ÉAF 2002 - Sujets de l'épreuve écrite

Centres étrangers G.1 - Séries technologiques

Objet d'étude : le biographique.

Textes :
Texte 1 : Edouard Corbière, Le Négrier, Aventure de mer, 1832, Édition Baudinière, 1979.
Texte 2 : M. Boulgakov, Le Roman de Monsieur de Molière, Édition Lebovici, 1972.
Texte 3 : C. Beyala, Les Honneurs perdus, Édition Albin Michel 1996.
Texte 4 : Article "Molière", Dictionnaire de la littérature française et francophone, Bordas, 1986.

I Vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points)
Le candidat traitera les questions 1 et 2. Toutes les réponses devront être rédigées et organisées.
1 - Quelle est la fonction particulière du texte n°4 ? Retrouvez-vous cette fonction dans les trois autres textes ? Justifiez votre réponse. (3 points)
2 - Quel sens Edouard Corbière donne-t-il au récit de naissance dans le texte 1 ? Montrez que les textes 2 et 3 laissent deviner la même intention. (3 points)

II Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (14 points)
1. Commentaire

Vous commenterez le texte d'Edouard Corbière depuis le début jusqu'à "quelque chose de marin et de martial" (ligne 22), en vous aidant du parcours de lecture suivant :
Dans quelle mesure le récit des deux naissances laisse-t-il présager un destin différent pour les jumeaux ? Montrez notamment comment l'auteur met en scène de manière vivante ces deux destins.
2. Dissertation
Raconter tout événement d'une vie (la sienne ou celle d'un autre), est-ce constater des faits objectifs ou ordonner, donner un sens, voire inventer ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes proposés ici, sur les textes étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
3. Écriture d'invention
Un(e) artiste est invité(e) par un animateur de radio ou de télévision pour évoquer sa vie privée. Cet(te) artiste lui écrit une lettre pour expliquer pourquoi il (elle) accepte ou refuse de parler de lui-même (d'elle-même). Vous rédigerez cette lettre.

 

Texte 1 : Edouard Corbière, Le Négrier, Aventure de mer, 1832, Édition Baudinière, 1979.

Dans la préface de son roman, l'auteur raconte sa rencontre avec un jeune marin qui s'est livré au trafic des esclaves noirs après avoir combattu vaillamment contre la marine anglaise durant les guerres napoléoniennes. Ce dernier, désespéré par ses crimes, sur son lit de mort, confie à l'auteur "quelques paperasses [. . .]." "C'est le journal de ma vie de forban [...]. Tu arrangeras un peu tout ce barbouillage, en ayant soin de cacher mon nom, par égard pour ma pauvre mère." "C'est cet écrit aussi bizarre que les événements qui l'ont produit, que je me suis appliqué à mettre un peu en ordre."

LE DÉPART
Les circonstances de ma naissance semblèrent tracer ma vocation. J'ai reçu le jour en pleine mer, dans une traversée que mon père, vieil officier d'artillerie de marine, avait fait entreprendre, pour l'amener en France, à une jolie créole devenue sa femme pendant le séjour de sa frégate aux Gonaïves. Un frère vint au monde en même temps que moi, et du même coup de roulis ; car ce fut dans la violence d'une bourrasque et au moment même où la frégate recevait le choc d'une lame effroyable que ma mère accoucha de nous, après sept mois de grossesse. En arrivant à Brest, notre destination, mon père n'eut rien de plus pressé que de faire baptiser ce qu'il appelait gaîment le double péché de sa vieillesse. II voulut nous tenir, malgré les observations du curé de Saint-Louis, sur les fonts baptismaux(1), enveloppés du pavillon de poupe de sa frégate ; et par un hasard, qui fut accepté alors comme le plus heureux présage, en me débattant pendant la cérémonie, je passai ma petite tête dans un trou de boulet que le pavillon qui nous servait de lange avait reçu dans un combat mémorable. Les témoins de ce prodige en conclurent que je ne pourrais faire autrement que d'être un jour une des gloires de la marine française. Les vieux marins sont superstitieux ; mais leur crédulité n'a jamais rien que ne puisse avouer leur courage ou leur fierté. A neuf ans, je savais nager et je ne savais pas lire. A douze ans, j'étais déjà aussi mauvais petit sujet qu'on peut l'être à cet âge. Mon frère remportait tous les prix de ses classes. II faisait les délices de ses professeurs. J'en étais le tourment. Quand on l'attaquait, je me battais pour lui, plus qu'il n'aurait voulu. Quand j'étais puni, il faisait mes pensums(2) , je l'aimais à ma manière, avec impétuosité et brusquerie. Il me chérissait de son côté ; mais son amitié, douce et caressante, avait quelquefois pour moi l'air du reproche. J'étais l'idole de mon père, qui retrouvait en moi tous les défauts de sa jeunesse. Ma mère ne pouvait vivre qu'auprès d'Auguste : c'était le nom de mon frère. Mon père avait voulu qu'on m'appelât comme lui, Léonard. C'était à son avis un nom sonore, qui avait quelque chose de marin et martial. Chaque semaine nos parents nous donnaient quelques sous, que nous employions selon nos goûts différents. Auguste achetait des livres, du fruit de ses petites épargnes. Moi, je me glissais dans les bateaux de passage au port pour acheter, des bateliers, le plaisir de manier un aviron ou de brandir fièrement une gaffe. Souvent, je parvenais à démarrer furtivement du rivage un canot sur lequel je me confiais seul aux flots que je voulais apprendre à maîtriser. [...] Je rangeais(3) les vaisseaux de ligne mouillés sur rade, en fumant de mon mieux un cigare détestable qui me soulevait le coeur. C'est dans ces moments que, m'abandonnant à la destinée que je me croyais promise, je rêvais avec ivresse, au bruit des vagues qui me berçaient, le jour où je pourrais affronter des tempêtes, les dompter ou périr au milieu d'elles. Ces petites luttes, que mon inexpérience livrait aux lames et aux vents de la rade de Brest, sont les seuls amusements de mon enfance que je me sois toujours rappelés avec plaisir. Mes illusions n'avaient qu'un objet : ma mémoire n'a guère conservé délicieusement qu'un souvenir.

