Séries technologiques
1. Dans les textes A, B, C, que dénonce chaque auteur à travers les trois personnages féminins ? Justifiez votre réponse. (3 points)
La réponse à cette question doit être rédigée mais brève, de l'ordre d'une demi-page ou d'une page, au maximum.
2. Dans ces mêmes textes, montrez les différences de réaction de ces trois femmes face à l'adversité. Justifiez votre réponse. (3 points)
La réponse à cette question doit être rédigée mais brève, de l'ordre d'une demi-page ou d'une page, au maximum.
Texte A : Pierre-augustin de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
BARTHOLO, montrant Marceline. — Voilà ta mère.
FIGARO. — ... nourrice ?
BARTHOLO. — Ta propre mère.
LE COMTE. — Sa mère !
FIGARO. — Expliquez-vous.
MARCELINE, montrant Bartholo. - Voilà ton père.
FIGARO, désolé — Oooh ! aïe de moi !
MARCELINE. — Est-ce que la nature ne te l’a pas dit mille fois ?
FIGARO. — Jamais.
LE COMTE, à part.— Sa mère !
BRID’OISON (1). — C’est clair, i-il ne l’épousera pas.
BARTHOLO. — Ni moi non plus.
MARCELINE. — Ni vous ! Et votre fils ? Vous m’aviez juré...
BARTHOLO. — J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d’épouser tout le monde.
BRID’OISON. — E-et si l’on y regardait de plus près, personne n’épouserait personne.
BARTHOLO. — Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable.
MARCELINE, s’échauffant par degrés. — Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur de les expier (2) après trente ans d’une vie modeste ! J’étais née, moi, pour être sage et je la suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées (3) !
FIGARO. — Les plus coupables sont les moins généreux; c’est la règle.
MARCELINE, vivement. — Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez (4) par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse; vous et vos magistrats, si vains (5) du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état (6) pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe (7).
FIGARO, en colère. — Ils font broder jusqu’aux soldats !
MARCELINE, exaltée. — Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoire (8) ; leurrées (9) de respects apparents, dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !
FIGARO. — Elle a raison !
1. Brid’Oison : président du tribunal local (il bégaie).
2. expier : être puni d’une faute.
3. infortunées : jeunes filles séduites et abandonnées, comme Marceline.
4. flétrir : déshonorer.
5. vains : qui tirent vanité de, fiers.
6. état : métier.
7. Marceline déplore que la broderie ne soit plus un métier uniquement réservé aux femmes.
8. dérisoire : insignifiante
9. leurrées : trompées
[Dans ce roman, Fantine, modeste couturière à domicile, rencontre de plus en plus de difficultés financières pour nourrir sa fille Cosette, qu’elle a été obligée de confier à un couple de gens malhonnêtes et rusés, les Thénardier. Pour payer les frais d’une maladie inventée par ces derniers, Fantine doit vendre ses cheveux, puis deux dents. C’est ainsi que Marguerite, une collègue de travail, la découvre un matin.]
Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans.
— Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez Fantine ?
— Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.
En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons (1) qui brillaient sur la table.
— Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?
— Je les ai eus, répondit Fantine.
En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.
Les deux dents étaient arrachées.
Elle envoya les quarante francs à Montfermeil(2).
Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.
Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule (3) du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas (4) dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. A mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset (5), vieux et usé, avec des morceaux de calicot (6) qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait (7), lui faisaient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine (8), et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour; mais un entrepreneur du travail des prisons, qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait.
— Cent francs, songea Fantine ! Mais où y a-t-il un état (9) à gagner cent sous par jour ?
— Allons ! dit-elle, vendons le reste. L’infortunée se fit fille publique (10).
1.deux napoléons : pièces d’or.
2. Montfermeil : village où habitent les Thénardier avec Cosette.
3. cellule ; petite chambre.
4. galetas : logement misérable et sordide sous les toits.
5. corset : gaine lacée en tissu résistant, qui serre la taille et le ventre des femmes.
6. calicot : toile de coton assez grossière.
7. devait : devait de l’argent.
8. père Madeleine : monsieur Madeleine, riche industriel, ancien employeur de Fantine qu’elle rend, à tort, responsable de la perte de son emploi précédent.
9. état : métier.
10. fille publique : prostituée.
Texte C : Pierre Perret, Lily, 1977.
[Pour cette chanson, Pierre Perret, chanteur et compositeur français, né en 1934, a obtenu le prix de la L.I.C.R.A. (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme)].
On la trouvait plutôt jolie Lily
Elle arrivait des Somalies (1) Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris
Elle croyait qu’on était égaux Lily
Au pays de Voltaire et d’Hugo Lily
Mais pour Debussy (2) en revanche
II faut deux noires pour une blanche
Ça fait un sacré distinguo
Elle aimait tant la liberté Lily
Elle rêvait de fraternité Lily
Un hôtelier rue Secrétan
Lui a précisé en arrivant
Qu’on ne recevait que des Blancs
Elle a déchargé des cageots Lily
Elle s’est tapé les sales boulots Lily
Elle crie pour vendre des choux-fleurs
Dans la rue ses frères de couleur
L’accompagnent au marteau-piqueur
Et quand on l’appelait Blanche-Neige Lily
Elle se laissait plus prendre au piège Lily
Elle trouvait ça très amusant
Même s’il fallait serrer les dents
Ils auraient été trop contents
Elle aima un beau blond frisé Lily
Qui était tout prêt à l’épouser Lily
Mais la belle-famille lui dit nous
Ne sommes pas racistes pour deux sous
Mais on veut pas de ça chez nous.
Elle a essayé l’Amérique Lily
Ce grand pays démocratique Lily
Elle aurait pas cru sans le voir
Que la couleur du désespoir
Là-bas aussi ce fût le noir
Mais dans un meeting à Memphis Lily
Elle a vu Angela Davis (3) Lily
Qui lui dit viens ma petite sœur
En s’unissant on a moins peur
Des loups qui guettent le trappeur
Et c’est pour conjurer sa peur Lily
Qu’elle lève aussi un poing rageur Lily
Au milieu de tous ces gugus
Qui foutent le feu aux autobus
Interdits aux gens de couleur
Mais dans ton combat quotidien Lily
Tu connaîtras un type bien Lily
Et l’enfant qui naîtra un jour
Aura la couleur de l’amour
Contre laquelle on ne peut rien
On la trouvait plutôt jolie Lily
Elle arrivait des Somalies Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris.
1. Pays d’Afrique de l’Est.
2. Claude Debussy (1862-1918) : musicien et compositeur français.
3. Angela Davis : symbole de la lutte des Noirs et des femmes, pour leur émancipation, dans les années 70.