TV lobotomie de Michel Desmurget
Compte rendu de lecture
Ce
livre, écrit par un chercheur en neurosciences, malgré
son titre aguicheur laissant présager le pire, s’appuie
sur des références (1193 références dont
des livres grand public ne traitant pas directement du sujet, des
articles de journaux à grand tirage, d’hebdomadaires,
mais avec surtout des références d’articles de
revues spécialisées pour chercheurs en neurosciences et
médecins). Le style est alerte, acerbe. Le discours est très
clair, soutenu par un plan rigoureux.
Après
un chapitre consacré à l’état des lieux,
c’est-à-dire au temps passé par les enfants
devant la télévision et à ce qu’ils y
regardent, il explore au travers des trois autres chapitres les
méfaits provoqués par la vision de la télévision,
s’attachant surtout au public enfantin et adolescent.
Chaque
chapitre, très structuré, avec des titres signifiants
comme dans les livres des universitaires scientifiques anglo-saxons,
comprend une introduction et résume
ensuite, dans un paragraphe « pour conclure »,
l’essentiel de ce qui a été dit. Tout ce
qui est affirmé est étayé par des références,
scientifiques si nécessaire. Les corrélations
mises en évidence sont ensuite discutées pour chercher
leur éventuel lien de causalité : il
s’agit donc de véritables démonstrations.
Après lecture du livre, on est convaincu des effets néfastes
provoqués par la télévision, et convaincu que
ceux qui minimisent ces effets sont soit cyniques soit incompétents.
Le chercheur n’affirme pas bien sûr que seule la
télévision est responsable de tous ces maux….
Chapitre
1 : La télé en tout lieu et à toute heure
Les
parents n’exercent un contrôle que surtout avant 5-6 ans
mais en s’intéressant plutôt au contenu qu’au
temps passé (systématiquement minoré). Ils font
confiance aux programmes pour enfants, ne s’aperçoivent
pas du zapping éventuel et ne savent donc pas ce que leur
progéniture regarde vraiment.
Les
publicitaires profitent de cette situation et sont aidés en
France par les politiques qui n’ont pas voté de textes
interdisant la publicité dans ces programmes, comme c’est
pourtant le cas dans d’autres pays. Les conséquences
sont détaillées dans les différents chapitres.
Enfin,
M. Desmurget s’interroge sur la qualité des programmes
et pense que la qualité ne peut être au rendez-vous
puisque le nombre de chaînes se multiplie et donc aussi les
programmes, et que, l’auditoire étant pluriel, il faut
toucher un grand nombre : tous ces facteurs rendent très
difficile une qualité constante qui serait très
onéreuse de plus.
Pour
conclure, ce qui est remarquable, c’est que ce ne sont pas les
enfants qui originellement réclament le poste mais les adultes
qui ancrent son habitude (pour diverses raisons) et ensuite,
intrinsèquement inepte, il les rend « accro ». Chapitre
2 : la télé étouffe l’intelligence
M.
Desmurget essaye de montrer que contrairement à ce qui est
affirmé, le niveau ne monte pas mais qu’en orthographe,
langage, etc., il baisse. Il s’appuie sur les travaux de la
DEPP, de D. Manesse, de « Sauver les lettres »……
(voir références sur le site). Cela est inquiétant
puisque le langage sert à penser.
Et
ils pensent moins..., contrairement à la vulgate, ce
n’est pas parce que ce sont des « digital natives »
qu’ils utilisent au mieux les possibilités d’internet :
des études de la british library ont montré que les
jeunes ne savent pas toujours les utiliser car ils ne maîtrisent
pas toujours leur langue ni les connecteurs logiques. De plus, leur
prétendue possibilité d’effectuer de multiples
tâches – « multiskating » en anglais
(regarder un film, surfer sur le net, faire un exercice de
mathématiques) – est scientifiquement infirmée :
le cerveau ne peut pas faire plus de deux tâches à la
fois. Il ne les réalise que séquentiellement et une
partie des ressources cérébrales est happée par
la gestion du « multiskating ». Même avec
la télévision en arrière-plan, sans vraiment la
regarder, on a montré que la réalisation des devoirs
était largement dégradée.
Un
énorme travail réalisé dès 1973 dans deux
villes canadiennes avec ou sans télé. Pour des raisons
géographiques, une ville n’avait pu être connectée
à la télévision. Des chercheurs apprenant que la
connexion allait être faite ont commencé une étude
et ont pu avoir des éléments de comparaison. On a pu
mesurer les effets de la télévision sur beaucoup
d’aspects, y compris scolaires (acquisition de la lecture…).
Ils ont ainsi montré un effet délétère
mais d’autant plus grand que le milieu était favorisé.
