe ? Pas le moindre, à mon sens, sinon la contemplation hébétée de vertigineuses tautologies. À moins que ces approches, prétendues objectives, ne révèlent plaisamment la subjectivité même de ceux qui projettent sur les textes leur absence totale d'imagination. À moins encore qu'une telle opération ne montre, sans laisser aucun doute, ce que la littérature n'est pas ; car la littérature précisément commence quand les schémas sont débordés.

      Passons rapidement sur les champs lexicaux et sémantiques, objets d'intéressantes chicanes universitaires. Rappelons qu'un champ lexical rassemble des termes renvoyant à une même réalité, tandis que le champ sémantique englobe les significations d'un mot. Les élèves ont naturellement plébiscité, à l'orthographe près, les termes savants qu'on leur a tendus, car le chant lexical est très en vogue dans leurs productions. Notons aussi le score de la didascalie qui a mis au rebut l'" indication scénique ", ainsi que la victoire, sur les banals " points de vue ", des focalisations. Mais on ne saurait attendre des apprenants, dont l'ignorance du vocabulaire élémentaire devient chaque jour plus flagrante, qu'ils se montrent moins moliéresques que certains de leurs pédagogues.

      C'est qu'il y a eu, parmi nous, des enthousiastes, des cerveaux incendiés par la Révélation méthodique. Il y eut aussi des grincheux et subsistent, par bonheur, des poches de résistance. Au vrai, notre profession a été déstabilisée, intimidée. Inondée de manuels de Techniques littéraires, elle est souvent passée, le dos rond, sous les fourches caudines des militants du relevé et de l'indice, des manipulateurs de grilles, bref des prophètes de ce qui, déjà, devenait la " méthode lecturique ". Certains firent leur reddition au nom de l'égalité des chances. Beaucoup redoutèrent d'envoyer à l'examen des candidats désarmés en face de questionneurs farouches. Gageons qu'il y en eut aussi pour saisir là une occasion rêvée de ne plus se creuser la tête.

      L’enseignement des lettres, depuis plus de dix ans, subit ainsi l'emprise de régents scolastiques : les savantes ganaches molestées par Rabelais ne font plus rire personne. Janotus de Bragmardo fait salle comble, Tubal Holopherne un malheur et l'on se bouscule au séminaire de Jobelin Bridé.

      Certes, on avait bien lu " lecture réfléchie, discernement, appel à l'intelligence, à l'imagination, à la sensibilité ". Mais tout cela n'est-il pas subjectif, aléatoire, élitiste ? Méthode, vous dis-je. Une circulaire de 1995, émanant d'une académie de l'Est, n'y va pas par quatre chemins - " dans le processus de formation à la lecture méthodique, le relevé des indices textuels constitue l'étape initiale ".

      Le lycéen aborde donc les textes, armé d'emporte-pièces propres à lui fournir tous les indices typologiques, lexicaux, rhétoriques, spatio-temporels, d'énonciation, de focalisation. Dès lors, nez à nez avec sa brouettée de faits, il ne lui manque plus qu'une chose . l'aptitude à discerner le pertinent de l'insignifiant, car, pour trouver, il est parfois bon de savoir ce que l'on cherche.

      Placés devant une page de Belle du Seigneur, des lycéens répondent à une question d'observation : " Un champ lexical important est présent dans le premier paragraphe. Constituez-le et commentez le résultat obtenu. " Ariane décide, dans l'extrait proposé, de restaurer sa dignité et son indépendance : se gardant de donner, à l'amant qui la subjugue, le spectacle d'une " femme de chambre ", elle prépare avec soin, tout en se chapitrant, le thé qu'elle offrira, en maîtresse de maison autonome et distante. Soixante pour cent des réponses présentent le lexique de la vaisselle et de la denrée (tasses, soucoupes, cuillers, thé, lait, sucre, citron) et non celui, évident, de la dignité. Ariane est une bonne ménagère.

