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Épreuve anticipée de français : améliorons la dissertation !

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Dans le débat passionné sur la dissertation, on objecte aux défenseurs de cet exercice la désaffection des candidats. Seule une poignée d'élèves choisissent aujourd'hui la dissertation le jour de l’examen, avec des résultats souvent contrastés : il serait donc grand temps de réformer l’EAF et de proposer d’autres exercices, sujet d’invention ou glose métatextuelle

Entre la suppression de la dissertation (implicite dans la première version des programmes de Seconde) et son maintien pur et simple (au risque de son dépérissement), on peut imaginer une troisième voie : améliorer la dissertation pour faire en sorte qu'elle soit choisie par un plus grand nombre d'élèves avec des chances raisonnables de succès.

Je propose trois pistes : améliorer l'équilibre entre les sujets, améliorer l'évaluation, améliorer les sujets.


Le désamour envers la dissertation n'est pas inéluctable : c'est simplement le résultat d'une préférence pour les autres sujets, et notamment le sujet I, plus rassurant. Les collègues de Lisbonne et de Madrid, entre autres, ont présenté une maquette, publiée sur le site des Observatoires, cherchant à rétablir l’équilibre. Je ne développerai pas ici cet aspect des choses qui mérite évidemment réflexion.


Si la dissertation fait peur aux élèves, c'est qu'elle est parée de tout le prestige de l'université française ; mais l’excès de révérence finit par inhiber tout le monde. La sauvegarde de cet exercice n’ira pas sans une certaine désacralisation.

La dissertation permet " l’essai du jugement ", et vérifie la capacité à prendre la mesure d'un problème, à apporter une réponse argumentée, raisonnée, témoignant de connaissances littéraires et d'une certaine maîtrise de la langue. Ces difficultés sont formatrices : elles ne deviennent dissuasives que lorsqu’on charge la barque, en tombant dans le fétichisme du plan et autres excès formalistes. La dissertation est encombrée d’appréhensions et de scrupules qu’il faudrait vraiment tirer au clair. Combien d’élèves renoncent-ils à la dissertation parce qu’ils craignent, par exemple, de ne pas trouver de plan ?

Or qu'est-ce qu'un plan ? C'est l'organisation d'un raisonnement qui sous-tend l'ensemble du devoir : il y a plan dès lors qu'il y a progression d'une partie à l'autre, ce qui ne devrait pas être si difficile à construire. La mystique du plan en trois parties (et parfois leur subdivision en trois sous-parties) se traduit par un bricolage qui n'a rien de formateur. La plupart des professeurs le savent bien, mais ils redoutent les préjugés de leurs collègues en la matière, et c’est ainsi qu’ils transmettent peu ou prou leurs appréhensions à leurs élèves.

Il serait donc opportun de domestiquer notre surmoi professoral en engageant une discussion approfondie sur les critères d'évaluation, ce qui suppose des temps de réflexion collective et de formation, mais aussi une véritable harmonisation des critères de correction (qui ne devrait pas commencer à deux ou trois jours de la date limite de remise des notes, quand toutes les copies sont déjà notées... comme dans certaines Académies).


La dissertation canonique repose sur des sujets faisant une large part à l'implicite, aux présupposés ; elle part souvent d'une citation prestigieuse ajoutant sa difficulté propre à celle de l'oeuvre étudiée, et fait courir au candidat le risque du hors-sujet.

Il est indispensable de maintenir des exigences et de proposer des exercices un peu difficiles aux élèves : encore faut-il ne pas cumuler toutes les difficultés à la fois. Présentons aux candidats des sujets ouverts, simples dans leur formulation, et conduisant à une véritable prise de position sur un problème majeur.

N’hésitons pas à inventer des sujets un peu provocateurs, caricaturaux ou même réducteurs pour permettre aux élèves d’élaborer un jugement plus sensé (un sujet trop intelligent ou subtil les désarme…) ; donnons-leur aussi l’occasion de remettre en question leurs impressions de lecture en faisant appel à leur sensibilité ; proposons à nos candidats matière à discussion et non de simplement illustrer la pensée d’un critique célèbre.

Des sujets qui sortent du tout ou rien et peuvent être traités à différents niveaux deviennent ainsi accessibles à de nombreux élèves, sans céder sur l’essentiel, je crois.