D’autres
études montrent qu’effort, intelligence, lecture,
attention, imagination, tous sont frappés par la vision de la
télévision. En limitant un rapport précoce à
l’écrit, la télévision empêche
l’acquisition convenable de la lecture. En conditionnant à
l’immédiateté, elle augmente l’impulsivité,
diminue les capacités de concentration et l’appétence
pour les tâches exigeantes. Or les fonctions d’apprentissage
et de mémorisation dépendent de la faculté
d’attention. Il y a émergence de troubles attentionnels
liés à des formats audiovisuels rapides et
développement d’une pensée horizontale alors que
les tâches scolaires nécessitent une pensée
verticale.
Les
chantres de la télévision pour bébés
profèrent des mensonges : au lieu de développer le
langage, la télévision le limite. En effet, c’est
en interagissant avec un locuteur que l’enfant apprend sa
langue ou une autre langue et ceci est valable pour les autres
activités cérébrales : l’encéphale
ne s’organise pas en observant le réel mais en agissant
sur lui. De plus le nombre de mots entendus et prononcés avant
3 ans est un indicateur majeur des performances langagières et
cognitives, or ce nombre est limité si l’enfant regarde
la télévision.
Pour
conclure : la télé limite le potentiel de
développement d’un enfant. Tous les champs
de l’intelligence sont touchés, y compris l’imagination
Il existe une corrélation entre sortie sans diplômes et
temps passé devant la télé : chaque heure
de télévision consommée en semaine au primaire
augmente de plus d’un tiers la probabilité de voir
l’enfant quitter le système scolaire sans diplômes. Chapitre
3 : la télé menace la santé Manger
plus, bouger moins
M.
Desmurget montre bien que c’est le fait de regarder la
télévision qui induit l’obésité et
non la causalité inverse. L’influence se fait sentir à
long terme sur le poids et elle est liée aux messages
publicitaires, à la modification de la prise alimentaire. Il y
a un véritable conditionnement par la publicité ou la
vision de marques : ces effets sont liés aux images et
donc aussi induits par la vision de DVD. Faire
de l’enfant un fumeur ou fermer boutique
Le
tabagisme prend sa source dans l’enfance ou l’adolescence.
Parmi tous les facteurs qui peuvent conduire un jeune à fumer
l’exposition à des images tabagiques dans des films, des
séries, des clips musicaux (travaux de l’OMS) n’est
pas négligeable.
Il
y a pourtant interdiction de la publicité pour le tabac mais
l’industrie contourne les lois et fait passer son message via
des personnages positifs qui fument dans des films par exemple en
s’appuyant sur les bases scientifiques du conditionnement déjà
citées. Boire
plus et plus tôt
Bien
sûr la télé n’est pas responsable de tout
mais elle contribue à l’initiation, au développement
et au maintien des conduites alcooliques chez les spectateurs. Du
sexe, du sexe et encore du sexe
Bien
que le sexe ne soit pas une pathologie (!), ce n’est pas une
pratique anodine en matière de santé : avortements
et maladies sexuellement transmissibles en découlent par
exemple. Or l’avortement est un facteur de souffrances
psychologiques à long terme chez les adolescentes, mais les
maternités précoces représentent un facteur de
risque non négligeable pour le devenir des mères et de
leurs enfants.
Quel
est l’effet de la télévision ? Elle
véhicule des stéréotypes sexuels et des
croyances lourdement préjudiciables en matière de
contraception par exemple, elle pousse précocement aux
rapports sexuels et elle augmente les risques cités ci-dessus. Entre
Morphée et la Star-Ac, il faut choisir
Sur
les trente à cinquante dernières années, la
durée de sommeil a diminué de 90 à 120 min. Or
les effets du manque de sommeil ont des incidences sur la santé
(obésité, diabète, dépression, ...), sur
l’accroissement des accidents du travail, sur les difficultés
d’apprentissage et de mémorisation, donc sur les
difficultés scolaires, et cet effet se manifeste pour un
déficit de sommeil peu important : en diminuant seulement
de 30 min par nuit la durée de sommeil, les performances
intellectuelles se modifient sensiblement.
Le
poste dans la chambre d’un enfant réduit encore plus la
durée de son sommeil et augmente encore les effets
délétères de la télévision. CHAPITRE
4 : LA TÉLÉ CULTIVE LA PEUR ET LA VIOLENCE
Tout
a été dit et il n’y a plus d’études
pour cette raison. On a montré que la violence télévisée
affecte les attitudes, valeurs et comportements des spectateurs
(agression, désensibilisation et peur). Les effets sont
mesurables et de longue durée. Le problème actuel est
de chercher COMMENT les images violentes altèrent le
comportement.
