À propos des sujets de l’ÉAF 2002 en séries générales


En série L (1)

Le fiasco du corpus est particulièrement patent : un élève de première ne pouvait pas, en une heure de temps, analyser les poèmes rassemblés et traiter sérieusement une question qui les supposait compris. Est arrivé ce qui devait arriver : toutes les copies, à de très rares exceptions près, se sont réfugiées dans des observations formelles qu’on aurait pu exiger d’un élève de cinquième, sans jamais affronter la thématique du groupement –l’inspiration poétique et l’écriture poétique- et sans jamais déboucher sur les effets de sens ou les effets littéraires. Et qui pourrait en blâmer les candidats ? Face aux difficultés inhérentes au corpus, ils ont naturellement recours à une stratégie d’évitement du sens, qui leur est largement offerte par le technicisme de la genregistrologie : c’est exactement ce qui arrivait avec les " questionnaires argumentatifs " des sujets de premier type dans l’EAF ancienne formule, questionnaires avec lesquels un candidat obtenait la moyenne sans avoir compris le texte sur lequel il portait !

En fait, loin d’évaluer les capacités réelles de compréhension de nos élèves, le corpus les incite à mimer une lecture savante, à se précipiter sur de prétendues synthèses sans réelle démarche analytique préalable, et à se contenter finalement des présupposés de la question : en L, par exemple, le seul " effet " noté par de très nombreux candidats en cas de non respect des lois du sonnet est… l’originalité. La réponse se trouvant dans la question, inutile de lire attentivement le corpus…

A propos de la dissertation en L, dont le sujet est d’un niveau universitaire, il faudrait commencer par rappeler en toute honnêteté les acquis qu’on est en droit d’exiger de nos élèves. La poésie a disparu des programmes de seconde et ne constitue en théorie qu’un septième des programmes de première ! Le corpus présenté à l’épreuve ressemble beaucoup à ces séquences toutes faites qu’on rencontre dans les manuels, qui vous font parcourir à marche forcée les grandes étapes de l’évolution de la prosodie française et qui débouchent d’ailleurs très souvent sur la conclusion implicite que l’essence de la poésie, au terme de son évolution, et donc de son progrès, réside dans un jeu sur le langage.

Ces séquences " coups de balai " sont censées remplacer la culture littéraire à laquelle nos élèves ont légitimement droit, culture exigeante qui suppose une initiation patiente à l’imaginaire et au langage de quelques uns de nos plus grands poètes. Sans cet arrière-plan culturel, toute réflexion sur le " genre " poétique est vaine, évidence cruelle que le correcteur vérifie dans la douleur et le découragement.

Le sujet dit " d’invention " illustre jusqu’à la caricature les vices inhérents au genre. La situation de communication proposée est absurde, mille fois plus artificielle que celle d’un devoir de réflexion classique. Loin d’inciter le candidat à douter, à critiquer, à construire un jugement, ce positionnement fictif le place dans la perspective d’avoir à affirmer SON choix, SES raisons, sans se confronter aux exigences de la réflexion. Saluons la ruse de quelques candidats qui ont profité de ce sujet pour présenter un commentaire composé autre que celui du sonnet de Laforgue : j’ai lu un remarquable commentaire du poème de Blaise Cendrars –malheureusement pas dans mon paquet de copies…

En série S et ES (2)

Le corpus proposé s’est révélé beaucoup plus accessible, si on s’en tient au critère de la compréhension rapide des textes. Encore faut-il préciser que les élèves qui n’avaient pas étudié le XVIIIème se trouvaient très défavorisés par rapport à leurs camarades, or le programme de première (étude " d’un mouvement littéraire et culturel français et européen du XVIème au XVIIIème siècle ") ne l’impose absolument pas. A titre d’exemple, j’ai interrogé à l’oral des élèves venant de treize classes différentes : dix avaient abordé le mouvement des Lumières et lu un conte de Voltaire, les trois autres avaient étudié d’autres temps forts de l’histoire littéraire. Mes copies venaient des mêmes classes, et je constate que ce qui a creusé l’écart en donnant accès au sens, ce n’était pas la maîtrise de l’objet d’étude affiché en tête du sujet (" convaincre, persuader, délibérer "), mais la capacité des candidats à reconnaître quelques grands thèmes de la philosophie des Lumières et à saisir les subtilités de l’ironie voltairienne. Le commentaire, de ce point de vue, a été très discriminant, et je crains fort que, parmi les copies qui se sont noyées dans une paraphrase au premier degré du texte de Voltaire, beaucoup soient l’œuvre de candidats qui n’ont pas eu l’occasion d’être confrontés au conte voltairien dans l’année.

