Lettre au ministère
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A M. Jack Lang, Ministre d'Etat,
Ministre de l'Education Nationale,
Monsieur le Ministre, c'est avec joie que nous accueillons en votre personne le défenseur des forces vives de la création, mais aussi l'homme de dialogue et l'esprit libre prêt à affronter hors de tout préjugé les questions complexes, difficiles, comme l'est celle de la démocratisation de l'enseignement.
Nous devons vous dire notre étonnement devant les propositions concernant l'épreuve anticipée de français que vous venez de faire parvenir aux associations de Lettres. Au nom d'un pseudo-égalitarisme, quelle vision plate et mesquine des études de Lettres nous est ainsi présentée ! L'Appel des plus grands écrivains français, des universitaires les plus prestigieux qui déploraient " l'assassinat de la littérature par la rue de Grenelle " n'a pas été entendu. La forme donnée à l'épreuve sanctionnant les études littéraires au lycée impose un modèle unique de lecture placé sous le signe de la rapidité et du survol, ce qui répond évidemment aux nécessités de la vie professionnelle, mais est aux antipodes de ce que requiert la compréhension des textes littéraires. Dès lors, la référence maintenue dans les programmes aux grands noms de la littérature reste formelle. Le problème de la démocratisation de la culture ne se pose plus : il est éludé.
Que le lycée ait pour mission d'apprendre à lire tous les types de textes, et notamment d'encourager la lecture de la presse, c'est une évidence, et c'est une pratique déjà bien établie. Où est la nouveauté, sinon dans un encouragement plus grand donné à une conception de la culture qui l'asservit aux besoins de la vie pratique ?
Mais d'autres évidences s'imposent à tout esprit cultivé qu'il importe de rappeler : ce n'est qu'à travers la fréquentation des textes littéraires que toute la richese et toute la complexité de l'acte de lire peuvent se révéler à un jeune esprit qui, pour se former, doit s'y confronter. Les exercices écrits spécifiquement littéraires ne relèvent pas d'un goût désuet de l'ornement, du beau langage et du bel esprit, mais ils sont une école de rigueur pour la pensée et ils peuvent seuls nourrir l'imagination en donnant ainsi un contenu à tous les travaux de création.
Monsieur le Ministre, vous avez parlé de la nécessité de restaurer l'autorité à l'école. Cette autorité, où la trouvez-vous ? Dans la force ? Dans les " trucs " de la pédagogie ? Cette autorité est naturellement présente dans l'école dès lors qu'elle est le lieu de l'exercice de la pensée et de la rencontre avec la beauté. Il n'y a d'autre autorité que celle des grands auteurs.
Monsieur le Ministre, voici le vrai défi que nous sommes prêts à relever avec vous : trouver les moyens pour que les jeunes fassent leurs les exigences de l'esprit, et qu'ainsi ils ne soient pas la proie d'une société où l'auto-satisfaction narcissique est le meilleur instrument d'une tyrannie molle.
Monsieur le Ministre, nous avons salué votre courage lorsque, à contre-courant de l'air du temps, vous avez déclaré, faisant vôtre une pensée d'Antoine Vitez, que l'idée d'une culture populaire enveloppait les plus hautes exigences, nous ne pouvons donc penser que vous vous résignerez à laisser à la postérité le souvenir du ministre qui détruisit la tradition de l'enseignement des Lettres en le faisant sombrer dans la médiocrité, le souvenir d'un ministre qui rompit le pacte fondateur unissant la République à l'Ecole.
Monsieur le Ministre d'Etat, veuillez recevoir l'expression de notre haute considération pour les combats que vous avez menés, et que vous mènerez, nous en sommes sûrs, pour la défense de la culture.
Cette lettre a été rédigée par les enseignants de Lettres du lycée Henri IV, et remise à M. Jack Lang lors de sa visite dans l'établissement en mars 2001.
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04/2001