Panégyrique d'Alain Viala


Le professeur Alain Viala, président du Groupe d'experts de lettres au ministère, a instauré la pratique du texte d'invention au niveau du baccalauréat , et voulu qu'on présentât désormais la littérature aux lycéens par le biais d' " objets d'étude." Parmi les nombreux " objets" du catalogue qu'il a substitué à la classique présentation des oeuvres suivant la perspective chronologique de l'histoire littéraire, figure l'item suivant : " L'éloge et le blâme " .

Touché à mon tour par la mode de l 'épidictique , j'ai cru légitime que M. Viala fût le premier à tirer avantage de ses belles innovations qui ont, entre autres mérites, celui d'interdire désormais l'étude d'un roman du XIX° en classe de première . On le trouvera donc au centre du texte d'invention présenté ci-dessous. Mes talents n'étant pas à la mesure du sujet qu'ils se sont proposé , je sollicite l'indulgence du lecteur qui ne me sera pas moins nécessaire en cette occasion que la bienveillance du bénéficiaire.

Enfin, pour que nul ne puisse mettre en doute les mérites ici attribués au président Viala, j'ai indiqué en annexe, paragraphe par paragraphe, les références sur lesquelles s'est appuyée mon argumentation .

Si j'avais donc à faire l'éloge d'Alain Viala, voici ce que je dirais :


      Le professeur Viala s'étant en toutes circonstances déclaré l'adversaire résolu de l'élitisme, on conçoit qu'il ait quitté au plus vite l'enseignement secondaire pour exercer dans les universités et notamment celle d'Oxford qui est sans conteste l'endroit au monde où se rencontre le plus fort taux d'exclus de la connivence culturelle.

      Ayant proclamé que les élèves ne pouvaient accéder à la littérature parce qu'ils n'avaient pas une maîtrise suffisante de la langue, le professeur Viala a su montrer son attachement pour la cohérence en affirmant six mois plus tard que l'accès à la maîtrise de la langue n'était pas un préalable à la connaissance de la littérature.

      Justement préoccupé par l'inégalité des élèves dans le maniement de leur langue, le président Viala a vigoureusement imposé la pratique des séquences et du décloisonnement qui rendent impossible un enseignement efficace de l'orthographe, de la morphologie et de la syntaxe. L'effondrement prévisible du plafond de la grammaire a dès lors permis de restaurer, dans la fumée des gravats, une équité linguistique trop longtemps bafouée.

      Il faut saluer le silence remarquable par lequel le professeur Viala a choisi d'exprimer sa légitime réprobation face à l'avènement des Cahiers d'évaluation de seconde, misérables tentatives de réduction des études littéraires à des données calibrées et chiffrables. Ce silence n'a jamais eu tant d'éclat qu'en 1999, année où les évaluateurs officiels ont appelé les lycéens de la France entière à reconstituer l'argumentation d'un texte purement expositif , et constellé de fautes d'orthographe déshonorantes.

      Il faut saluer la prévoyance d'un homme qui, craignant qu'une authentique lecture de Candide ne développât l'intelligence des élèves et ne stimulât du même coup des souches résistantes de sottise, a voulu que l'on abordât ce conte de Voltaire par l'étude des marques de l'énonciation.

      En recentrant l'étude des textes littéraires, jusqu'alors égarée dans de vaines considérations esthétiques, psychologiques, morales, sociales ou métaphysiques, dans le champ étroit des questions de genres et de registres , le professeur Viala a su rendre l'héritage littéraire aux seuls vrais lecteurs que sont les élèves dont les contresens créateurs éclairent mieux le sens des oeuvres que le discours savant d'un professeur.

      S'il est un mérite du professeur Viala qui ne doit pas être laissé dans l'ombre, c'est bien celui d'avoir alerté les consciences sur les dangers de l'admiration . En montrant en effet, la richesse d'un texte, on renforce l'image de l'écrivain de génie, en paralysant la faculté d'écriture ou de réécriture d'élèves qui manient mal les idées et plus encore les outils logiques.

      On ne saurait désapprouver M. Viala lorsqu'il exprime sa défiance à l'égard des professeurs dont il redoute l'effet nocif de fascination et le dirigisme ; car les élèves ont beaucoup plus à apprendre de la découverte des autres que de la parole unique du maître. C'est pourquoi l'expert a préconisé avec raison que le professeur se contente d'être l'animateur d'un travail en groupes, afin que l'attention de l'élève soit déplacée vers la parole plurielle des camarades. Seuls en effet les démagogues invétérés dénoncent dans ces pratiques l'expression d'une démission intellectuelle et morale.

      Il est obligatoirement vrai, comme le répéte avec constance M. Alain Viala, que les réflexions sur la qualité morale des textes relèvent du jugement de chacun, et que la littérature n'appartient qu'à l'espace des opinions ; car s'il en était autrement, l'on ne pourrait se figurer pour quelle étrange raison un dix-septiémiste aussi familier de Pascal que le Président du Groupe d'Experts, Professeur à Oxford et à la Sorbonne nouvelle, a pu dépenser tant d'énergie pour accumuler des grandeurs d'établissement.


Il me vient à l'esprit, pour finir, que le récipiendaire de cet hommage pourrait ne pas l'apprécier autant que je l'aurais souhaité ; j'en serais le premier désolé, mais m'en consolerais sans doute en me disant avec philosophie que ceux qui s'établissent sur les lieux élevés sont plus exposés que d'autres, pour peu qu'ils n'aient eu en vue que la promotion de leur propre personne, aux lancers de tomates.


Michel LEROUX, Instituteur des lycées.

Annexe.

§2 : Ecole des Lettres n° spécial de mai 2000, p. 14. Perspectives actuelles de l'enseignement du français, séminaire d'octobre 2000, contributions réunies par A. Boissinot. Desco 2OO1. Chap. "Du rôle de l'école et de l'enseignement du français."

§4 Ministère de l'éducation nationale, Direction de la programmation et du développement, septembre 99. Texte de Robert Briatte, Horreurs de jeunesse. Parmi une dizaine de perles, on relève la présence de l'auteur Gazotte et l'expression " Michel Chaillou plaide, quand à lui ... " Le document a été distribué à grands frais dans la France entière. L'Inspection générale de lettres s'est à cette occasion stoïquement réfugiée dans un silence vertueux.

§5 Viala et Schmitt, Faire Lire , Paris, Didier 1979, p. 107.

§ 6 " Les vrais lecteurs " , " discours savant " ibidem, Avant-propos. " Contresens créateur " ibid. p.19.

§ 7 ibid. p. 205.

§ 8 ibid. p. 26 et 202-203.

§ 9 ibid. p. 38 et L'école des lettres, décembre 99, p. 30.