EPREUVES DE FRANÇAIS

Nouvelles questions sur le français au baccalauréat

Avec l'aimable autorisation de l'auteur et de L'École des lettres.


      Les tout récents exemples de sujets qui précèdent permettent de se faire une idée plus précise des nouvelles épreuves anticipées de français. Ces épreuves devant être préparées dès maintenant par les professeurs et leurs élèves, il semble nécessaire de lever quelques ambiguïtés, de combler quelques lacunes, d’apaiser, s’il est possible, quelques craintes... Le temps presse : voici donc, sans phrases inutiles, quelques observations et quelques questions qui s’ajoutent à celles exprimées dans le numéro 2 de la revue et qui demanderaient des réponses rapides.

      On notera d’abord avec satisfaction que les corpus de textes proposés dans ces annales constituent des ensembles cohérents qui justifient pleinement la réunion dans un même sujet d’extraits jusque-là isolés. Les craintes de voir cette nouvelle épreuve ressembler à la (difficile) synthèse de BTS se révèlent donc vaines ; on mesure au contraire l’intérêt de la confrontation de textes à la fois voisins et différents pour mieux saisir la spécificité de chacun (ou simplement de l’un d’eux). Cette démarche, qui est fondamentalement celle du groupement de textes bien conduit, n’a rien qui doive dérouter. Elle est même précieuse quand elle rend perceptible, comme dans le deuxième sujet (centré sur le poème « Souvenir de la nuit du 4 »), le travail d’élaboration qui permet de passer du témoignage au poème, ou de distinguer la revendication « féministe » de Marivaux, dont la portée est réduite par la persistance de stéréotypes misogynes (le caquet des femmes, leur caprice), de celle de Beaumarchais, qui présente en Marceline, devenue soudain pathétique, une victime des « passions » et de l’hypocrisie des hommes (comme cette miss Polly Baker dont Diderot rapporte l’histoire et le discours dans le chapitre III du Supplément au voyage de Bougainville).
      Mais une autre question se pose : celle de la cohérence, ou plutôt de l’équilibre entre les trois sujets d’écriture. On sait que, dans la situation précédente, un déséquilibre au profit du sujet de type I (étude et production d’un texte argumentatif) mettait en péril la dissertation et, plus gravement, l’activité même des élèves pendant l’année de première : une maîtrise convenable de la langue et une préparation minimale suffisaient à tirer son épingle du jeu, on pouvait se contenter de bachoter un peu avant l’oral. De ce point de vue la relation de cette nouvelle épreuve à des objets d’étude prescrits par le programme mobilisera sans doute davantage des élèves qui sauront désormais qu’ils doivent disposer aussi d’un minimum de connaissances disciplinaires et que ce savoir peut « payer ». A cela toutefois, une condition : que l’on n’assiste pas à la dérive qui a ruiné en deux ou trois ans les espoirs que l’on avait pu mettre dans la rénovation du premier sujet et de la dissertation.
      Or la lecture de ces quatre exemples laisse penser que seul le commentaire est solidement défini, dans la mesure où il demeure un exercice bien cadré, présentant, comme avant, des exigences d’analyse et de mise en forme, et trouvant une légitimité et une facilité nouvelles dans le fait qu’il n’est plus hors programme : la question préalable, en outre, constitue aussi pour les élèves un meilleur guide que les deux ou trois questions d’observation ponctuelles de l’ancien commentaire. Peut-être, simplement, devrait-on veiller à ce que le texte à commenter soit suffisamment consistant, ce qui ne paraît pas être tout à fait le cas pour l’extrait des Mémoires d’Outre-Tombe ; un commentaire comparé de ce texte et du passage des Confessions semblerait de meilleure tenue et conduirait jusqu’au bout la démarche de confrontation.
      Si le commentaire est appelé à conserver les faveurs des professeurs et souhaitons-le, à intéresser davantage d’élèves, la situation semble bien différente pour les deux autres exercices. Articuler la dissertation sur des objets du programme, c’est donner au travail de l’année une autre finalité que la préparation de l’explication de texte orale, c’est une nouvelle tentative pour sauver la « dissert ». Reste à définir l’extension du sujet proposé, et elle paraît très variable. Dans le premier exemple (« Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ? »), l’objet d’étude intitulé « Le biographique » est réduit à l’autobiographie, qui n’est que l’un de ses aspects : dans le programme de première, cette notion se développe en effet en « récits de vie, mémoires, journal intime, biographie, autobiographie, roman autobiographique ». Se pose alors pour les professeurs la question de la préparation de leurs élèves : l’autobiographie qui a depuis quelques années le vent en poupe, retiendra certainement leur attention, mais si la dissertation porte sur la biographie, le journal intime, les mémoires ? Faut-il accorder la même place à tous les genres ou sous-genres qui composent « Le biographique » ? Et si oui, comment couvrir un tel champ compte tenu de l’ampleur du programme ? La même analyse pourrait être faite sur le sujet proposé dans le troisième exemple ( « Est-il légitime, selon vous, de rendre public l’ensemble des lettres rédigées par un écrivain [...] ? » ) qui aborde un aspect très limité de l’objet d’étude « L’épistolaire ».
