ÉAF 2002 : remarques sur l'écrit
La nouvelle réforme du baccalauréat de français appelle des commentaires concernant la refonte de l'épreuve écrite, mais les remarques porteront aussi sur le choix et la formulation des sujets. 1. Les "corpus" La grande nouveauté consiste dans la présentation d'un corpus, regroupant trois à cinq documents. Les élèves ont à répondre à une ou deux questions (de quatre à six points) sur l'ensemble du groupement de textes puis à choisir entre la dissertation, le commentaire (sur un des textes) ou le sujet "d'invention". Or les trois corpus proposés cette année (correspondant chacun aux séries L, S-ES ou STT-STI) offrent certes des textes exclusivement littéraires et parmi eux, certains antérieurs à 1700 (longtemps "interdits" de bac), mais aucun, de même que les sujets de débats, ne fournissent de pensée dialectique, de confrontation. Par exemple, aucun texte sur la guerre (série S-ES) n'en fait l'apologie, ne la montre de façon héroïque ou épique. De même le sujet de série L organise les textes autour d'une problématique uniquement formelle: le sonnet (sans aucune cohérence thématique). Dans ces conditions l'on peut s'interroger sur l'appauvrissement de la réflexion et l'idéologie véhiculée par les sujets (et le même problème s'était posé à la session de l'année dernière avec le sujet sur un extrait de Hugo). Par exemple, les séries STT-STI ont eu droit à des extraits de pièces de théâtre (Molière, Feydeau, Ionesco) qui présentent des situations d'enseignement avec une dévalorisation (unilatérale) de l'image du professeur. Deux remarques peuvent donc être formulées: l'épreuve du doute méthodique a disparu ainsi que la formation à une pensée critique et libératrice. La réflexion sur le sens des textes apparaît aux élèves comme totalement inutile ou bien évacuée : ils ne servent que de prétextes à un classement typologique des arguments. A cela ajoutons que les objets d'étude conduisent au bachotage stérile, limitent les connaissances culturelles (au profit de concepts universitaires qui seront démodés dans dix ans) et relèguent l'étude des œuvres en périphérie.
Loin d'évaluer les capacités réelles de compréhension du candidat, le corpus l'incite à mimer une lecture savante, à se précipiter sur de prétendues synthèses sans véritable démarche analytique préalable, et à se contenter finalement des présupposés de la question : en L, par exemple, le seul "effet" noté par de très nombreux candidats en cas de non respect des lois du sonnet est l'originalité. La réponse se trouvant dans la question, inutile de lire attentivement le corpus.
La pluralité des textes multiplie les difficultés de lecture et complexifie la tâche. Les candidats ne devant pas faire une synthèse de documents (comme en BTS), le corpus apparaît alors inutile et donne une surcharge de travail. Quel est l'intérêt de faire proliférer les textes artificiellement pour seulement un maximum de six points ?
2. Le commentaire
Le commentaire n'est plus "composé" mais "organisé". La nouvelle norme est alors: ni introduction, ni conclusion. Il semble évident que l'exercice est expurgé de ses aspects rébarbatifs mais pourtant nécessaires. Refuser un certain "formalisme", c'est refuser un cadre constructif et efficace pour la réflexion des élèves. Par exemple, l’introduction n'est plus exigée, or elle n’est pas seulement un jeu formel et gratuit : elle est une étape de la démonstration. C’est là qu’on propose l’hypothèse de sens que le commentaire va ensuite démontrer par l’étude de la forme. Sans demander des constructions canoniques, pourquoi écarter les balises essentielles et rassurantes, pourquoi toujours la théorie du moindre effort ?
3. La dissertation
"Pensez-vous que les contraintes formelles puissent être pour le poète un obstacle à une expression libre et originale ?" Une telle question pose une problématique de doctrine littéraire et fait appel à des connaissances universitaires (les classiques considérant que les contraintes formelles ont une valeur créatrice, par exemple). C'est un sujet de spécialistes, et infaisable en trois heures de temps (puisque il faut compter raisonnablement une heure pour lire les textes et répondre aux questions préliminaires). La dérive universitariste des programmes (déjà vue au collège avec la grammaire) est à remettre en cause, ce sont les œuvres littéraires qui doivent être au centre de l'enseignement et non les genres.
