La réforme du lycée en section scientifique
L’arbre
qui cache la forêt La
réforme du lycée ne touche-t-elle donc que l’Histoire
en section scientifique ? Un petit point sur quelques matières
« secondaires » en filière S. La
suppression de l’Histoire-Géographie en terminale S a
suscité une pétition [1]
qui a fait les gros titres des journaux. Or le ministre de
l’éducation nationale Luc Chatel justifie ce changement
par sa volonté de rééquilibrer les filières
générales en les spécialisant davantage. En
particulier pour la série S, on peut lire sur le site [2]
ministériel de présentation de la réforme: « Sa
vocation scientifique est réaffirmée par le
renforcement de l’horaire de mathématiques en classe
terminale ».
Or
cette phrase constitue un énorme mensonge par omission !
Et ceci n’est presque jamais relevé par les
journalistes, qui se contentent de recopier (bêtement ?
servilement ?) le dossier de presse fourni et semblent
incapables de comparer les nouvelles grilles horaires aux anciennes [3].
Faisons donc ce travail élémentaire à leur
place. Certes,
en terminale S, les élèves gagneront trente minutes de
mathématiques. Mais ils en auront perdu une heure en première,
et quasiment une heure en seconde [4] !
En physique, ils perdront trente minutes en classe de seconde, et une
heure et demie en première, sans aucune compensation en
terminale ! Quant à la biologie, elle diminue de trente
minutes en seconde, et de une heure en première, également
sans compensation en terminale. Ceci
est à comparer à la perte [5]
d’une seule heure d’Histoire au total pour la série
S. Les
bacheliers S auront perdu plus de quatre fois plus d’heures de
sciences que d’heures d’Histoire.
Même si l’on n’approuve pas la déprogrammation
de l’Histoire en terminale, on peut se demander pourquoi les
pétitions des associations scientifiques [6]
ne sont pas relayées de la même façon par les
médias. D’autant plus lorsque la diminution de l’horaire
d’Histoire est justifiée par un prétendu
renforcement en sciences. En
guise de renforcement des sciences, c’est une véritable
catastrophe qui se prépare. Le niveau du bac scientifique [7],
et par conséquent celui des étudiants des premières
années de licence scientifique [8]
a déjà fortement diminué ces vingt dernières
années. Or la diminution des horaires va mécaniquement
entraîner une nouvelle diminution des exigences, comme on peut
déjà le constater sur les projets de programme mis en
ligne [9]. Prenons
l’exemple de la physique [10].
Comme souvent, la régression des contenus est accompagnée
de termes pédagogistes [11] :
« donner du sens »,« réalisation
de projets », « acquisition de compétences »,
« devenir autonome ». Le préambule du
nouveau programme de seconde ne contient qu’un mot écrit
en gras : celui de « compétences »,
nouveau credo de l’éducation nationale [12].
Les connaissances exigibles, elles, sont en berne. Une entrée
thématique de l’enseignement (santé, pratique
sportive, univers) est justifiée par « la prise en
compte de la diversité des publics accueillis [qui]
nécessite une adaptation des démarches et des
progressions ». Traduction pratique: un fouillis de
notions disparates, et la disparition de la colonne « connaissances
exigibles » au profit de « compétences
attendues » minimalistes, souvent réduites à
de l’expérimental. La colonne « notions »,
très succincte, ne décrit que ce que le professeur doit
discuter (« il s’agit des concepts à
étudier »), et non pas ce que les élèves
doivent retenir [13].
Il sera donc plus facile de traiter ce programme à différents
niveaux, selon le « public accueilli » [14]. La
première page du programme (thème : la santé)
en donne déjà une idée. Dans la colonne
« notions », on lit par exemple « Réflexion
et réfraction ». En regard, cette unique
« compétence », parfaitement obscure au
demeurant : « Mener une étude expérimentale
sur la réflexion et la réfraction ». Exit
semble-t-il la mémorisation et l’application en
exercices de la loi de Descartes, qui permettaient de vérifier
la réelle compréhension du phénomène ;
et d’appliquer au passage un peu de géométrie et
de trigonométrie. Sur ce modèle, de nombreuses notions
apparemment conservées sont en fait privées de leur
formulation exacte. Sur
la même page, on lit dans la colonne « notions » :
« Ondes sonores, ondes électromagnétiques.
Domaines de fréquences ». Mais voici tout ce que
l’on doit attendre des élèves : « Extraire
et exploiter des informations concernant la nature des ondes et leurs
fréquences en fonction de l’application médicale » [15].
Autrement dit, ils n’ont quasiment plus aucune connaissance à
retenir à ce sujet, puisqu’ils doivent uniquement savoir
les « extraire » [16].
D’ailleurs, peuvent-ils réellement comprendre ces
notions, alors qu’ils en ignorent les bases : définition
d’une onde, d’une longueur d’onde, énergie,
champ électrique, magnétique, etc. ? Que signifie
dans ce contexte « exploiter des informations » ?
Pourquoi renonce-t-on à un apprentissage structuré et
progressif [17] ?