      Que s'est-il passé ? Rien que de prévisible. Relevant des indices lexicaux sans se mêler de comprendre le texte, les élèves ont sélectionné les plus nombreux : l'observation ne doit-elle pas livrer les clés de l'interprétation ? Trop heureux donc de différer le moment de réfléchir, ils se sont montrés impitoyablement méthodiques et, accessoirement, misogynes.

      Un second exemple illustrera cette pratique d'observation aveugle. On soumet à des candidats au baccalauréat une page de Proust décrivant des voiliers dans un port. On y trouvait, naturellement, les éléments qui figurent sur la première carte postale de port venue. Rien d'étonnant donc à ce que l'intérêt du texte ne reposât pas sur le lexique maritime. En l'occurrence, seuls les termes exprimant la hauteur, l'aventure et le risque, quel qu'en soit le nombre, portaient ici la signification. Proust suggérait en effet l'émotion de passants qui, au hasard d'une promenade, contemplaient moins des embarcations que la preuve hautaine et poignante de leur propre enracinement dans une vie dépourvue de dangers et d'audace. Qu'ont relevé la plupart des candidats ? Les imparfaits descriptifs, le " chant lexical " complet des mouettes, quais, coques et gréements et les indicateurs spatiaux. Navrantes lapalissades.

      N'allons pas en conclure à leur stupidité. Dénonçons plutôt là une collusion objective. Elle se forme entre la défiance spontanée des élèves pour l'effort intellectuel et la confiance immodérée de leurs mentors en des méthodes universelles. La paresse des uns s'encourage de la présomption des autres et la littérature y trouve moins son compte que la démagogie.

Rions, mais rions jaune

      Il existe pourtant une alternative à des méthodes trop fascinées par le modèle industriel pour ne pas stériliser les germes de jugement et de sensibilité présents chez les élèves en difficulté comme chez les autres. C'est une étrange entreprise que d'équiper de béquilles des êtres à qui l'on n'a pas appris à marcher. Je suggère qu'on s'attache à montrer aux adolescents qu'un texte littéraire n'est pas seulement un produit linguistique, mais qu'il nourrit un rapport étroit avec tous les aspects de leur vie tant publique que morale et privée. Cela suppose que l'on rompe avec une conception héritée de Foucault, adoptée dans l'enthousiasme par nombre de demi-habiles, selon laquelle " écrire est un verbe intransitif ", ce qui revient à dire que l'écriture n'a d'autre but qu'elle-même. Cela suppose aussi de la sueur, mais, puisqu'il faut bien en répandre, que ce ne soit pas pour assommer vainement des classes entières - à qui l'époque offre tant de distractions faciles et séduisantes -, au moyen de la lecture, moins méthodique que systématique, des pages les plus fécondes de la littérature.

      D'ailleurs est-on bien sûr qu'on ne va pas fausser, sous couleur d'assister les désavantagés, le jugement des mieux nantis ? Un apprenant de ce type, en effet, risquera toujours le contresens si on l'a essentiellement exercé à mettre en oeuvre, à partir d'indices, un esprit de déduction là où son flair, sa sensibilité et son expérience (il a rêvé, souffert, aimé, il est à l'âge de l'enthousiasme, de la révolte) lui donnent naturellement accès à un texte écrit pour un large public dans sa langue maternelle.

      Certes, il lui faudra justifier, approfondir, voire démentir ses intuitions premières par l'observation méthodique du texte. Le relevé d'indices, guidé par le jugement, prend alors une signification, car le dilettantisme est aussi fatal à la lecture que l'esprit de système.

      Mais de là à envoyer des fantassins, pesamment équipés, à l'aveuglette et au casse-pipe sur le champ de bataille de l'interprétation, il y a une marge que les didacticiens ont gaillardement franchie.