(1) fonts baptismaux : bassin qui contient l'eau dont on se sert pour baptiser les enfants.
(2) pensums : punitions sous forme de devoir écrit.
(3) ranger: terme de marine : longer, passer le long de ...


 

Texte 2 : M. Boulgakov, Le Roman de Monsieur de Molière, « Je parle avec l'accoucheuse », Édition Lebovici, 1972.

« Qu'est-ce qui m'empêche de dire la vérité en riant ? » Horace.
« Molière fut un célèbre auteur de comédies françaises sous le règne de Louis XIV. » Antioche Kantemir.

Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l'Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d'un premier enfant, un prématuré de sexe masculin. Je peux dire sans crainte de me tromper que si j'avais pu expliquer à l'honorable sage-femme qui était celui qu'elle mettait au monde, elle eût pu d'émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France. Et voilà : j'ai une veste aux poches immenses et à la main une plume non d'acier, mais d'oie. Devant moi se consument des bougies de cire, et mon cerveau est enflammé.
- Madame, dis-je, faites attention au bébé, n'oubliez pas qu'il est né avant terme. La mort de ce bébé serait une très grande perte pour votre pays !
- Mon Dieu ! Madame Poquelin en fera un autre !
- Madame Poquelin n'en fera jamais plus un semblable, et aucune dame n'en fera de semblable avant un certain nombre de siècles.
- Vous m'étonnez, monsieur.
- Je suis moi-même étonné. Comprenez bien que dans trois siècles, dans un pays lointain, je ne me souviendrai de vous que parce que vous aurez tenu dans vos mains le fils de monsieur Poquelin.
- J'ai tenu dans mes mains des enfants plus illustres.
- Qu'entendez-vous par le mot « illustre » ? Ce bébé deviendra plus célèbre que votre roi régnant Louis XIII, plus renommé que le roi suivant, et ce roi, madame, sera appelé Louis le Grand ou le Roi-Soleil. Chère madame, il y a un pays lointain, vous ne le connaissez pas, c'est la Moscovie. Il est peuplé de gens qui parlent une langue étrange à votre oreille. Et dans ce pays pénétreront bientôt les mots de celui que vous mettez au monde maintenant.


 

Texte 3 : C. Beyala, Les Honneurs perdus, Édition Albin Michel, 1996.

La narratrice d'origine africaine évoque sa naissance au Cameroun.