Le corpus repose donc sur une supercherie : comme l’étude d’un mouvement littéraire dépend du choix du professeur, il ne peut être retenu, selon les textes, comme " objet d’étude " autour duquel construire un corpus pour l’épreuve du baccalauréat ; mais comme la plupart des classes traitent le XVIIIème en s’appuyant sur un conte philosophique, on utilise les connaissances précises qu’elles ont pu acquérir à cette occasion pour faire passer l’indigeste pilule du " persuader, convaincre, délibérer ". Malheur à ceux qui auront pris au pied de la lettre les instructions officielles et auront fait l’impasse sur le XVIIIème…

La question sur le corpus, nous avait-on annoncé, permettrait une démarche comparative dans le but de l’éclairage réciproque des textes, le tout en une heure de travail pour quatre points. Las ! nous voilà retombés dans les classiques relevés de procédés qui aboutissent à des salades d’oxymores, d’énumérations, de métaphores, de champs lexicaux, le tout désormais épicé d’apologues, de dialogues théâtraux et de registres pathétiques, didactiques, dramatiques ! L’émiettement des remarques induit par la question, n’incitait pas le candidat, c’est le moins qu’on puisse dire, à construire une interprétation des textes…

Je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir bien compris le sujet de dissertation ; j’y ai certes retrouvé cette obstination à passer la littérature à la moulinette du tout-argumentatif, qui est la marque de M. Boissinot et de ses disciples, mais il m’a fallu lire les recommandations fournies aux correcteurs dans mon académie pour m’apercevoir que M. Viala et son souci de désacraliser la littérature n’étaient pas loin non plus.

Voici un extrait de ces recommandations officielles à propos du sujet de dissertation :

" On pourrait attendre des candidats, par exemple, qu’ils se soient interrogés sur
- la complexité des formes d’argumentation qu’offrent les textes littéraires (à cause de leur diversité même, de leur caractère de plus en plus élitiste dans le monde d’aujourd’hui, de la difficulté inhérente à l’écrit)
- l’efficacité des procédés et stratégies utilisées par les auteurs pour mieux persuader et convaincre (par exemple, l’identification du lecteur avec un personnage) "

Il s’agit des deux seuls exemples proposés d’approches possibles de la question.

Faut-il en déduire que le sujet invitait le candidat à développer l’idée que la littérature est une affaire d’intellos, que c’est beaucoup trop compliqué pour se faire comprendre, et que de toute façon " l’écrit " (puisque tout écrit semble être littérature) c’est vraiment la galère ?

Il faut donc rebaptiser d’urgence l’exercice dissertation antilittéraire

Un extrait de copie d’élève permettra de partager le plaisir du correcteur lorsqu’il tombe sur un " sujet d’invention " :

" Priam : Mais décidemment, tu es très têtu comme fils et en plus, tout ce que tu me dis, ton épouse Andromaque me l’a déjà expliqué alors soit fort et vas te battre. Ce n’est pas la fin du monde, d’aller faire la guerre regarde ton grand père, lui il l’a faite et il est encore vivant. Alors, vas y, fais cela pour l’amour d’Andromaque et pense à la fierté que tu auras une fois revenu de la guerre, parts dans la tête que ce sera une guerre facile et courte.

Hector : Même pour ma fierté et mon honneur et ma gloire, je n’irai pas à cette guerre. Si vous voulez, père, essayé de convaincre les hommes de la ville à allé aux combats, mais pas à moi car je tiens à ma vie. Vous allez peut être me prendre pour un lâche mais tampis, car pour moi la guerre est une chose horrible, qui fait des millions de morts et qui fait des veuves et des orphelins tous les jours. Grand-père est encore vivant, car la guerre, il ne l’a pas faite car il est tombé malade et il est resté à l’hospital pendant toute la guerre.