Le sujet des séries S-ES en est la parfaite illustration : l'efficacité des textes littéraires à convaincre et persuader. Les candidats traitent la question en une addition d'exemples littéraires vus en classe, tentent de recaser les définitions apprises et évitent la problématique et la controverse. Il faut avouer que ce sujet est purement formel et la question posée écarte toute réflexion sur le sujet abordé par les textes et les idées des auteurs.
Cet exercice reste en conséquence une production difficile en quatre heures et souvent mal rétribué.
On se demande pourquoi tant d'acharnement à détruire et décrédibiliser la dissertation, le seul sujet (quand il est bien posé) qui fasse appel à la réflexion, à la pratique du "doute", à la discussion.
4. L'invention
Le problème d'évaluation, évoqué pour la dissertation, devient criant quand on considère le dernier sujet sur lequel se jettent les candidats (plus de cinquante pour cent d'entre eux).
Même si le sujet d'invention exige des compétences particulières, soit une aisance dans "l'imitation" et une capacité de repérage de quelques procédés plus ou moins assimilés (de style, de tonalité, de genre…), il ne requiert pas les mêmes exigences que les deux premiers sujets. Il ne teste pas les capacités d'analyse et de réflexion ainsi que les connaissances (liées au programme étudié pendant l'année) au même titre que le commentaire et la dissertation. Nous pouvons nous demander quelle place les connaissances acquises en cours d'année ont dans ce type de sujet si ce n'est un simple vernis. L'invention se fait donc au détriment d'une réelle nourriture sensible et intellectuelle, but pourtant premier de notre enseignement.
Laissons le sujet d'invention à sa vraie place, celle d'un exercice d'apprentissage, d'assimilation; il ne peut être considéré comme un outil d'évaluation efficace, rétribuant justement les efforts.
Un dernier élément concernant l'évaluation de l'invention: elle repose avant tout sur une appréciation du style, ce qui renvoie à la subjectivité de chacun. Les disparités dans les attentes des correcteurs sont bien trop importantes pour espérer les voir se résorber d'ici un deux ans.
Les sujets posés par ailleurs cette année n'évitent pas ces écueils: les femmes doivent condamner la guerre dans le sujet S-ES -on peut se demander alors à quel point de vue sont réduits les hommes- et nombre de copies réclamant la paix prennent des accents pétainistes. Par ailleurs réécrire Giraudoux semble bien surprenant. La situation de communication proposée dans le sujet de série L illustre l'absurdité de l'exercice. Loin d'inciter les candidats à douter, à critiquer, à construire un jugement, ce positionnement fictif (distinguer un poème) le place dans la perspective d'avoir à affirmer SON choix, SES raisons, sans se confronter aux exigences de la réflexion. Saluons la ruse de quelques candidats qui ont profité de ce sujet pour présenter un commentaire composé autre que celui du sonnet de Laforgue.
Le sujet des STT-STI n'appelle même pas de contenu argumentatif: "vous écrirez un dialogue de comédie". L'exercice n'est que pure forme. Et l'on oblige les élèves à devenir des "M. Jourdain contemporains", et l'on se demande qui frôle le ridicule.
Par ailleurs, la question du niveau de langue tolérable n'est pas superflue dans ces écritures de dialogue parce que le code oral employé par les élèves, outre la facilité et les dérives que son emploi occasionne, est à la limite de l'acceptable dans une copie qui sanctionne des études de lycée. Ce point est encore laissé à la discrétion du correcteur et source de disparité des notes.
Le sujet d'invention n'est donc pas un travail propice à juger un bachelier, il n'équivaut en aucun cas au commentaire et à la dissertation et entraîne des inégalités d'évaluation entre candidats.
Conclusion :
Qu'importent nos cas de conscience et nos scrupules! Les résultats ne seront pas "définitifs": les notes seront arbitrairement relevées, à l'aveugle, en commission de baccalauréat dans un an. Aucune commission souveraine de français n'ayant lieu pour l'ÉAF, les réunions d'harmonisation, sans livrets, ne sont plus que des exercices arithmétiques pour "coller" à la moyenne nationale jugée acceptable.
Quelle crédibilité reste-t-il encore à cet examen naguère dénoncé pour sa difficulté et maintenant inévaluable ?
Et puis les élèves auront un an de philosophie en terminale pour exprimer une réflexion critique et sortir de la pensée unique et politiquement correcte. A moins que la philosophie ne soit elle-même en danger, ne serait-ce que par l’état d’impréparation à la réflexion, au raisonnement, dans lequel les aura plongés les programmes de français.