L'accoucheuse haussa les épaules : « Ce n'est pas à moi d'annoncer la nouvelle. » Et elle jeta un regard franc et direct à papa dont le visage devenait pathétique, avant de continuer : « Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai fait mon job ! Jamais un accident en trente ans de métier. » Elle énuméra les deux cents bébés nés à coups de forceps(1) avec juste ce qu'il faut de déformation faciale ; les trois cents actes chirurgicaux pratiqués sur parturientes(2) en état de mort avancée et tous réussis. Et tandis que l'accoucheuse étalait ses techniques de l'accouchement, papa se mit à pleurer. Sa mélancolie était trop forte pour qu'on puisse la supporter longtemps. Madame Kimoto(3) s'approcha de papa, battit ses paupières, pinça son nez et lança le flux de sa rhétorique.
- Qu'est-ce qui se passe, mon vieux ? l'enfant est né, n'est-ce pas ? (Et à voix basse) Passe donc me voir. Je t'arrangerai ça. (Et de nouveau à voix haute) : Sois pas triste un jour comme celui-là.
- Oui, dit papa sans conviction.
- Que c'est dommage ! dit le menuisier. Des occases comme celles-ci, c'est pas tous les jours qu'on tombe dessus, je vous préviens...
A ces mots, papa éclata de rire.
- Que c'est drôle ! dit-il.
- Qu'est-ce qui est drôle ? demanda madame Kimoto.
- Il parle de mort. J'aurais préféré que mon fils soit mort au lieu d'être transformé en fille.
- Ah oui ? demanda un vieillard.
- Oui. Mon fils vient d'être transformé en fille.
- Malchance ! hurla la foule, sans cacher sa déception.
- Mauvais oeil ! dit le vieillard.
- Poisse, renchérit un autre. II n'y aura que du vin de palme à la fête. Quelle malchance !

1 - forceps : instrument de chirurgie utilisé dans les accouchements difficiles.
2 - parturientes : terme médical qui désigne la femme entrain d'accoucher.
3 - Kimoto : autre personnage, prostituée amie et voisine du père.


 

Texte 4 : Article "Molière", Dictionnaire de la littérature française et francophone, Bordas, 1986.

MOLIÈRE, Jean-Baptiste, Poquelin, dit. Paris 15.1.1622 - 17.2.1673. Son père, tapissier ordinaire du roi, devenu veuf en 1632, se remarie l'année suivante avec Catherine Fleurette, qui meurt en couches en 1636. L'enfant, qui a vu mourir trois de ses frères et soeurs, grandit dans un climat de deuil ; son grand-père maternel, qui l'emmenait à l'hôtel de Bourgogne voir les farceurs italiens, disparaît à son tour (1638). Resté seul, Jean-Baptiste fait des études de droit ; avocat en 1640, il rencontre Scaramouche, le rénovateur de la comédie italienne, puis Madeleine Béjart, comédienne de vingt-quatre ans et directrice d'une troupe déjà connue. Malgré les efforts de son père, Jean-Baptiste choisit la carrière dramatique et, avec Madeleine et sept autres comédiens, fonde l'Illustre-Théâtre (30 juin 1643) ; il prend rapidement la direction de la troupe, choisissant comme pseudonyme le nom d'un romancier naguère à la mode ; mais les échecs se succèdent les dettes ont raison de cette éphémère expérience. M. et les Béjart se joignent à la troupe de Ch. du Fresne (1645) et commencent de longues tournées à travers la France ; c'est seulement en 1655, à Lyon, qu'est créée la première comédie de M., l'Étourdi. Suivent le Dépit amoureux (Béziers, 1656) et, surtout, premier triomphe, les Précieuses ridicules, créées à Paris le 18 novembre 1659 : naissance, à presque quarante ans, d'un auteur qui donnera tous ses chefs-d'oeuvre en moins de quatorze ans. Relégué par des intrigues dans la salle médiocre du Palais-Royal, M. connaît à nouveau des difficultés d'argent ; l'échec de Dom Garcie de Navarre est à peine compensé par le succès de l'École des maris (1661) ; les Fâcheux, comédie-ballet commandée par Fouquet, sont créés devant le roi le même été. En 1662, M. épouse Armande Béjart, fille de Madeleine ; il a quarante ans, elle en a moins de vingt ; le 26 décembre, l'École des femmes fait sensation et provoque une querelle qui durera deux ans ; la Critique de «l'École des femmes » et l'Impromptu de Versailles sont la défense d'un homme qui a reçu publiquement le soutien royal et une pension. Cette tourmente à peine apaisée, l'« affaire Tartuffe » commence ; les trois premiers actes de cette pièce, dénonciation des faux dévots, sont joués à Versailles (12 mai 1664). La reine mère la fait interdire avant même son achèvement ; M., qui a envoyé sans succès un placet au roi, donne la totalité de sa pièce chez la princesse Palatine (29 novembre). Il a des ennuis de santé et de ménage, se sépare d'Armande, crée une version adoucie de sa pièce, l'Imposteur : elle est interdite. Ce n'est qu'après deux autres placets que Tartuffe sera créé officiellement (5 février 1669). Entre-temps sont apparus Dom Juan, le Misanthrope, Amphitryon et l'Avare. M., qui jusque-là avait créé et joué de nombreuses pièces d'autres auteurs (notamment des tragédies de Racine et Corneille), se restreint davantage à son propre répertoire : Monsieur de Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, les Femmes savantes, le Malade imaginaire. C'est au cours de la quatrième représentation de cette dernière pièce que M., interprète du rôle principal, s'écroula ; il mourut le jour même.