      Le deuxième exemple (« Victor Hugo propose de " réveiller le peuple ". Les poètes, les écrivains, les artistes en général, vous paraissent-ils, mieux que d’autres, pouvoir remplir cette mission ? ») combine la réduction et l’ouverture : réduction de la poésie à la question de l’engagement (à la lecture du programme de première, on serait plutôt tenté de mettre l’accent sur la modernité, de s’intéresser à Baudelaire, Apollinaire, Cendrars), ouverture aux autres genres et même aux autres arts. Cet élargissement est sans doute destiné à permettre aux candidats qui auraient étudié d’autres aspects de la poésie que ceux qui relèvent de l’engagement de traiter le sujet ; mais sur quelles références s’appuieront-ils ? Le programme de première peut leur fournir les oeuvres des humanistes ou des philosophes des Lumières (au titre du « Mouvement littéraire et culturel français et européen du XVIème au XVIIIème siècle »), mais ils devront mobiliser leurs souvenirs du programme de seconde s’ils veulent s’appuyer sur le roman ou éventuellement le théâtre. En ce qui concerne le théâtre, en effet, le programme de première s’intéresse à la relation entre « texte et représentation », qui n’est pas interrogée dans le sujet proposé pour les séries technologiques. De fait, l’épreuve porte donc sur les deux premières années du lycée ; cela n’est pas choquant en soi, les élèves se constituant une culture littéraire pendant ces deux années, mais il faudrait que les choses soient claires.
      Une autre difficulté réside dans l’élaboration d’une problématique. La formulation d’une question laconique et quasiment dénuée de notions disciplinaires (« Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ? ») ne garantit pas une bonne compréhension du sujet, qu’elle rend même plus difficile. On peut alors craindre que les productions des élèves tiennent plus de l’ancienne discussion que de la dissertation et que des consignes d’harmonisation demandent aux correcteurs de s’en satisfaire. Il y a là un risque certain de déséquilibre dans les exigences.
      Ce risque est encore plus grand avec le sujet d’invention, qui pourrait tenter de nombreux candidats séduits par son apparente facilité. En demandant aux élèves de s’interroger sur leurs souvenirs d’enfance (premier exemple), quels savoirs disciplinaires compte-t-on mobiliser ? L’imitation de la réflexion dialoguée de Nathalie Sarraute ne saurait constituer le seul critère d’évaluation : qu’y aura-t-il d’autre ? A l’exception du quatrième, l’écriture d’une scène de théâtre, faisant intervenir une Marceline moderne (qui n’est, au demeurant, pas si commode et demande un bon entraînement : encore la question du temps..), les sujets proposés demandent aux candidats de se placer dans des situations très particulières, pour lesquelles ils manquent de connaissances ou d’expérience. Est-il raisonnable de demander à des adolescents de dix-sept ans de préparer leur autobiographie ? Que savent-ils d’Apollinaire, de ses relations à Lou, à la France, à la guerre ? Que savent-ils du Second Empire (malgré le texte, bien venu, de l’historienne Catherine Salles) et des Châtiments ? Il faudra donc accepter, là encore, une « écriture » au contenu incertain, voire erroné.
      Le deuxième exemple qui offre le choix entre deux sujets symétriques, un article du Moniteur attaquant le poème « Souvenir de la nuit du 4 » ou un article républicain rendant hommage à Victor Hugo paraît plus dangereux encore. D’abord, parce qu’il conforte certains élèves dans l’idée que toutes les opinions sont défendables : on sait que le fameux « tout se vaut » stérilise, court-circuite les véritables débats et dispense d’argumenter. Ensuite, parce qu’il leur demande, dans la première option, de tenir un discours pour le moins ambigu. Transposons dans une période historique plus proche : proposerait-on aux candidats un poème des Yeux d’Elsa en leur demandant d’en rédiger une critique à la manière de Drieu la Rochelle dénonçant Aragon en 1941 ? Le sujet de juin 2001 (les voeux d’un responsable de l’État) et les consignes d’harmonisation ont suscité un tollé justifié chez les professeurs. La rhétorique risque en effet de dégénérer en une sophistique qui prend la place de l’argumentation et de la distance critique.

