ÉAF 2002 - Sujets de l'épreuve écrite

Amérique du nord - Série L

Objet d'étude : L'épistolaire.

Textes :
Texte A : Lettre de Madame de Sévigné à Madame de Grignan, mercredi 4 mars 1671.
Texte B : Lettre de Voltaire à Frédéric II, 26 août 1736.
Texte C : Lettre de Voltaire, Postdam, 6 novembre 1750.
Texte D : Lettre de G. Flaubert à Louise Colet, 16 septembre 1853.

I - Vous répondrez d'abord à la question suivante : (4 points)
Pour chacune de ces lettres, vous identifierez le registre dominant et justifierez votre réponse en quelques lignes.

II - Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points)
1. Commentaire

Vous ferez un commentaire de la lettre de Flaubert.
2. Dissertation
Comment la correspondance privée des écrivains peut-elle rencontrer l'intérêt d'un public de lecteurs et se constituer en oeuvre littéraire ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures de l'année, ainsi que sur vos lectures personnelles.
3. Écriture d'invention
Vous composerez la lettre que Madame de Grignan avait adressée à sa mère, Madame de Sévigné, pour lui conter son aventure. Cette lettre mettra en valeur les péripéties de la traversée, exagérant les dangers (registre épique), et raillant à l'avance les peurs excessives de la mère (registre humoristique).
Vous tiendrez compte le plus fidèlement possible des faits du récit tels qu'ils sont évoqués dans la lettre de Madame de Sévigné.

 

TEXTE A : Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan.

Madame de SEVIGNE répond à sa fille. En 1679, au cours d'un voyage en Avignon, Mme de Grignan faillit mourir en traversant le Rhône. Le pont d'Avignon avait été rompu deux ans auparavant, en 1669, d'où la nécessité de traverser le Rhône en barque, avec le danger d'être jeté sur une arche par le courant et par le mistral, vent très violent dans la région.

Ah ! ma bonne(1), quelle lettre ! quelle peinture de l'état où vous avez été ! et que je vous aurais mal tenu ma parole, si je vous avais promis de n'être point effrayée d'un si grand péril ! Je sais bien qu'il est passé. Mais il est impossible de se représenter votre vie si proche de sa fin, sans frémir d'horreur. Et M. de Grignan vous laisse conduire la barque; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l'être encore plus que vous; au lieu de vous faire attendre que l'orage fût passé, il veut bien vous exposer(2), et vogue la galère ! Ah mon Dieu ! qu'il eût été bien mieux d'être timide, et de vous dire que si vous n'aviez point de peur, il en avait, lui, et ne souffrirait point que vous traversassiez le Rhône par un temps comme celui qu'il faisait ! Que j'ai de la peine à comprendre sa tendresse en cette occasion ! Ce Rhône qui fait peur à tout le monde ! Ce pont d'Avignon où l'on aurait tort de passer en prenant de loin toutes ses mesures ! Un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche ! Et quel miracle que vous n'ayez pas été brisée et noyée dans un moment ! Ma bonne, je ne soutiens(3) pas cette pensée, j'en frissonne, et m'en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse. Trouvez-vous toujours que le Rhône ne soit que de l'eau ? De bonne foi, n'avez-vous point été effrayée d'une mort si proche et si inévitable ? avez-vous trouvé ce péril d'un bon goût ? une autre fois ne serez-vous point un peu moins hasardeuse(4) ? une aventure comme celle-là ne vous fera-t-elle point voir les dangers aussi terribles qu'ils sont ? Je vous prie de m'avouer ce qui vous en est resté; je crois du moins que vous avez rendu grâce à Dieu de vous avoir sauvée. Pour moi, je suis persuadée que les messes que j'ai fait dire tous les jours pour vous ont fait ce miracle.

1. Ma chère.

2. Il vous expose délibérément.

3. Supporte.

4. Imprudente.

TEXTE B : Voltaire, Lettre à Frédéric Il.

Voltaire répond à une lettre très flatteuse par laquelle le prince royal de Prusse (né en 1712, roi de Prusse sous le nom de Frédéric 11 en 1740) manifestait le désir d'entrer en relations amicales et littéraires avec lui.

