DNB c'est plié !
Après la dernière refonte des programmes, après les diverses circulaires parues ces dernières années, où l'on a clairement insisté sur la nécessité d'une bonne maîtrise du français et donc de son enseignement, on pouvait espérer que le sujet du D.N.B. 2012 prolongerait cette dynamique en ménageant une part consistante à la connaissance de la langue. Il n'en est rien. Vous enseignez en troisième, vous avez exercé vos élèves à mener correctement l'analyse logique d'une phrase, à identifier les notions induites par les conjonctions de coordination et de subordination, à reconnaître les valeurs des modes et des temps, à se familiariser avec le vocabulaire littéraire, à repérer les points de vue dans un récit ou même la simple composition d'un texte ? Eh bien tout cela est sans rapport avec l'examen qu'ils ont passé ce matin.
Dans l'épreuve de français du D.N.B. 2012, une question en effet portait sur le style indirect libre. Pour le reste, on n'interrogeait sur aucun des points du programme de troisième. Est-ce à dire qu'on questionnait les candidats sur un extrait fantastique relevant du parcours littéraire de quatrième, et dont l'étude des indices semant le doute entre logique et surnaturel leur permettait de manifester une certaine finesse d'analyse ? Non, pas de programme de troisième, pas de programme de quatrième non plus. Les invitait-on alors à plancher sur quelque translation moderne d'une belle page médiévale, sur l'exploit d'un Perceval en quête du Graal et puisant sa force dans l'inébranlable espoir que lui donne un Chrétien de Troyes abordé en cinquième ? Pas davantage. C'est à la première année du collège qu'il faut remonter pour saisir l'esprit du questionnaire proposé cette année aux candidats. On leur demandait en effet de repérer la formule "Il était une fois" au début d'un extrait de Michel Tournier, de comprendre que cet extrait a pour décor une ancienne cour évoquant le sultanat des Mille et une Nuits, et que son intrigue comporte une épreuve (deux cuisiniers s'affrontent en concoctant tour à tour les plats d'un festin, et le meilleur des deux sera le cuisinier en titre de la cour). Nous étions donc dans la proximité du conte merveilleux et le questionnaire portait quasi intégralement sur la seule compréhension littérale du texte ; bref, à une seule question près le D.N.B. 2012 était une épreuve de sixième.
Même la question de "réécriture" relevait de ce niveau : accorder trois adjectifs qualificatifs au pluriel, transformer deux verbes au passé composé et, ce faisant, accorder avec son sujet un participe passé employé avec l'auxiliaire être ("les plats sont arrivés"). Par ailleurs, on demandait aux candidats de séparer "incomparable" en préfixe, radical et suffixe, mais on ne leur posait aucune autre question de langue : aucune relation entre deux mots n'était à expliquer (pas de fonction grammaticale), aucune catégorie de mots à identifier (pas de nature) ; bref encore, le D.N.B. 2012 était une épreuve de sixième sans grammaire.
J'éprouvais quelque honte à croiser le regard de mes élèves à la pause de 10h30 : devoir m'exposer à des remarques désobligeantes ("On a travaillé tout ça pour rien, m'sieur !") ne me réjouissait guère, moi qui les avais tant contraints à améliorer leur maîtrise du subjonctif, du conditionnel, de la concordance des temps, de toutes les fonctions possibles d'une proposition subordonnée conjonctive... Eh bien non, pas le moindre reproche, juste une surprise certaine et teintée d’hilarité, avec un "C'était facile!" unanime. Trop contents, les gamins, de s'en tirer à si bon compte pour leur premier examen national.
N'empêche, le mot passera très vite à ceux qui montent l'an prochain en troisième :
"Vous cassez pas la tête avec ce que les profs veulent vous faire apprendre, le jour du vrai Brevet ça sert à qu' dalle !"
Et moi, professeur, je n'ai plus qu'à faire quatre années de suite le programme de sixième ?
Voilà où nous aura menés la logique du socle commun au rabais : dans un établissement scolaire, le niveau de référence de la dernière année est maintenant celui de la première, c'est-à-dire le plus bas. On s'était bien rendu compte de l'inexorable dégradation de l'examen au fil des ans, mais là on touche le fond au plein sens du terme. Pour descendre encore, puisque c'est clairement le but, il faudra donc désormais que les professeurs des écoles primaires s'attendent à être convoqués pour concevoir l'épreuve de fin d'études de nos collégiens. Parce qu'en tout cas cette fois c’est net, entre le Brevet et la classe de troisième, c'est plié.
Luc Richer, professeur de lettres modernes en collège.
06/2012