Le cours de sciences doit-il se réduire à de la
vulgarisation scientifique ? Les
quelques nouvelles notions, bien maigres [18],
ne compensent évidemment pas la disparition de paragraphes
importants du programme actuel, notamment l’étude des
quantités de matière lors d’une réaction
chimique (notion pourtant à la base de la chimie scientifique,
à travers les travaux fondateurs de Lavoisier), sans doute
jugée trop rigoureuse, trop exigeante, pour les nouveaux
« publics »
[19]. Et
tout ceci ne concerne que le programme de physique de seconde, où
seules trente minutes de cours ont été supprimées.
Nous laissons le lecteur imaginer le futur programme de première
S, où une heure trente disparaîtra. La même année
les élèves « bénéficieront » également
d’un allègement d’une heure en mathématiques,
ce qui diminuera d’autant les chances d’introduire des
notions rigoureuses en sciences expérimentales. On
l’aura compris, le « renforcement des sciences »
est une (mauvaise) blague. Si l’un des objectifs avoués
de la réforme est de casser la suprématie de la filière
S [20],
voilà qui est peut-être bien parti. Mais au prix d’une
forte dégradation de la formation scientifique. Est-ce
vraiment nécessaire ? Nicolas
Hergott, professeur de lycée, le 26 février 2010. 1.
http://www.lejdd.fr/Societe/Education/Actualite/Il-est-imperatif-d-annuler-cette-decision-155825/ 3.
http://eduscol.education.fr/cid46450/horaires-de-la-classe-de-seconde-generale-et-technologique.htm et
http://eduscol.education.fr/cid46468/horaires-de-la-serie-s.html 4.
L’horaire officiel actuel est de quatre heures de maths. Mais
de fait les élèves peuvent suivre en plus une heure
« d’aide individualisée » (la
cinquième heure obligatoire ayant disparu des grilles
officielles à la dernière réforme). Or une
pratique très répandue (si ce n’est majoritaire)
consiste à utiliser cette cinquième heure
essentiellement pour les futurs élèves de S
volontaires, sauf en début d’année. Notons au
passage que l’horaire de maths au collège a lui aussi
été réduit très récemment. 5.
Et encore, pour les plus motivés il sera possible d’en
faire davantage qu’actuellement, en choisissant l’option
Histoire en terminale S 7.
Voir l’analyse d’un sujet de physique récent
(2006) au bac S :
http://grip.ujf-grenoble.fr/documents/articleEvolution.pdf 8.
Voir par exemple des analyses de copies dans
http://www.ihes.fr/~lafforgue/documents.html.
Voir aussi
http://www.ihes.fr/~lafforgue/textes/SavoirsFondamentaux.pdf
pour une analyse de la débâcle de l’enseignement
des sciences, et des propositions pour y remédier (daté
de 2004, mais toujours d’actualité). 10.
On notera dans ces projets l’absence des mathématiques,
dont l’horaire reste inchangé en seconde, et dont le
programme a déjà été dégraissé
l’année dernière. 11.
Pour une définition précise, voir
http://appy.ecole.free.fr/actualites/pedagogisme.pdf 13.
Lorsque c’est le cas, la connaissance en question est recopiée
dans la colonne « compétences attendues » :
voir par exemple la « vitesse de la lumière dans
le vide », page n° 4 du programme. 14.
Le cas de figure où quelques bons élèves
motivés par les sciences se retrouvent égarés
dans une classe très faible sera d’autant plus délicat
à gérer. La solution, évidente, consisterait à
créer des filières différenciées dès
la seconde (voire le collège !): or cette réforme
consiste à les repousser plus ou moins à la terminale. 15.
Autres exemples de compétences tout aussi précises:
« Lire l’étiquette, la notice d’un
médicament et en extraire l’information utile. »,
« Interpréter les informations provenant
d’étiquettes de flacons et de divers documents »,
« extraire les informations pertinentes dans l’actualité
scientifique ». 16.
L’introduction récente des Itinéraires De
Découverte au collège et des Travaux Personnels
Encadrés au lycée participe de la même mise en
valeur de la collecte d’informations disparates au détriment
de leur assimilation dans le cadre d’un cours progressif et
structuré. 17.
Par exemple, le choix d’un domaine de fréquence « en
fonction de l’application médicale » fait
intervenir de nombreuses notions (équation d’onde,
impédance, équations de Maxwell, physique du solide,
etc.) qui ne peuvent être comprises que progressivement, bien
plus tard. 18.
Il s’agit, sauf erreur, exclusivement des connaissances
suivantes : vitesse du son dans l’air, composition
chimique de l’atmosphère terrestre et du Soleil,
influence de la hauteur sur la pression dans un liquide, et « loi
de Henry » (édulcorée). Et encore, on se
contente chaque fois d’ordres de grandeur et de tendances
qualitatives, sans équation. 19.
Il semble d’ailleurs que les paragraphes supprimés
avaient en commun de faire un peu « réfléchir ».
Autre exemple caractéristique : on n’étudiera
plus les règles de formation des molécules (schéma
de Lewis).