Souffrez que je vous dise qu'il n'y a point d'homme sur la terre qui ne doive des actions de grâces au soin que vous prenez de cultiver, par la saine philosophie, une âme née pour commander. Croyez qu'il n'y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous par s'instruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. II n'y a point de prince qui, en pensant ainsi, ne puisse ramener l'âge d'or dans ses États. Pourquoi si peu de rois recherchent-ils cet avantage ? Vous le sentez, monseigneur; c'est que presque tous songent plus à la royauté qu'à l'humanité; vous faites précisément le contraire. Soyez sûr que si, un jour, le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n'altèrent point un si divin caractère, vous serez adoré de vos peuples et chéri du monde entier. Les philosophes dignes de ce nom voleront dans vos États, et, comme les artisans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est plus(5) favorisé, les hommes qui pensent viendront entourer votre trône.

 

TEXTE C : Lettre de Voltaire.

Parti pour la Prusse en juin 1750, Voltaire rêvait de jouer un rôle politique important auprès de Frédéric Il. Ses espoirs furent rapidement déçus.

Les soupers du roi sont délicieux, on y parle raison, esprit, science ; la liberté y règne ; il est l'âme de tout cela ; point de mauvaise humeur, point de nuages, du moins point d'orages. Ma vie est libre et occupée ; mais... mais... Opéra, comédies, carrousels, soupers à Sans-Souci(6), manœuvres de guerre, concerts, études, lectures ; mais... mais... La ville de Berlin, grande, bien mieux percée que Paris, palais, salles de spectacles, reines affables, princesses charmantes, filles d'honneur belles et bien faites, la maison de Mme de Tyrconnel toujours pleine, et souvent trop; mais... mais, ma chère enfant, le temps commence à se mettre à un beau froid.

5. Le plus.

6. Sans-Souci : château de Frédéric II

TEXTE D : Flaubert, Lettre à Louise Colet.

Flaubert a rédigé une correspondance énorme dans laquelle il évoque, outre les petits événements de sa vie, ses pensées, ses projets, et surtout les tortures de la création littéraire. Parmi ses contemporains, Louise Colet, poétesse avec qui il entretient une liaison amoureuse, représente une interlocutrice de choix à qui il écrit presque quotidiennement.

Enfin me revoilà en train ! ça marche ! la machine retourne ! Ne blâme pas mes roidissements, bonne chère Muse, j'ai l'expérience qu'ils servent. Rien ne s'obtient qu'avec effort; tout a son sacrifice. La perle est une maladie de l'huître et le style, peut-être, l'écoulement d'une douleur plus profonde. N'en est-il pas de la vie d'artiste, ou plutôt d'une oeuvre d'art à accomplir, comme d'une grande montagne à escalader ? Dur voyage, et qui demande une volonté acharnée ! D'abord on aperçoit d'en bas une haute cime. Dans les cieux, elle est étincelante de pureté, elle est effrayante de hauteur, et elle vous sollicite cependant à cause de cela même. On part. Mais à chaque plateau de la route, le sommet grandit, l'horizon se recule, on va par les précipices, les vertiges et les découragements. II fait froid et l'éternel ouragan des hautes régions vous enlève en passant jusqu'au dernier lambeau de votre vêtement. La terre est perdue pour toujours, et le but sans doute ne s'atteindra pas. C'est l'heure où l'on compte ses fatigues, où l'on regarde avec épouvante les gerçures de sa peau. L'on n'a rien qu'une indomptable envie de monter plus haut, d'en finir, de mourir. Quelquefois, pourtant, un coup des vents du ciel arrive et dévoile à votre éblouissement des perspectives innombrables, infinies, merveilleuses ! A vingt mille pieds sous soi on aperçoit les hommes, une bise olympienne(7) emplit vos poumons géants, et l'on se considère comme un colosse ayant le monde entier pour piédestal. Puis, le brouillard retombe et l'on continue à tâtons, à tâtons, s'écorchant les ongles aux rochers et pleurant dans la solitude. N'importe! Mourons dans la neige, périssons dans la blanche douleur de notre désir, aux murmures des torrents de l'Esprit, et la figure tournée vers le soleil.

7. Noble, majestueuse et supérieure, digne de l'Olympe et de ses dieux.