      J'entends bien qu'ils allèguent la scientificité et se piquent de démocratie. Mais l'intelligence ne se décrète ni ne se fabrique, elle se cultive, et gare à qui la plante au lieu de la semer. Pour cela, les outils ne suffisent pas. En électronique, ceux qu'on forme à partir d'une mallette à outils sont des agents techniques étroitement programmés. Que survienne une panne non prévue au listing, ils sont incompétents. Pour conjurer ce risque, la science éducative a toujours une ressource. Rien ne vaut, pour montrer la vertu d'une méthode, que de choisir l'objet qu'on va lui appliquer : on résout le problème à la mode soviétique. Rien n'interdit non plus de donner des consignes aux examinateurs.

      Mais est-il nécessaire de rappeler que jamais protocole ou diagramme ne pourra rendre compte de la littérature, que le limon immémorial de la culture écrite est le terrain d'élection de la liberté et qu'il ne saurait se prêter à la confection de pâtés de sable, quelque ingénieuse que soit la conception des moules ?

      Bilan : au nom de l'ergonomie, on compromet l'échange d'un maître avec sa classe. On propage une vision simpliste de l'écriture qui fait, des écrivains, des communicateurs. On distille l'ennui en sacrifiant des heures à une méthodologie qui produit bien souvent des effets confondants. L’illusion technique montre ici la corde.

      Elle la montre avec éclat lorsqu'un texte est ironique ou parodique, car les grilles et les relevés ont de trop larges mailles pour retenir les indices ténus, si même ils sont présents, qui caractérisent ce type d'écrit.

      Un article paru en décembre 1998 dans le journal algérien Liberté en fournit une savoureuse illustration. Sous le titre " Relents d'esclavagisme dans De l'esprit des lois ", un intellectuel, visiblement formé par l'Université française, y démontre sans retenue que la chasse aux indices textuels est un sport hasardeux.

      Il cite d'abord Montesquieu :
" Le sucre serait trop cher si l'on ne faisait cultiver la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. "
Puis il ajoute finement : " (Sic) ". Il y va alors de sa diatribe :
" De l'argument canne à sucre aux aspérités du faciès, franchement, on ne voit pas le propos, Monsieur le Baron! [...]. Etrange égarement d'un esprit fraîchement gagné à la chapelle du cartésianisme [...] Les amis de Montesquieu (dont, n’y voyez pas de paradoxe, le signataire de ces lignes) ne manqueront pas de brandir l'objection de l’Historicité épistémologique (de la dynamique diachronique du texte, pour user d'une formule saussurienne) pour nous citer à obtempérer, nous exhortant au passage à observer les précautions heuristiques d'usage propres à la philologie. ".

      Était-il vraiment besoin d'appeler Saussure et sa dynamique diachronique pour aller droit dans le mur en ne voyant pas que l'auteur maniait ici férocement l'ironie ? En se retournant dans sa tombe, Montesquieu a, n'en doutons pas, murmuré ces vers de La Fontaine :
" Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi. "

      Rions, mais sans excès, car un journaliste a commis naguère la même bévue, sur le même texte, dans un hebdomadaire parisien. Apprécions néanmoins le savant déballage dont s'accompagne ce contresens sanglant qui pourrait faire utilement méditer les Incroyables des sciences de l'éducation et de la linguistique.

      Rions encore quand se présentent à l'examen de petits Trissotin balbutiant une langue de corne, témoin de la rhinocérite qui sévit à présent dans les lettres : " Mon premier axe est l'énonciation, mon deuxième la focalisation, mon tout est la psychologie du personnage. "

      Rions, tandis que paraissent devant nous de pauvres " escholiers limousins " qu'une légitime compassion nous interdit de prendre à la gorge. Mais rions jaune, car la littérature peut beaucoup.

La littérature pourtant peut beaucoup

      Quelles qu'en soient les ambiguïtés, les instructions assignent formellement à l'enseignement du français la mission de " susciter une réflexion personnelle ", de former les élèves à " penser et agir avec une attitude de curiosité et d'accueil ". Une totale adhésion à ces principes m'inspire un remède héroïque : passons par-dessus bord tous les taxinomistes.