      Terminons par quelques questions qui appellent des réponses claires et urgentes.

      • En ce qui concerne l’enseignement des lettres en terminale L, les Instructions officielles indiquent que « L’enseignement de lettres en classe terminale repose sur un programme révisable périodiquement. Tous les objets d’étude ci-dessus y sont mis en oeuvre à tour de rôle. Quatre sont prescrits chaque année, le renouvellement se faisant par quart ou moitié, selon la difficulté des oeuvres concernées ». Comment faut-il comprendre ce paragraphe ? Le « programme révisable » indiquera-t-il simplement les objets d’étude (« quatre sont prescrits chaque année ») ? ou les oeuvres ressortissant à ces objets d’étude ? ou un vivier d’oeuvres dans lequel le professeur devra choisir ? Si le renouvellement des objets d’étude « se [fait] par quart ou moitié, selon la difficulté des oeuvres concernées », cela suppose que ces oeuvres soient les mêmes pour tous. En outre, quelle(s) forme(s) l’évaluation prendra-t-elle à l’examen ? Cette question est liée aux précédentes : pour qu’une (ou des) question(s) ou une dissertation puissent être traitées par tous les candidats, il faut qu’ils disposent de références communes.

      • La suppression du « jury de français » aux EAF s’est accompagnée de la possibilité pour les candidats de choisir le français au « rattrapage » à partir de juin 2002. Quelles seront les modalités de cette épreuve ? Comment sera-t-elle préparée pendant l’année scolaire puisqu’il n’y a plus d’option français en terminale depuis la création de l’enseignement de lettres en TL ?

      • Pour les séries technologiques, l’exemple des annales zéro (commentaire d’un extrait du Mariage de Figaro) n’indique pas si l’on attend un commentaire en forme (introduction, développement composé avec citations intégrées, conclusion). Les dispositions du BO sont les suivantes : « En séries générales, le candidat compose un devoir qui présente de manière organisée ce qu’il a retenu de sa lecture, et justifie son interprétation et ses jugements personnels. En séries technologiques, le sujet est formulé de manière à guider le candidat dans son travail. ». Cela signifie-t-il que le commentaire des séries technologiques est, comme celui des séries générales, « organisé » ? D’autre part, faut-il considérer que les questions données en parcours de lecture dans les annales zéro (« Vous commenterez l’extrait du Mariage de Figaro à partir du parcours de lecture suivant : Montrez que le texte relève du genre de la comédie. - Cette scène a été en partie censurée lors de la création. Analysez quels éléments du texte ont pu entraîner cette interdiction ») constituent un plan à suivre ?

      Les professeurs se posent sans doute d’autres questions pour lesquelles des mises au point sont tout aussi indispensables : ils peuvent les adresser à la revue qui les exposera dans un prochain numéro.

JACQUES VASSEVIÈRE

(L'École des lettres second cycle, n°3, septembre 2001, pp. 77-80)

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