Le lycée 2010 : sous la propagande, les miettes !
Reculer pour mieux sauter : le gouvernement n’a rien abandonné en 2009 de ses projets de 2008 pour le lycée, en particulier la suppression de milliers de postes, et la réduction de l’offre d’enseignement. Seuls l’enrobage et la stratégie diffèrent. Il ne faut pas s’y laisser prendre. Aux annonces précises de Darcos, qui avait suscité il y a un an un tollé en publiant horaires et grilles d’organisation de la nouvelle classe de Seconde, a succédé le 13 octobre dernier un discours lénifiant et opaque [1] de Sarkozy, destiné à juguler toute réaction. Mais sous la propagande enfumée, il faut lire les projets. D’abord une suppression importante d’horaires disciplinaires. Le tronc commun est en effet modifié : il inclut désormais la LV2, qui passe d’enseignement de détermination en enseignement obligatoire. De plus, Sarkozy annonce " deux heures d’accompagnement personnalisé par semaine et pour tous, de la seconde à la terminale, sans alourdir l’emploi du temps des élèves " [2]. Si l’on n’alourdit pas l’emploi du temps en accompagnant, c’est qu’on supprime en enseignement. La nouvelle Seconde est ainsi un tour de passe-passe, correspondant sans doute à des coupes claires dans les heures disciplinaires actuelles de module (3 h 30 réparties entre français, mathématiques, première langue vivante et histoire-géo) ou d'aide individualisée (2 h) rattachée au français et aux mathématiques. Autrement dit, on " accompagnerait " deux heures indéterminées, mais on supprimerait deux heures trente de dédoublements disciplinaires (on peut penser, vu le discours sur les langues, que la LV1 gardera son module). Le compte est bon. Sauf pour les élèves, qu’on abandonne sous prétexte de les " accompagner ".. Au passage, et alors qu’on prétend " rééquilibrer les filières ", un profilage vers S est encouragé puisque, heureusement d’ailleurs, les sciences physiques et la SVT conserveraient en Seconde leurs trois heures de dédoublements de travaux pratiques. Les filières L et ES sont donc implicitement pénalisées, puisque leurs enseignements " phares ", français et histoire-géo, pourraient perdre leurs modules, et que les SES, arts, LV 3 ou langues anciennes sont réduits à la portion congrue. A qui profite le crime ? Aux suppressions massives de postes par la diminution des horaires de plusieurs matières, au recours pour " l’accompagnement " à des intervenants extérieurs ou à des " reçus-collés " de la mastérisation quelle que soit leur discipline, à l’arbitrage des chefs d’établissement pour la répartition déchirante entre collègues des heures d’ " accompagnement " qui seront incluses dans la DHG. Pendant ce temps, les élèves perdent des heures précieuses de dédoublements accolées à l’horaire principal, et effectuées au plus près de leurs besoins par des professeurs qui les connaissent. Comment ne pas penser que leurs lacunes ne peuvent que s’amplifier, et que le discours officiel apparemment compatissant et social (" le lycée ne prend pas assez en considération les besoins de chaque élève ") est une aggravation calculée et brutale de leur sort ? Seuls les bons élèves s’en sortiront. Le président Sarkozy, qui accuse l’orientation d’être " trop élitiste " tout en supprimant le service public d’orientation, pratique sa sélection à la louche. Les classes de Première et Terminale, fondées sur le même modèle, parachèveront l’ouvrage. Des enseignements de détermination réduits de 50%. Actuellement, les deux matières de détermination de Seconde (sciences économiques, LV 2 ou 3, arts, latin, grec) bénéficient de 2 h 30 ou plus souvent 3 h d’enseignement hebdomadaire. La réforme les met à 1 h 30 chacune [3], soit une baisse de moitié de leur horaire ! Comment des " explorations " sérieuses et formatrices de matières nouvelles pourront-elles se faire, avec un tel saupoudrage ? Dans la tourmente, ce sont encore des matières à dédoublement (sciences économiques et LV3) ou à investissement important (arts, langues anciennes) qui sont touchées et vont disparaître. Cette suppression d'un volume horaire conséquent des matières de détermination de Seconde, qui se répercutera certainement l’année suivante, puisque la