      Certes, ils puisent dans les livres de commodes supports pour l'étude des figures et des catégories ; mais on y trouve aussi quelques autres richesses. À savoir, et sans préjudice du reste : découverte de soi par l'analyse des passions, éveil de l'esprit critique, approche des questions fondamentales de l'existence et de la vie sociale, lutte contre l'oppression et l'obscurantisme, enjeux de la morale et de la liberté. Tout cela est propre à humaniser les adolescents, quitte à faire reculer, chez nombre d'entre eux, cette haine que notre époque considère parfois avec une bien trouble complaisance.

      Dans un texte du 20 novembre 1997, Mme la Ministre déléguée à l'enseignement scolaire préconise, entre autres directives, " pour sensibiliser [les lycéens] à la morale civique et à la prévention de l'incivilité, des visites aux malades ou aux personnes âgées ". Une telle proposition relève moins de la circulaire que de l'aveu complet : on ne saurait reconnaître avec plus de franchise qu'en matière d'éducation civique, on compte pour rien le rôle des lettres.

      Contre-proposition : présentons aux élèves, .parmi cent autres exemples, l'" Histoire des Troglodytes ", apologue inséré dans les Lettres persanes. Montesquieu y démontre qu'égoïsme et vertu, pour peu qu'on se projette au-delà du présent, cessent d'être antinomiques. Il aboutit ainsi à ce beau paradoxe : " La justice pour autrui est une charité pour nous ". Cela vaudra toujours un pèlerinage en autocar. Il semble plus habile, en effet, quand on s'adresse à des adolescents, de proposer une ingénieuse leçon de logique que d'infliger une tardive leçon de morale. Surtout quand la lecture, comme c'est le cas ici, fait voir que la morale vit moins de notre obéissance que du simple recours à notre intelligence.

      On crée néanmoins aujourd'hui, réduisant l'horaire de français en classe complète, des cours de civisme. On risque de prêcher, à un public rétif, une soporifique vulgate. Doyen de Saint-Patrick, Swift était clairvoyant : trouvant " église " impropre, il proposait " dortoir ".

      Il existe pourtant un programme de français et des leçons d'histoire. En matière de civisme, les instructions sont claires : " Les textes littéraires [ ... ] fournissent une riche matière [ ... ] qui stimule la réflexion. L’élève de seconde sera progressivement conduit à mieux cerner les relations complexes entre les concepts de progrès, de liberté et de démocratie. "

      Comment croire que Rabelais, exhortant ses lecteurs à déceler la " moelle ", songeait à des actants, à des destinateurs, à la voix auctoriale ou bien polyphonique ? Il s'agissait, bien sûr, de la dette des rois, du bonheur de savoir, de l'honneur d'exister, de la promesse inoule qu'incarne l'Humanité. Il exécrait les cuistres. Gargantua les fustige mais regarde au-delà : on pourrait réveiller aujourd'hui cet ouvrage pour des adolescents dont le pays vient de combattre au nom du droit et de la morale. La " Contion que fit Gargantua aux vaincus ", en particulier, texte fondamental pour qui croit à l'humanisme armé, constituerait pour eux une précieuse référence.

      Mais cela se peut-il quand les thuriféraires de Genette célèbrent les lointains oracles où il profère qu'il n'y a rien à dire de plus d'un texte que ce que contient l'énoncé, que les sentiments d'un personnage sont " des sentiments de fiction et de langage (1) " ? À cet autisme théoricien, opposons résolument le préambule des Misérables où s'affirme la conviction que Jean Valjean, Fantine, Gavroche ou Cosette ne sont pas des personnages " de papier " :
" Tant que dans de certaines régions, l'asphyxie sociale sera possible ; en d'autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. "

      On se divertirait du galimatias des pédants s'il n'entamait la chair vive de l'héritage littéraire. L’étude de Zadig, par exemple, ne saurait consister, comme parfois, en la reconstitution de séquences narratives ; parce que la narration n'y est que parodique, que Voltaire y pourfend férocement la sottise et qu'enfin, abordant le sens de notre destinée, il ébauche la réponse, lourde de responsabilités pour notre espèce, qu'il formulera plus tard en écrivant Candide. Elle est celle même d’Œdipe : la solution, c'est l'homme.