Priam : Bon, d’accord pour ton grand père, je suis d’accord, mais ce n’est pas une raison pour ne pas y aller à cette guerre. Je ne te prend pas pour un lâche mais pour un moins que rien car depuis que tu es tout petit, tout ce que l’on te propose de faire, tu le refuse. Je commence à me demander si tu es vraiment un homme. Pense à la réputation que tu vas avoir, si tu es le seul homme à ne pas aller aux combats pense y à cela. "

Outre quelques défaillances dans la maîtrise de la langue, cette copie révèle la disposition d’esprit dans laquelle se placent beaucoup de nos élèves lorsqu’ils choisissent le " sujet d’invention " : inventer, c’est laisser courir sa plume sur la page en utilisant une langue orale pauvre et déstructurée, pour pouvoir sortir deux heures avant les autres. Argumenter, c’est écrire tout ce qui passe par la tête sans autre critère de validité que le caprice et sans autre référence universelle que le fameux " c’est mon choix ", redoutable verdict qui met fin à toute pensée. Vous avez eu beau vous échiner pendant toute l’année à essayer d’apprendre à vos élèves à concevoir une problématique, à construire un plan, à tisser arguments et exemples, tout est emporté par le déferlement d’infantilisme et d’irresponsabilité que provoque le " sujet d’invention ".

On objectera que l’invention doit être encadrée par des critères de correction rigoureux, tant sur la forme que sur le fond. Mais de la même façon que ces " consignes " sont impossibles à enseigner dans l’année, elles sont inutilisables au moment de corriger l’examen. Chacun sait au fond de soi que nos autorités comptent, hypocritement, beaucoup plus sur la compassion des examinateurs et la peur de ne pas avoir un paquets de copies " dans la moyenne " que sur l’application rigoureuse de critères de toutes façons impossibles à définir sérieusement.

Seule une infime minorité de nos élèves – parmi ceux qui ont déjà une certaine familiarité avec la lecture et la littérature – est susceptible de mettre à profit le sujet d’invention en atteignant les qualités littéraires qu’il requiert théoriquement ; mais pour l’immense majorité, s’il devait être pérennisé, il fonctionnerait comme un vortex, engloutissant le peu de rigueur que nous arrivions encore à faire passer à travers le travail sur des sujets de réflexion et des commentaires construits.

Promouvoir le sujet d’invention comme épreuve d’examen, c’est enfermer le lycéen dans une éternelle enfance, refuser de lui ouvrir les portes de l’abstraction, de la réflexion discursive, au moment précis où il en aura le plus besoin. Un ami instituteur me disait récemment que la manie des lettres et des dialogues était désormais répandue dans le primaire. Nos enfants seront-ils donc condamnés, de la communale au lycée, à écrire des lettres et des dialogues ?


Jean-Marie Réveillon
07/2002


1. I. Analysez brièvement les différents traitements réservés à la forme du sonnet dans ce corpus et l'effet produit lorsque "ses rigoureuses lois" ne sont pas respectées. (4 pts)
II. Travail d'écriture, au choix : (16 points)
1. Commentaire littéraire
Commentez le texte de Jules Laforgue.
2. Dissertation
Pensez-vous que les contraintes formelles puissent être pour le poète un obstacle à une expression libre et originale ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé, en prenant appui sur les textes du corpus et les poèmes que vous avez lus et étudiés.

3. Écriture d'invention
Après la lecture de ce corpus, un des poèmes vous paraît correspondre plus particulièrement à ce que vous appréciez dans la poésie. Vous l'adressez à une revue de poésie et dans votre lettre d'accompagnement vous en défendez l'intérêt par rapport à d'autres types de poèmes.
Vous rédigez cette lettre.

Voir ÉAF 2002 - Sujets de l'épreuve écrite.

2. I. Ces quatre textes dénoncent la guerre. Vous analyserez les différents procédés littéraires utilisés à cette fin. (4 pts)
II. Travail d'écriture, au choix : (16 points)
1. Commentaire littéraire
Vous commenterez le texte de Voltaire.
2. Dissertation
Les textes littéraires et les formes d'argumentation souvent complexes qu'ils proposent vous paraissent-ils être un moyen efficace de convaincre et persuader ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes du corpus et sur ceux que vous avez lus et étudiés.

3. Écriture d'invention
Dans l'extrait de La guerre de Troie n'aura pas lieu, Andromaque expose le point de vue des femmes et les raisons pour lesquelles elles condamnent la guerre.
Ecrivez un dialogue théâtral dans lequel Hector, l'époux d'Andromaque, expose le point de vue des hommes et les raisons pour lesquelles lui aussi condamne la guerre. Il s'adresse à son père Priam en présence d'Andromaque ... [Ces deux personnages interviendront nécessairement dans la scène théâtrale].