Quelques exemples de sujets à mes yeux peu praticables, suivis de propositions alternatives (à mes risques et périls)…dont je ne prétends pas qu’elles constituent d’exacts équivalents des sujets critiqués.

Un critique, Jean Starobinski, affirme à propos de l'entreprise autobiographique de Rousseau : " Le coeur a beau être transparent, il faut encore le rendre transparent aux autres, le dévoiler à tous les regards. "
Dans quelle mesure la lecture des quatre premiers livres des Confessions vous a-t-elle permis d'avoir une bonne connaissance de Rousseau en tant qu'homme et en tant qu'écrivain ? (Pondichéry, session de juin 1998, séries STI, STL, SMS, STT)

On méditera sur le paradoxe du dévoilement d'une transparence… Pour paraphraser Rousseau, cette beauté-là est bonne pour nous, mais l’est-elle pour un élève de Première technologique à Pondichéry? Les rédacteurs du sujet ont cru bon d'expliquer la phrase par une question passablement éloignée de leur citation, et qui me plonge dans des abîmes de perplexité : comme les candidats n’ont jamais (pas plus que moi-même) rencontré Jean-Jacques, je me demande vraiment à partir de quel point de comparaison ils vont pouvoir apprécier leur connaissance de l'homme Rousseau…
Proposition :
La confession à la manière de Rousseau n’est-elle selon vous qu’impudeur et indécence ?

 

Autre exemple :

Un critique écrit au sujet des Confessions : " On y voit, plus que l'autoportrait d'un homme tourmenté, le récit rétrospectif d'une destinée malheureuse, tracée par un écrivain pathétique à force de crier son excellent naturel, malade de ses contradictions, avide de s'attirer la sympathie du lecteur. "
Commentez cette réflexion d'après votre lecture des quatre premiers livres des Confessions de Rousseau (France métropolitaine, session de juin 1998, séries ES et S).

Le sujet repose manifestement sur l'opposition entre autoportrait et récit rétrospectif : ce problème littéraire est-il à la portée des candidats ? Connaissent-ils assez d’autoportraits pour apprécier l’incidence du récit dans la peinture de soi ? Mes élèves, sûrement pas !
Proposition :
Les Confessions : le récit d’une enfance malheureuse ?

 

Troisième exemple :

Quel personnage des quatre premiers livres des Confessions de Rousseau vous a le plus intéressé ? Analysez les raisons de votre choix. (Asie, session de juin 1998, séries ES, S)

De deux choses l'une : soit l'on considère que Rousseau est un personnage de son oeuvre, auquel cas il est évidemment le plus intéressant, mais que le sujet devient vague ! Soit l’on considère qu'il faut choisir parmi les autres personnages…mais Maman ou Mlle Lambercier n’ont guère de substance hors du regard de Jean-Jacques. Quel embarras pour les candidats asiatiques (et pour les correcteurs) !
Le sujet présente cette fois l’interêt d’être simple dans sa formulation, mais n’offre guère à discuter ; c’est à peine une dissertation.
Proposition :
Jean-Jacques : un personnage attachant ou irritant ?

 

Pour compléter la démonstration (un peu facile, je le reconnais : il est aussi de bons sujets !), un sujet complémentaire trouvé dans Annabac 99, page 219 :

La conscience de soi et le regard des autres
A propos du besoin que ressent Rousseau de se peindre pour se montrer tel qu'il est, Jean Starobinski écrit que " l'erreur est dans le regard des autres (...) en présence des autres, auxquels il croit s’offrir ingénument, il s'aperçoit que sa vérité demeure cachée (...) L'apologie personnelle et l'autobiographie deviennent nécessaires à Jean-Jacques parce que la clarté de la conscience de soi lui est insuffisante tant qu'elle ne s’est pas propagée au dehors et dédoublée en un clair reflet dans les yeux de ces témoins. "
Quelle est cette image de lui-même que Rousseau chercha à propager ?

Jamais enfant de dix ans n'entendit ce vers-là, comme écrit Rousseau à propos de La Fontaine. Là encore, on appréciera l'effort du rédacteur qui tente de mettre son sujet à la portée des élèves par la question finale... Une grande louchée de surmoi littéraire, une petite dose de lucidité pédagogique : il devient urgent de sortir de cette schizophrénie si nous voulons sauver la dissertation.


Philippe Laudou, professeur au Lycée Camille Saint-Saëns (Rouen).

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