      Et Tartuffe ? Dans une scène célèbre, Orgon, prisonnier volontaire de sa crédulité, atermoie sous une table tandis qu'Elmire, sa femme, pressée par le dévot, multiplie les signaux. Faut-il se contenter, en guise de commentaire, d'y voir l'illustration d'une belle notion ? On y perdrait beaucoup : la double énonciation du langage théâtral dont on s'oint aujourd'hui abondamment la bouche doit ici s'effacer pour une leçon plus vaste. Montrons aussi, peut-être, qu'Orgon est l'archétype de tous les aveuglés. Victimes impénitentes de leur besoin de croire, ils refusent l'évidence pour sauver leur chimère.

      Ainsi en fut-il, notamment, des dévots de Staline ou de Mao Ze Dong. Ainsi en est-il des sectaires de toutes les obédiences. Sans oublier, bien sûr, les amoureux novices.

      La littérature, c'est la vie

      Que l'on retourne, de grâce, au sens! On fait de la gestion de flux. On usine à foison des Thomas Diafoirus. Une sous-culture est à nos portes, dont les instruments sont prêts : " Ce portrait a-t-il une fonction 1. référentielle 2. narrative 3. esthétique 4. symbolique ? Cochez la case de votre choix. "

      À moins qu'on n'ait en vue le but exorbitant d'inonder le marché de vétilleux experts en textualité, obtus comme des bedeaux et sérieux comme des papes, juste bons à grossir les rangs des assistés ? Tout cela ne tient pas. Ouvrir à tous l'accès à la littérature est une preuve de noblesse. Mais s'il s'agit d'offrir, pour pasticher Voltaire, un ragoût de narrato-rhétorico-nigologie, assorti d'un brouet où nageront à grand-peine des tronçons de compétences, on donne dans l'escroquerie.

      Croit-on, par exemple, qu'en administrant aux futurs bacheliers professionnels, qui sont, pour parler à l'américaine, les plus culturellement défiés, une ration de " discours narrativisé " et une autre d'" implicite de connivence culturelle (2) ", on en fera vraiment des citoyens conscients ? Plus que jamais, ce sera dans les familles où l'on parle et l'on écoute, que se recruteront les élites.

      Mieux vaudrait veiller, avant toute chose, à munir les élèves des outils nécessaires à qui désire penser, j'entends le maniement d'une syntaxe élémentaire et du vocabulaire le plus courant. Je parle du terrain et non depuis une officine de pédagogie ou de didactique (la seconde se distinguant de la première en ce qu'elle traite, nous dit-on, de " savoirs savants "). De plus en plus, l'explication d'un texte exige une traduction. Dix pour cent de mes élèves de seconde ne contrôlaient pas, au mois de septembre, l'association d'un sujet, d'un verbe et d'un complément. Il est vrai qu'après cinq ans d'école et quatre de collège, ils récitaient la typologie complète des textes : narratifs, descriptifs, argumentatifs, informatifs, explicatifs, injonctifs, que sais-je-tifs encore ? Pour le conditionnel, c'était déjà une autre affaire. C'est que la grammaire, dont les connotations sont bien trop contraignantes (encore et toujours excusons-nous d'instruire), a reculé devant la pratique raisonnée de la langue et qu'on regarde la dictée, si propre à donner aux cerveaux l'empreinte des structures syntaxiques, comme un risible pensum.

      La culture d'entreprise, qui fait l'objet chez nous de tant de convoitise, est prodigue en slogans. Au prix d'une concession provisoire à cette mode, proclamons haut et fort : " Moins d'ambition, plus d'exigence! " L’application d'un tel programme requerrait bien des ajustements en amont des lycées : moins de transhumances à alibi culturel, plus de " pratique raisonnée de la langue " ?

      Mais il est une devise qui a ma préférence : " La littérature, c'est la vie. " Les textes, en effet, pour peu qu'on veuille les lire avec raison, délivrent des significations. On y voit, aujourd'hui, de simples effets de sens, résultats subsidiaires d'une lecture scientifique.

