Les dangers du nouveau bac de français

Le Monde de l'éducation, avril 2002, courrier des lecteurs.


Les lycéens passeront en juin la nouvelle épreuve anticipée de français, dans le prolongement des programmes qu'ils ont étrennés l'année dernière en seconde et auxquels ils se confrontent cette année en première. (...) Je m'interroge sur ce que deviennent les exercices du commentaire de texte et de la dissertation.

Depuis quelques années, la dissertation portait sur des oeuvres ou problématiques au programme, et les lycéens étaient amenés à disserter sur des sujets intéressants, à leur portée et riches d'enjeux. (...) Désormais, la dissertation, centrée sur les objets d'étude du nouveau programme comme le biographique, l'essai, l'apologue, la poésie, etc., exigera que soient traités des sujets tels que : " Vers ? Poème en prose ? Prose poétique ? En prenant appui sur les trois textes du corpus et sur vos lectures personnelles, vous expliquerez dans une argumentation détaillée à quel type d'écriture vont vos préférences. " (...) De tels sujets, soit relèvent, dans une version édulcorée, de la dissertation générale du Capes, soit témoignent d'une dérive de l'enseignement littéraire au lycée où il ne s'agit plus de réfléchir sur les mondes représentés dans les oeuvres littéraires, mais sur leur mode de représentation. Privé d'enjeux de sens, cet exercice risque vite de se réduire à un pur contenant rhétorique dans lequel l'élève devra réciter des considérations techniques sur les pratiques génériques de l'écriture. II finira par détourner les élèves de la dissertation.

Le commentaire pourra, quant à lui, être remplacé par un commentaire comparé, qui demandera aux élèves de confronter les modes de représentation de deux textes. Par exemple, deux textes, l'un en prose, l'autre en vers, dont il faudra confronter les effets respectifs sur le lecteur. Ce qui compte, ce n'est plus le texte " en soi ", mais le texte " pour soi ". L' épreuve sera donc un exercice purement formel, anesthésiant la littérature dans ce qu'elle peut transmettre à des lycéens avides de sens et d'interrogations. (...) Pour prévenir cette dérive, il faut d'urgence et d'abord revenir à un programme national d'oeuvres dont l'objectif serait de permettre à l'élève de se confronter à des visions variées du monde. (...)

Christophe Billon, professeur de lettres au lycée français de Lisbonne.