On
peut discuter cependant sur le fait que l’effet est fortement
significatif et faible : mais à l’échelle du
nombre de gens regardant, même si peu sont affectés en
pourcentage, cela fait beaucoup en nombre total et donc influera sur
les taux de criminalité. La
violence, c’est bon pour les affaires
Un
individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre
mieux les messages qui lui sont imposés et est plus
conditionnable : difficile de ne pas penser à la saillie
de Patrick Le Lay sur « le temps de cerveau
disponible pour Coca cola ». Il doit connaître les
travaux des neurosciences !.. La
violence appelle la violence
Les
chercheurs en neurosciences ont montré que le libre arbitre
n’existe pas : nos conduites sont constamment modulées
par des facteurs environnementaux. On parle de « Primings »,
conceptuels environnementaux qui manipulent notre comportement. Des
stimuli environnementaux spécifiques, en effet, activent des
représentations cérébrales singulières
qui activent elles-mêmes en retour des comportements
particuliers.
Par
exemple, des enfants de 5-6 ans sont plus prompts à pousser,
taper et provoquer leurs congénères après vision
d’une vidéo violente qu’après vision d’une
vidéo neutre. La
violence repousse les frontières de l’inacceptable
Aucun
argument scientifique n’est en faveur de la thèse
cathartique... Soumis à des images violentes, on devient
de plus en plus insensible à la violence. La
violence nourrit la peur
La
télévision, en focalisant sur certains évènements
au détriment d’autres, nous montre un monde parfois
éloigné de la réalité objective et ce
monde irréel influence fortement notre perception du monde
réel. C’est ainsi que des personnes n’habitant pas
dans des villes où règne l’insécurité
nourrissent des peurs irraisonnées.
CONCLUSION :
M.
Desmurget nous livre quelques recommandations, car des auditeurs lui
en demandent toujours après une conférence faite sur ce
sujet : Zéro
télé surtout pour les enfants et adolescents, car ils
ont des difficultés à maîtriser leur
consommation : c’est ce qui est le mieux. Pas
de télé dans la chambre pour enfant et adolescent. Pendant
les 5 premières années : pas de télévision,
pas d’arrière plan télévision. Primaire
et collège : pas plus de 3 ou 4 heures par semaine, y
compris vidéos !, si on n’a pas suivi le conseil
n° 1. Les
adultes majeurs et vaccinés font ce qu’ils veulent mais
qu’ils n’oublient pas les risques ! Florence Costa-Chopineau Michel Desmurget dans le 6/7 de France Inter (6h50 - 3 février 2011). Michel Desmurget a accepté de répondre à nos questions, nous l'en remercions. Si vous souhaitez l'interroger, écrivez-nous. L'effet des jeux vidéos ne vous semble-t-il pas plus important que celui de la télé ? (sur les contre-performances scolaires donc sur l'attention, la cognition etc...)
Michel Desmurget
TV lobotomie - La vérité scientifique sur les effets de la télévision
Max Milo, 2011, 318 pages.
Quatrième de couverture
06/2011
Pourtant, on ne peut pas dire que les enfants/ados passent plus de temps devant les jeux vidéo (ou internet) que devant la télé. S'il n'existe pas en France, à ma connaissance, de données fiables, plusieurs études de grande ampleur ont été publiées aux Etats-Unis (pour la plus récente http://www.kff.org/entmedia/upload/8010.pdf). Dans ce pays, les 8-18 ans passent en moyenne chaque jour 1h15 à jouer aux jeux vidéo et 2h40 à regarder la télé. Si l'on substitue à la notion de télé celle de contenu audiovisuel regardé (sur Tv, ordinateur, téléphone portable ou autres) ce dernier chiffre monte à 4h30. Ce qui est intéressant ici c'est que se sont les individus qui regardent le plus la télé qui jouent aussi le plus aux jeux vidéo. En d'autres termes, ces différentes pratiques ne se compensent pas ; elles se cumulent (et parfois s'entrechoquent — multitasking —). Le temps d'écran est alors pris sur d'autres domaines dont les activités sportives, artistiques ou sociales, les devoirs, la lecture et le sommeil. Ce dernier champ est d'ailleurs particulièrement touché. Enfants et adolescents présentent une dette de sommeil croissante et alarmante dans nos pays dits développés, ce qui affecte aussi bien les fonctions cognitives (attention, apprentissage, mémorisation) que les paramètres sanitaires (immunité, obésité, dépression, etc.).
Bien sûr les Etats-Unis ne sont pas la France. Les études sur la télé et l'usage d'internet montrent toutefois que les grandes tendances "numériques" sont similaires dans tous les pays développés. Il serait dès lors surprenant que le rapport d'usage entre télé et jeux vidéo soit totalement inversé chez les jeunes français par rapport aux jeunes américains, anglais ou allemands. Evidemment, ce ne sont là que des moyennes. Celles-ci masquent forcément l'existence de larges variabilités interindividuelles. On trouvera toujours dans la population certains ados/enfants qui passent plus de temps face aux jeux vidéo que devant la télé (et d'autres qui ne regardent que la télé sans jamais jouer à un jeu vidéo). Typiquement toutefois, les 8-18 ans passent (encore ?) plus de temps devant la télé que face aux jeux vidéos. MD (06/2011)