      Faisant fond au contraire sur leurs inquiétudes, présentons aux élèves en quête de références les exemples de Phèdre ou de Mme de Clèves. Ils se projetteront d'abord. À nous de' les conduire jusqu'à s'analyser. Une passion reconnue est toujours plus humaine ; si elle n'est pas moins forte, elle est plus relative.

      L’angoisse existentielle, enfin, sans laquelle, dit John Donne, " entre berceau et tombe, les hommes s'assoupissent ", pourquoi ne pas la cultiver ? On rendrait à Pascal, à Voltaire, à Hugo, à Laforgue, à Camus, à Sartre ou à Malraux un public arraché aux marchands de bonheur. Rencontrant, dans les livres, l'expression fraternelle de notre étrange condition, nos élèves verraient sans doute d'un autre oeil les réponses que formulent mythes, religions ou philosophies.

      Mesurant le défi que nous lance la conscience, ils seraient moins enclins, peut-être, à voir dans les idées les fastidieux articles d'un programme infligé. Les notions opposées de nature, de culture, de loi, de liberté, de raison, de passion, pour n'en pas citer plus, seraient les fondements d'une enquête personnelle. À cette aune, ils verraient que l'histoire, que la science, que la littérature, que l'art et la morale sont les divers aspects d'une même entreprise.

      Une lecture méthodique des textes, dans de telles conditions, est irremplaçable. Fondé sur un contexte, l'examen rigoureux de la forme poursuit alors le sens qui l'a élue et se met au service de la pensée.

      Du fait de la multiplication des réseaux, le champ de la responsabilité individuelle s'est élargi comme jamais dans l'Histoire. Comme jamais, la bêtise dispose, pour se répandre, de canaux prodigieux. Pour qu'il puisse affronter ces deux défis contraires, il faut hisser l'élève à la hauteur morale de son humanité. On le gorge de linguistique. Lâchement, on récuse l'appellation de " maître ". Il s'en choisira bien : les appreneurs, il n'en a cure. Mais à quel prix ?

      On s'exalte toujours dans l'erreur partagée : la science éducative recrute des passionnés. A chaque innovation, on voit leurs yeux briller. Mais ceux des apprenants ? Or " instruire ", comme l'auteur des Essais, à longueur de chapitres, déjà le martelait, " n'est pas emplir un vase, mais allumer un feu ".

      Face à l'exaltation, rappelons des évidences : c'est par des idées simples qu'on peut faire percevoir l'architecture cachée de la complexité ; c'est le simplisme, au contraire, qui engendre toujours un fatras importun de vaines complications. Une pédagogie vivante, bienveillante, rigoureuse et éclairée s'impose. Proscrivons la technique, bannissons ce composé de démagogie et de dressage qu'aujourd'hui, trop souvent, on nomme éducation.

La " fureur d'éduquer "

      L’inertie est propre au mouvement comme à l'immobilité. Au train où vont les choses, il faudra des décennies pour que le signifié retrouve la place qui lui est due. La science éducative pousse ses feux et polit ses doctrines. Trop occupée à se mirer dans son auto-évaluation, elle ne voit pas qu'elle fait fausse route. Comme une Eglise ou un parti, elle a ses mots fétiches, ses formules stéréotypées, et l'on peut s'étonner que ce phénomène n'ait pas donné matière à une thèse de linguistique.

      L’observateur, parfois, s'interroge : quels doutes refoulés masque un impérialisme aussi pugnace ? Le didacticien ressemble comme un frère aux militants de la lecture dont les slogans hyperboliques (comme le récent La fureur de lire) révèlent a contrario le pathétique volontarisme. Fureur, vraiment ? Oui, mais fureur des militants eux-mêmes, s'exaspérant devant le spectacle de leur impuissance et trouvant une issue dans la surenchère.

