Communiqué
du 19/06/01 : ÉAF 2001
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Communiqué de presse
Le 19 juin 2001
Tous les élèves de Première
derrière Jospin et Chirac !
L’Inspection générale de lettres
fonde le Collectif Sauver la France...
et diffuse habilement sa profession de foi.
" Le premier arbre de la liberté
a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu
même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c'est
cette croix sur laquelle Jésus-Christ s'est offert en sacrifice
pour la liberté, l’égalité et la fraternité
du genre humain. (...) Depuis trois siècles, la France est la
première des nations. Et savez-vous ce que veut dire ce mot,
la première des nations ? Ce mot veut dire, la plus grande ;
ce mot veut dire aussi, la meilleure. Que chaque nation soit heureuse
et fière de ressembler à la France ! "
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Cette belle prose est extraite d’une page distribuée
mardi 12 juin à plus de deux cent mille exemplaires à notre
belle jeunesse sur le point de plancher pour l’épreuve anticipée
de français des bacs généraux (L, ES, S ;
sujet de type I : étude d’un texte argumentatif).
Allons, dira-t-on, il devait s’agir d’en montrer la vacuité
et d’en discuter l’idéologie !
Erreur. Dans les questions (10 points) dont
les réponses sont à la portée d’un élève
moyen de troisième, il n’est à aucun moment demandé
de rendre compte du sens du texte dans son ensemble – et par là
de la pensée qu’il véhicule – mais seulement de sa forme.
Ainsi pour trois points, il fallait identifier
l’image employée dans le premier paragraphe du texte
; pour trois autres points, expliquer pourquoi les auditeurs de
ce discours crient " bravo " à plusieurs
reprises ; pour un point encore, " étudier
les modes verbaux dans les deux derniers paragraphes "
(trois impératifs et un subjonctif dans cinq lignes).
Le Collectif Sauver les lettres considère inacceptable de livrer un tel texte, aussi indigent qu’ambigu, à des adolescents, sans aucun contexte historique pour les éclairer, et qui plus est avec la caution d’un auteur respecté – Victor Hugo, en l’occurrence.
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La deuxième partie de l’épreuve (10 points) n’est pas moins étonnante :
" À l'occasion du Premier de l'An 2001, un responsable de l'État expose les raisons que l'on peut avoir d'espérer en un monde meilleur. Rédigez son discours. "
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Apparemment, personne à l’Inspection de Lettres, tout occupée de la prochaine réforme de l’examen, n’a songé à relire le B.O. n° 10 du 28 juillet 1994 qui définit la nature de l’épreuve.
Il y est écrit qu’elle " vise, à
partir de consignes précises, à évaluer la capacité
du candidat d’entrer dans le débat fixé par le ou les textes
fournis, d’en peser les choix argumentatifs, de discuter, réfuter,
étayer, reformuler, résumer, tout ou partie de l’argumentation
ou des argumentations en présence. "
Or, en l’espèce, il n’est plus question de réflexion
sur les idées du texte, qui sont donc reçues sans discussion.
Après avoir accepté sans broncher un
texte qui aurait pu donner lieu à une intéressante discussion,
le candidat était donc invité à se lancer dans l’éloge
de l’action du chef de l’État ou du gouvernement. À lui
de montrer sa croyance sincère en un avenir radieux, " à
l’ombre de la croix ".
Les correcteurs sont donc, à chaque page, submergés par des flots d'optimisme. L’unanimité n’a d’égale que la nature contrainte de la réponse : les élèves de 1re vivent dans le meilleur des mondes.
Ils font l’éloge de l'euro, des trente-cinq heures, félicitent le gouvernement pour la baisse du chômage et la reprise de la consommation, félicitent aussi le président au passage (il ne s’agit pas de mécontenter le correcteur), quitte à lui attribuer un certain nombre de mesures du gouvernement. Ils l’écrivent, certes dans un français souvent approximatif, mais qu’importe, puisqu’ils sont heureux :
" La France connaît une inflation qui reste stable mais surtout n’oublions pas une baisse importante du chômage dû en partie à la création d’emploi-jeune, ce qui, je l’espère, continura et permettra au pays de prospérer. Nous attendons avec impatience l’euro qui renforcera les liens entre les pays de l’Europe et améliorera l’économie européenne. Cette monnaie permettra aux gens de voyager sans avoir tous les problèmes dû aux changes, une amélioration non négligeable. "
" [Grâce à l’euro], la dominance et la jalousie laisse libre place à l’entente, la cordialité, l’entraide. Ceci marque profondément le début de ce monde meilleur. "
" L’euro représente un stade de la fraternité ". " Avec la mise en place de la monnaie unique, c’est un nouvel orizon qui s’ouvre à nous. "
" Il faut travailler. Pour cela l’état s’investit dans le domaine de l’emploi. "
Parfois, cependant, l’optimisme n’exclut pas une belle lucidité :
" Donc vos petits enfants auront un travail, vos petits enfants dont l’éducation est simplifiée année après année : peut-être n’auront-ils même plus le bac a passé. "
Il ne manque plus que la louange de cette digne Inspection générale de lettres qui accomplit à sa manière son devoir de mémoire et réinvente, pour commencer un millénaire de bonheur, le Redressement national non pas à marches, mais à devoirs forcés.