spécialité obligatoire actuellement choisie en Première serait repoussée à la Terminale, crée une perte catastrophique d'intérêt, de contenu et de formation. Ne parlons pas des suppressions de postes, qui vont déferler, ni de la semestrialisation qui, sortie par la porte, revient par la fenêtre : il sera possible de " dégager en termes horaires des marges de manœuvre pour mieux répondre à la diversité des situations ". Le cadre national de l’enseignement s’en trouve fragilisé, et l’égalité de traitement sur tout le territoire n’est pas garantie. Les actuelles options facultatives disparaissent. Le ministère ne prévoit aucune possibilité pour les élèves d’une option supplémentaire. Toutes les matières indépendantes des séries (ateliers d’arts plastiques, théâtraux, audio-visuels, latin, grec, langue vivante 3, sections européennes) que les élèves pouvaient choisir en Seconde et poursuivre jusqu’au bac pour une épreuve à points positifs sont rayées de la carte lycéenne. 16 500 postes à supprimer, pensez donc ! L’apport culturel de ces matières, la culture générale, la curiosité des élèves, passent ainsi à la trappe d’un gouvernement qui prétend par ailleurs que " dès l’âge de 15 ans, le choix des enseignements […] enferme l’élève dans un parcours ". L’Etat inique, tout en prétendant le contraire (" le lycée n’arrive pas à réduire les inégalités d’accès à la culture liées aux origines sociales "), se désengage de la culture et laisse donc à la sphère familiale et sociale le soin de perpétuer les inégalités de naissance. Les mêmes supercheries affectent Première et Terminale. En Première, les "passerelles " promises entre les séries seraient en fait un tronc commun important inter-filières (d'où diminution du nombre des classes, augmentation des effectifs par " bourrage ", et baisse du volume horaire d'enseignement). Les séries ne sont donc maintenues qu’au prix d’un faux-semblant. Le "rééquilibrage" de L est de la poudre aux yeux : privée d'enseignements littéraires (LV 3, langues anciennes) et artistiques (histoire des arts et arts - plastiques, théâtraux, audiovisuels) de poids dès l'entrée au lycée, cette série à laquelle on ajouterait quelques éléments de droit glisserait vers une super-STG, tout en menaçant la série ES. Comment réagir ? Il faut évidemment s’opposer à cette réforme qui ici s’avance masquée. Le discours apparemment bienveillant et positif cache une baisse massive des moyens efficaces et formateurs : un " accompagnement " n’a jamais été un enseignement. Le volontarisme affiché sur les langues vivantes cache la suppression des LV 3, et la réduction des LV 1 et des LV 2 à des automatismes déculturés, les " compétences ". Les déclarations tonitruantes sur l’accès à la culture se traduisent par la réduction des SES et des arts, et la suppression à venir du latin et du grec. Quant au vernis d’ " histoire des arts ", il s’agit, sans création de postes spécialisés, d’une supercherie et d’un mensonge. L’opposition à ces mesures n’est pas de l’immobilisme, mais la lucidité et la détermination nécessaires à la préservation de la qualité et du nombre des enseignements actuellement dispensés en France au lycée. Avec les mesures Sarkozy-Chatel, il ne s’agit plus de réforme, mais de destruction libérale du service public de l’éducation, par écroulement des enseignements du lycée et abandon des élèves en difficulté à des dispositifs aléatoires, discriminants et déconnectés (" sas de compléments de programmes pendant les vacances scolaires "). La nécessaire évolution du lycée doit être démocratique et égalitaire, et garantie par des engagements précis de l’Etat sur des enseignements de qualité également dispensés à tous. Collectif Sauver les lettres. 1. http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id=3012&cat_id=7&lang=fr
2. Toutes les citations en italiques sont extraites du livret publié par le ministère en complément du discours présidentiel, " Vers un nouveau lycée en 2010 ", http://media.education.gouv.fr/file/La_reforme_du_lycee/39/5/Vers-un-nouveau-lycee-en-2010_122395.pdf
3. Compte rendu de l’audience du 21 octobre 2009 sur le site du SNES : http://www.snes.edu/spip.php?page=imprimer&id_article=17832
11/2009