      Mais cette comparaison ne vaut qu'en apparence. La fureur d'éduquer n'est pas si débonnaire : dans la " lecture moderne ", elle a enfin trouvé les instruments rêvés du pouvoir sur les lettres. Il est dès lors logique qu'elle adule les outils et si l'on peut convenir de leur utilité, on sait trop à quelle fin ils se trouvent affectés.

      C'est ainsi que se forme une collusion nouvelle. Elle assemble des gens qui n'ont d'autre ambition que d'asservir les textes à leurs vues théoriques. Il n'y a là rien de neuf : on connaît les excès de la psychanalyse, les dégâts provoqués par la biographie, par les lectures marxistes, par le structuralisme qui reçoit aujourd'hui le renfort des linguistes, eux-mêmes épaulés par les nouveaux rhéteurs et les narratologues.

      L’attrait des nouveautés apporte encore son aide au gel des théories. Le théâtre en fournit des exemples édifiants : qui n'a pas vu Don Diègue déserter le fauteuil où on l'avait posté, pour se rouler par terre ? Car un metteur en scène qui veut se promouvoir ne saurait respecter un texte sans déchoir.

      Pour couronner le tout, on donne dans le jeunisme. Platon l'avait bien vu : " une société qui lance des oeillades à ses jeunes, va tout droit à sa perte ". Il est vrai que Platon est un auteur antique et que nous sommes " modernes ", voire " post-modernes ". Appelons donc Hugo, qui, dans Les Misérables, déclarait que " l'avenir est dans la main du maître ". Voici comment Combeferre, " ami de l'ABC ", au livre IV de l'oeuvre, présente les enjeux d'une vraie éducation :
" Il voulait que la société travaillât sans relâche à l'élévation du niveau intellectuel et moral […], à la croissance de l'esprit dans la jeunesse, et il craignait que la pauvreté actuelle des méthodes, la misère du point de vue littéraire […], le dogmatisme tyrannique des pédants officiels, les préjugés scolastiques […] ne finissent par faire de nos collèges des huîtrières artificielles. "

      On aimerait connaître par quelle savante lecture on pourrait esquiver semblables effets de sens.

      Dans la communauté éducative, en tout cas, nulle voix autorisée, membre d'une association professionnelle, journaliste spécialisé ou syndicaliste, ne vient porter la contradiction à ceux qui ambitionnent de civiliser les banlieues par le moyen des " savoirs savants ". N'a-ton pas assez fait en inculquant aux futurs citoyens les techniques de la communication et de l'argumentation ? Soit, apprenons-leur, à la lumière de la nouvelle rhétorique, à décrypter les discours, à argumenter eux-mêmes.

      Mais pour défendre quelles causes, présentées avec quel vocabulaire et quelle syntaxe, fondées sur quelles analyses, quelles valeurs et surtout quelles connaissances ?

      D'ailleurs, qui a dit : " La vraie éloquence se moque de l'éloquence " ?

      Pour finir, un souhait : si l'on me classe parmi les " locuteurs s'impliquant dans l'énoncé " (refrain rituellement entonné dès qu'apparaissent les marques de la première personne), je m'incline ; si, devant les modalisateurs, les termes évaluatifs ou, pour plus de clarté, les subjectivèmes qui constellent ce texte, on y décèle une propension aggravée à l'expression personnelle, je me rends. Mais qu'on ait pris du moins le loisir de m'entendre. Je ne suis certes ni docteur en sciences de l'éducation, ni linguiste, encore moins narratologue. Je ne puis me prévaloir que de dizaines d'années d'expérience dans l'enseignement secondaire où je n'ai pas contracté la moindre passion pour les débats " de papier ".

      Or l'enjeu n'est pas ici de nature rhétorique. Il concerne le sens d'un métier, l'art d'aider au mieux les lycéens, selon le mot de Montaigne, " à. bien faire l'homme " et, par conséquent, l'avenir même de notre collectivité.

 

MICHEL LEROUX

 

(1) G. Genette, Figures II, Seuil, 1969, p. 86.
(2) Bulletin officiel de l'Éducation nationale de juin 1995.

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