Le Collectif Sauver les lettres condamne cette exigence de conformité idéologique et demande que tous les personnels ayant une responsabilité dans le choix de ce sujet soient sanctionnés. |
Le sujet 2001 : sujet de l’avenir ?
Si le sujet de l’épreuve 2001 ne correspond en aucune manière à la définition des épreuves parue au B.O. n° 10 du 28-07-94, il n’est pas sans correspondre à la définition du sujet d’invention que l’inspection générale de lettres et le " groupe d’experts " commis à la rédaction des programmes et la définition du nouveau bac de français tentent d’imposer au mépris de l’hostilité déclarée des professeurs. (cf. communiqué de presse du 21 avril)
En effet dans la quatrième (!) mouture de ce projet,
datée du 28 mai, on lit :
" [L’écriture d’invention] se
fonde (…) sur une lecture intelligente et sensible du corpus,
et exige du candidat qu'il se soit approprié la spécificité
des textes dont il dispose (langue, style, pensée) afin d'être
capable de les reproduire, de les prolonger, de s'en démarquer
ou de les critiquer.
L'écriture d'invention peut prendre des formes variées.
Toutefois (…) elle s'inscrit dans les orientations suivantes :
- article (éditorial, article polémique, article critique
-éloge ou blâme-, droit de réponse.)
(…)
- discours devant une assemblée, "
Il s’agissait donc bien cette année
d’un sujet conforme au programme… de l’an prochain !
Le Collectif Sauver les lettres disait que l’invention
comme moyen d’évaluation à l’épreuve du baccalauréat
conduirait inévitablement au choix de la plus grande médiocrité
et au triomphe de la plus basse démagogie ; l’inspection générale
de lettres l’a démontré dès cette année, au
mépris du travail des professeurs et des élèves,
en espérant que la moyenne s’en trouverait améliorée.
Cet énoncé est en effet en tout point conforme
à la réforme que les enseignants devront appliquer pour
les élèves qui passeront le baccalauréat en 2002 :
les textes doivent être étudiés pour leurs qualités
rhétoriques, leur efficacité en matière de communication.
C’est pourquoi l’étude de l’histoire littéraire est remplacée
par celle des " genres " et des " registres ".
L’enseignement du français, dit le préambule
des programmes, " vise à la formation du citoyen et à
la formation personnelle ". Ce n’est pas de formation qu’il
s’agit ici, mais bien de formatage. L’injonction que suppose un tel
sujet est claire : " ne vous posez pas de questions sur
les idées d’Hugo, regardez comment ça marche, et faites
pareil ! ".
Où est l’exigence de formation à une " pensée
autonome " dont il est également question dans les
programmes ?
Devons-nous à présent, comme naguère
dans certains pays avec les épreuves de " marxisme-léninisme ",
ne donner le passeport pour l’université qu’aux élèves
qui comprennent combien le monde que font nos gouvernants est merveilleux ?
Attend-on des enseignants qu’ils rendent leurs élèves aptes
à crier tous en cœur : " maréchal, nous voilà ! "
quand l’occasion s’en présentera ?
Au vu de l’expérience constituée par
ce sujet de baccalauréat 2001, le Collectif Sauver les lettres
demande l’abandon immédiat de la maquette de la nouvelle épreuve
anticipée de français.
MM. Viala, président du " groupe d’experts "
et Baconnet, doyen de l’Inspection de lettres, ne sauraient poursuivre
leurs travaux qui ont rencontré l’hostilité des professeurs,
et qui engagent l’enseignement des lettres dans une dérive inadmissible.
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