Sauver les lettres - Martinique


MOTION CONTRE LA RÉFORME DE L’ÉAF


La dernière réunion des professeurs de lettres des lycées de Martinique a mis en évidence deux choses : d’une part l’improvisation totale qui préside à la mise en place d’une réforme dont rien ne justifie l’urgence, sinon le contexte préélectoral dans lequel nous nous trouvons, d’autre part le refus évident des collègues présents d’assumer toutes les conséquences ou plutôt les inconséquences de cette mise en œuvre hâtive et sans concertation. (Vous avez été consultés vous ?)

Rejetant l’alternative que l’un de nous, qui osa exprimer ses réserves à voix haute, se vit opposer : " Si vous n’êtes pas content, démissionnez ! " (sic), nous affirmons aujourd’hui, propositions à l’appui, que la véritable démission consisterait plutôt à accepter la mise en place de la réforme des épreuves anticipées de français.

Nous soumettons à tous les collègues que la passivité a fini par lasser, les actions suivantes :

1° Nous refusons d’établir le " descriptif " des activités de l’année tel qu’on nous l’impose: véritable " usine à gaz ", il n’est riche que de contraintes pour le professeur qui l’élabore comme pour l’examinateur qui devra s’y affronter.

2° Par conséquent, nous proposons le retour aux listes " à l’ancienne ", précisant toutefois les divers " objets d’étude ". Rapidement dressées par chaque professeur concerné, ces listes fort simples laissent toute latitude à l’examinateur qui peut juger au cours de l’entretien d’une capacité de compréhension et de mise en relation d’un texte avec un problème littéraire plus général dans le cadre duquel ce texte a été étudié. N’est-ce pas là l’objectif essentiel de l’épreuve orale de français ?

3° Dans cette optique, nous refusons, lors de la réunion prévue le 10 juin 2002, d’emporter chez nous, dans le but de les étudier, les descriptifs des collègues qui les auraient, malgré tout, établis. Ce surcroît (énorme) de travail, au-delà du fait qu’il n’est l’objet d’aucune rémunération, ne trouve, on l’a vu, guère de justification pédagogique.

4° Plus largement, nous estimons que la nouvelle épreuve orale ne peut aller sans un jugement implicite de la part des professeurs examinateurs sur les pratiques pédagogiques de leurs collègues. Cette mise en doute, récurrente depuis quelques années, de nos capacités professionnelles nous amène à poser clairement la question : nous estime-t-on, oui ou non, suffisamment qualifiés pour donner à nos élèves des compétences de lecture (au sens large) sur des textes et des problématiques littéraires ? La réponse mériterait d’être formulée explicitement par nos supérieurs hiérarchiques, par exemple au cours de la prochaine réunion prévue par l’Inspection , destinée a priori à la préparation de ces épreuves orales, mais que nous proposons de consacrer à l’éclaircissement de toutes ces énigmes.

5° Nous n’oublions pas que les nouvelles épreuves écrites posent également un problème : celui du fameux " sujet d’invention ". Outre les craintes, souvent exprimées, de voir se confondre les prestations de futurs bacheliers avec celles d’élèves de troisième candidats au brevet des collèges, demeurent deux grandes questions : comment préparer les élèves à ce type de sujet, dont la réussite relève essentiellement de l’inspiration, et par là même, sur quels critères objectifs fonder l'évaluation de ces productions ? Gageons que nous allons au-devant de grandes injustices de notation : après tout, ce sujet n'est-il pas simplement la mise en œuvre d’un " style " ? Or, certains professeurs auraient peut-être jugé sévèrement le style de Céline, ou de Proust, ou de tel écrivain actuel dont la postérité reconnaîtra le talent. La dissertation et le commentaire composé, exercices d’abord techniques qui s’apprennent et qui forment la réflexion, sont-ils donc devenus si désuets ou bien estime-t-on a priori que certains élèves en sont incapables ? Ou encore, pense-t-on que la réflexion soit passée de mode ?

Nous joignons à notre motion une pétition, déjà approuvée à l’unanimité par les collègues du lycée Acajou 2. Cette pétition émane du collectif " Sauver les lettres " dont la réflexion peut nourrir efficacement notre action. Nous vous encourageons à signer, à faire signer.

A retourner au lycée Acajou 2 ou à Sauver les lettres, 58, rue Montorgueil, 75002 Paris

La réforme de l’EAF ne fait qu’un cas très relatif des aspirations profondes des professeurs de lettres. Nous ne sommes en rien des passéistes hostiles par principe à toute idée de réforme. Qu’on nous épargne cet argument. Nous contribuerons bientôt de manière positive à la nécessaire réflexion collective et nous en appelons d’ores et déjà à toutes les énergies. Nous sommes aujourd’hui plus que jamais incapables de sacrifier à l’air du temps le sens que nous avons de notre mission.

Collectif "Sauver les lettres - Martinique"
02/2002